É D I T O R I A L SADAM et ORL ● J.N. Margo*, M. Mundreuil** I l est un motif de consultation fréquent, ignoré de beaucoup et faisant sourire certains comme n’étant qu’une fantaisie : il s’agit du SADAM (syndrome algodysfonctionnel de l’appareil manducateur) ou, selon la terminologie la plus récente, DAM (dysfonction de l’appareil manducateur). Le plus souvent méconnu par les généralistes, rhumatologues, etc. et nié par une grande majorité des chirurgiens-dentistes, il devrait nous être familier, à nous, oto-rhino-laryngologistes, ophtalmologistes et neurologues, entre autres, puisqu’il touche environ 10 % de la population adulte, mais surtout parce que, le SADAM étant une cause fréquente d’algies craniofaciales, nous sommes en première ligne dans son dépistage. La plainte des malades est assez régulièrement faite d’otalgies intermittentes, d’algies temporales pouvant être très violentes, mais parfois de douleurs intéressant les maxillaires avec irradiations vers l’orbite, le lobule, le cou, l’épaule… L’ouverture buccale se fait en général avec ressaut, craquements, latérodéviation. Dans les formes sévères ou évoluées, cette ouverture est limitée. Plus rarement, les malades décrivent des sensations d’oreille bouchée. Nous rappellerons qu’il existe des sensations d’instabilité ou de déséquilibre, très probablement en rapport avec le retentissement de cette pathologie sur les muscles du cou et leurs propriocepteurs ; il s’agit cependant de manifestations rares, qui ne donnent pas de vrais vertiges. Quelquefois, c’est une luxation de l’articulation mandibulaire qui attire l’attention. L’examen de la cavité buccale objective assez souvent le déséquilibre du plan occlusal et permet d’en découvrir les raisons : amalgames, couronnes, dents manquantes, perte de la dimension verticale. Les malades signalent également des paresthésies à type de démangeaisons, “brûlures” et picotements. Bien évidemment, face à des otalgies, il est indispensable d’éliminer une cause ORL. Les examens otologique et tympanométrique, du pharynx, y compris le cavum, du larynx et de la cavité buccale doivent être effectués très soigneusement. Dans le même temps, il faut bien sûr éliminer toute autre cause d’algie maxillaire ou mandibulaire, mais là, nous entrons déjà dans la sphère stomatologique. Il ne faudra pas négliger non plus d’éliminer une maladie de Horton, face à une algie temporale du sujet âgé. * Service ORL, centre hospitalier Louis-Pasteur, Cherbourg. ** Stomatologiste, centre hospitalier Louis-Pasteur, Cherbourg. Cependant, notre propos n’est pas de détailler la clinique de cette affection, conséquence très fréquente d’un mauvais articulé dentaire. Ce que nous tenons à rappeler, c’est l’existence de cette étiologie dans les algies craniofaciales. Or, sa fréquence est aussi grande que la facilité avec laquelle elle n’est pas prise en compte. Cela entraîne des demandes d’examens abusives, puis des thérapeutiques inappropriées. Or, tout est dans l’interrogatoire et la clinique. Pourtant, avoir fait le diagnostic ne suffit pas à trouver la bonne solution. Nous sommes même persuadés que les plus grosses difficultés commencent à ce moment, car il reste à proposer le bon traitement. Il peut être médical à la phase aiguë ; les antalgiques, les anti-inflammatoires et les décontracturants ont leur utilité à ce stade. Il est parfois chirurgical (maxillofacial, orthognatique) dans les dysmorphoses majeures. Dans la très grande majorité des cas, il est occlusal, du fait d’une pathologie le plus souvent acquise. Il faut rééquilibrer l’articulé dentaire pour rétablir un plan occlusal correct. Cela passe bien sûr par la réalisation de prothèses bien adaptées pour compenser les édentations existantes, mais également par des meulages sélectifs, ce qui suppose de bien repérer les points de surocclusions — attention, tout se joue en finesse au centième de millimètre. Ces meulages doivent donc impérativement être effectués de manière correcte et soigneuse, avec calme et patience, en se gardant de tous excès, lesquels sont catastrophiques. Il faut prévenir le sujet que le résultat définitif ne sera acquis que progressivement, après plusieurs séances, espacées en général de quelques semaines à plusieurs mois, et cela même si l’amélioration immédiate est parfois spectaculaire. La raison de ce délai, pour le retour à un équilibre normal du plan occlusal, tient à la nécessité de laisser les contraintes se relâcher au niveau du ligament alvéolo-dentaire, véritable amortisseur péridentaire. Encore faut-il trouver un stomatologiste compétent en ce domaine délicat et si particulier. Il confirmera le diagnostic ou le redressera ; pour cela, un panoramique dentaire peut s’avérer nécessaire, aussi vaut-il mieux le prévoir, afin que le patient se rende en consultation de stomatologie dans les meilleures conditions. Ici, c’est l’ORL qui parle, pour dire qu’il n’a jamais rencontré de chirurgien-dentiste s’intéressant réellement à cette pathologie avec l’efficacité souhaitable, ce qui n’exclut pas qu’il en existe. C’est pourquoi j’insiste sur la nécessité d’une consultation auprès d’un stomatologiste connaissant bien les pièges de cette dysfonction de l’appareil manducateur. La Lettre d’Oto-rhino-laryngologie et de chirurgie cervico-faciale - n° 244 - juin 1999 3 É D I T O R I Il nous faut donc être attentifs à cette pathologie fréquente et souvent négligée, au point qu’elle devient source de dépenses abusives en ces temps d’économie. Or, il n’est pas rare de voir demander, face à de telles algies, des bilans scanographiques ou IRM, alors qu’une consultation en stomatologie aurait confirmé le diagnostic et permis le traitement, qui, sans cela, s’égare parfois dans des thérapeutiques inappropriées, médicales, voire psychiatriques, divagations qui peuvent malheureusement durer plusieurs années. Face à un sujet d’âge médian (car cette tranche d’âge est la plus touchée), présentant une telle symptomatologie depuis plusieurs mois ou années, il faut penser au SADAM et prendre l’avis d’un stomatologiste, dès l’instant où toute cause ORL a été éliminée avec certitude. Si nécessaire, il sera toujours temps de revenir à d’autres examens ou avis. En conclusion, face à ce qui, au départ, est décrit par les patients comme des otalgies ou des algies temporales, dont 4 A L nous venons de voir les irradiations, après avoir éliminé une étiologie ORL, pensons à l’appareil manducateur et orientons sans hésitation les malades vers le confrère stomatologiste compétent dans ce domaine. Ainsi donnerons-nous un bel exemple de coopération interspécialités. Sans oublier, face à des céphalées, qu’il existe des pathologies intriquées, dont le diagnostic et le traitement peuvent justifier l’avis de plusieurs spécialistes (neurologues, ophtalmologistes, stomatologistes, psychiatres, oto-rhino-laryngologistes, etc.). Là, une nouvelle fois, nous retrouvons une préoccupation actuelle : le travail en réseau. Si, après avoir diagnostiqué un SADAM, méconnu depuis plusieurs années et particulièrement algique, vous réussissez à orienter le malade vers le bon spécialiste, ce malade, enfin soulagé alors qu’il n’y croyait plus, sera reconnaissant à tous deux. Alors, pensez-y ! ■ La Lettre d’Oto-rhino-laryngologie et de chirurgie cervico-faciale - n° 244 - juin 1999