Endoscopie et polypes malins

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Endoscopie et polypes malins
● Ph. Godeberge*
et
** J.M. Canard**
Points
forts
Points
Points forts
forts
◆ La polypectomie endoscopique reste
le moyen de choix du traitement de la
majorité des polypes et notamment des
polypes malins.
◆ L’aspect du polype, l’indication de
l’endoscopie, l’expérience du praticien
et l’état général du patient doivent être
pris en compte pour décider d’une polypectomie.
endoscopie joue un rôle clé dans la
L’
prise en charge des polypes malins
du côlon et du rectum. Elle intervient à
toutes les étapes de la prise en charge :
– diagnostique, en restant la méthode la
plus fiable de détection des lésions en
saillie ;
– thérapeutique, au mieux en assurant
l’exérèse des lésions polypoïdes, au minimum en guidant la stratégie ultérieure (1)
;
– et de surveillance, après traitement.
L’endoscopie colique a ainsi montré son
efficacité dans la réduction de l’incidence
du cancer colo-rectal et dans l’allongement
de sa survie (2). La prise en charge endoscopique des polypes malins pose néanmoins des problèmes spécifiques.
La décision de polypectomie est prise en
cours de procédure ; y a-t-il des arguments
endoscopiques permettant de préjuger de
la nature histologique du polype ? La
réponse à cette question permet d’améliorer la pertinence de la décision immédiate,
* Institut mutualiste Montsouris, Paris.
** Clinique du Trocadéro, Paris.
◆ Le recours plus large à des colorants et
la résection en une pièce doivent favoriser une analyse histologique complète,
essentielle pour guider la stratégie ultérieure.
◆ L’endoscopiste doit se donner les
moyens de localiser précisément la lésion
dès qu’un geste chirurgical complémentaire ne peut être écarté.
en évitant soit de retirer un polype pour
lequel un geste complémentaire ultérieur
sera de toute façon nécessaire, soit de
renoncer à la polypectomie faisant prendre
le risque d’une morbidité chirurgicale
injustifiée.
L’attitude finale ne sera néanmoins souvent
déterminée qu’après le recueil de multiples
informations, dont l’analyse histologique
rigoureuse du polype. L’endoscopie doit
également permettre une localisation précise de la zone d’implantation du polype,
en sachant que l’approximation endoscopique n’est pas compatible avec la chirurgie, et qu’en cas de petit polype, la cicatrisation de la zone de polypectomie ne
permet pas de repérage secondaire, même
avec une coloscopie peropératoire.
large des colorants (chromoscopie), la diffusion des endoscopes avec zoom et
l’amélioration des connaissances morphologiques de ces cancers dits précoces,
notamment dans leurs formes planes.
Actuellement, l’endoscopiste peut se
fonder sur plusieurs données afin d’opter
soit pour une polypectomie, soit pour des
biopsies.
L’indication de l’examen
Le risque de cancer invasif est schématiquement majoré par rapport au simple
dépistage, en cas de polypose adénomateuse familiale ou de cancers familiaux
non polypoïdes (HNPCC). Le nombre parfois élevé de polypes dans ces situations
doit rendre prudent sur l’opportunité d’une
polypectomie à risque.
La macroscopie
La présence d’irrégularités muqueuses,
d’ulcérations, ainsi qu’une formation
ferme ou se mobilisant en blocs sont associées à une plus grande fréquence de carcinome (4). Ces données ne doivent pas
être négligées, car on connaît les difficultés d’interprétation de l’histologie et les
variations dans les résultats (5) (photo 1).
AVANT LA POLYPECTOMIE
Lors de la découverte d’une lésion en
saillie (polype sessile ou pédiculé), quelle
que soit sa taille, il n’y a pas de critère
absolu permettant de préjuger de sa nature
histologique ni a fortiori d’évaluer le degré
d’infiltration d’un éventuel carcinome
débutant (3). Cette affirmation sera peutêtre tempérée à l’avenir par l’usage plus
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Photo 1. Vue au zoom d’un polype adénomateux avec une ulcération en son centre
(carcinome micro-invasif).
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Une histologie défavorable est plus fréquemment observée en cas de lésion sessile par rapport à une lésion pédiculée
(58 versus 10 % respectivement) (6).
Toutes ces données ne sont probablement
pas indépendantes. Il en est de même pour
la taille : au-dessous de 1 cm, les lésions
pédiculées ne sont pas invasives ; au-dessus
de 4 cm, les lésions sessiles le sont dans
40 % des cas. Ces chiffres varient beaucoup
d’une série à l’autre, mais, à taille identique,
cette fréquence est plus élevée que dans les
lésions planes (7). La sécurité et les améliorations techniques ont conduit à proposer
l’excision de lésions de plus en plus étendues ou volumineuses. En cas de lésions de
grande taille, pour lesquelles l’ablation en
une pièce n’est pas possible des techniques
de résection par fragments (piecemeal) ont
même été proposées. Cette technique gêne
la conclusion finale histologique ; elle est
discutable pour les polypes rectaux accessibles à une résection transanale et qui sont,
peut-être du fait de leur taille, plus souvent
associés à une histologie défavorable. La
technique de mucosectomie répond à ce
souci de résection en une pièce.
L’extension au pédicule et au voisinage de
la zone d’insertion et donc l’éventualité
d’une résection incomplète doivent faire
discuter la chirurgie.
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paraît néanmoins nécessaire de respecter
quelques règles simples : possibilité de surveillance secondaire après le geste, entourage familial en cas de geste ambulatoire,
accessibilité à un plateau chirurgical, compliance du patient, la qualité de l’information au patient.
Même si ce facteur n’a pas clairement été
identifié, l’expérience de l’opérateur (10)
apparaît un facteur à prendre en compte,
de même que la disponibilité des différentes techniques, tant de polypectomie
que d’hémostase.
AU MOMENT
DE LA POLYPECTOMIE
La polypectomie
proprement dite
Elle fait appel à des techniques maintes
fois décrites sur lesquelles nous ne reviendrons pas en détail. La technique de polypectomie doit faire en sorte d’optimiser la
lecture histologique. L’ablation en une
pièce doit donc être privilégiée. Les colorations (photo 2) peuvent avoir dans cette
L’évaluation du terrain
L’expérience et l’institution
Le risque de perforation colique n’est pas
accru par la pratique d’une polypectomie. Il
Photo 2a. Polype (carcinome
intramuqueux).
Cliché : Ph. Godeberge.
Les risques préthérapeutiques sont évalués
différemment avant une coloscopie et avant
une colectomie. La mortalité moyenne
après colectomie (8) est supérieure à celle
de la polypectomie pour polypes malins.
Dans une revue portant sur 858 polypes
malins (9), pédiculés ou sessiles, ceux
ayant une histologie favorable ont une évolution satisfaisante, sauf dans moins de 1
% des cas, c’est-à-dire dans une proportion
moindre que la mortalité chirurgicale.
L’existence d’une contre-indication opératoire, ou anesthésique, notamment à la
cœlioscopie, doit faire opter pour une
résection endoscopique première.
situation un double intérêt : (a) en cas de
lésions de petite taille, de recueillir le maximum d’informations qui permettront de distinguer une lésion sessile de petite taille
d’une lésion plane ; (b) en cas de lésions étendues, notamment au pied du polype, de repérer précisément les limites de résection afin
de tenter le plus possible de préserver une
collerette de muqueuse saine. Une marge de
2 mm est habituellement considérée comme
nécessaire (11) entre la zone dégénérée et la
limite de résection, celle-ci devant être complète ; d’autant qu’il existe une marge incompressible de muqueuse non interprétable, du
fait des phénomènes de coagulation.
Le colorant habituellement utilisé est l’indigo carmin ou le bleu de méthylène ; ils ne
colorent pas les cellules mais silhouettent la
muqueuse et dessinent la lésion.
En cas de petites lésions sessiles, la “strip”
biopsie facilite le geste (12).
Les artifices qui permettent d’optimiser la
polypectomie relèvent de l’expérience plus
que d’études prospectives :
– soulèvement ou éversion de la base de la
lésion par l’injection intrapariétale de sérum
physiologique, parfois additionné d’adrénaline ;
– recours à des anses de grand diamètre à
picots ;
– arrêt de toute manœuvre en cas de nonsoulèvement de la lésion ;
– utilisation de bistouri électrique adapté
contrôlant la puissance délivrée ;
– recours à des clips ou à des Endoloop®en
cas de pédicule épais (photo 3) ;
Photo 2b. Idem après coloration
rehaussant les limites.
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Photo 3. Endoloop®en place.
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– conservation d’un tronçon de pédicule
en amont de l’anse.
La pièce de polypectomie
Le recueil de la pièce doit éviter toute perte
d’information. La fragmentation des petites
lésions rend leur interprétation difficile, et certains déconseillent,dans la mesure du possible,
l’aspiration à travers le canal opérateur. Les
modifications liées à l’usage d’un courant électrique peuvent rendre difficile l’orientation de
la pièce et donc les conclusions que l’on peut
en tirer. Plusieurs solutions sont possibles :
– utilisation d’un courant de section exclusif ;
– utilisation d’anse monobrin privilégiant la
section ;
– encrage à l’encre de Chine de la partie profonde de la pièce ;
– étalement de la pièce sur une petite plaque
de liège ;
– repérage soigneux du pédicule (la rétraction lors de la fixation histologique pouvant
faire disparaître totalement un pédicule initialement évident).
Photo 4. Clips de repérage en place sur une
zone de polypectomie.
résection et/ou l’existence d’une infiltration sous-muqueuse.
En cas de doute, il faut organiser la lecture
des prélèvements dans un délai bref compatible avec une seconde coloscopie, et donc
avant cicatrisation de la zone d’intervention.
Localiser la lésion
APRÈS LA COLOSCOPIE
La précision de la localisation de la zone
de polypectomie est essentielle (13), mais
les classiques repères endoscopiques sont
souvent pris en défaut, ce qui est d’autant
plus délétère qu’une colectomie est programmée. On ne peut pas compter sur la
visualisation secondaire de la cicatrice, ni
sur une seconde coloscopie avec biopsie,
notamment en cas de petits polypes pour
lesquels la cicatrice peut devenir rapidement endoscopiquement inapparente (11).
Il faut donc optimiser la localisation en
recourant :
– à l’utilisation d’une scopie quand elle est
accessible ;
– à un tatouage avec un colorant stérile en
quantité suffisante pour que la coloration
puisse être vue en transpariétal et donc en
peropératoire ;
– à la mise en place d’un clip métallique avec
un ASP en postcoloscopie (photo 4).
Des biopsies de la zone d’insertion ou de
ses berges, clairement identifiées, permettront d’évaluer le caractère complet de la
En cas de carcinome précoce se pose le
problème de la surveillance endoscopique,
de son rythme et de sa performance. Les
résultats sont dissociés. Après ablation
d’un polype dégénéré, des taux de 69 % de
lésions résiduelles (14) ont été décrits. À
l’inverse, entre 1983 et 1995, 85 patients
ont été opérés après ablation d’un cancer
précoce, principalement parce que le traitement avait été considéré comme incomplet (15). Aucun n’avait de ganglion sur la
pièce ; 7 avaient des lésions résiduelles,
tous avant 1984. Les critères de surveillance ont donc évolué avec le temps et,
peut-être, la formation et la rigueur des
endoscopistes (16).
Après ablation d’un carcinome précoce
sur lésion polypoïde, le rythme des
endoscopies de contrôle n’est pas déterminé. Si une décision de traitement
endoscopique a finalement été retenue,
il paraît logique d’appliquer le même
protocole de surveillance que lors d’une
colectomie pour cancer colique avec une
première endoscopie de contrôle au bout
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de 12 mois. De nombreux auteurs préconisent, au moins la première année,
une surveillance plus rapprochée.
En conclusion, la polypectomie endoscopique reste le traitement de choix de la
grande majorité des lésions en saillie du
côlon et du rectum, y compris des lésions
qui ont commencé à dégénérer. Le risque
de lésions résiduelles est faible, surtout en
cas d’histologie favorable. Au cours des
cancers T1, le risque d’une évolution défavorable est faible, notamment du fait de la
relative rareté des métastases ganglionnaire. Ce risque est inférieur à la mortalité
et la morbidité de la chirurgie colique. Ce
paramètre doit être pris en compte afin de
ne pas faire perdre au patient le bénéfice
d’une technique mini-invasive. Mais
d’autres facteurs décisionnels interviennent (lire p. 94) ; aussi, il n’est pas illogique de ne proposer la polypectomie que
dans un second temps chez un patient
informé des risques et des inconnues. ■
Mots clés. Polypectomie – Adénome –
Cancer précoce – Traitement endoscopique.
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