Cas cliniqueC Jean-Marc Kuhn* M onsieur H., âgé de 27 ans, est “roulant” dans une entreprise de transport. Il a récemment rencontré le médecin du travail auquel il a confirmé n’avoir aucun antécédent médical ou chirurgical en dehors de l’extraction de dents de sagesse deux ans auparavant, et signalé ne suivre aucun traitement. Lors de cette visite une hypertension artérielle est mise en évidence. Un examen par bandelette réactive d’un échantillon urinaire retrouve une protéinurie. Ces deux symptômes, qui n’avaient pas été identifiés antérieurement, conduisent monsieur H. en consultation spécialisée d’hypertension artérielle. Discrète asthénie et persistance de douleurs gingivales malgré l’intervention stomatologique sont les seuls symptômes signalés par le patient. Le poids est stable, à 65 kg pour une taille de 168 cm. La pression artérielle est mesurée à 150/90 mmHg et le rythme cardiaque à 116 pulsations par minute. L’examen de la cavité buccale ne révèle aucune anomalie et le reste de l’examen clinique est sans particularité. La créatinine plasmatique est mesurée à 133 mmol/l et sa clairance à 60 ml/mn. Il existe une protéinurie d’ordre glomérulaire atteignant 2,74 g/24 heures. La kaliémie est normale à 4,3 mmol/l et la réserve alcaline est mesurée à 23 mmol/l. L’échographie objective des reins hyper­ échogènes, partiellement dédifférenciés, associés à de multiples calcifications parenchymateuses médullaires en faveur d’une néphrocalcinose. * Service d’endocrinologie et maladies métaboliques, CHU de Rouen. La calcémie atteint 3,22 mmol/l et s’associe à une hypophosphorémie à 0,50 mmol/l. La calciurie des 24 heures, mesurée à 2,38 mmol, s’inscrit dans la norme mais doit être interprétée en fonction du déficit de la fonction rénale. Le taux d’hormone parathyroïdienne atteint 455 ng/l (N : 10-55) et la vitaminémie D est normale. Le diagnostic est donc celui d’hyperparathyroïdie primaire d’évolution suffisamment prolongée pour avoir été responsable d’une néphrocalcinose et d’une insuffisance rénale. Cette dernière a été révélée par l’hypertension artérielle associée à une protéinurie. À ce stade, plusieurs questions se posent : quelle est la cause de cette hyperparathyroïdie primaire ? existe-t-il un retentissement extrarénal ? la maladie est-elle sous-tendue par une anomalie génétique ? quelle attitude thérapeutique adopter ? L’échographie cervicale ne retrouve aucune anomalie. La scintigraphie au MIBI-99Tech-123I oriente vers la présence d’un adénome parathyroïdien ectopique en position médiastinale antérieure (figure 1). À la première question, la réponse semble être claire et correspondre à la situation la plus fréquente en pédiatrie : adénome parathyroïdien sporadique. En outre, l’hyperparathyroïdie primaire, six fois moins fréquente avant 40 ans qu’après, est à prédominance masculine dans cette tranche d’âge : trois garçons versus deux filles. Néanmoins, la jeunesse du patient et l’ancienneté de l’hyperparathyroïdie (elle doit évoluer depuis au moins dix ans pour avoir engendré un tel retentissement rénal) doivent rendre prudent, as clinique Comme dans le temps… hélas ! Figure 1. Scintigraphie au MIBI99-Tech123I en faveur de la présence d’un adénome parathyroïdien ectopique en position médiastinale antérieure, à proximité de la naissance de l’aorte. Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (XI), n° 6, novembre-décembre 2007 269 Cas clinique Cas clinique 270 l’hypothèse d’une pathologie génétiquement déterminée impliquant l’ensemble des parathyroïdes ne pouvant a priori être exclue. La réponse à la deuxième question est fournie par les examens radiologiques. Le panoramique dentaire est normal. La radiographie des mains ne montre pas de signe de résorption des houppes phalangiennes. Le cliché thoracique met en évidence un discret élargissement des espaces acromioclaviculaires avec présence d’une lésion lytique multiloculaire. Enfin, le scanner du bassin retrouve des lésions osseuses multifocales (figure 2), images de tumeurs brunes telles qu’elles étaient décrites “dans le temps” comme un des symptômes cliniques de l’hyperparathyroïdie primaire et qu’heureusement on ne voit plus jamais, cette dernière étant depuis des décennies diagnostiquée bien avant leur tardive apparition dans l’évolution non traitée de la maladie. La réponse à la troisième question, concernant le contexte génétique, est déterminante car elle conditionne les options thérapeutiques. L’élimination urinaire des catécholamines et de leurs dérivés métaboliques est normale chez ce patient dont la clairance de la créatinine est réduite de 50 %. Le taux plasmatique de chromogranine A atteint 256 mg/l (N < 98). Hyperparathyroïdie primaire et insuffisance rénale peuvent à elles seules expliquer l’élévation de ce marqueur non spécifique d’une pathologie neuroendocrine particulière. L’échographie rénale réalisée chez ce patient de poids normal n’a pas retrouvé d’anomalie au niveau des aires surrénaliennes, résultat confirmé par le scanner. La calcitoninémie est à 5 ng/l (N < 10) et l’échographie cervicale est normale. Enfin, tous les marqueurs biologiques de la fonction hypophysaire et du pancréas endocrine s’inscrivent dans leurs normes respectives. Bien qu’il n’y ait pas d’antécédent familial évocateur de néoplasie endocrinienne multiple, un prélèvement pour étude du gène de la ménine est réalisé. À ce jour, le résultat de la recherche de mutation du gène MEN1 n’est pas encore connu et il n’est pas question de l’attendre pour aborder l’étape thérapeutique, compte tenu des chiffres de calcémie et du retentissement déjà sévère de cette hyperparathyroïdie primaire. Afin de répondre à la question de l’étendue du geste chirurgical, il est impératif de préciser si la source de production de parathormone (PTH) est unique ou non. La scintigraphie l’évoque, mais le contexte rend nécessaire de disposer d’arguments supplémentaires. Dans cet objectif un cathétérisme sélectif a été réalisé afin de mesurer en différents points le taux plasmatique d’hormone parathyroïdienne. Les résultats, représentés dans la figure 3, confirment que la production de PTH est exclusivement médiastinale et drainée dans le tronc veineux innominé. L’intervention, réalisée sous throracoscopie, a permis l’ablation de cet adénome parathyroïdien. L’hyperparathyroïdie primaire une fois traitée, les lésions squelettiques se recalcifieront progressivement. Figure 2. Aspect scanographique d’une des lésions osseuses du bassin témoignant de la présence d’une “tumeur brune”, manifestation squelettique de l’hyperparathyroïdie primaire. Figure 3. Résultats de la mesure des taux de PTH sériques (ng/l) sur des prélèvements effectués au cours d’un cathétérisme sélectif des sites veineux suivants : sous-clavières droite (SCD) et gauche (SCG), vertébrales (VD et VG), jugulaires (JD et JG), tronc veineux innominé (TVI), veines caves supérieure (VCS) et inférieure (VCI), oreillette droite (OD) et abouchement sus-hépatique (VSH). A contrario, monsieur H. gardera insuffisance rénale et hypertension artérielle comme conséquences de la néphrocalcinose. Même si l’on doit ne la souhaiter à personne, une “bonne” crise de colique néphrétique aurait au moins eu le mérite de révéler l’affection avant qu’elle n’ait, hélas, exercé son sévère retentissement viscéral. • Root AW, Diamond FB Jr. Disorders of calcium metabolism in the child and adolescent. Pediatric Endocrinology, MA Spelding Eds. Philadelphia USA: Saunders, 2002:629-69. Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (XI), n° 6, novembre-décembre 2007