“La Syrie a gâché ma vie”

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JC GUILLAUME
Laura Passoni et Hicham Abdel Gawad n’éludent aucune question que les jeunes se posent sur le séjour de cette jeune convertie qui avait rejoint le djihad en Syrie.
“La Syrie a gâché ma vie”
n Laura Passoni était partie en Syrie.
Elle fait la tournée des écoles pour que
l’on ne fasse pas les mêmes erreurs.
N
euf mois : c’est la période que Laura Passoni a
passée en 2014 en Syrie avant de fuir avec
son fils âgé de 4 ans et avec son compagnon.
C’est une expérience qu’elle regrette amèrement.
Elle l’a racontée dans un livre (“Au coeur de Daesh
avec mon fils”, Editions La Boîte à Pandore, 2016).
Elle se reconstruit petit à petit. A l’inverse de son
compagnon, condamné à cinq ans (dont quatre
ferme), elle a échappé à la prison. Elle s’est vu infli­
ger une peine avec sursis et un suivi pendant cinq
ans, qui implique notamment des contacts régu­
liers avec un assistant de justice.
Son fils a grandi, ne gardant, vu son jeune âge,
pas de véritable souvenir de l’enfer syrien. Daesh,
dit­elle, ne “formait” les enfants qu’à partir de
l’âge de 8 ans.
Laura Passoni, aujourd’hui 31 ans, a décidé de
partager son expérience avec des jeunes qui pour­
raient être tentés par l’islam radical. Elle a déjà vu
750 élèves dans des écoles. “Mon but est de leur ra­
conter mon vécu pour qu’ils ne fassent pas les mêmes
erreurs que moi et surtout qu’ils puissent détecter un
éventuel recruteur”, explique­t­elle.
Lundi, elle était à l’Institut d’enseignement se­
condaire paramédical provincial (IESPP) à Mons
devant quelque 120 élèves, âgés de 15 à 18 ans.
12
Elle ne leur a pas caché. Son retour n’a pas été fa­ engager le dialogue avec leurs élèves. Ils ensei­
cile : “Revenir dans un pays normal après neuf mois gnent les sciences sociales, l’histoire, la morale ou
où l’on a été enfermée, où l’on ne doit pas réfléchir, encore la religion islamique.
c’est dur. J’ai dû réapprendre à vivre, à parler.” Au
L’équipe a même réalisé un dossier pédagogique
bruit d’un avion, il lui arrive encore d’être angois­ de 30 pages, qui, via l’éditrice de Laura Passoni, est
sée en raison des bombardements subis en Syrie.
disponible pour les écoles intéressées.
Avec celui qu’elle appelle “mon binôme”, Hicham
Il sera utilisé à Gand, dans une école flamande
Abdel Gawad, professeur de religion islamique et car Laura Passoni est sans doute la seule “Retur­
auteur (“Les questions que se po­
nee” prête à partager son expé­
sent les jeunes sur l’islam : itiné­
rience.
raire d’un prof”, Editions la Boîte à
Le livre de Laura permet d’abor­
Pandore, 2016), elle n’élude
der de nombreuses questions :
aucune question. C’est vers lui
“Nous avons pu voir les dangers d’In­
qu’elle se tourne pour les questions
ternet, l’info et l’intox, envisager le
des jeunes sur l’Islam. Convertie,
statut de la femme ici ou au sein de
toujours croyante, Laura Passoni,
l’Etat islamique, les droits de l’enfant,
préfère de pas s’aventurer sur ce
les étapes de l’endoctrinement”, ex­
terrain, que ce soit pour le port du
plique ainsi Coralie Casteleyn, qui
voile (qu’elle ne porte pas), l’inter­
enseigne la morale. “Cela a permis
prétation du Coran ou les métho­
de déconstruire le phénomène du ter­
des des recruteurs, qui jouent sur
rorisme”, renchérit Nabil Lyazali,
les fragilités de leur cible.
professeur de religion islamique.
Laura Passoni
Sa légitimité, Laura Passoni, la tire
Jeune Carolorégienne restée
La force d’un témoignage
neuf mois en Syrie avec son fils de son expérience. Et quand elle est
de 4 ans.
Les élèves semblent véritable­
face aux élèves, les questions fu­
ment captivés par l’expérience de
sent : sur ce qu’elle a vécu en Syrie,
Laura Passoni qui – et c’est un choix de son édi­ sur ce qui lui a permis enfin d’ouvrir les yeux. Et
trice, Valérie de Monfort – ne fait pas à propre­ quand après plus d’une heure de dialogue, elle ex­
ment parler d’animation ou de conférence.
plique qu’elle n’a pas peur malgré les messages de
Laura Passoni est là pour répondre aux questions radicaux envoyés sur le GSM de son compagnon,
d’élèves qui ont préalablement étudié son livre en les applaudissements fusent. Son message a été
classe. A l’IESSP, ce sont cinq professeurs qui sont compris.
partis de son témoignage écrit comme base pour
J. La.
“Revenir dans
un pays normal
après neuf mois où
l’on a été enfermée,
où l’on ne doit pas
réfléchir, c’est dur.
J’ai dû réapprendre
à vivre, à parler.”
La Libre Belgique - mercredi 22 février 2017
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