D O S S I E R T H É M A T I Q U E Récidives locorégionales des cancers du rectum : prise en charge thérapeutique ● J.R. Delpero*, P. Lasser** P O I N T S F O R T S P O I N T S F O R T S ■ Les récidives locorégionales des cancers du rectum sont rarement accessibles à une exérèse curative, seule chance de survie prolongée. ■ La chirurgie d’exérèse permet d’obtenir 20 % de survie à cinq ans, mais son résultat dépend du type de chirurgie initiale (moins bon en cas d’amputation abdominopérinéale qu’en cas de résection antérieure préalable). ■ Les traitements palliatifs comme la radiothérapie sont souvent utilisés pour soulager la douleur dont la prise en charge reste un problème majeur chez ces patients. L a prise en charge primaire des cancers du rectum est essentielle pour prévenir les récidives locales ou locorégionales (RLR). La fréquence des récidives après résection curative est voisine de 50 %, et 30 % des décès sont liés à une RLR (1, 2). Près de 80 % des récidives surviennent dans les deux premières années après la résection et sont diagnostiquées à l’occasion de symptômes trois fois sur quatre (1-5). Elles surviennent deux fois sur trois lorsque la tumeur primitive était classée stade C de Dukes (T3-N1 ou N2 TNM) (1, 2). Schématiquement, les RLR des cancers du rectum : – sont rarement accessibles à une exérèse itérative, a fortiori curative, mais celle-ci peut offrir 20 % de chances de survie à cinq ans lorsqu’elle est réalisable ; – altèrent rapidement la qualité de vie, mais sont souvent lentement évolutives ; – relèvent le plus souvent d’une thérapeutique symptomatique : elles peuvent être contrôlées par l’irradiation, mais le plus souvent de façon transitoire et sont peu sensibles à la chimiothérapie ; la prise en charge de la douleur est essentielle. Deux facteurs sont déterminants au moment du traitement d’une RLR : – le type de l’intervention initiale ; il faut opposer les RLR qui surviennent après une résection antérieure (RA), qu’elles soient anastomotiques ou péri-anastomotiques, et celles qui surviennent après amputation abdominopérinéale du rectum (AAP) : les problèmes diagnostiques et thérapeutiques, le taux de résécabilité et les résultats des résections ou même de l’irradiation sont très différents ; – une irradiation préopératoire de la tumeur rectale primitive (ce qui est souvent le cas aujourd’hui) ; en effet, la dose reçue peut limiter très largement les possibilités d’une nouvelle irradiation. La prise en charge des RLR pose les questions suivantes : – comment sélectionner les malades qui peuvent bénéficier d’une réintervention... et chez ces malades, lorsqu’un traitement néoadjuvant est encore possible, est-il utile (irradiation ou radiochimiothérapie préopératoire) ? – que peut-on attendre des exérèses en termes de survie et de qualité de vie ? – la surveillance des cancers du rectum opérés a-t-elle une influence sur la résécabilité des RLR et sur les résultats ? – quel est le recours palliatif en cas de non-résection, ce qui est la situation la plus fréquente ? RÉSÉCABILITÉ, IMPORTANCE DE L’EXAMEN CLINIQUE Le taux de résécabilité des RLR des cancers du rectum varie de 25 % à 75 %. Plus de la moitié des résections sont palliatives après analyse histopathologique de la pièce opératoire (tableau I). Tableau I. Terminologie utilisée pour définir le type des résections chirurgicales selon les résultats de l’examen histopathologique de la pièce opératoire (a, b) et les constatations macroscopiques peropératoires (c). Type de la résection a R0 b R1 c R2 * Département de chirurgie, institut Paoli-Calmettes, Marseille. ** Département de chirurgie, institut Gustave-Roussy, Villejuif. 190 Définition limites histologiques saines limites histologiques envahies reliquat tumoral macroscopique en fin de résection La Lettre de l’Hépato-Gastroentérologue - n° 4 - vol. II - septembre 1999 Le taux des résections curatives est en moyenne de 30 % mais il est souvent estimé à partir de séries chirurgicales qui ne rapportent que les malades ayant bénéficié d’une résection, donc sélectionnés (5-8) ; il est corrélé au type de la RLR et au traitement initial de la tumeur rectale... Or, la plupart des séries publiées comportent une majorité de patients qui ont eu une résectionanastomose et une minorité d’AAP initiales. Le taux des résections R0 dépend de la proportion des RLR endoluminales et du nombre de malades traités initialement par une résection-anastomose ou une AAP (tableau II a). Dans la série de la Mayo Clinic (7), moins de 10 % des patients avaient eu une AAP ; les taux de résections R0, R1 et R2 (voir tableau I) étaient respectivement de 38 %, 6,5 % et 55,5 % ; par ailleurs, le taux des résections R0 diminuait de moitié lorsque la récidive se présentait avec des douleurs (tableau II b) (7). Tableau II. Taux des résections R0 selon : a) le nombre de RLR endoluminales et le nombre d’AAP initiales [séries personnelles (5, 6)] ; b) le caractère symptomatique ou non de la récidive [expérience du groupe de la Mayo Clinic (7)]. a n malades résections R0 (%) RLR (%) endoluminales AAP (%) IPC (5) 75 52 25 13 IGR (6) 65 38 15 50 b Mayo Clinic (7) Résections R0 (%) Taux global (%) 38 RLR RLR RLR asympto- symptomatiques symptomatiques matiques (%) sans douleurs (%) avec douleurs (%) 53 35 29 opérés de cancers colorectaux primitifs qui ont eu une résection curative : dans un travail récent (10) qui analyse huit séries de près de 1 000 malades suivis, le taux de résection curative des RLR est de 0,2 à 2 %. La prévalence des RLR isolées est plus forte dans les cancers du rectum que dans les cancers coliques, mais elle est sans doute surestimée (11) : une étude autopsique a montré que trois fois sur quatre les malades qui avaient été considérés comme porteurs d’une récidive locale ou locorégionale isolée présentaient des lésions disséminées (12) ; dans la série de Herfarth et coll., près de 30 % des malades présentaient une ou plusieurs métastases synchrones de la RLR (3) ; enfin, Michelassi et coll. rapportaient 64 % de métastases au moment du diagnostic de RLR ou dans l’année qui suit (13). L’interrogatoire et l’examen clinique sont essentiels pour le diagnostic, le bilan d’extension des RLR et l’indication thérapeutique. Le diagnostic de RLR est le plus souvent évoqué devant l’apparition récente de douleurs (qu’il s’agisse d’une simple pesanteur périnéale, d’une douleur au niveau de la cicatrice périnéale après AAP ou d’une sciatalgie), d’un syndrome rectal (en cas de résection-anastomose), de troubles urinaires, de métrorragies chez la femme, d’un syndrome subocclusif (sténose anastomotique ou anse iléale fixée dans le pelvis), d’un abcès périnéal, d’une réouverture de la cicatrice périnéale après AAP, a fortiori d’une fistule iléorectale (classique après opération de Hartmann) ou périnéale (après AAP). Le tableau III rapporte nos expériences personnelles. La contribution des examens paracliniques est faible, et le coût des examens répétés est élevé : – l’endoscopie réalisée après résection antérieure peut découvrir une RLR endoluminale, mais le plus souvent elle ne montre que l’émergence de la RLR extramurale qui envahit le tube digestif depuis le tissu pelvien cellulo-ganglionnaire ; – l’échographie endorectale ou endovaginale peut être utile au bilan d’extension mais lorsqu’elle montre une RLR, les touchers pelviens ont fait le diagnostic dans 95 % des cas ; RLR : récidive locorégionale ; AAP : amputation abdominopérinéale. Les taux de résécabilité sont estimés de façon plus juste dans les séries qui rapportent une cohorte de malades porteurs de RLR et pas seulement les malades avec résection. Huguier et Houry (8) ont rapporté 71 RLR observées chez des malades non irradiés avant la première intervention : le taux de résécabilité était voisin de 50 % et il était significativement supérieur après résection antérieure ou opération de Hartmann (70 %) : il n’était que de 22 % après AAP avec moins de la moitié de résections R0 dans ce petit groupe. Enfin, la série de Touboul et coll. (9) donnait une estimation du taux des résections curatives à partir de 211 malades référés pour irradiation d’une RLR ; la tumeur primitive n’avait pas été irradiée et plus de la moitié des malades avaient eu une AAP ; 82 malades avaient été réopérés pour leur RLR (39 %), dont 5 seulement après une irradiation ; 46 avaient eu une résection de la RLR (22 %) et 17 seulement une résection R0 soit 8 %. Le taux de résécabilité des RLR est donc très faible lorsqu’il est estimé à partir du suivi prospectif d’une population de malades La Lettre de l’Hépato-Gastroentérologue - n° 4 - vol. II - septembre 1999 Tableau III. Le diagnostic de RLR est le plus souvent clinique (expériences personnelles). IGR (6) n = 65 Première intervention : Première intervention : résection antérieure AAP (n = 32) (n = 33) Diagnostic au TR Examen périnéal/TV après AAP 90 % - IPC (5) n = 75 RLR asymptomatiques 25/75 (33 %) 17/25 (68 %) Diagnostic clinique 47 % IGR : institut Gustave-Roussy ; IPC : institut Paoli-Calmettes ; TR : toucher rectal ; TV : toucher vaginal ; RLR : récidives locorégionales. 191 D O S S I E R T – la fiabilité de l’IRM est supérieure à celle de la tomodensitométrie pour différencier une RLR d’une fibrose pelvienne postopératoire après AAP, et l’examen peut être associé à une ponction guidée pour obtenir une cytologie (14) ; mais c’est souvent l’apparition de douleurs et le contexte clinique qui aident à l’interprétation de l’imagerie, même en cas d’examen de référence postopératoire ; – l’ACE, surtout élevé en cas de métastases, est normal une fois sur deux en cas de RLR. Une étude de radio-immunodiagnostic a montré que l’examen avait une valeur prédictive positive de 70 %, une valeur prédictive négative de 90 % et un impact sur la décision thérapeutique une fois sur quatre (15). Le PET-scan (novembre 1998) a ouvert une nouvelle voie d’exploration : l’examen n’est pas encore disponible en routine et il est coûteux ; il s’agit d’un examen surtout utile pour déterminer le caractère isolé de la RLR (16) (voir encadré p. 214). Lorsque la RLR paraît isolée, le seul examen clinique peut permettre de récuser l’indication opératoire (statut clinique, sciatalgie, œdème d’un membre inférieur, données du TR) ; d’ailleurs, une analyse des facteurs prédictifs de la survie après résection des RLR, montre que la douleur est un facteur indépendant péjoratif (7). Enfin, la précocité de la récidive est un facteur pronostique péjoratif qui doit être pris en compte dans la décision thérapeutique. LA CHIRURGIE DES RLR ET SES RÉSULTATS Les procédés techniques utilisés sont multiples et dépendent de la première résection réalisée pour le cancer primaire. L’exérèse isolée d’un nodule périnéal ou vaginal est exceptionnelle car ces formes anatomocliniques de RLR correspondent généralement à l’issue d’une RLR pelvienne au périnée. Chez les malades qui ont eu une résection antérieure, la résection-anastomose itérative est possible pour les RLR endoluminales, mais le plus souvent une AAP ou une pelvectomie sont nécessaires. Chez les malades qui ont eu une AAP, la résection impose plus d’une fois sur deux un élargissement de nécessité... mais l’atteinte osseuse est un facteur limitant indiscutable. La résection de la dernière pièce sacrée ne pose pas de problème technique, et il n’y a pas de séquelles fonctionnelles. En revanche, les résections osseuses étendues en S3, voire S2, sont techniquement complexes et hémorragiques ; elles occasionnent une morbidité immédiate élevée et impliquent des troubles urinaires et neurologiques postopératoires qui grèvent considérablement la qualité de vie des patients (14, 17). Dans la littérature, la mortalité opératoire varie de 0 à 15 % mais le chiffre dépend du type d’exérèse réalisé ; dans la plupart des séries qui comportent une majorité d’AAP après résection-anastomose, la mortalité reste comparable à la mortalité de la chirurgie de première intention (4, 5, 8, 18) ; en revanche, la résection des récidives pelvipérinéales après AAP, en particulier en cas de résection abdominosacrée, est grevée d’une mortalité voisine de 10 % à 90 jours et surtout d’une morbidité postopératoire qui varie de 30 à 50 % (14, 17). 192 H É M A T I Q U E La survie actuarielle observée après résection est comparable dans la plupart des séries récentes qui portent sur plus de vingt malades : tous malades confondus, elle est schématiquement de 20 % à cinq ans et les résections R0 offrent de 30 à 40 % de chances de survie à cinq ans (2, 3, 5-8, 14-20), mais la moitié des patients présentent une nouvelle récidive locale, parfois isolée et exceptionnellement accessible à une exérèse itérative (5, 11, 18). Par ailleurs, les résultats se détériorent après trois et cinq ans (11, 18). Le tableau IV rapporte les survies observées dans nos séries personnelles et à la Mayo Clinic. Dans la plupart des séries, les survies à long terme après résections palliatives sont anecdotiques ; d’ailleurs, les survies médianes après résections de type R2 sont comparables à celles obtenues avec les traitements palliatifs (sept à quinze mois) ; les résultats obtenus par le groupe de la Mayo Clinic après résection R1 et R2 suggèrent donc l’intérêt des traitements combinés qui ont été réalisés chez ces malades (7). Tableau IV. Survies observées après résection de récidive locorégionale de cancer du rectum dans l’expérience de l’institut Paoli-Calmettes (IPC) (5) et de l’institut Gustave-Roussy (IGR) (6) ; survies à trois ans observées après résections de type R0, R1 et R2 par le groupe de la Mayo Clinic (7). IPC (5) * IGR (6) Mayo Clinic (7) Résections R0 Résections R1 Résections R2 Survie 2 ans Survie 3 ans Survie 5 ans 50 % 55 % 38 % 31 % 17 % 21 % 57 % 44 % 26 % * médiane : 22 mois ; après résection R0 : 34 mois ; après résections R1 et R2 : 12 mois. L’analyse des facteurs pronostiques après résection montre que le caractère curatif de la résection (R0) est la première variable indépendante qui prédit la survie ; de nombreux facteurs ont été étudiés, mais trois facteurs corrélés entre eux et au taux des résections curatives ont un impact pronostique clairement documenté : – le type de la chirurgie initiale (6-8, 14, 20). Dans la série de l’institut Gustave-Roussy, la survie à trois ans a été de 41 % chez les malades qui avaient eu une résection antérieure ou un traitement conservateur, et elle a été de 18 %, chez les malades qui avaient eu une AAP. D’ailleurs, la chirurgie initiale garde un impact pronostique indiscutable même lorsque l’exérèse est élargie : dans l’expérience de Wanebo et coll. (14), qui rapportaient 47 résections abdominosacrées, la survie à quatre ans a été de 46 % chez les malades qui avaient eu une résection antérieure, et elle a été de 15 % chez les malades qui avaient eu une AAP ; – le type de la RLR. Le taux des résections curatives des récidives endoluminales est voisin de 100 % dans toutes les séries alors que celui des récidives pelvipérinéales qui surviennent dans La Lettre de l’Hépato-Gastroentérologue - n° 4 - vol. II - septembre 1999 le lit d’une AAP est très faible : dans l’expérience de l’institut Gustave-Roussy, le taux des résections R0 a été de 10 % en cas de RLR présacrée. Dans notre expérience, la survie globale à cinq ans, observée après résection des récidives endoluminales, a été significativement supérieure à celle observée après résection des récidives cellulo-ganglionnaires extra-murales (28 % versus 14 %) (5). Nous avons réséqué de façon curative, près de la moitié des récidives périanastomotiques au prix d’un taux élevé d’exérèses élargies de nécessité (près de la moitié des malades), et avec une survie comparable à celle observée après exérèse non élargie (5). L’envahissement histologique des organes de voisinage est un facteur péjoratif qui multiplie par 4 le risque de décès (18), mais comme cela a été montré pour les cancers primitifs colorectaux “fixés”, 10 à 50 % des organes réséqués présentent des lésions non néoplasiques (21) ; – le caractère symptomatique de la RLR et, en particulier, la présence de douleurs au moment du diagnostic. Dans la série de Huguier et Houry (8), la survie est divisée par trois en cas de symptômes (8 % contre 28 % pour les RLR asymptomatiques) ; dans la série de Gagliardi et coll. (28), la médiane de survie est de 37 mois en l’absence de douleurs contre 14 mois en cas de douleurs préopératoires ; enfin, dans la série de la Mayo Clinic, le taux des résections R0 est corrélé au caractère asymptomatique des RLR, et la survie à trois et cinq ans est significativement supérieure après résection des récidives asymptomatiques ou symptomatiques sans douleur (68 % et 37 %, contre 32 % et 26 % lorsque la RLR s’accompagne de douleurs) (10). Ces résultats peuvent donner à penser que l’intensification du suivi des malades opérés d’un cancer du rectum est susceptible de modifier l’histoire naturelle des RLR (dépistage plus précoce des récidives anastomotiques, augmentation du taux des RLR asymptomatiques et des résections curatives), mais la rentabilité du suivi intensif après résection curative des adénocarcinomes colorectaux reste très discutée (22, 23). D’ailleurs, dans notre expérience, les taux de survie sont comparables après résection des RLR symptomatiques et asymptomatiques (5). Les résections palliatives qui laissent en place de la tumeur contre les parois pelviennes ou le sacrum sont discutables ; dans notre expérience, la survie médiane a été de douze mois et la survie globale inférieure à 15 % à trois ans, ce qui est comparable aux survies des RLR non réséquées ou non opérées. Dans la série de Touboul et coll. (9), la survie des malades qui ont eu une exérèse incomplète avant irradiation et celle des malades qui ont eu une irradiation exclusive de leur RLR était comparable (11 %-13 %). Cependant, les résections palliatives peuvent dans quelques cas contribuer à l’amélioration du confort de survie, en particulier en cas d’invasion vésicale symptomatique et de fistules surinfectées (25) ; dans notre série, près de 40 % des malades qui ont eu une résection palliative sont restés ambulatoires et asymptomatiques pendant six mois. Par ailleurs, comme le suggèrent les résultats des résections R1 et R2 rapportés par le groupe de la Mayo Clinic (27 % et 15 % de survie sans récidive à trois ans), les traitements combinés donnent probablement de meilleurs résultats que la chirurgie exclusive (7). La Lettre de l’Hépato-Gastroentérologue - n° 4 - vol. II - septembre 1999 L’amélioration des résultats obtenus par la chirurgie exclusive pourrait venir des associations thérapeutiques. L’irradiation, puis, plus récemment, l’irradiation combinée à la chimiothérapie ont été utilisées en préopératoire pour permettre de réséquer des tumeurs rectales “fixées” et des RLR, souvent regroupées dans les essais de phase II (26, 27). Il faut distinguer deux situations cliniques : – le patient n’a pas été irradié avant la chirurgie initiale, et il semble logique de recourir à une irradiation ou à une radiochimiothérapie avant la résection d’une RLR (24, 27). Dans la série de Shumate et coll. (27), vingt-six récidives ont reçu une radio-chimiothérapie préopératoire : le taux de résécabilité était proche de 80 % et le taux de résections curatives était de 53 % avec un contrôle local de 74 % à deux ans. Par ailleurs, une étude monocentrique récente a montré qu’une radio-chimiothérapie préopératoire améliorait la survie des RLR réséquées (24) ; – le malade a déjà été irradié, et il est plus difficile d’envisager un traitement préopératoire en raison de la toxicité aiguë et du risque secondaire de complications majeures induites par les lésions radiques ; cependant, la faisabilité a été démontrée dans une étude récente incluant 39 malades, déjà irradiés avec une dose médiane de 50 Gy, qui ont reçu une nouvelle irradiation avec une dose médiane de 36 Gy, huit à douze semaines avant la chirurgie de la RLR ; il y a eu sept interruptions thérapeutiques en raison de la toxicité aiguë du traitement et six complications tardives graves ; il n’y a pas eu de mortalité postopératoire ; la médiane de survie a été de quarante-cinq mois et la survie à trois et cinq ans de 60 % et 24 % ; le taux de contrôle local à cinq ans était de 45 %, et 17 % des malades avaient des métastases (28). L’irradiation postopératoire donne elle aussi des résultats intéressants, mais la toxicité est supérieure à celle de l’irradiation préopératoire. Le repérage par des clips peut permettre d’irradier un résidu tumoral après exclusion pelvienne, quel que soit le procédé utilisé pour la radioprotection du grêle. Dans le collectif français de Touboul et coll. (9), lorsque l’irradiation a été réalisée chez les malades qui avaient eu une résection R0, la survie a été de 39 %. Enfin, la radiothérapie peropératoire (RTPO) ou la curiethérapie dans le lit de l’exérèse (29-32) sont associées le plus souvent à l’irradiation pré ou postopératoires. Elles semblent augmenter le taux de contrôle local après résection des RLR, mais les résultats sont différents selon qu’il existe ou non un reliquat tumoral après la résection. En cas de résections R1 et R2, le groupe de la Mayo Clinic rapporte des survies à trois ans (voir supra), mais pour d’autres, il n’y a pas de survivants sans récidive à deux ans lorsque les marges de résection sont positives (31) : en effet, dans une série de 46 RLR réséquées, le taux de contrôle local à deux ans était supérieur à 60 % mais il était de 82 % en cas de résection R0 et de 19 % en cas de résection R1 ; le taux de survie sans récidive était de 47 % à deux ans mais il était de 71 % en cas de résection R0 et de 0 % en cas de résection R1. Pourtant, il a été rapporté la possibilité d’un contrôle local prolongé chez des malades opérés mais dont les RLR n’ont pas été réséquées : dans une série de 30 patients traités par RTPO et irradiation externe, le taux de contrôle local à cinq ans était de 26 % et la survie était de 19 % 193 D O S S I E R T (33). La RTPO associée à une irradiation externe pourrait donc permettre de modifier l’histoire naturelle de certaines lésions inextirpables, mais il reste difficile d’évaluer l’impact sur la survie, et ce type de traitement est difficile à tester par une étude randomisée. Enfin, dans toutes les publications consacrées à la RTPO, il est très difficile de séparer les complications qui sont directement imputables au traitement de celles qui sont liées à la survenue d’une récidive, qu’il s’agisse de cicatrisations retardées, de fistules, d’infections pelviennes ou de complications neurologiques (34) ; cependant, le taux des complications est de l’ordre de 30 à 50 % (29-31). LES MÉTHODES THÉRAPEUTIQUES PALLIATIVES OU COMMENT SOULAGER LES PATIENTS DONT LA TUMEUR NE PEUT ÊTRE RÉSÉQUÉE ? Colostomie Le nombre de malades traités initialement par résection-anastomose et colostomisés de nécessité au cours de l’évolution d’une RLR est difficile à estimer, que la colostomie soit réalisée d’emblée ou après échec d’un traitement locorégional ; il est probablement proche de 80 %. L’occlusion complique rarement l’évolution, mais le syndrome rectal est invalidant et il altère la qualité de vie de façon dramatique. La colostomie reste inévitable lorsque l’atteinte néoplasique anorectale a pour conséquence une incontinence anale ; cependant, lorsqu’elle est utilisée comme seul traitement palliatif, elle ne traite que l’obstruction digestive et n’améliore que très partiellement le syndrome rectal ; elle ajoute donc très souvent la mutilation d’une dérivation à une situation clinique désespérée. Irradiation exclusive des RLR Elle soulage les symptômes six à sept fois sur dix, mais la réponse peut être partielle ou complète et elle dépend à la fois du type des symptômes et de la dose utilisée (9, 35) ; la diminution ou l’arrêt des opiacés est un bon critère pour estimer la réponse au traitement ; l’imagerie montre une réponse objective dans moins de 30 % des cas (9). L’irradiation est efficace pour le traitement des hémorragies rectales qu’elle permet de contrôler dans 70 à 80 % des cas et elle améliore de façon significative le syndrome rectal dans 50 à 80 % des cas, mais les résultats sont plus décevants pour les douleurs pelviennes d’origine neurologique, qui restent pourtant une indication tout à fait classique : la moitié des malades seulement sont soulagés, et l’irradiation ne permet pas de contrôler les signes neurologiques en cas de syndrome déficitaire. Le délai de survenue de la RLR, le caractère isolé de la RLR, le volume tumoral, le type du traitement initial, la dose d’irradiation ont une influence significative sur la qualité et la durée de la réponse à l’irradiation (9, 35). La durée de la réponse varie de six à douze mois : la moitié des malades ont une très bonne réponse immédiate au traitement, mais le résultat ne se maintient que chez 15 à 20 % des malades qui sont encore en vie à un an (10 à 20 % de l’effectif) ; les médianes de survie sont de onze à quinze mois mais la médiane de survie sans progression à partir de la fin de 194 H É M A T I Q U E l’irradiation est inférieure à six mois (35). Dans le collectif de Touboul et coll. (9), le taux de survie globale à trois ans a été de 13 %, et il n’est pas différent en cas d’exérèse incomplète suivie de radiothérapie (11 %). Enfin, 30 % des malades irradiés présentent une toxicité aiguë et 30 % présentent des complications tardives (hémorragies, fistules, abcès pelviens liés à la nécrose tumorale, occlusions, etc.) ; par contre, les complications mineures ne sont généralement pas chiffrées (dermatoses, cystites, vaginites, et diarrhées parfois invalidantes) et le taux de colostomies réalisées en cours d’irradiation est très difficile à évaluer : il est estimé à 20 %, mais est probablement plus élevé. Des progrès pourraient venir des modalités de l’irradiation, de la radiothérapie conformationnelle ou bifractionnée. Enfin, l’irradiation externe peut être associée à d’autres méthodes thérapeutiques comme la chimiothérapie ou les traitements palliatifs endocavitaires (36). Traitements palliatifs endocavitaires Les traitements palliatifs endocavitaires auxquels on a recours dans les cancers primaires du rectum non opérables ont pu être utilisés pour traiter des RLR après résection-anastomose, et ont été associés à l’irradiation externe. L’efficacité est très souvent limitée par le volume tumoral, et quel que soit le procédé employé, il soumet le patient à la contrainte de séances successives, nécessaires pour traiter l’obstruction tumorale, contrôler le syndrome rectal et les hémorragies. Enfin, plus de 20 % des malades sont colostomisés en cours de traitement. De nombreuses études ont été consacrées depuis 1990 à l’utilisation du laser de type “Nd Yag” dans le traitement du cancer colorectal ; utilisé en ambulatoire, il permet d’obtenir en deux à six séances, 70 à 80 % de bons résultats dans le traitement de l’obstruction tumorale, et 90 % de bons résultats dans le traitement des hémorragies et des écoulements muqueux, avec une morbidité de 5 à 20 % (38) ; en revanche, le bénéfice des séances de laser est faible chez les malades qui présentent des douleurs neurologiques et une détérioration de la fonction sphinctérienne (38). L’association d’une irradiation externe aux séances de laser permet de diminuer le nombre des séances, l’énergie nécessaire au traitement et donc le risque de complications (37). D’autres techniques de traitement endocavitaire ont été utilisées : la résection transanale endoscopique, l’électrocoagulation, la thérapie photodynamique ou la cryochirurgie dans des études pilotes. Aucune n’est exempte du risque de complications hémorragiques aigues ou tardives (10 %), de complications infectieuses ou de fistules recto-vaginales ou recto-vésicales ; par ailleurs, les méthodes qui induisent une nécrose tissulaire sont habituellement responsables d’un écoulement rectal continu d’une durée moyenne de quinze jours, très inconfortable pour le patient (38). Prothèses expansives Elles peuvent être implantées après recanalisation par laser ou dilatation de la sténose, à condition que l’obstruction néoplasique ne soit pas trop basse ; chez des patients sélectionnés, les prothèses peuvent permettre d’éviter la colostomie et d’irradier la RLR sans dérivation préalable (39). La Lettre de l’Hépato-Gastroentérologue - n° 4 - vol. II - septembre 1999 Chimiothérapie La chimiothérapie palliative utilisée seule reste très controversée. Elle a très peu d’effets sur les symptômes locaux et généraux, et même si elle semble augmenter la médiane de survie de quelques mois chez les malades asymptomatiques, elle n’augmente pas la durée de vie sans symptômes (40). L’association à une irradiation palliative peut être envisagée si l’état général du patient le permet. Les injections intratumorales d’agents cytostatiques, suivies d’irradition, d’hyperthermie, de chimiothérapie ont été testées dans des études pilotes ; l’association irradiationhyperthermie permettrait d’obtenir un contrôle local dans 30 % des cas (41). Prise en charge de la douleur Elle reste le problème majeur au cours de l’évolution des RLR ; le recours aux opiacés est indispensable lorsque la radiothérapie est mise en défaut ou lorsque son effet s’épuise ; les doses de morphine, le type du dérivé morphinique, et la voie d’administration doivent être progressivement adaptées (42, 43). Lorsque les douleurs nociceptives et neurogènes sont mal contrôlées, le recours à la voie intrathécale est possible, mais il nécessite un environnement médical et familial adéquat pour une prise en charge à domicile (42, 43). CONCLUSION Aucune méthode n’offre un substitut curatif de la chirurgie d’exérèse des RLR qui offre 20 % de chances de survie à cinq ans ; cependant, moins de la moitié des patients bénéficient d’une résection R0 ; dans les séries chirurgicales, le taux des résections R0 dépend à la fois du type de la RLR et du type de la chirurgie initiale. Les indications de résection sont plus larges, et les résultats sont meilleurs après résection antérieure qu’après AAP. Lorsque l’indication de résection d’une RLR est retenue, une irradiation préopératoire (ou une chimio-radiothérapie) paraît un choix logique. Les exérèses palliatives restent très discutables, même si les traitements combinés semblent permettre d’augmenter le taux de contrôle local. Au cours de l’évolution des RLR après résection antérieure, la colostomie, lorsqu’elle est utilisée comme seul traitement palliatif, ne traite que l’obstruction digestive et n’améliore que très partiellement le syndrome rectal. Quel que soit le type de RLR, le recours à l’irradiation palliative, dont la dose est limitée lorsque le malade a déjà été irradié, permet de soulager les symptômes ; cependant, l’irradiation ne permet pas de contrôler les signes neurologiques en cas de syndrome déficitaire et la médiane de survie sans progression à partir de la fin de l’irradiation est inférieure à six mois. La prise en charge de la douleur reste le problème majeur au cours de l’évolution des RLR, en particulier lorsque la radiothérapie n’est plus possible, lorsqu’elle est mise en défaut ou que son effet s’épuise. Prévenir la récidive est donc l’essentiel. Bien que la prise en charge primaire des cancers du rectum se soit améliorée au La Lettre de l’Hépato-Gastroentérologue - n° 4 - vol. II - septembre 1999 cours des deux dernières décennies (44), les pratiques ne sont pas homogènes, et la part liée à la qualité de la chirurgie initiale demeure prépondérante dans le déterminisme et la prévalence des RLR (45). ■ Mots clés : Cancer colorectal – Récidives locorégionales – Résécabilité – Chirurgie – Traitements palliatifs. R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S 1. Abulafi A.M., Williams N.S. Local recurrence of colorectal cancer : the problem, mechanism, management and adjuvant therapy. Br J Surg 1994 ; 81 : 7-19. 2. Benotti P.N., Karbassi M., Ravikumar T.S. et coll. Management of regional and local tumor recurrence. In : General Surgical Oncology, Steele G. and Cady B. editors, Philadelphia, WB Saunders Company, 1992 : 341-53. 3. Herfarth C., Schlag P., Hohenberger P. Surgical strategies in locoregional recurrences of gastrointestinal carcinoma. World J Surg 1987 ; 11 : 504-10. 4. Schiessel R., Wunderlich M., Herbst F. 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