thématique D Les enjeux de la “transition”

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D OSSIER
thématique
Les enjeux
de la “transition”
et du “transfert”
après
transplantation
d’organe
Coordinatrice : D. Debray,
service d’hépatologie pédiatrique,
CHU de Bicêtre,
94275 Le Kremlin-Bicêtre Cedex.
◗ Les enjeux et les modalités de la transition
J.P. Dommergues (page 216)
◗ L’adolescent et ses soignants face au défi de la maladie chronique
P. Alvin (page 220)
● Adolescence, greffe de rein...
P. Cochat, F. Nobili,V.Vessière, C. Boisriveaud, E. Morelon, H. Desombre
◗ Transplantation hépatique : portrait d’un adolescent greffé
F. Lacaille (page 231)
◗ Qualité de vie après transplantation rénale à l’adolescence
Ph. Duverger (page 234)
Adolescence, greffe de rein...
●
P. Cochat*, F. Nobili**,V.Vessière*, C. Boisriveaud***,
E. Morelon***, H. Desombre*
u-delà des particularités comportementales, affectives et
somatiques de l’adolescence, la maladie
chronique renforce plusieurs problèmes
spécifiques de cette période charnière.
L’observance est un enjeu à tout âge,
mais elle peut alors se transformer en
défi ; quant aux modalités de la transition pédiatrie-médecine d’adultes, elles
constituent un des principaux risques du
suivi, et donc du pronostic global (1).
A
* Département de pédiatrie, hôpital ÉdouardHerriot et université Claude-Bernard, 69437 Lyon
Cedex 03.
** Unité de néphrologie pédiatrique, hôpital SaintJacques, CHU de Besançon, 25030 Besançon.
*** Service de néphrologie et médecine de la
transplantation, hôpital Edouard-Herriot et université Claude-Bernard, 69437 Lyon Cedex 03.
225
OBSERVANCE
✓ Si la “compliance” relève de l’anglais, le français utilise le mot “observance” pour désigner le degré auquel un
patient adhère à la prise en charge que
nécessite son état de santé. Cela inclut
le traitement (médicamenteux ou non),
mais aussi les consultations, les examens paracliniques, etc. Dans cette
optique, selon le niveau d’exigence
attendu, il est commun de considérer
que 100 % des sujets atteints de maladie
chronique ne sont pas “observants”, quel
que soit leur âge… Mais il convient de
préciser le degré et la nature de cette
non-observance pour en envisager les
retombées et justifier les interventions
les mieux adaptées. Objectivement, la
non-observance est source de morbidité
(rejet chronique, hypertension artérielle,
hyperparathyroïdie, etc.), d’inconfort et
de mortalité ; en outre, elle a un coût
pour la société [traitements de sauvetage,
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hospitalisations, consommation de greffons, etc.] (2). Les publications relatives
à la non-observance après transplantation rénale chez l’enfant évaluent sa fréquence entre 8 et 70 %, avec une
moyenne de l’ordre de 40 % (3).
✓ La non-observance est un phénomène compréhensible et relativement
naturel. En effet, le degré d’observance
est en relation directe avec les enjeux
qu’elle représente, et c’est bien à ce
niveau que l’adolescent aura un comportement différent de celui de l’enfant
obéissant ou de l’adulte autonome. La
soumission et la dépendance inhérentes
aux soins vont à l’encontre du travail
psychique de l’adolescent, qui cherche
activement à conquérir et à faire valoir
son statut. Ainsi, les arguments en
faveur de la non-observance sont potentiellement nombreux : contraintes de la
prise médicamenteuse en elle-même,
nombre de médicaments, nombre de
prises médicamenteuses, rigueur des
horaires, effets indésirables, visibles
(mis en avant dans 25 à 50 % des cas :
obésité, acné et vergetures avec les corticoïdes, pilosité et hypertrophie gingivale avec la ciclosporine, verrues et
mollusca liées à l’immunosuppression
dans son ensemble) ou non (troubles
digestifs avec le mycophénolate mofétil, hypertension artérielle justifiant un
traitement supplémentaire), sapidité de
certains produits, mauvaise acceptation
des formes galéniques, contrainte des
contrôles cliniques et biologiques, limitations diététiques, parfois restriction de
certaines activités physiques, limitation
de l’exposition solaire, lassitude, sensation d’isolement social, désir d’opposition parentale, besoin de liberté totale,
questionnements tacites sur l’origine du
greffon en cas de donneur décédé (sexe,
âge, cause du décès), acceptation
contrariée d’une greffe à partir d’un des
deux parents, etc. (4). À cela s’ajoutent
les autres effets visibles et incontournables (retard statural lorsque l’insuffi-
sance rénale est ancienne, cicatrice de la
greffe elle-même, cicatrices abdominales liées à la malformation causale ou
au cathéter de dialyse péritonéale, cicatrice de fistule artérioveineuse en cas
d’hémodialyse, anomalies vésicosphinctériennes séquellaires, syndrome malformatif associé au problème rénal,
etc.). Bref, il s’agit de la contrainte
d’être greffé alors que “les autres” ne le
sont pas.
✓ L’appréciation de la non-observance
est délicate et les interventions disponibles pour l’améliorer sont hasardeuses. Cependant, l’Organisation
mondiale de la santé (OMS) met à disposition des recommandations générales dont plusieurs peuvent s’appliquer
à la transplantation rénale (5).
✓ L’évaluation de l’observance repose
sur deux types de méthodes, directe
(présence/absence à un rendez-vous,
prise du médicament devant un observateur, dosage d’un médicament ou de son
effet biologique) ou indirecte (questionnaire rempli par le patient, comptage
des comprimés, évaluation du réapprovisionnement, évaluation d’une réponse
clinique attendue, piluliers avec puce
incorporée au couvercle) ; s’y ajoutent
s’ajoutent des éléments subjectifs d’appréciation [entretiens individuels entre
le patient et son référent, évaluation des
effets indésirables, informations fournies par les parents] (2). Mais le vécu de
cette évaluation chez l’adolescent peut
aller à l’encontre de l’objectif recherché, et elle se doit d’être adaptée et
expliquée au patient.
✓ Il existe des solutions, au moins
partielles, à la non-observance. La
principale consiste à pouvoir établir
avec l’adolescent une relation suffisamment authentique pour que les raisons
de cette non-observance soient identifiées et prises en compte. Il est alors
essentiel de proposer d’aménager cer-
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tains horaires pour les prises médicamenteuses ou les contrôles cliniques et
biologiques, de modifier de manière
transitoire ou définitive des schémas
d’immunosuppression à la demande et,
lorsque la fonction du greffon le permet
(priorité aux schémas d’épargne ou de
suppression des corticoïdes, remplacement de la ciclosporine par le tacrolimus du fait de son innocuité cosmétique, remplacement du mycophénolate
mofétil par l’azathioprine, qui est administrée en une prise quotidienne et n’entraîne pas de trouble digestif, place du
sirolimus à préciser), de traiter efficacement les problèmes dermatologiques.
De même, la reprise de la scolarité après
greffe doit être très rapide, afin que
l’image corporelle ne soit pas trop
modifiée aux yeux de l’adolescent ni au
regard des autres. Toutes ces options
font parfois peur aux cliniciens si elle
ne sont fondées “que” sur la prise en
compte de la non-observance ; en réalité, elles permettent souvent d’améliorer
significativement la survie actuarielle
des greffons et la qualité de vie de
l’adolescent ! Il ne faut cependant jamais négliger le contexte de cette nonobservance ; elle peut accompagner un
état dépressif (secondaire aux modifications physiques, à la désillusion qui
accompagne l’idéalisation incontournable de la greffe, angoisse de mort,
hypertrophie de certains risques posttransplantation), qui s’exprime souvent
à travers des troubles des conduites alimentaires ou du sommeil, justifiant une
évaluation et une prise en charge spécifiques. On peut en effet observer un passage à l’acte sous forme de troubles des
conduites alimentaires, de conduites
dangereuses, de troubles du sommeil,
d’automutilation, de comportements
suicidaires. À côté de la dépression
post-transplantation, on peut observer
un état d’appauvrissement psychique,
caractérisé par une inhibition de la
spontanéité et des capacités d’expression (4). La plupart des adolescents
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transplantés évoluent dans une structure
de soins qu’ils connaissent bien (services de néphrologie pédiatrique) et
dont il est important de parler avec eux.
En effet, leur indifférence n’est souvent
qu’apparente, et les événements survenus chez un autre enfant ou adolescent
greffé peuvent être traumatisants ou
encourageants ; il faut donc savoir leur
en parler tout en préservant le secret
médical. L’information doit rester le fil
conducteur du “contrat d’observance” :
les questionnements itératifs et les
menaces de retour en dialyse ne sont
pas souhaitables, et il est préférable
d’expliquer régulièrement le bénéfice
de tel ou tel médicament ou les méfaits
de telle ou telle situation à risque, tout
en restant dans un cadre très général que
l’adolescent sait parfaitement transposer à sa propre situation. L’information
doit donc être simple, personnalisée et
répétée, en favorisant notamment la
reformulation par l’adolescent luimême, cette pratique justifiant souvent
une formation spécifique de la part des
soignants. Afin d’assurer un dialogue de
qualité, il est alors essentiel de fidéliser
l’adolescent auprès d’un référent (médical ou paramédical) qui doit pouvoir lui
assurer disponibilité et confidentialité,
parfois avec l’aide d’un psychologue ou
d’un psychiatre. À cette période, il est
alors capital que l’adolescent se rende
seul en consultation, afin de reconnaître
sa responsabilité et ses compétences.
Les informations transmises aux parents
inquiets doivent impérativement respecter la confidentialité, faute de quoi la
rupture de confiance adolescent-soignant pourrait être catastrophique. Il est
par ailleurs important de donner à l’adolescent l’opportunité de pouvoir se projeter dans l’avenir sans attendre ses
questions, en abordant librement le problème de la contraception et des maladies sexuellement transmissibles, les
possibilités de grossesse, les éventuels
effets de certains médicaments sur la
fertilité (cyclophosphamide, ganciclo-
vir) ou sur la mutagenèse (mycophénolate mofétil), les éventuels risques de
transmission d’une maladie génétique
(contact avec un généticien), les ouvertures professionnelles (la nécessité
d’une orientation spécifique ou d’une
réorientation est exceptionnelle, mais
les difficultés d’embauche sont fréquentes), les possibilités de chirurgie
plastique en cas de cicatrices mal acceptées, etc.
✓ Certaines conditions sont connues
pour optimiser l’observance : traitements courts, participation à un essai
thérapeutique, etc. De manière plus spécifique à la transplantation rénale, la
pratique de la greffe préemptive fait
désormais partie des recommandations
et serait une solution idéale s’il n’y avait
pas pénurie d’organes provenant de
donneurs en état de mort encéphalique
(6). Cependant, pour certains praticiens,
l’absence de période “préparatoire” en
dialyse augmenterait le risque de nonobservance après transplantation, notamment chez l’adolescent ; en fait, cela
n’est pas prouvé, et il est donc éthique
de proposer la greffe préemptive chaque
fois que possible et à tout âge.
TRANSITION PÉDIATRIE-MÉDECINE
D’ADULTES
Comme pour toutes les maladies chroniques, la transition entre les structures
pédiatriques et les structures d’adultes
n’est pas aisée, précisément en raison
des modifications psychiques et somatiques de l’individu au moment où elle
se produit. Plusieurs facteurs pourraient
plaider pour un maintien dans un environnement pédiatrique, comme le nonachèvement de la croissance, l’existence
d’un retard psychomoteur ou un aspect
physique encore globalement infantile ;
cependant, ces arguments ne sont pas
suffisants par rapport au poids de la
majorité légale et civile. L’âge optimal
est néanmoins difficile à établir, cette
transition n’étant souvent “métabolisée”
qu’au-delà des vingt ans. Les médecins
d’adultes connaissent parfois peu certaines affections (malformations de
l’appareil urinaire, maladies rénales
héréditaires, erreurs innées du métabolisme), et donc le vécu qui y est associé.
De leur côté, les pédiatres tardent à responsabiliser les patients qui approchent
de l’âge adulte et connaissent mal les
problèmes qui émergent (sexualité,
insertion professionnelle, etc.). En pratique, la plupart des équipes françaises
s’accordent pour effectuer ce transfert à
18 ans.
Même si la prise en charge thérapeutique de la greffe est très proche, voire
identique, l’adolescent, dont les relations étaient personnalisées dans l’équipe
pédiatrique, se retrouve seul et a le sentiment d’être un peu abandonné dans un
service où évoluent de nombreux
adultes.
En fait, il est essentiel de faire collaborer les équipes autour de l’adolescent
greffé devenant adulte et, pour cela, plusieurs stratégies méritent d’être
déployées (4, 7).
✓ Il convient d’intégrer précocement à
la prise en charge une guidance visant à
préparer le futur adulte et ses parents à
la notion d’autonomie et au travail de
deuil, que concrétise le transfert de
l’adolescent vers un service d’adultes.
✓ Par la suite, des réunions régulières
entre les équipes s’imposent pour harmoniser le fonctionnement global et
minimiser ainsi les différences aux yeux
de l’adolescent et de sa famille
✓ Dès l’âge de 15 ou 16 ans, il est souhaitable que l’adolescent vienne seul
aux consultations qui ont encore lieu en
milieu pédiatrique, après en avoir expliqué soigneusement les raisons à l’intéressé et à ses parents.
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✓ Un an avant la date prévue du transfert, il convient de proposer des consultations “de préparation” au transfert, ce
qui permet à l’adolescent de prendre des
contacts avec l’équipe de médecine
d’adultes tout en retournant dans la
structure pédiatrique pour le suivi et
pour discuter des éventuels problèmes
rencontrés.
✓ Après le transfert, il est important de
maintenir un rythme de consultations
spécialisées suffisamment rapprochées
(par exemple tous les deux ou trois mois
pour les transplantations datant de plus
de deux ans), afin de se donner les
moyens de diagnostiquer et traiter un
rejet en temps utile, mais aussi de permettre des entretiens fréquents entre le
jeune adulte et le nouveau référent, qui
doivent apprendre à se connaître et à
établir des liens de confiance.
✓ Avant et après le transfert, l’instauration d’une consultation infirmière crée
un pont entre le suivi du néphrologue et
celui du “psy”, permettant à un soignant
de créer des liens privilégiés, d’établir
une certaine forme de confidentialité, et
d’apporter des conseils adaptés.
✓ Il peut être intéressant de compléter
cet accompagnement humain par un
soutien documentaire (livrets, cédéroms, sites Internet, DVD, etc.) qui permettra à l’adolescent et au jeune adulte
de revoir par lui-même certains aspects
qui nécessitent des bases théoriques.
Bien géré, ce transfert peut apporter
beaucoup au patient, tant sur le plan
personnel que sur le plan médical. Il
peut s’agir d’un déclic positif qui
conduit vers l’autonomie sous toutes ses
formes. Du côté médical, il convient
cependant de rester prudent et de n’accorder qu’une confiance progressive au
patient, parfois au prix d’une très grande
disponibilité et d’une certaine souplesse,
eu égard à la rigueur de certains protocoles thérapeutiques. L’essentiel est que
patient et médecin sachent la vérité et
apprennent à la gérer ensemble en
bonne intelligence.
lement aux parents, au pédiatre, au
médecin d’adultes, au psychologue, au
psychiatre, à l’infirmière ; elle appartient surtout à l’intéressé, qui n’accordera sa confiance qu’à ceux qui comprennent et acceptent de gérer avec lui cette
période de transition entre maternage,
■
indépendance et autonomie.
R
É F É R E N C E S
B I B L I O G R A P H I Q U E S
1. Alvin P. L’adolescent et l’observance au traitement. J Pediatr Puériculture 2000;13:225-9.
2. Osterberg L, Blaschke T. Adherence to medication. N Engl J Med 2005;353:487-97.
3. Wolff
G, Strecker K, Vester U, Latta K, Ehrich
JHH. Non-compliance following renal transplantation in children and adolescents. Pediatr Nephrol
1998;12:703-8.
4. Cochat P, Vial M. Transplantation d’organes. In:
P. Alvin, D. Marcelli. Médecine de l’adolescent.
Masson, Paris 2005:293-6.
5. Sabaté E. Adherence to long-term therapies: evidence for action. Geneva: World Health Organization, 2003. http://www.who.int/chronic_conditions/
adherencereport/en
CONCLUSION
L’adolescence se termine avec la fin des
défis, des incertitudes et des attitudes
provocatrices, lorsque l’apparence physique le conforte. Cette étape essentielle
de la vie d’un greffé appartient partiel-
230
6. Cochat P, Offner G. European best practice guidelines for renal transplantation (Part 2)- Paediatrics
(specific problems). Nephrol Dial Transplant
2002;17(suppl.4):55-8.
7. Watson A. Non-compliance and transfer from paediatric to adult transplant unit. Pediatr Nephrol
2000;14:469-72.
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