responsabilite du med face a l urgence

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JURISPRUDENCE
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Par Jean-Louis Pourriat*
Responsabilité du médecin
face à l’urgence
Quels risques et comment les prévenir ?
■
Quelle urgence ?
L’urgence médicale se définit par toute symptomatologie dont le diagnostic et surtout le
traitement, voire l’orientation, ne peuvent
être différés.
Malheureusement, à ce jour, le nombre d’appels pour des « consultations d’urgence »
augmente alors que la démographie médicale est en baisse et que l’exigence de permanence des soins persiste. Ce décalage
entre demande accrue et offre de soins limitée explique que la responsabilité médicale
soit mise en cause : simples plaintes au
Conseil de l’Ordre, aux directions hospitalières, mais aussi actions en justice, administratives, civiles ou pénales. Les plaintes
à l’encontre du généraliste qui ne se déplace
pas à domicile ne sont plus exceptionnelles,
de même que celles vis-à-vis des structures
d’urgences hospitalières ou préhospitalières
(SAMU/SMUR).1
■
Le médecin confronté
à l’urgence
La réponse à l’urgence concerne tous les
médecins… C’est un devoir éthique :
«… Tout médecin qui se trouve en présence d’un
malade ou d’un blessé en péril ou, informé
qu’un malade ou un blessé est en péril, doit lui
porter assistance ou s’assurer qu’il reçoit les
soins nécessaires… » (art. 9 du code de déontologie). Elle est indépendante du mode
d’exercice (libéral ou public), du type d’exercice ou de la spécialité. Elle engage sa responsabilité personnelle. Comme tout
citoyen, mais également plus que tout autre,
le médecin se doit de porter secours et assistance (art. 223-6 du code pénal).
* Expert national, agréé par la Cour de cassation ;
université Paris-Descartes, faculté de médecine ;
service des urgences, Hôtel-Dieu-Cochin,
75004 Paris.
Il doit aussi assurer la continuité des soins :
« … Quelles que soient les circonstances, la
continuité des soins aux malades doit être assurée. Hors le cas d’urgence et celui où il manquerait à ses devoirs d’humanité, un médecin a
le droit de refuser ses soins pour des raisons
professionnelles ou personnelles. S’il se dégage
de sa mission, il doit alors en avertir le patient
et transmettre au médecin désigné par celui-ci
les informations utiles à la poursuite des
soins… » (art. 47 du CD).
Sa responsabilité peut être mise en cause.
Quand une plainte est déposée contre un
médecin, la procédure judiciaire est rapidement complexe car les intervenants médicaux sont nombreux et se succèdent tout au
long de la chaîne de l’urgence depuis le
généraliste, le SAMU, jusqu’à l’établissement
de soins, privé ou public. Si bien qu’il s’avère
souvent plus simple pour le patient, en cas
de conflit, d’aller directement au pénal, ce
qui a pour avantage de concerner l’ensemble des intervenants et de provoquer une
enquête sur tous les actes réalisés pour le
traitement de cette urgence (figure).
Fort heureusement, contrastant avec le
volume important des appels au centre 15,
les plaintes restent encore limitées. Ainsi,
en 2007, pour les seuls généralistes libéraux,
la sinistralité était de 1,15 % (1,17 % en 2006)
comprenant 48 plaintes pénales, 82 plaintes
ordinales, 106 assignations en référé,
188 réclamations et 78 saisines d’une CRCI*.
■
Typologie des plaintes
Manquement à l’obligation de moyens.
Un médecin a été condamné pour diligence
insuffisante, en diagnostiquant une maladie
psychiatrique chez un patient ayant en réalité une méningite. Il avait négligé de procéder à un interrogatoire soigneux de la
compagne du patient (CA Paris, 19 nov. 1998 :
Juris Data n° 023476).
Cette obligation est impérative pour tout
médecin. Pour le diagnostic et la prise en
charge thérapeutique qu’impose l’état de
son patient, il doit mettre en œuvre les
moyens techniques, intellectuels et humains
adaptés.2, 3 Ainsi, l’interrogatoire des proches
peut être un élément fondamental qu’il
importe de ne pas négliger.
L’avis d’un spécialiste est à rechercher
quand le problème dépasse le domaine de
compétence du médecin généraliste ou
urgentiste. Il s’agit, aux termes de la loi,
d’une obligation de faire. Avec cette réserve,
les erreurs diagnostiques ne constituent pas
forcément une faute si les moyens adaptés
ont été instaurés avec diligence.
Les erreurs de prescription sont à analyser
en fonction, soit de l’erreur diagnostique qui
justifie la prescription en cause, soit d’une
erreur thérapeutique sur un bon diagnostic,
soit d’une prescription correcte, mais mal ou
non effectuée.
Chez un patient ayant un accident vasculaire cérébral, un médecin a été condamné
pour n’avoir pas pris connaissance suffisamment tôt des résultats d’une numération
plaquettaire montrant une thrombopénie à
l’héparine bien qu’il ait prescrit cet examen
selon les règles.
Selon les bonnes pratiques, la prescription
ne doit en aucun cas être téléphonique ; elle
doit être écrite lisiblement, datée et signée et
comporter le médicament, la dose, la voie
d’administration et la durée du traitement.
Les erreurs techniques sont appréciées en
tenant compte de la difficulté du geste et du
risque « normal » à sa réalisation. Dans ce
dernier cas (soins bénins), le médecin a une
obligation de résultat.
Défaut d’appréciation du niveau de gravité. À la suite d’un appel téléphonique
pour douleur thoracique atypique chez un
homme de 38 ans décédé quelques heures
plus tard, le médecin de garde a été
condamné pour avoir prescrit un anxiolytique sans tenir compte des facteurs de
* Commission régionale de conciliation
et d’indemnisation des accidents médicaux, des
affections iatrogènes et des infections nosocomiales.
LA REVUE DU PRATICIEN MÉDECINE GÉNÉRALE l TOME 24 l N° 834 l 26 JANVIER 2010
TOUS DROITS RESERVES - LA REVUE DU PRATICIEN MEDECINE GENERALE
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L’ESSENTIEL
➜ L’augmentation permanente du nombre d’appels pour des urgences recouvre des réalités
médicales et sociales extrêmement différentes.
➜ Le médecin sollicité doit évaluer avec précision l’état de gravité, traiter dans l’urgence
et éventuellement orienter le patient vers une structure adaptée.
➜ Le respect des bonnes pratiques professionnelles et la formation continue sont les meilleurs
remparts contre des actions de recours juridiques.
Défaut d’information ou de consentement
aux soins. Contre l’avis du patient, le médecin
urgentiste a prescrit une coronarographie au
cours de laquelle est survenu un trouble du
rythme grave entraînant un long séjour en
réanimation…
Le patient est libre d’accepter ou de refuser
les soins médicaux. Ce principe est clairement énoncé dans la loi du 29 juillet 1994 et
réaffirmé dans les dispositions de la loi du
4 mars 2002. Cette dernière renforce la notion
d’information préalable et de consentement
aux soins, affirmant que « le médecin doit respecter la volonté de la personne après l’avoir
informée des conséquences de son choix », mais
celui-ci ne peut se retrancher derrière un
refus simple ou une absence de coopération.
Il doit s’efforcer de convaincre le patient,
voire l’entourage, en laissant le temps de la
réflexion.
Le médecin ne peut se dispenser de ce devoir
d’information et de consentement sous prétexte d’« urgence ». Même pour les urgences
relatives, le patient doit être informé des
risques graves encourus, secondaires aux traitements, exceptionnels ou non.4 Seule l’urgence vitale, chez un patient conscient et
capable de s’exprimer avec compréhension,
peut poser un réel problème au médecin.
Manquement à l’obligation de surveillance.
A été condamné un médecin de permanence
des soins ayant différé l’hospitalisation d’un
jeune homme ayant une pneumopathie et
décédé quelques heures plus tard dans un
tableau de choc septique…
Cette obligation doit intervenir notamment
en cas de non-consentement aux soins. En
cas de refus réaffirmé avec conviction et
après s’être assuré de la bonne compréhension des conséquences, le médecin doit,
Plainte…
Médiation locale
Demande réparation
CRCI
Public
libéral
Punir une faute
Administration
Civil
Public
Libéral
Évaluation du dommage ?
Dysfonctionnement ?
Aléa ?
Pénal
Public
libéral
Homicide involontaire
Blessures involontaires
Non assistance…
Désignation d’un expert judiciaire
Figure – Mise en cause de la responsabilité.
d’une part proposer au patient une solution
alternative (autre établissement, confrère,
procédure diagnostique ou thérapeutique,
etc.), d’autre part faire écrire, de sa main
même, le refus de soins et la prise de
connaissance de ses conséquences, enfin
compléter le dossier médical en relatant l’ensemble de la démarche et en précisant que le
devoir d’information a bien été rempli.
■
La prévention
Avant l’accident. Des recommandations de
bonne pratique, conférences d’experts et
consensus sont diffusés par les sociétés
savantes de toutes les spécialités médicales.
Le respect de ces recommandations est une
protection pour le généraliste, faute de quoi
il pourrait se trouver confronté aux articles
32 et 33 du CD : « Dès lors qu’il accepte de
répondre à une demande, le médecin s’engage à
assurer personnellement au patient des soins
consciencieux, dévoués et fondés sur les données
acquises de la science, en faisant appel, s’il y a
lieu, à l’aide de tiers compétents » et « le médecin doit toujours élaborer son diagnostic avec le
plus grand soin en y consacrant le temps nécessaire en s’aidant, dans toute la mesure du possible, des méthodes scientifiques les mieux adaptées, et s’il y a lieu, de concours appropriés ».
Après l’accident… Une série de mesures
tout aussi simples qu’évidentes permet le
plus souvent d’éviter le pire, à savoir la poursuite d’une instruction au pénal : bonne
tenue du dossier médical, compte rendu
détaillé de l’événement en cause (véritable
aide-mémoire capital en cas de convocation
plusieurs mois, voire années après les faits),
empathie vis-à-vis du patient ou de ses
proches, signalement précoce à la compagnie d’assurances… l
RÉFÉRENCES
1. Sicot C. Rapport du conseil médical du Sou médical
Groupe MACSF sur l’exercice 2007. Responsabilité
2008 (hors série novembre):16-20.
2. Ludes B, Hauger S. Les responsabilités médicales
dans les services d’urgence. Reanim Urgences 2000;
9:512-22.
3. Gerson C. Médecine d’urgence et manquement
à l’obligation de moyens. Quotidien du médecin
17 mars 2000.
4. Rey C, Chariot P. Information, consentement aux
soins et refus de soins de l’adolescent aux urgences.
Journées parisiennes de pédiatrie 1999. Paris: Flammarion Médecine Sciences: 369-74.
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TOUS DROITS RESERVES - LA REVUE DU PRATICIEN MEDECINE GENERALE
L’auteur déclare n’avoir aucun conflit d’intérêts concernant cet article.
risque (obésité, tabagisme important…).
C’est une circonstance qui peut engager la
responsabilité pénale pour non-assistance à
personne en péril (art. 223-6 du CP). Deux
conditions sont nécessaires : d’une part que
le médecin susceptible de porter secours ait
eu connaissance du danger pour le patient,
d’autre part qu’il ait refusé d’intervenir soit
directement, soit indirectement.
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