D O S S I E R Le tissu microarray : outil de la biopathologie pour contribuer à l’établissement des thérapeutiques ciblées “à la carte” dans le cancer du sein Tissue-micro-array: biopathological tool contributing to the establishment of targeted therapeutic in breast cancer ● J. Jacquemier (1, 2, 5), E. Charafe-Jauffret (1, 2, 5), C. Ginestier (1), J. Geneix (1), G. Houvenaeghel (3), P. Viens (4), D. Birnbaum (1), F. Bertucci (1, 4, 5) L es différents niveaux de risque métastatique des cancers du sein sont encore aujourd’hui établis sur des facteurs pronostiques très classiques comme la taille tumorale, l’envahissement ganglionnaire, les emboles péritumoraux, le grade histopronostique, les récepteurs hormonaux. Bien que cette détermination soit déjà multifactorielle, elle reste imparfaite. Pour augmenter la fiabilité de la détermination du profil évolutif individuel, il faut se rapprocher le plus possible de la biologie tumorale spécifique. C’est ce que tendent à déterminer les profils d’expression en microarrays, ou profiling, en établissant des “signatures” pronostiques, voire de réponses thérapeutiques. Pour faciliter la compréhension de ces milliers de gènes, des regroupements sont effectués statistiquement sous forme de “métagène” (1-4). Ce système à haut débit est en voie d’expansion, cependant, il ne prend pas en compte les aspects topographiques, puisqu’il s’agit d’une extraction globale de zone tumorale qui peut comporter du tissu normal ou des foyers de carcinome in situ. Enfin, cette méthode est dépendante de la congélation et ne s’applique pas aux petites lésions. Toutes ces raisons ont conduit les pathologistes à développer leur propre système à haut débit que constitue le tissu array ou TMA. Répondant à un véritable besoin de validation des profils d’expression au niveau protéique sur un grand nombre d’échantillons, la technique du TMA s’est imposée comme la technique de transfert de référence, à l’interface entre le pathologiste et le biologiste moléculaire, permettant la validation de facteurs pronostiques ou la recherche de cibles thérapeutiques. L’idée de mettre plusieurs échantillons sur la même lame n’est pas nouvelle puisqu’en 1986 Battifora publiait le “multitumor tissue block”, mais elle s’est considérablement améliorée depuis. Largement mise au point par les équipes de O.P. Kallionemi à Bethesda et de G. Sauter à Bâle, la technique du TMA s’est largement développée un peu partout et, notamment, en France dans notre équipe (5, 6). Brièvement, pour construire un TMA, des carottes de tissus 1. Département d’oncologie moléculaire. 2. Département de biopathologie. 3. Département de chirurgie. 4. Département d’oncologie médicale et investigation clinique, Institut Paoli-Calmettes, 232, bd Sainte-Marguerite, 13009 Marseille. 5. UMR599 Inserm, Marseille Cancer Institute, Marseille, France. 22 inclus en paraffine sont sélectionnées à partir de coupes colorées correspondantes. Les carottes, pouvant mesurer de 0,6 à 4 mm, sont ensuite incluses de manière orthonormée selon un plan préétabli dans un bloc receveur. L’appareil permettant cette opération est appelé tissue arrayeur. Il utilise deux aiguilles de calibre différent : une destinée à forer le trou receveur, une à biopsier le tissu donneur. Selon le diamètre des carottes, jusqu’à 1 000 cas peuvent théoriquement être déposés pour un seul bloc (figure 1). En théorie, le TMA peut être utilisé pour l’analyse in situ de l’ADN, de l’ARN et des protéines (figure 2). Des techniques d’analyse automatiques se sont développées, en fluorescence ou en immunohistochimie (IHC) conventionnelle. Différents systèmes existent, ils ont en commun la confection d’une grille adaptée sur le TMA, permettant de retrouver chaque image en fonction de ses coordonnées. Le système que nous avons acquis dans notre laboratoire est la station intégrée Spot Browser (Alphélys, 78370 Plaisir). Cependant, les fichiers d’analyse de TMA deviennent de plus en plus lourds, et l’équipe de Stanford a publié, en 2002, un travail dont l’issue est l’élaboration d’un outil destiné à assister ces analyses : le TMA-Deconvoluter est capable de reformater les scores semi-quantitatifs, utilisés quotidiennement par les Figure 1. La Lettre du Sénologue - n° 28 - avril/mai/juin 2005 Figure 2. Marquage immunohistochimique réalisé sur un TMA. Figure 3. pathologistes, en fichiers numériques utilisables directement pour les analyses statistiques (figure 2). Les outils statistiques des microarrays sont applicables aux TMA. Le premier but du TMA est de permettre de valider sur de plus grandes séries les données établies par les puces en microarrays. Dans la recherche de nouveaux marqueurs, comme dans la validation pronostique de marqueurs connus, le TMA vient souvent valider, au niveau protéique, une étape de criblage des profils d’expression par DNA microarrays, après confirmation des niveaux d’expression par RT-PCR, quantitative le plus souvent. Cette complémentarité des deux techniques a été largement utilisée dans l’étude de nombreux organes comme la prostate et le rein, dans l’étude des cancers colorectaux, thyroïdiens, des lymphomes et du cancer du sein. Dans le cancer du sein, notre équipe a été l’une des premières à tester la corrélation entre ADNc arrays et TMA sur une série de 55 tumeurs mammaires pour 15 molécules (5). Un tiers des molécules testées présentaient une corrélation entre les deux méthodes, et la valeur pronostique de certaines molécules comme l’apomucine MUC1 qui n’apparaissait que par IHC sur TMA, met en exergue la nécessité d’une approche topographique complémentaire et multi-méthodologique des paramètres testés. Quoi qu’il en soit, il paraît de plus en plus évident que le TMA est en train de devenir une sorte d’équivalent du DNA microarrays pour effectuer un profil d’expression protéique des tumeurs. Le développement conjoint de l’analyse d’images et d’outils statisLa Lettre du Sénologue - n° 28 - avril/mai/juin 2005 tiques va dans ce sens. C’est notamment le cas pour les tumeurs mammaires : le travail publié par G. Callagy (10), en 2003, a permis, à partir de l’analyse en TMA de 107 cancers du sein et de 13 marqueurs, de classer grâce au logiciel cluster, les cancers en deux clusters principaux en fonction de l’expression des récepteurs hormonaux, puis de les resubdiviser en fonction de leur profil d’expression luminal ou basal déterminé par l’expression des cytokératines 8/18 et 5/6, respectivement publiées, depuis 2000, par l’équipe de Perou et Sorlie (7). Nous avons récemment établi, selon des méthodes statistiques identiques sur une série de 552 cancers du sein, une signature pronostique à 21 protéines (8). En réappliquant la méthodologie des puces, les patientes considérées comme de bon pronostic ont une survie globale à 5 ans de 90 contre 61 % pour le mauvais pronostic. Cette signature, opposée aux paramètres cliniques classiques en analyse multivariée, est le paramètre prédictif le plus fort (RR : 2,96 ; p < 0,0001). Nous avons pu établir, selon les mêmes méthodologies, une signature pour les cancers inflammatoires (2, 3, 9) et pour les carcinomes médullaires. Le TMA permet aussi de réaliser des contrôles de qualité. Des études ont été largement effectuées en ce sens sur la mise en évidence de erbB2. En conclusion, le TMA est un outil de recherche à haut débit développé dans le cadre des laboratoires de pathologie. Il permet d’utiliser le matériel archivé en paraffine pour contribuer à l’établissement de signature correspondant à des profils pronostiques ou de réponse thérapeutique. Ces nouvelles déterminations nécessitent, pour une meilleure application, un véritable contrôle de qualité, ce que peut offrir également le TMA. ■ R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S 1. Bertucci F, Tarpin C, Charafe-Jauffret E et al. Multivariate analysis of survival in inflammatory breast cancer: impact of intensity of chemotherapy in multimodality treatment. Bone Marrow Transplant 2004;33:913-20. 2. Bertucci F, Finetti P, Rougemont J et al. Gene expression profiling for molecular characterization of inflammatory breast cancer and prediction of response to chemotherapy. Cancer Res 2004;64:8558-65. 3. Bertucci F, Tarpin C, Charafe-Jauffret E et al. Multivariate analysis of survival in inflammatory breast cancer: impact of intensity of chemotherapy in multimodality treatment. Bone Marrow Transplant 2004;33:913-20. 4. Bertucci F, Finetti P, Rougemont J et al. Gene expression profiling identifies molecular subtypes of inflammatory breast cancer. Cancer Res 2005;65:2170-8. 5. Ginestier C, Charafe-Jauffret E, Bertucci F et al. Distinct and complementary information provided by use of tissue and DNA microarrays in the study of breast tumor markers. Am J Pathol 2002;161:1223-33. 6. Jacquemier J, Ginestier C, Charafe-Jauffret E et al. Small but high throughput: how “tissue-microarrays” became a favorite tool for pathologists and scientists. Ann Pathol 2003;23:623-32. 7. Birnbaum D, Bertucci F, Ginestier C et al. Basal and luminal breast cancers: basic or luminous? (review). Int J Oncol 2004;25:249-58. 8. Jacquemier J, Ginestier C, Rougemont J et al. Protein expression profiling identifies subclasses of breast cancer and predicts prognosis. Cancer Res 2005; 65:767-79. 9. Charafe-Jauffret E, Tarpin C, Ginestier C et al. Inflammatory breast carcinoma: towards molecular characterization? Ann Pathol 2003;23:564-9. 10. Callagy G, Pharoah P, Chin SF et al. Identification and validation of prognostic markers in breast cancer with the complementary use of array-CGH and tissue microarrays. J Pathol 2005;205(3):388-96. 23