Sommaire Vol. XI - N° 5 - sept.-oct. 2008 Éditorial 167 Faut-il détruire les polypes coliques de moins de 5 mm ? T. Vallot ÉDITORIAL DOSSIER Troubles digestifs du sportif 169 Coordination : J. Watelet (Nancy) Avant-propos – Les déboires du sportif • J. Wateletl Manifestations digestives chez le sportif Gastrointestinal disorders in athletes • J. Watelet Pathologies périnéales du sportif Sport-related perineal injuries • P. Bauer l 170 l 177 T. Vallot* Barotraumatisme digestif au cours d’accidents de plongée Intestinal barotrauma caused by diving accidents • J. Watelet Foie et dopage l 188 Liver and doping • J. Watelet Conclusion – Pour la pratique • J. Wateletl 194 ACTUALITÉS RECHERCHE 176, 182 M. Chamaillard CONGRÈS RÉUNION 198 ASCRS 2008 : quoi de neuf en proctologie ? A. Senéjoux Image commentée 201 Maladie des laxatifs : historique ou botanique ? V. Abitbol Faut-il détruire les polypes coliques de moins de 5 mm ? 169 En plus… 195 ❖❖ Agenda Abonnez-vous en ligne ! www.edimark.fr l 183 L e sort qu’il faut réserver aux polypes de moins de 5 mm est une question qui n’a jamais vraiment effleuré l’esprit des endoscopistes, tant la réponse leur est évidente quand ils les ont dans la ligne de mire de leur endoscope. À l’heure où ils colorent, ils zooment, ils freinent dans la descente au retour du cæcum pour détecter des lésions de plus en plus petites, la question de l’exérèse des polypes de moins de 5 mm leur apparaît même d’un autre temps. On comprend leur étonnement, pour ne pas dire leur agacement, quand, par la “grande” presse ou les dépliants dits d’information adressés par certains cabinets de radiologie, ils ont appris qu’il ne fallait plus retenir les “diminutive” polypes comme anomalie significative ni même les mentionner sur le compte rendu, et que la coloscopie virtuelle est devenue l’examen de choix pour le dépistage des tumeurs colorectales. En d’autres termes, les radiologues s’étaient permis de négliger ces lésions remettant en cause les fondements de la croisade antipolypes des gastros, convaincus depuis toujours que, si petits soient les polypes, ils sont une source potentielle de cancer, quand celui-ci n’est pas déjà déclaré. Le désarroi de nos “croisés” était d’autant plus grand que cette annonce était arrivée au moment où, dans de nombreux départements, ils se mobilisaient – avec tout l’enthousiasme qu’on leur connaît – pour mettre enfin en place le dépistage de masse tant attendu du cancer colorectal par test Hemoccult®, selon les directives du Journal officiel. La position de ces radiologues français, diffusée à grand renfort de médias et, reconnaissons-le, plutôt bien accueillie par un public réticent à la coloscopie, n’est que la reprise des conclusions des travaux de Pickhardt, grand promoteur de Bulletin d’abonnement disponible page 203 * Service de gastroentérologie, CH Bichat Claude-Bernard, Paris. La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue • Vol. XI - n° 5 - septembre-octobre 2008 | 167 ÉDITORIAL Références bibliographiques 1. Pickhardt PJ, Hassan C, Laghi A, Zullo A, Kim DH, Morini S. Costeffectiveness of colorectal cancer screening with computed tomography colonography: the impact of not reporting diminutive lesions. Cancer 2007;109:2213-21. 2. Church JM. Clinical significance of small colorectal polyps. Dis Colon Rectum 2004;47:481-5. 3. Faivre J, Dancourt V, Lejeune C et al. Reduction in colorectal cancer mortality by fecal occult blood screening in a French controlled study. Gastroenterology 2004;126:1674-80. la coloscopie virtuelle aux États-Unis. Dans une étude médico-économique (1), les auteurs se sont interrogés sur l’impact que pourrait avoir sur le risque de cancer et sur l’efficience du dépistage, le fait d’enlever ou de laisser en place les polypes de moins de 6 mm découverts en coloscopie virtuelle. Première estimation : chez une personne de 60 ans asymptomatique, 10 ans après la découverte, à la coloscopie virtuelle, d’une lésion de moins de 6 mm laissée en place, le risque de cancer n’est pas différent de celui d’une personne qui n’aurait pas de polype. Dans ces conditions, ils ne voyaient pas ce qui pouvait justifier, dans une stratégie de dépistage de masse, une attitude différente chez les “malades” avec un polype de moins de 6 mm de celle à avoir chez des personnes dont la coloscopie virtuelle était normale, c’est-à-dire la pratique d’un nouvel examen 10 ans plus tard. Deuxième estimation : par rapport à une attitude qui consisterait à faire une vraie coloscopie dès que l’on repère un polype, la “négligence” qu’ils proposent permettrait d’éviter une coloscopie chez un tiers des personnes après coloscopie virtuelle et une réduction de près de 40 % des coûts du dépistage pour une année de vie sauvée. En termes d’efficacité, la coloscopie virtuelle tous les 10 ans prenait nettement l’avantage sur une coloscopie réelle tous les 10 ans, le dépistage par Hemoccult® n’étant plus la référence aux États-Unis. Bien sûr, la sensibilité de ces modèles médico-économiques dépend des données que l’on entre dans la machine. Tout le monde n’a pas l’expérience du Pr Pickhardt, les coûts dans le Wisconsin aux États-Unis ne sont pas les mêmes qu’en France, encore que la variabilité des coûts d’un pays à l’autre soit quelquefois moindre que celle observée d’un cabinet à l’autre dans l’Hexagone. Précisons que le coût moyen de la coloscopie pris comme référence dans cette étude était d’environ 696 $ et celui de la coloscopie virtuelle de 478 $. Faut-il crier au scandale face à une telle position ? Les programmes de prévention de masse n’ont jamais eu la prétention de rechercher le risque zéro, mais de trouver un compromis acceptable entre l’efficacité et le coût. Il faut aussi rappeler qu’un des facteurs majeurs de la réussite d’un programme de prévention est le taux de participation de la population ; tout ce qui peut augmenter la participation mérite considération. S’il est vrai que les polypes de moins de 5 mm peuvent avoir un potentiel malin, il faut aussi rappeler que le risque qu’il soit adénomateux n’est que de 50 %, et que celui qu’il s’agisse d’un cancer invasif ne dépasse pas 0,023 % dans les plus grandes séries (2). Il faut aussi faire remarquer à ceux qui se demandent si le fait de laisser en place de telles lésions est éthique ou non qu’ils prennent un risque beaucoup plus élevé à ne pas faire de coloscopie chez les personnes qui ont un 168 | La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue • Vol. XI - n° 5 - septembre-octobre 2008 Hemoccult® négatif, puisque ce test laisse passer 50 % des cancers et 80 % des lésions avancées. En tous les cas, personnellement, je serais beaucoup plus rassuré d’avoir une coloscopie virtuelle et un polype de moins de 5 mm, c’est-à-dire un risque immédiat de cancer compris entre 0 et 0,023 %, que d’avoir un Hemoccult® négatif, avec un risque de cancer asymptomatique de 0,13 % (3). Il est vrai que, face à un patient en consultation, les choses sont plus complexes et les para­mètres à prendre en compte dépassent largement le seul point de vue économique. La comorbidité, l’espérance de vie ainsi que le souhait et les craintes du malade parfaitement informé sont autant de facteurs qui déterminent notre décision. Il faut aussi, à la différence de Pickhardt, s’interroger sur les options possibles de surveillance en cas d’abstention : délai dans lequel il faut proposer le prochain examen et choix du type d’examen. Entre une coloscopie totale immédiate et une coloscopie virtuelle dans 10 ans, il y a peutêtre d’autres possibilités ! Ne pourrait-on pas proposer de faire une coloscopie réelle plutôt qu’une nouvelle coloscopie virtuelle dans un délai qui reste à préciser ? De plus, 48 % des polypes de moins de 5 mm se situent dans le rectosigmoïde et sont donc facilement accessibles sans pour autant que l’on ait à pratiquer – et à facturer – une coloscopie totale. Le devoir du gastroentérologue est d’informer le malade sur les avantages et les inconvénients des différentes possibilités et de choisir la plus adaptée à son cas. Cette polémique illustre le décalage énorme entre la vitesse d’évolution des techniques et le temps des procédures nécessaires pour valider et mettre en place une stratégie de dépistage. La réactivité des experts et surtout celle des autorités sanitaires doit être bonne. Les modèles médico-économiques sont certes critiquables mais ils apportent une estimation qu’il est aujourd’hui difficile de ne pas prendre en compte. Il serait temps qu’en France ce genre d’exercice se développe, car c’est aujourd’hui un outil incontournable d’évaluation comparative des stratégies et qui permet de préciser les prérequis pour garantir l’efficacité du dépistage. À l’évidence, la réponse à la question de l’exérèse des polypes de moins de 5 mm découverts en coloscopie virtuelle dépend du point de vue. Si nous voulons défendre la collectivité et être le plus efficaces possible avec une enveloppe financière donnée, la réponse est probablement non ; si nous voulons défendre l’individu, la réponse est probablement oui. Pour l’instant, il est clair que, contrairement à l’esprit anglo-saxon, les mentalités en France mais aussi notre Justice ne sont pas prêtes à privilégier la collectivité aux dépens de l’individu. Il est probable que économiquement, nous n’aurons plus trop longtemps le choix !