D O S S I E R T H É M A T I Q U E Traitement chirurgical des tumeurs stromales digestives ● S. Bonvalot* P O I N T S F O R T S P O I N T S F O R T S ■ La chirurgie est le seul traitement à visée curatrice. ■ Une résection macroscopiquement complète de la tumeur est nécessaire. Le curage ganglionnaire n’est pas systématique. ■ En cas de tumeur localement évoluée, une exérèse monobloc des viscères atteints par contiguïté doit être réalisée si elle est possible. ■ L’utilisation de Glivec (STI 571) va probablement modifier les indications opératoires dans les formes évoluées. gie révélatrice varie en fonction de la localisation (hémorragie digestive, masse palpable, douleurs abdominales, perforations). L’hémorragie digestive est révélatrice chez 50 % des patients, et les perforations digestives dans 10 % des localisations sur le grêle. Ces circonstances amènent donc fréquemment à opérer le patient en urgence. Au moment du diagnostic, la taille médiane est d’environ 11 cm pour les tumeurs du grêle et peut atteindre 14 cm suivant les séries pour l’ensemble des localisations. Ce sont donc des tumeurs classiquement volumineuses qui peuvent envahir les viscères adjacents. Près de la moitié des patients présentent des tumeurs localement évoluées ou sont d’emblée métastatiques avec, en particulier, une extension péritonéale et des métastases hépatiques. Cela explique que les taux de résection complète dans la littérature varient entre 50 et 70 %. ANATOMOPATHOLOGIE ET PRONOSTIC es tumeurs stromales digestives sont rares et représentent environ 1 % des néoplasmes intestinaux et 10 % de l’ensemble des sarcomes, soit environ 150 à 200 cas par an en France. Les tumeurs stromales malignes étaient réputées particulièrement chimio-résistantes, et la chirurgie était jusqu’à présent la seule solution à visée curatrice, aucune chimiothérapie adjuvante n’ayant montré jusqu'à présent d’efficacité. Cette chirurgie doit être macroscopiquement complète, mais 25 à 50 % des patients ont des tumeurs localement évoluées ou d’emblée métastatiques. L’utilisation de Glivec (STI 571) depuis l’été 2000 chez des patients atteints de tumeurs stromales évoluées va probablement modifier les indications opératoires, compte tenu de son efficacité antitumorale. L CIRCONSTANCES DE DÉCOUVERTE La fréquence des tumeurs stromales digestives diminue de l’estomac (50 à 60 %) au rectum (10 à 20 %) (1). La symptomatolo- * Département de chirurgie, comité Sarcomes, Institut Gustave-Roussy, Villejuif. 70 De nombreux travaux montrent que le CD117 est un marqueur plus sensible que le CD34 pour le diagnostic des tumeurs stromales digestives (2, 3). Si l’expression du gène c-kit (CD117) permet actuellement de faire le diagnostic de tumeur stromale, il n’y a pas de corrélation entre son expression et l’extension tumorale ou le grade de malignité. En fait, les données moléculaires en termes de pronostic seraient plus utiles que l’immuno-histochimie, car ce sont les mutations du gène c-kit qui sont significativement corrélées à la survenue de récidive et à une mortalité plus élevée. C-kit est un proto-oncogène qui code pour une tyrosine-kinase réceptrice du stem cell factor, et les mutations de la molécule c-kit permettent une activation constitutionnelle de la tyrosine-kinase indépendamment de la présence du ligand. Certaines de ces mutations de kit sont retrouvées, d’ailleurs dans des formes familiales de cette maladie. Les mutations de c-kit concernent principalement l’exon 11 (lésions dans 52 % des cas), l’exon 9 et l’exon 13. Jusqu’à la démonstration de ces anomalies moléculaires, le comportement biologique de ces tumeurs était souvent difficile à prévoir, et il n’existait pas de critère morphologique absolu permettant de distinguer les formes malignes des formes bénignes. Les études de survie retrouvent systématiquement, comme facteurs pronostiques, la taille tumorale, le nombre La lettre de l’hépato-gastroentérologue - n° 2 - vol. V - mars-avril 2002 D O S S I E R T H de mitoses et la qualité de la chirurgie. Il a donc été retenu des critères histologiques associés à un risque de récidive locale ou métastatique mais le seuil de ces critères varie suivant les séries et il n’existe pas de consensus international. Le seuil de cinq mitoses pour 50 grands champs au grossissement 400 permettrait de pouvoir différencier les tumeurs bénignes (moins de cinq mitoses pour 50 grands champs) des tumeurs malignes (plus de cinq mitoses pour 50 grands champs). La taille tumorale supérieure à 5 cm est également considérée comme un facteur de mauvais pronostic. En l’absence de la démonstration moléculaire de la mutation du gène c-kit, une tumeur stromale digestive maligne est une tumeur de la paroi digestive ou du mésentère exprimant c-kit, de plus de 5 cm de diamètre, et dont le nombre de mitoses pour 50 grands champs est supérieur ou égal à 5. TRAITEMENT CHIRURGICAL DES TUMEURS STROMALES Tumeur localisée L’ensemble des équipes chirurgicales est en faveur d’une résection macroscopiquement complète des lésions. En effet, le caractère complet de la chirurgie permet d’obtenir des survies globales à cinq ans de l’ordre de 40 % (4-6) alors qu’une chirurgie incomplète fait chuter cette survie globale à moins de 10 %. Dans une étude réalisée chez 55 patients opérés à l’Institut Gustave-Roussy (7), ceux dont la tumeur était localisée à l’estomac et chez lesquels avait été effectuée une résection cunéiforme avaient un taux de récidive locale important. En revanche, il n’y avait pas de différence entre les patients qui avaient eu une gastrectomie totale ou une gastrectomie partielle, car ces patients récidivaient dans les deux cas sous forme de métastases ou de sarcomatose. Lorsque la tumeur est localisée à l’estomac, une résection cunéiforme apparaît donc insuffisante, mais la gastrectomie totale semble excessive si elle n’est pas imposée par des contraintes anatomiques. Tumeur localement évoluée Dans la littérature, la taille moyenne de ces tumeurs oscille entre 10 et 15 cm. Il s’agit dans plus de la moitié des cas de tumeurs étendues localement à d’autres organes de voisinage. Le caractère complet de la chirurgie n’est souvent possible qu’en effectuant l’exérèse des viscères adjacents envahis. Parmi 55 patients avec une tumeur stromale du grêle (8), Yao rapporte qu’il a été nécessaire dans 35 % des cas d’élargir la chirurgie aux viscères adjacents. Le plus souvent, il s’agit de la rate et de la queue du pancréas, mais également du diaphragme, du côlon et de la vessie. L’exérèse du viscère primitivement atteint en monobloc, avec celle des viscères atteints par contiguïté, permet d’obtenir des médianes de survie globale de l’ordre de 36 mois proches de celles des La lettre de l’hépato-gastroentérologue - n° 2 - vol. V - mars-avril 2002 É M A T I Q U E patients qui avaient une tumeur localisée sans extension à un viscère adjacent (9). En revanche, les médianes de survie des patients qui ont eu une exérèse incomplète sont inférieures à deux ans. Il est donc tout à fait justifié en cas de tumeur localement évoluée d’effectuer une exérèse complète, même au prix de l’exérèse de viscères adjacents, puisque c’est le caractère complet de l’exérèse qui est le facteur pronostique thérapeutique déterminant. Il est nécessaire d’opérer les patients en évitant toute rupture tumorale, car celle-ci, spontanée ou liée aux manipulations opératoires, entraîne une survie équivalente à celle des patients qui ont eu une exérèse incomplète, de l’ordre de 17 mois. Curage ganglionnaire La plupart des équipes observent un taux d’envahissement ganglionnaire inférieur à 10 % sur les pièces d’exérèse, et le risque de récidive ganglionnaire est inférieur à 5 %. Le curage ganglionnaire n’est donc pas systématique. Lors d’une laparotomie effectuée en urgence, l’existence d’une tumeur digestive volumineuse sans adénopathie doit faire penser préférentiellement à une tumeur stromale. Modalités de récidives Une récidive est observée chez 40 % des patients lorsque l’exérèse est macroscopiquement complète, survenant avec un délai médian de l’ordre de 2 ans (4). La plupart des récidives sont intraabdominales. Sur une série de 80 patients ayant eu l’exérèse complète d’une tumeur stromale digestive, De Matteo rapporte 63 % de récidives hépatiques et 21 % de récidives péritonéales. Les équipes du MSKCC et de Boston n’ont pas retrouvé de caractère péjoratif à l’envahissement microscopique des marges de résection. Cela est probablement lié au fait que les marges correspondant à la tranche de section chirurgicale et les marges correspondant à la séreuse ne sont pas différenciées, que la plupart de ces tumeurs sont des tumeurs localement évoluées dont la séreuse est donc envahie, ce qui expose ces patients à des récidives péritonéales. Traitement des récidives péritonéales En l’absence de chimiothérapie générale ayant montré une efficacité, on pouvait proposer jusqu’à présent l’exérèse complète des nodules de sarcomatose lorsque la tumeur primitive était contrôlée. Afin de diminuer le risque de récidives loco-régionales, le rôle de la chimiothérapie intrapéritonéale a été étudié dans une étude prospective randomisée comparant son adjonction ou non après exérèse complète d’une sarcomatose (10). Les médianes de survie sans récidive et de survie globale étaient identiques dans les deux groupes (12,5 et 29 mois). Ces médianes de survie sont comparables à celles rapportées par l’équipe du MD Anderson 71 D O S S I E R T dans des études de phase II y associant l’hyperthermie. L’addition de chimiothérapie intrapéritonéale n’a donc pas modifié la survie des patients après exérèse complète de ces sarcomatoses, le facteur pronostique déterminant pour la survie étant la qualité de l’exérèse chirurgicale. PERSPECTIVES CHIRURGICALES À L’HEURE DE GLIVEC (STI 571) Depuis août 2000, l’utilisation de Glivec (STI 571) a révolutionné la prise en charge de ces tumeurs jusque-là particulièrement chimiorésistantes. Le STI 571 est un inhibiteur sélectif des tyrosineskinases. Il s’agit du premier exemple de traitement moléculaire ciblé dans une néoplasie solide humaine (11). Dans une étude de phase II multicentrique ayant inclus 148 patients depuis juillet 2000, 82 % des patients ont eu une maladie contrôlée non évolutive plus d’un an après l’activation de l’étude (réponses complètes additionnées des réponses partielles et maladies stables). Il faut rappeler que les sarcomes rétropéritonéaux en majorité n’expriment pas c-kit. Quelque sarcomes rétro-péritonéaux qui l’exprimaient ont reçu cette molécule et n’ont pas répondu. Les complications chirurgicales observées chez ces patients traités par Glivec (STI 571) ont été des perforations et des hémorragies. Les perforations sont survenues lorsque l’exérèse de la tumeur primitive n’avait pas été effectuée. Les nodules de sarcomatose exposent moins à ce risque. Des ruptures hémorragiques de volumineuses masses littéralement liquéfiées sont survenues chez certains patients dont la maladie était stabilisée. Chez les patients ayant une tumeur localement évoluée, dont la chirurgie nécessiterait l’exérèse de viscères adjacents, il faudra probablement discuter l’utilisation de Glivec (STI 571) en situation néo-adjuvante de façon à faciliter et à minimiser un geste chirurgical secondaire après réponse objective, avec cependant un risque perforatif qui reste à évaluer. Lors de l’exérèse d’une tumeur stromale digestive associée de manière synchrone à une sarcomatose et/ou à des métastases hépatiques, il paraît utile d’effectuer l’exérèse de la tumeur primitive afin d’éviter une complication à type de perforation. En revanche, l’exérèse concomitante de la sarcomatose péritonéale n’apparaît plus nécessaire, puisqu’elle sera accessible au traitement par Glivec (STI 571). En cas de réponse objective, il faudra à l’avenir discuter l’exérèse de reliquats tumoraux stables susceptibles d’entraîner une complication. H É M A T I Q U E CONCLUSION Le traitement chirurgical d’une tumeur stromale digestive localisée doit être macroscopiquement complet en privilégiant une exérèse fonctionnelle. Comme pour les autres sarcomes, le curage ganglionnaire n’est pas systématique. Les lésions diffuses à type de sarcomatoses ou de métastases relèvent maintenant d’un traitement médical par Glivec (STI 571). De nouvelles stratégies chirurgicales devraient se dégager avec l’utilisation de cette nouvelle molécule. ■ Mots clés. Tumeurs stromales digestives – Sarcomatose – Glivec (STI 571). R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S 1. Miettinen M, Furlong M, Sarlomo-Rikala M et al. Gastrointestinal stromal tumors, intramural leiomyomas, and leiomyosarcomas in the rectum and anus : a clinicopathologic, immunohistochemical, and molecular genetic study of 144 cases. 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