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E x p l o r a t i o n
La manométrie anorectale
■ A.M. Leroi*
L
a manométrie anorectale explore le fonctionnement de l’appareil recto-sphinctérien. Mise au point initialement pour rechercher
l’absence de réflexe recto-anal inhibiteur chez
l’enfant témoignant d’une maladie de
Hirschsprung, elle permet également d’objectiver et de quantifier les désordres survenant au
cours des incontinences et des constipations
distales.
FONCTION ANORECTALE :
RAPPEL PHYSIOLOGIQUE
L’appareil anorectal est constitué d’un système
capacitif, le rectum, et d’un système résistif
représenté par les sphincters de l’anus. Les
sphincters de l’anus comportent un sphincter
anal externe, constitué de muscles striés, à
commande volontaire, et un sphincter anal
interne, constitué de muscles lisses à fonctionnement automatique (figure 1). Le système
capacitif a la propriété de pouvoir stocker le
contenu intrarectal. La capacité de stockage du
rectum est due à sa distensibilité, la paroi se
laisse distendre par le contenu intrarectal, de
sorte que le besoin s’atténue ou disparaît très
vite après être survenu. Le système résistif s’explique par la pression exercée par les sphincters de l’anus sur le canal anal ; de ce fait, la
pression dans le canal anal est nettement supérieure à la pression intrarectale, ce qui évite
l’écoulement du contenu intrarectal à travers le
canal.
distendue par l’arrivée de matières ou de gaz
perçue par le sujet grâce à la stimulation des
tensio-récepteurs de cette paroi. Simultanément, la distension rectale va provoquer deux
réflexes. Le premier réflexe est le réflexe rectoanal inhibiteur (RRAI) lié exclusivement aux
plexus nerveux intrinsèques contenus dans la
paroi rectale. Le RRAI se traduit par une relaxation du sphincter anal interne responsable
d’une diminution de pression au niveau du
canal anal, qui va donc s’ouvrir et permettre l’issue du contenu intrarectal à la partie haute du
canal anal. C’est à ce niveau que le sujet va
pouvoir analyser le contenu (gaz ou matières)
de ce qui vient de provoquer le besoin “rectal”
et décider de la conduite appropriée (continence ou défécation). En même temps que le
réflexe recto-anal inhibiteur, survient un réflexe
recto-anal excitateur d’origine striée. Ce
réflexe, sous contrôle des structures supramédullaires, apparaît lors de l’apprentissage de
la propreté. Le réflexe recto-anal excitateur va
limiter la pénétration du contenu intrarectal à la
partie haute du canal anal, évitant la fuite de ce
contenu pendant le temps au cours duquel le
sujet analyse la situation avant de décider de la
conduite à tenir.
Ces phénomènes initiaux sont suivis d’une
adaptation du canal intrarectal à son contenu
permettant à la pression intrarectale de baisser
suffisamment pour que le besoin s’atténue ou
disparaisse. Si nécessaire, une contraction
volontaire du sphincter anal externe peut
prendre le relais du réflexe recto-anal excitateur.
Continence
* Groupe de recherche de l’appareil digestif,
environnement et nutrition (ADEN),
hôpital Charles-Nicolle, CHU Rouen,
76031 Rouen Cedex.
e-mail : [email protected]
50
L’essentiel de la continence est assuré par la
fonction de stockage colique. En dehors des
moments où le sujet ressent un besoin, le rectum est normalement vide. La fonction de continence de l’appareil anorectal est donc une fonction provisoire, qui doit permettre à l’individu
de choisir le moment et le lieu pour satisfaire un
besoin provoqué par l’arrivée de matières ou de
gaz dans le rectum. Le réflexe d’échantillonnage joue un rôle essentiel. La paroi rectale est
Défécation
Pour obtenir une défécation ou l’évacuation
d’un gaz, il est nécessaire que la pression intrarectale soit supérieure à la pression exercée sur
le canal anal. Cette inversion des pressions est
facile à obtenir si l’on satisfait son besoin au
moment où il survient. Pour un volume de distension suffisant du rectum, le réflexe rectoanal inhibiteur est alors maximum et permanent, c’est-à-dire que la pression exercée sur le
Correspondances en pelvi-périnéologie - n° 1, vol. I - mars 2001
5
canal anal est à peu près nulle, tandis qu’il
existe une activité contractile rectale. Il suffit à
ce moment d’interrompre la contraction volontaire du sphincter strié et le contenu intrarectal
est évacué, éventuellement aidé par une poussée abdominale. En dehors de ces conditions
physiologiquement favorables, la défécation
peut être obtenue en utilisant une poussée
abdominale très forte au cours d’une
manœuvre de Valsalva et en relâchant simultanément la musculature striée du périnée pour
évacuer le contenu intrarectal.
1
3
LA TECHNIQUE
Quel matériel utiliser ?
6
4
a.
2
4
2
3
1
3
5
b.
8
3
6
7
Figure 1.
a : Coupe frontale du pelvis. 1. Ampoule rectale. 2. Canal anal. 3. Releveur de l’anus.
4. Sphincter externe. 5. Espace pelvi-rectal supérieur. 6. Fosse ischio-anale.
b : Coupe verticale du canal anal. 1. Sphincter interne. 2. Releveur de l’anus. 3. Sphincter
externe (faisceau profond, superficiel, sous-cutané). 4. Couche longitudinale complexe.
5. Ligament de Parks. 6. Septum intermusculaire. 7. Corrugator cuti anis. 8. Espace
intersphinctérien.
(figure réalisée par J.M. Muller).
Correspondances en pelvi-périnéologie - n° 1, vol. I - mars 2001
La manométrie anorectale est effectuée au
moyen de cathéters perfusés, de ballonnets
remplis d’eau ou de microcapteurs. Chacune
de ces méthodes, utilisée correctement,
donne des résultats significatifs et reproductibles, mais chacune présente certains inconvénients.
La méthode des cathéters perfusés à l’avantage d’être simple, de permettre le recueil des
pressions anales au moyen de cathéters très
fins, évitant ainsi les artéfacts dus à la dilatation du canal anal par une sonde volumineuse.
En revanche, la perfusion des cathéters perçue
par le patient peut provoquer des réponses
contractiles volontaires du sphincter anal
externe chez des patients qui redoutent de
salir la table d’examen. Les orifices percés latéralement sur les cathéters peuvent être répartis sur la circonférence de la sonde et étagés.
Ils permettent ainsi de mesurer de façon continue la pression anale en différents points. Ils
donnent simultanément des informations à différents niveaux dans le sens longitudinal et
selon différents axes dans le sens radial. La
compliance du système de mesure est un point
essentiel pour enregistrer correctement des
variations rapides de pression (1). Pour que la
compliance du système de mesure soit correcte, la déformabilité des cathéters doit être
minime et la perfusion doit être assurée par un
perfuseur capillaire hydropneumatique. Il faut
rappeler qu’il existe une asymétrie radiale de la
pression intra-anale et que, de ce fait, la
mesure de la pression selon trois axes, comme
cela est préconisé en pratique, n’est pas un
reflet exact des pressions endo-anales. Les
sondes à ballonnets (figure 2, p. 51) évitent
51
E x p l o r a t i o n
l’écueil de l’asymétrie radiale des pressions
endo-anales, puisque la pression mesurée
représente la somme de toutes les pressions
mesurées dans chaque orientation. Leur mise
en place est facile et reproductible (au
contraire des sondes à cathéters avec lesquelles on ne sera pas certain que les orifices
latéraux explorent à chaque fois la même
orientation). Les ballonnets doivent être remplis d’eau et il est impératif de chasser les
bulles d’air afin de ne pas entraîner un amortissement du signal. Les sondes à ballonnets
sont d’un diamètre supérieur à celui des
sondes à cathéters perfusés et entraînent donc
une déformation plus importante du canal
anal. Pour cette raison, elles sont susceptibles
de provoquer une perturbation du fonctionnement réflexogène du sphincter anal externe. La
taille minimale des ballonnets ne permet d’étudier la pression anale qu’à deux niveaux, alors
que les cathéters perfusés autorisent des
Ballonnet intrarectal
B1
Orifice
du canal perfusé
Ballonnet de la partie
haute du canal anal (SI)
B2
B3
Ballonnet de la partie
basse du canal anal
(SE)
Seringue (distension de B1)
Capteurs
52
Figure 2. Sonde de manométrie
anorectale de Arhan en place.
mesures étagées tous les 0,5 cm. Enfin, les ballonnets mesurant les pressions aux parties
haute et basse du canal anal sont fixes, situés
à 1,5 cm l’un de l’autre, et ne peuvent donc pas
s’adapter aux différentes longueurs du canal
anal. Les cathéters à microcapteurs offrent une
mesure de la pression radiale et ponctuelle. La
fragilité des microcapteurs et leur coût en restreint l’utilisation.
Au vu des avantages et des inconvénients de
chaque méthode, bien qu’une réunion d’experts ait conclu à la supériorité de la sonde à
ballonnets (8), il semble que la majorité des utilisateurs préfèrent la sonde à cathéters perfusés (13).
Quels paramètres étudier ?
La pression basale de fermeture anale
Elle est calculée dans les parties haute et basse
du canal anal. La mise en place de la sonde
déclenche parfois une contraction réflexe du
sphincter anal externe. Une fois la sonde mise
en place, il faut donc attendre pendant un
temps suffisant (20 à 30 minutes) durant lequel
la pression anale va progressivement diminuer,
puis se stabiliser (10 à 30 minutes) (figure 3).
La pression anale de repos est fréquemment
soumise à des fluctuations. Il peut s’agir
d’ondes lentes définies par leur amplitude et
leur fréquence (amplitude : 5 à 25 cm H2O ; fréquence : 6 à 20/mn), ou d’ondes ultra-lentes
beaucoup plus amples et de moindre fréquence
(amplitude: 30 à 100 cm H2O ; fréquence :
‹ 3/mn). Les ondes ultra-lentes sont souvent
associées, chez des sujets constipés, à une
hypertonie anale et constitue l’hypertonie
anale instable (figure 4). Il semblerait que ces
variations soient secondaires à des fluctuations
de l’activité du sphincter anal interne.
Les réflexes recto-sphinctériens
Ils sont étudiés à l’aide d’une sonde à 3 voies
qui permet la mesure de la pression dans le rectum, dans la partie haute (sphincter anal
interne) et dans la partie basse du canal anal
(sphincter anal externe) et d’un ballonnet intrarectal que l’on distend brièvement avec de
faibles volumes d’air croissant progressivement
(10 à 50 ml). Chaque distension doit être espacée d’au moins 2 minutes. Lors de chaque insufflation, on étudie le RRAI à la partie haute du
canal anal (présence du réflexe, durée et amplitude de la relaxation). Plus le volume de disten-
Correspondances en pelvi-périnéologie - n° 1, vol. I - mars 2001
EMG
périnéal
Prt
(zéro)
Prt
PHC
(zéro)
PHC
PBC
(zéro)
PBC
10 sec
Pression
cm H2O
200
Figure 3. Étude de la
pression anale de repos
enregistrée au moyen
d’une sonde de Arhan
chez un sujet volontaire
sain, au niveau de
l’ampoule rectale (Prt),
de la partie haute (PHC)
et de la partie basse
(PBC) du canal anal. La
voie du haut
correspond à
l’électromyogramme
périnéal intégré (EMG)
obtenu à partir
50 cm H2O d’électrodes collées sur
la marge anale.
Figure 4. Enregistrement de la pression de repos au niveau de la partie haute
du canal anal chez un patient se plaignant de difficultés d’exonération. La
pression est très élevée, atteignant 170 cm H2O, et présente des oscillations
importantes (ondes ultralentes). L’association d’une hypertonie et d’ondes
ultralentes définit une hypertonie instable.
10 sec
150
sion rectale est élevé, plus l’amplitude et la
durée de la relaxation du sphincter anal interne
sont importantes (figure 5). L’amplitude et la
durée de la contraction réflexe du sphincter anal
externe (réflexe recto-anal excitateur) sont également corrélées au volume de distension rectale (figure 5).
La contraction volontaire du sphincter anal
externe
L’amplitude et la durée de la contraction volontaire du sphincter anal externe sont étudiées en
demandant au sujet de serrer l’anus le plus fort
possible (figure 6, p. 54). L’amplitude de la
contraction volontaire doit être déterminée à
partir de la pression anale basale. Elle est maximale en regard du sphincter anal externe, à la
partie basse du canal anal. La durée de la
contraction volontaire du sphincter anal
externe permet d’étudier la fatigabilité du
sphincter.
L’enregistrement de la pression anale durant
la manœuvre de Valsalva
Elle permet d’étudier le synchronisme abdomino-pelvien. On demande au patient de pousser comme pour déféquer. Normalement, lors
de la défécation, le sphincter anal et le muscle
releveur de l’anus se relâchent, phénomène qui
entraîne une diminution des pressions anales
et donc une ouverture du canal anal (figure 7,
p. 54). L’absence de relaxation anale ou une
EMG périnéal
30 ml
40 ml
50 ml
a
b
50 cm H2O
c
Correspondances en pelvi-périnéologie - n° 1, vol. I - mars 2001
10 sec
Figure 5. Étude des réflexes provoqués par la
distension de l’ampoule rectale. L’enregistrement des
pressions est fait au niveau du rectum (a), de la partie
haute (b) et de la partie basse (c) du canal anal. L’EMG
périnéal est un EMG intégré obtenu à partir
d’électrodes collées sur la marge anale. La distension
brève de l’ampoule rectale avec 30, 40, 50 ml d’air
provoque une contraction rectale (voie a), un
relâchement du sphincter anal interne (voie b) et une
contraction du sphincter anal externe (voie c).
L’amplitude et la durée de ces réponses sont
proportionnelles au volume de distension.
53
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EMG
périnéal
30 ml
40 ml
50 ml
Figure 6. Étude de la contraction volontaire anale
par enregistrement des pressions au niveau de
l'ampoule rectale (Prt), de la partie haute (PHC) et
de la partie basse (PBC) du canal anal au moyen
d'une sonde de Arhan. L'électromyogramme (EMG)
périnéal est un EMG intégré obtenu à partir
d'électrodes collées sur la marge anale.
L'amplitude de la contraction volontaire
correspond au pic observé au début de la
contraction (Æ ). La durée de la contraction
correspond au temps entre le début et la fin de la
contraction, marquée par le retour à la valeur de
pression de repos mesurée au niveau du canal
anal. On remarque que la pression dans l'ampoule
rectale augmente progressivement au cours de la
contraction, comme cela s’observe souvent du fait
de la fatigabilité du sphincter strié.
Prt
(zéro)
Prt
PHC
(zéro)
PHC
50 cm H2O
PBC
10 sec
(zéro)
PBC
PV
PV
EMG
périnéal
intégré
Figure 7. Effort de poussée avec relaxation du
sphincter anal et diminution des pressions anales.
PV : effort de poussée volontaire.
PR : pression rectale.
PHC : partie haute du canal anal.
PBC : partie basse du canal anal.
PR
PHC
PBC
zéro (PHC)
50 cm H2O
10 sec
zéro (PBC)
54
Correspondances en pelvi-périnéologie - n° 1, vol. I - mars 2001
contraction paradoxale du sphincter anal
externe peut s’observer ; on parle alors
d’anisme ou de dyssynergie recto-sphinctérienne (figure 8).
L’étude de la compliance rectale
Elle est évaluée par l’enregistrement d’une
courbe pression-volume. On utilise une sonde à
deux voies sur laquelle est monté un ballonnet.
La première voie permet des distensions rectales, tandis que la seconde voie permet l’enregistrement de la pression à l’intérieur du ballonnet. Après inflation rapide du ballonnet
intrarectal, la déformation de la paroi provoquée par la distension entraîne une augmenta-
EMG
a
50 cm H2O
b
c
10 sec
Figure 8. Étude d’un effort de poussée abdominale (È), par enregistrement des pressions
au niveau de l’ampoule rectale (a), de la partie haute (b) et de la partie basse (c) du canal
anal et par enregistrement de l’électromyogramme périnéal (EMG intégré).
L’augmentation des pressions anales et de l’électromyogramme témoigne d’une
contraction paradoxale du sphincter anal externe (anisme).
Correspondances en pelvi-périnéologie - n° 1, vol. I - mars 2001
tion initiale de la pression rectale. Après ce pic
initial, la valeur de la pression diminue rapidement, en 30 à 40 secondes, jusqu’à une pression stable, de valeur sensiblement inférieure,
qui représente la pression d’adaptation de la
paroi rectale à son contenu (figure 9, p. 56).
Plus le volume de distension augmente, plus le
pic initial de pression sera important en amplitude et en durée, et, de la même façon, plus la
tension d’adaptation de la paroi rectale sera
élevée. Lorsque le rectum ne peut plus s’adapter à son contenu, on observe une augmentation importante de la pression rectale qui s’accompagne le plus souvent de douleur. La pente
de la courbe pression-volume ainsi obtenue est
parfois utilisée pour le calcul de la compliance
rectale (dV/dP). Plus souvent, on calcule la
compliance rectale maximale qui est le rapport
du volume rectal maximum tolérable sur la
pression rectale maximale correspondante.
La sensibilité rectale
Elle peut être étudiée pendant l’enregistrement
des réflexes recto-sphinctériens et pendant la
mesure de la compliance rectale. On évalue :
– le volume minimum de perception (B1) qui est
le volume d’air minimal pour lequel une première sensation transitoire est perçue et qui est
normalement inférieur à 20 ml ;
– le volume de perception constante du besoin
(B2) qui est le volume pour lequel la distension
rectale produit une sensation de besoin nette et
permanente ; son seuil varie normalement de
120 ml à 240 ml ;
– le volume maximum tolérable (VMT), c’est-àdire le volume pour lequel le patient demande
spontanément que l’on cesse la distension
compte tenu de la douleur ou de l’inconfort
(B3). Le VMT est compris entre 300 et 450 ml
chez le sujet témoin.
La mesure de la longueur du canal anal
Elle s’effectue par retrait progressif de la sonde
de manométrie du rectum vers la marge anale
et en mesurant le nombre de centimètres pour
lesquels est enregistrée la zone de haute pression correspondant au canal anal. Cette longueur varie de 2,5 à 5 cm (figure 10, p. 56).
Le test d’expulsion d’un ballonnet intrarectal
On demande au patient d’expulser un ballonnet
rectal gonflé de 50 ml à 80 ml d’air. Le ballonnet
doit être large et déformable. La pression intra-
55
E x p l o r a t i o n
rectale est mesurée en même temps de façon à
vérifier l’importance de la poussée abdominale
lors de l’évacuation.
L’électromyographie du sphincter anal
externe au moyen d’électrodes de surface,
couplée à l’enregistrement des pressions,
permet d’étudier l’activité électrique du
sphincter. Cette activité s’élève volontairement ou de façon réflexe lors des distensions
rectales et des augmentations de pression
abdominale. Cette activité disparaît lors de
l’exonération.
Pression rectale
cm H2O
Figure 9. Étude de la compliance rectale. La distension
rectale est faite en injectant dans le ballonnet rectal 30
ml d’air toutes les 60 s. Dans l’exemple représenté, le
sujet ressent un besoin permanent pour un volume de 90
ml. Le volume maximum tolérable est atteint pour un
volume de distension de 210 ml. L’enregistrement de la
pression à l’intérieur du ballonnet montre une
augmentation de pression à chaque fois que l’on injecte
de l’air dans le ballonnet. Cette pression diminue ensuite
rapidement jusqu’à une valeur stable qui représente la
pression d’adaptation du rectum à la distension. La
courbe de la pression d’adaptation du rectum en fonction
du volume permet d’étudier la compliance rectale.
60 sec
90 ml
120 ml
150 ml
180 ml
210 ml
Pression
(cm H2O)
Figure 10. Retrait cm par cm de la sonde de manométrie
anorectale depuis l’ampoule rectale jusqu’à son
extériorisation de l’anus au niveau d’un des ballonnets
d’une sonde Arhan. L’entrée dans le canal anal est
matérialisée par une augmentation de pression (a) ; la
sortie de la sonde correspond au retour de la pression à 0
cm H2O (b). On peut ainsi calculer la longueur du canal
anal.
50 cm H2O
10 sec
a
56
b
Correspondances en pelvi-périnéologie - n° 1, vol. I - mars 2001
LES INDICATIONS
Incontinence anale
L’intérêt de la manométrie anorectale pour la
prise en charge des patients souffrant d’incontinence anale a été souligné lors des recommandations pour la pratique clinique concernant l’incontinence anale (9). La manométrie
permet de répondre à un certain nombre de
questions.
Quelle est la cause de l’incontinence anale ?
S’agit-il d’une incontinence anale par incompétence du système capacitif rectal ou du système
résistif sphinctérien (5) ? L’incontinence peut
être la conséquence d’une diminution de la
compliance rectale, par exemple en cas de rectite (radique, inflammatoire, infectieuse…) ou
après chirurgie rectale. Le rectum, qui a perdu
ses propriétés de distensibilité, est incapable
de s’adapter aux variations de volume. La pression intrarectale reste élevée et dépasse, après
épuisement de la contraction volontaire de
l’anus assurée par un muscle strié et donc fatigable, la pression de repos du canal anal. La
continence n’est plus assurée. Dans le syndrome de l’intestin irritable, une microrectie
fonctionnelle, sans lésion pariétale, est possible, secondaire à l’hypersensibilité rectale.
Cette diminution de la capacité fonctionnelle du
rectum contribue à l’incontinence des formes
diarrhéiques de l’intestin irritable.
Dans ce cas, la manométrie mettra en évidence :
une diminution des volumes de perception
constante, du volume maximum tolérable et une
diminution de la compliance rectale.
La manométrie anorectale peut parfois permettre de dépister une incontinence anale
d’origine neurologique centrale (sclérose en
plaques, lésion médullaire, pathologie dégénérative...) ou périphérique (syndrome de la
queue de cheval, atteinte plexique sacrée...).
Certaines anomalies manométriques, telles que
la modification des réflexes recto-anaux excitateurs, une sensibilité rectale (sans mégarectum
associé) altérée, une perte de la corrélation
entre la durée et l’amplitude des réflexes rectoanaux inhibiteurs et le volume de distension
rectale, associées à une contraction anale
volontaire insuffisante, doivent faire évoquer la
possibilité d’une maladie neurologique responsable du trouble de la continence anale.
Correspondances en pelvi-périnéologie - n° 1, vol. I - mars 2001
Les incontinences anales par incompétence
sphinctérienne isolée sont dues à une neuropathie pudendale et/ou à une lésion du sphincter
anal externe et/ou interne. Les neuropathies
pudendales peuvent être provoquées par des
accouchements difficiles ou par des efforts exonérateurs “intempestifs” avec poussée abdominale exagérée pendant plusieurs années. Les
lésions sphinctériennes sont mises en évidence
par l’échographie endo-anale. Elles sont dues
essentiellement aux séquelles d’accouchement
(même en l’absence de rupture cliniquement
évidente) et de chirurgie proctologique (en particulier fistule et abcès de la marge anale). Il
existe une corrélation entre les pressions
anales et les anomalies échographiques
sphinctériennes (15). Cependant, des anomalies échographiques des deux sphincters s’observent chez plus du tiers des femmes ayant
accouché et indemnes de signes cliniques d’incontinence avec manométrie anorectale normale (7). Ce résultat souligne le fait que la mise
en évidence d’un défect sphinctérien échographique ne permet pas de déduire que les
sphincters anaux sont incompétents : en
dehors de l’examen clinique, seule la manométrie anorectale permet d’évaluer la valeur fonctionnelle du sphincter.
Devant un patient consultant pour incontinence
d’origine sphinctérienne, la manométrie anorectale mettra en évidence une hypotonie anale
au repos (secondaire à une atteinte du sphincter anal interne), une contraction volontaire du
sphincter anal externe insuffisante en amplitude et en durée (secondaire à une atteinte du
sphincter anal externe) et une diminution de la
longueur du canal anal (souvent réduite en cas
de prolapsus rectal). Lorsqu’il existe une incontinence d’origine sphinctérienne, une manométrie anorectale n’est pas indispensable. En
effet, il existe une bonne corrélation entre l’évaluation clinique (par le toucher rectal) et l’évaluation manométrique des pressions anales (4).
Toutefois, la manométrie anorectale a le mérite
de fournir des valeurs chiffrées et objectives
des pressions anales sur lesquelles s’appuieront un éventuel travail de rééducation, ou qui
serviront de référence ultérieure, en particulier
si un traitement chirurgical est envisagé.
Quelle est la gravité de l’incontinence anale ?
Comme l’hypotonie urétrale est un facteur de
mauvais pronostic pour la guérison de l’inconti-
57
E x p l o r a t i o n
nence urinaire, plusieurs études rapportent la
valeur péjorative de l’hypotonie anale, quel que
soit le traitement de l’incontinence anale envisagé (11, 6). Il est possible que, dans les années
à venir, le dépistage d’une hypotonie conduise
les praticiens à proposer d’emblée un traitement chirurgical tel que le sphincter anal artificiel et/ou la graciloplastie électrostimulée.
Le patient est-il à risque d’avoir une incontinence anale ?
Certaines chirurgies colo-proctologiques (anastomose iléo-anale, résection de la charnière
recto-sigmoïdienne, cure de rectocèle, dilatation anale...) sont susceptibles de décompenser la continence anale du sujet. Lorsque ce
type de chirurgie est envisagé, il paraît prudent
de faire un bilan de la fonction sphinctérienne
au préalable et, en particulier, d’apprécier la
fonction sphinctérienne par une manométrie
anorectale.
La constipation
La constipation peut être une constipation de
transit ou une constipation distale avec difficultés d’exonération des matières, efforts de
poussée majeurs et utilisation de manœuvres
digitales. Les troubles de la motricité anorectale sont à l’origine d’une constipation distale.
La manométrie anorectale peut dépister trois
anomalies responsables d’une constipation terminale.
Un mégarectum
Chez un patient présentant un mégarectum
avec distensibilité anormale de la paroi rectale,
l’arrivée de matières dans le rectum ne provoque pas un étirement suffisant des tensiorécepteurs de la paroi rectale pour provoquer
un besoin. Dans ce cas, faute de besoin, le sujet
ne se présente pas à la selle, un fécalome se
constitue qui peut parfois se compliquer d’une
incontinence anale par regorgement.
La manométrie va mettre en évidence une augmentation des volumes de perception seuil, de
perception constante et du volume maximum
tolérable, ainsi qu’une compliance rectale élevée.
Un anisme
Il se traduit par une contraction paradoxale du
sphincter strié de l’anus et de l’ensemble des
muscles périnéaux pendant les efforts d’exonération (figure 8, p. 55) (14). Il est évident que le
58
renforcement des pressions exercées sur le
canal anal pendant l’effort exonérateur gêne
l’évacuation des matières. L’anisme peut être
mis en évidence en demandant au sujet un
effort de poussée abdominale pendant la
manométrie anorectale. On observe ainsi fréquemment une augmentation de la pression
intra-anale qui signe le diagnostic d’anisme. Il
convient cependant d’être prudent avant d’affirmer ce diagnostic. Les conditions de l’examen
ne mettent pas le sujet dans la meilleure situation pour réaliser cet effort de poussée et on
peut être confronté à une inhibition psychologique (crainte de salir la table d’examen) de la
part du patient. Il faut donc réserver le diagnostic d’anisme aux sujets chez lesquels cette anomalie est retrouvée au cours d’un deuxième
examen, après habituation de la technique. Il
faut être également prudent avant d’attribuer
un anisme à un trouble comportemental. La
même augmentation de pression paradoxale du
canal anal au cours d’un effort de poussée peut
être observée en cas de dyssynergie anorectale
striée d’origine neurologique centrale (par
exemple, au cours d’une sclérose en plaques).
Il est rare, mais pas exceptionnel, qu’une telle
anomalie révèle une pathologie neurologique,
surtout en cas de troubles vésico-sphinctériens
associés (2). La présence d’une dyssynergie
associée à une commande volontaire du
sphincter anal externe médiocre ou à un trouble
de la perception du besoin doit conduire à suspecter une pathologie d’origine neurologique.
En cas d’anisme ou de dyssynergie rectosphinctérienne, la manométrie anorectale va
mettre en évidence : une augmentation de la
pression intrarectale associée à une absence de
diminution (voire à une augmentation paradoxale) des pressions, essentiellement au
niveau du sphincter anal externe (figure 8,
p. 55). Cette anomalie peut être associée à une
anomalie des réflexes recto-anaux inhibiteurs
de faible amplitude et/ou de faible durée
secondaire à une contraction du sphincter strié
au milieu de la relaxation du sphincter anal
interne (figure 11, p. 59) (10).
Une hypertonie anale instable
La pression anale de repos est très élevée et
décrit d’importantes variations (figure 4, p. 53).
L’hypertonie anale instable, comme l’anisme,
s’observe souvent associée à un intestin irritable,
dans un contexte anxio-dépressif émaillant sou-
Correspondances en pelvi-périnéologie - n° 1, vol. I - mars 2001
A. Tracé manométrique d’un réflexe recto-anal inhibiteur normal pour
une distension de 50 ml (enregistrement effectué au moyen d’une
sonde de Arhan).
B. Tracé manométrique d’un réflexe recto-anal inhibiteur perturbé par
une contraction réflexe du sphincter anal externe (enregistrement
effectué au moyen d’une sonde à cathéters perfusés chez le même
sujet que celui étudié dans la figure A).
EMG
EMG
a
a
b
b
10 sec
50 cm H2O
50 cm H2O
10 sec
PB
c
c
PB
50 ml
PB
PB
a : Pression intrarectale
b : Pression de repos à la partie haute du canal anal
c : Pression de repos à la partie basse du canal anal
* Renforcement de l’activité électromyographique
** Élévation de pression au cours du relâchement
vent les difficultés des patients à supporter
des événements de vie stressants (3). Ces
deux anomalies peuvent offrir, dans ce
contexte, un signal manométrique permettant de proposer aux patients des séances
de biofeedback, parfois utiles dans leur
prise en charge (12).
RÉFÉRENCES
BIBLIOGRAPHIQUES
Figure 11. Exemple d’interruption d’un réflexe recto-anal inhibiteur par une contraction
inappropriée du sphincter anal externe.
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