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Existe-t-il une place pour la protection des fonctions
cognitives en cancérologie ?
Does there exist a place for the protection of cognitive functions in cancerology?
● S. Séronie-Vivien*
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a protection des différentes fonctions de l’organisme
pouvant être atteintes par les traitements destinés à
combattre la maladie cancéreuse est une démarche
familière à l’oncologue. Cependant, les fonctions concernées
l’ont été car elles possèdent trois caractéristiques :
• Leur atteinte lors de la prise en charge du patient cancéreux
est cliniquement et scientifiquement parfaitement documentée.
• Leur atteinte expose le patient soit à un risque vital (neutropénie, thrombopénie), soit à un handicap irréversible (stérilité,
insuffisance rénale), soit à une altération importante de la qualité de vie (troubles digestifs, anémie).
• Enfin, la compréhension des mécanismes lésionnels en cause
est suffisante pour avoir permis le développement de mesures
prophylactiques ou curatives efficaces, qu’elles soient pharmacologiques (facteurs de croissance hématopoïétiques, anti-émétiques) ou pas (cryoconservation de sperme, hyperhydratations).
Les fonctionnalités ne remplissant pas ces trois critères ne sont
actuellement que peu, voire pas protégées par le thérapeute.
Ainsi au même titre que, par exemple, la protection de la fonction sexuelle dans les deux sexes et de la fonction reproductrice chez la femme, la question de la protection des fonctions
cognitives se pose.
La communauté médicale semble s’accorder, sur la base de
son expérience clinique, sur la réalité d’atteintes de la cognition lors de la prise en charge de patients cancéreux et, en particulier, de femmes atteintes de cancer du sein. Cependant,
l’article de M.E. Chand démontre bien à quel point la mise en
évidence et la caractérisation de ces troubles et de leur impact
sur la qualité de vie des patients ne relève pas encore entièrement de l’Evidence-Based Medicine. Cela résulte essentiellement de la difficulté de standardisation des outils neuropsychologiques à utiliser (voir l’article de L. Laurier) et de l’absence,
à ce jour, d’études suffisamment larges pour évaluer cette problématique.
Si l’on fait (temporairement) abstraction de cet écueil majeur
(dont on peut espérer qu’il sera rapidement surmonté) qu’est la
preuve de l’existence et de l’impact sur la qualité de vie des
troubles cognitifs induits par les traitements anticancéreux, il
n’est pas interdit de s’intéresser à leurs mécanismes d’apparition potentiels dans une optique de prévention. Là encore, de
nombreuses questions restent posées. La base fonctionnelle et
* Institut Claudius Regaud et faculté des sciences pharmaceutiques, 20-24, rue
du Pont-Saint-Pierre, 31052 Toulouse Cedex.
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cellulaire des troubles cognitifs est encore loin d’être parfaitement connue. S’il est probable que l’apoptose des différents
types de cellules nerveuses (neurones, astrocytes) secondaire à
différents stimuli (hypoxie, génération de glutamate, de radicaux libres) et les dommages vasculaires (vascularites, thromboses) jouent un rôle majeur (voir l’article d’A. Benaouich),
les connaissances actuelles sont encore trop parcellaires pour
avoir permis le développement de drogues ayant une efficacité
cliniquement démontrée de protection des fonctions cognitives, y compris en dehors du contexte oncologique (pathologies neuro-dégénératives, épilepsie, schizophrénie). Une des
molécules les plus prometteuses en termes de neuro-protection
et plus largement d’organo-protection est l’érythropoïétine
recombinante (rHuEPO). En effet, outre son activité bien
connue de facteur de croissance de la lignée érythrocytaire, la
rHuEPO a fait, dans les trois dernières années, la preuve de
remarquables propriétés cyto- et organo-protectrices que ce
soit au niveau du système nerveux central et périphérique, de
la rétine, du myocarde et, plus récemment, du rein (1). Cette
activité protectrice est liée :
– à sa capacité à inhiber la transduction intracellulaire des
signaux d’apoptose ;
– à une diminution des processus inflammatoires intracellulaires ;
– à un effet angiogénique ;
– à une capacité de recrutement des progéniteurs cellulaires
(neurones, cardiomyocytes, cellules endothéliales) (1).
De plus, une étude clinique comparant l’évolution des fonctions cognitives chez des patientes traitées pour un cancer du
sein a démontré un avantage de l’administration de rHuEPO
par voie sous-cutanée versus placebo (2). Cependant, la confirmation de cette étude devra attendre la résolution de la controverse ayant vu le jour depuis son initiation, autour de l’impact
de l’administration de rHuEPO sur la survie (3-5).
Si la protection des fonctions cognitives chez les femmes
atteintes de cancer du sein se révèle dans un proche avenir une
nécessité prouvée, nous nous retrouverons donc vraisemblablement confrontés à la difficulté d’une approche pharmacologique. Il ne faudra donc pas omettre d’évaluer les bénéfices de
psychothérapies, en particulier comportementales. En effet,
une méta-analyse récente (6) a démontré l’utilité d’un tel dispositif dans la prise en charge de l’angoisse et de la douleur de
La Lettre du Sénologue - n° 31 - janvier/février/mars 2006
femmes atteintes de cancer du sein, symptômes sans aucun
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doute pourvoyeurs d’altération des fonctions cognitives.
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2. O’Shaughnesssy JA, Vukelja SJ, Holmes, FA et al. Feasibility of quantifying
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3. Littlewood TJ, Bajetta E, Nortier JW et al. Effects of epoetin alfa on hematologic parameters and quality of life in cancer patients receiving nonplatinum
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