d o s s i e r La neuromodulation S3 ! P. Denys* utilisation de stimulations électriques en pathologie urologique n’est pas un sujet récent. Différentes techniques ou sites de stimulation ont été étudiés pour des pathologies aussi diverses que les vessies neurologiques des spina bifida, l’instabilité idiopathique du détrusor, les pollakiuries rebelles ou les rétentions urinaires. Des sites aussi variables que le plancher périnéal, les racines sacrées, la moelle épinière, le détrusor par voie endovésicale ou le nerf dorsal de la verge ont été utilisés pour moduler le comportement vésicosphinctérien et favoriser soit la miction, soit les mécanismes de continence. La plupart des études publiées rapportent des effets intéressants mais qui ont souvent été limités par la faisabilité technique de ces traitements à long terme. C’est à Schmidt et Tanagho, au cours des années 60, que l’on doit les premiers travaux de validation de l’effet d’une stimulation chronique de la racine sacrée S3. Cette technique thérapeutique s’est considérablement développée depuis les années 80, avec l’apparition d’une solution technologique à la fois de stimulation transitoire pour valider l’efficacité intra-individuelle de la stimulation et d’un stimulateur implantable pour la stimulation chronique. La littérature sur ce sujet est très large et hétérogène, et l’on observe souvent que les opinions médicales sur cette nouvelle technique sont divergentes et passionnées. Certains reprochent à cette technique des mécanismes d’action encore peu clairs, des indications tellement variées qu’elles font passer la technique pour un traitement “miracle”. Il est cependant impossible pour les cliniciens qui utilisent cette technique de nier son intérêt pour des patients qui sont parfois transformés, et chez qui la participation d’un effet placebo n’est pas discutable. Pour y voir plus clair, nous allons aborder successivement la place de cette technique dans différentes indications que sont les troubles vésicosphinctériens d’origine neurologique, urologique et anorectale, ainsi que les aspects techniques de la méthode. L’ POUR EN SAVOIR PLUS ... " Bosh JR, Groen J. Treatment of refractory urge incontinence with sacral spinal nerve stimulation in multiple sclerosis. Lancet 1996 ; 348 : 717-9. " Chartier-Kastler E, Bosh R, Perrigot M et al. Long term results of sacral nerve stimulation (S3) for the treatment of refractory urge incontinence related to detrusor hyperreflexia. J Urol 2000 ; 164 : 1476-80. " Chartier-Kastler E, Bussel B, Richard F et al. Urodynamic monitoring during percutaneous sacral nerve neurostimulation in patients with neurogenic detrusor hyperreflexia with detrusor-sphincter dyssynergia. Neuro-Urol Urodyn 2001 ; 20 : 61-71. * Service de rééducation neurologique, hôpital Raymond-Poincaré, 92380 Garches. e-mail : [email protected] 12 UTILISATION DE LA NEUROMODULATION EN PATHOLOGIE NEUROLOGIQUE Il est surprenant de constater la pauvreté de la littérature concernant la stimulation S3 en pathologie neurologique alors que le premier patient traité par Tanagho et Schmidt était un patient neurologique souffrant d’hyperactivité vésicale rebelle. De plus, de nombreuses techniques de neurostimulation ont été au cours du temps utilisées dans cette indication avec des effets aigus tout à fait nets. On peut citer pour exemples la stimulation détrusorienne endovésicale chez les enfants spina bifida, ou bien la suppression de l’hyperactivité de vessie des blessés médullaires par stimulation du nerf dorsal de la verge ou par la stimulation magnétique des racines sacrées. De plus, du fait de la stabilité des troubles vésicosphinctériens cliniques et urodynamiques, ces patients représentent un bon modèle de validation de la méthode éliminant de manière évidente l’effet placebo. La première série de patients a été publiée par Bosh dans le Lancet en 1996 et rapportait l’effet chronique de la neuromodulation dans une population de patients souffrant de pollakiuries et de fuites par impériosités secondaires à une sclérose en plaques. Quatre patients qui souffraient d’incontinence urinaire par impériosité ont été implantés et suivis pendant 2 ans. À 2 ans, l’effet est jugé intéressant puisque, pour des patients résistants au traitement parasympatholytique, 2 sont complètement secs au cours du suivi alors qu’ils avaient au moins 4 fuites par jour. Cette étude a démontré, sur un nombre restreint de patients, que la technique était faisable et pouvait donner de bons résultats sans effets secondaires ni risque pour le patient. Au cours de l’année 2000, l’effet urodynamique aigu a pu être démontré par Chartier-Kastler et al. La méthodologie utilisée était la suivante : le patient, en procubitus, aiguille de stimulation en place dans le trou S3, mais sans stimulation électrique, subissait deux urodynamiques servant à la validation d’une ligne de base stable, Correspondances en pelvi-périnéologie - n° 3, vol. I - 3e-4e trimestres 2001 La neuromodulation puis une autre urodynamique était effectuée après 10 min de stimulation à 10 Hz et 210 µs de largeur de choc, puis enfin une nouvelle urodynamique était effectuée après 10 min d’arrêt de stimulation (figures 1 et 2). Le patient était immobilisé pendant 2 à 3 heures au laboratoire d’urodynamique. Quatorze patients ont été inclus dans cette étude, il s’agit de patients souffrant de pathologie médullaire traumatique (10) ou médicale (4) (sclérose en plaques ou myélite virale). Tous souffraient de fuites par impériosité liées à une hyperactivité de vessie résistante au traitement parasympathicolytique per os qui avait été arrêté pour le test une semaine auparavant. Il n’a pas été retrouvé de Cysto PR 50ml EMG#1 600 EMG uV Pves cmH2O Pabd cmH2O 400 200 0 60 40 20 0 60 40 x u o T 20 0 600 Vinfus 400 ml 200 0 T PB ST n o i t c i M lx m u 1oT 0 2 = o V . x ul om T 1 0 1 = o V . T .Vo B1 T CM M ODM .Vo x u o T T Figure 1. Exploration urodynamique avant neuromodulation test : vessie hyperactive à faible capacité. Cysto 50ml EMG#1 EMG uV Pves cmH2O Vinfus ml 200 100 0 80 60 40 x u o T 20 0 800 600 x u o lT m 1 0 1 = l o V 400 200 0 T ST PB T Vol x lu o mT 1 0 2 = l o V B1 T Vol s e r i R Rit Rit e l r a P xlm u o T10 3 = l o V T Par Vol l m 1 0 4 = l o V Vol Figure 2. Exploration urodynamique pendant neuromodulation test : disparition de l’hyperactivité détrusorienne et restauration de la capacité vésicale fonctionnelle. Correspondances en pelvi-périnéologie - n° 3, vol. I - 3e-4e trimestres 2001 différence significative pour les paramètres étudiés tels que la capacité vésicale maximale, le volume à la première contraction et la pression détrusorienne maximale entre les deux cystomanométries de base. Tous ces paramètres ont été améliorés statistiquement par la stimulation électrique de la racine S3. Parmi ces patients, 10 ont obtenu une capacité vésicale supérieure à 400 ml et 5 ont obtenu ce qui était considéré comme une réponse complète, c’est-à-dire un volume supérieur à 400 ml, à la première contraction. Chez ces 5 patients, la capacité vésicale passe en moyenne de 245 à 540 ml. La pression détrusorienne n’est pas statistiquement diminuée. Aucune relation dans cette petite population n’a été retrouvée avec le niveau de la lésion et son caractère cliniquement complet. Ces premiers résultats étaient tout à fait encourageants et permettaient d’envisager que la neuromodulation S3 exerce dans cette population un effet important, comparable à celui recherché avec des techniques plus lourdes mais parfaitement réversible. Cette technique pouvait donc s’intercaler entre l’échec des parasympathicolytiques et l’entérocystoplastie. L’efficacité chronique de la neuromodulation S3 dans l’indication de l’hyperactivité chronique a été publiée récemment. Neuf femmes souffrant de fuites par impériosité en rapport avec une pathologie neurologique ont été implantées. L’efficacité clinique est bonne puisque toutes les patientes ont considérablement réduit leurs fuites et le nombre de leurs mictions, et 6 sont complètement sèches. Un fait est particulièrement intéressant, l’efficacité on/off urodynamique est maintenue à 6 mois par rapport à la période de test. Par ailleurs, il n’a pas été observé de diminution de l’effet clinique et urodynamique avec le temps, ce qui peut être dû soit à la spécificité de l’indication, soit à des critères d’implantation cliniques et urodynamiques très stricts. La neuromodulation S3 représente une alternative thérapeutique dans les hyperactivités vésicales neurologiques après l’échec des thérapeutiques usuelles. Le test aigu avec la modification significative des paramètres urodynamiques a permis de valider son effet. En utilisant des critères de sélection stricts, l’efficacité chronique est satisfaisante à long terme sans épuisement de l’effet et est bien corrélée aux résultats de l’urodynamique. ! 13