C A S C L I N I Q U E Tératome thyroïdien. À propos d’un cas Teratoma of the thyroid gland: one case report ● A. Oudidi*, M.N. El Alami* Résumé : Le tératome thyroïdien est une malformation tumorale vestigiale rare, contenant des dérivés plus ou moins différenciés, à potentialité maligne, des trois feuillets embryonnaires. Il pose le problème d’une exérèse complète pour le chirurgien, et celui de la recherche d’éléments immatures pour l’anatomopathologiste. Mots-clés : Thyroïde - Tératome - Chirurgie. Summary: The thyroid teratoma is a rare embryonic tumoral malformation containing more or less differentiated derivatives, with malignant potentiality, of the three embryonic layers. The difficulty for the surgeon is to realize a complete excision of the tumor, and for the anatomopathologist to verify if there are immature elements. Keywords: Thyroid - Teratoma - Surgery. e tératome thyroïdien est une malformation tumorale vestigiale rare, contenant des dérivés plus ou moins différenciés, à potentialité maligne, des trois feuillets embryonnaires (1). La plupart du temps, il est situé dans les gonades, le long de la colonne vertébrale, surtout dans la région sacrée et dans le médiastin. Sa localisation thyroïdienne est rare, et elle se caractérise par son pronostic redoutable chez l’adulte. L CAS CLINIQUE Monsieur M., 58 ans, jusque-là bien portant, consulte dans le service ORL pour une tuméfaction cervicale antérieure qui remonte à l’enfance et qui a rapidement augmenté de volume au cours des sept derniers mois. À l’examen, on note une tuméfaction basicervicale antérieure paramédiane gauche, d’environ 5 cm de diamètre, de consistance dure, mobile à la déglutition mais fixe par rapport au plan profond, sans signes d’envahissement cutané. La laryngoscopie montre un discret refoulement de l’axe laryngotrachéal vers la droite, sans envahissement muqueux. Le dosage hormonal ne révèle pas de dysthyroïdie. L’échographie cervicale met en évidence une thyroïde augmentée de volume qui constitue le siège d’une formation nodulaire isthmolobaire gauche, très hétérogène et mal limitée, d’environ 6 cm de grand axe. L’examen tomodensitométrique confirme l’existence d’une masse isthmolobaire gauche, mesurant 5 cm de grand axe, mal limitée et de structure hétérogène, refoulant la trachée à droite et l’axe vasculaire gauche en dehors. Par ailleurs, il n’a pas été objectivé d’adénopathies cervicales (figure). * Service ORL, CHU Hassan-II, Fès, Maroc. Figure. Refoulement laryngotrachéal par une lésion isthmolobaire gauche, hétérodense, avec nécrose centrale. L’intervention consiste en une cervicotomie exploratrice, de type Kocher, qui met en évidence une masse développée presque exclusivement aux dépens du lobe gauche de la thyroïde, avec un prolongement isthmique, mesurant 6 cm de long, de consistance dure, régulière et blanchâtre, infiltrant les muscles soushyoïdiens et sans prolongement médiastinal. La face antérieure du premier et du deuxième anneau trachéal est soufflée par la lésion. L’examen anatomopathologique extemporané retrouve La Lettre d’Oto-rhino-laryngologie et de chirurgie cervico-faciale - no 301 - novembre-décembre 2005 25 C A S C L I un revêtement épidermique kératinisé avec des annexes pilosébacées et des îlots cartilagineux, faisant évoquer une lésion tératomateuse. Une thyroïdectomie totale ainsi qu’un prélèvement ganglionnaire médiastino-récurrentiel gauche sont réalisés. L’examen macroscopique intéresse une pièce de thyroïdectomie totale pesant 550 g, mesurant 6/5/6 cm, d’aspect blanchâtre et hétérogène. Le parenchyme thyroïdien est le siège d’une réaction fibreuse mutilante et d’une réaction granulomateuse riche en cellules à corps étrangers. La formation tumorale, multitissulaire, est composée de tissus adipeux, épidermique, mésenchymateux et cartilagineux matures sans atypies. La coque tumorale est constituée d’un tissu fibrineux dense, comportant un revêtement épidermique kératinisé avec des annexes pilosébacées et des îlots cartilagineux. Les ganglions étudiés sont indemnes. L’absence de signes de malignité ou d’immaturité au niveau des tissus examinés permet de conclure à un tératome mature de la thyroïde. Le bilan d’extension clinique et paraclinique à la recherche d’autres localisations est négatif. L’évolution postopératoire immédiate est bonne et le patient sort une semaine après l’intervention. Le recul est de 14 mois. DISCUSSION Les tératomes sont des néoplasies vraies, composées de multiples tissus de nature étrangère à la région dans laquelle ils se développent (Willis). Le siège thyroïdien est rare et le plus souvent bénin chez l’enfant. Il se distingue, chez l’adulte, par son extrême rareté et son potentiel malin, tant local qu’à distance (2, 3). Depuis la première observation rapportée par Hess en 1854, environ 130 cas ont été publiés dans la littérature mondiale, avec une grande fréquence des formes infantiles et une nette prédominance féminine, le sex-ratio étant de 2/1 (1, 2). La présence de tissu embryonnaire se développant au niveau de la thyroïde soulève de nombreuses hypothèses étiopathogéniques : Kimler et Muth (3) remarquent que les tératomes se développent à partir de cellules pluripotentes, ce qui explique que la plupart soient retrouvés dans les organes de reproduction (gonades). Ils soulignent parallèlement la difficulté de situer l’origine exacte de telles cellules au niveau de la thyroïde ainsi que la prolifération occasionnelle en tumeur tératomateuse. Pour Weaver (4), cela n’expliquerait pas la possibilité de tératomes cervicaux ou faciaux unilatéraux, et il suggère le déplacement de cellules multipotentes ultérieurement différenciées à partir de l’organisation primaire selon des lignes spécifiques et indépendantes de leur position. Ces cellules apparaîtraient comme transplantées et échappant à l’organisateur primaire. Le mode de révélation du tératome thyroïdien mature est progressif, avec un délai moyen de six mois. La tumeur est le plus souvent volumineuse et de croissance rapide, pouvant atteindre jusqu’à 20 cm (1, 4). On décrit le plus souvent une tumeur de grande taille, arrondie ou ovoïde, bien limitée, d’aspect uni- ou polylobé, de siège isthmique, à débord généralement unilatéral (5). Le cliché thoracique de face et de profil permet de vérifier l’absence d’extension médiastinale (4). À l’examen tomodensitométrique (TDM), ces tumeurs ont généralement une forme bien circonscrite, avec une capsule souvent épaisse, parfois calcifiée 26 N I Q U E (qui peut se rehausser à l’injection de produit de contraste). Leur contenu est variable, pouvant comporter des éléments liquidiens, graisseux, solides ou calcifiés. L’association de ces éléments rend hautement probable le diagnostic de tératome, mais ils sont rarement tous présents (6). Certains tératomes kystiques présentent un niveau graisse-liquide également très suggestif du diagnostic (6). Rappelons ici la valeur pathognomonique, pour le diagnostic de tératome, de la présence d’éléments organoïdes (dents, poils, os). Les adhérences aux structures de voisinage sont fréquentes ; elles ne signent pas pour autant la malignité, mais rendent difficile l’exérèse chirurgicale (3). L’imagerie par résonance magnétique (IRM), avec ses intensités de signaux spécifiques, apporte des informations équivalentes, voire supérieures à celles fournies par le scanner quant au caractère multitissulaire de la lésion (hypersignal de la graisse, absence de signal des calcifications et signaux d’intensité variable pour les autres structures). Les examens biologiques n’ont pas de spécificité (5). Le dosage de l’alphafœtoprotéine et de la bêtagonadotrophine chorionique semble ici indispensable chez l’adulte et d’emblée pour orienter vers un contingent immature, puisque le tératome mature, par définition, ne sécrète pas ces marqueurs (5, 6). Macroscopiquement, il s’agit d’une tumeur le plus souvent mal limitée, hétérogène, avec des remaniements nécrotico-hémorragiques liés au volume tumoral. Elle est le plus souvent mal limitée, refoulant l’axe laryngotrachéal. L’examen extemporané peut confirmer la malignité, sans pour autant préciser le type de la tumeur (1). L’histologie montre une prolifération cellulaire pouvant dériver des trois feuillets embryonnaires, avec une participation prédominante des contingents neuroïde et mésenchymateux immatures. La prolifération cellulaire est à différents degrés de maturation. Certains groupements tissulaires se reproduisent plus souvent et conditionneraient le pronostic de la lésion (1). L’hypothèse d’une métastase thyroïdienne d’un autre tératome malin doit être évoquée et faire rechercher une localisation testiculaire, ovarienne, médiastinale ou rétropéritonéale. Le traitement repose sur une chirurgie première (4, 6), aussi large que possible, suivie, en cas de malignité, d’une chimiothérapie et d’une radiothérapie. La chimiothérapie peut être instaurée d’emblée en cas de tumeurs germinales malignes, et adaptée en fonction de l’évolution des marqueurs tumoraux (7). Celle-ci est essentiellement à base de phosfamide, de vincristine et d’actinomycine D, instaurée en trois cures, avec bilan d’évaluation à la fin du traitement. La radiothérapie à raison de 50 Gy délivrée sur le site tumoral et sur le médiastin supérieur est entreprise en cas de récidive tumorale (6). Les facteurs influençant l’évolution sont l’âge du patient, la taille tumorale et la présence d’un contingent neuroïde immature (1, 3). CONCLUSION Le tératome de la thyroïde garde une mortalité et une morbidité préoccupantes. Le souci pour le chirurgien est de réaliser l’exérèse complète de la tumeur, et, pour l’anatomopathologiste, de rechercher un contingent immature au sein de cette tumeur, dont la présence conditionne le pronostic et les traitements complémentaires. ■ La Lettre d’Oto-rhino-laryngologie et de chirurgie cervico-faciale - no 301 - novembre-décembre 2005 R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S 4. Weaver L. Teratomas of the head and neck. Surg Forum 1976;27:539-42. de la thyroïde. JF ORL 2002;51:289-92. 5. Goeau-Brissoniere O, Tavakoli R, Franc B, Goupil A, Renier JF, Patel JC. Les tératomes de la thyroïde de l’adulte. Rapport d’un cas et revue de la littérature. J Chir 1989;126:1-4. 2. Cudennec YF, Trannoy P, Briche T. Les tératomes thyroïdiens de l’adulte. Rev Laryngol Otol Rhinol 1992;113:2213-5. 6. April MM, Ward RF, Garelick JM. Diagnosis, management, and follow-up of congenital head and neck teratomas. Laryngoscope 1998;108:1398-401. 3. Kimler SC, Muth WF. Primary malignant teratoma of thyroid. Cancer 1978;42:311-7. 7. Wakhuku A, Wakhulu AK. Head and neck teratomas. Am Surg Int 2000;16: 1. Sefiani S, Amarti A, Maher M, Benkiran L, Boulaich M, Saidi A. Tératome 333-7. Éditions Flammarion SAS, page 27 La Lettre d’Oto-rhino-laryngologie et de chirurgie cervico-faciale - no 301 - novembre-décembre 2005 27