Nouvelles approches © Réduction de l’insulinorésistance et prise de poids : le paradoxe des thiazolidinediones L es thiazolidinediones arrivent en France et en Europe ; elles sont déjà commercialisées aux États-Unis depuis plusieurs mois. Deux nouvelles molécules – rosigli® tazone (Avandia®) et pioglitazone (Actos ) – désormais disponibles succèdent à la troglitazone, dont la commercialisation au Royaume-Uni et aux États-Unis a été stoppée pour cause d’intolérance hépatique (61 morts par insuffisance hépatique et 7 transplantations hépatiques en rapport avec la prescription de ce médicament aux États-Unis [1]). En réalité, la troglitazone n’était pas la première molécule de cette “nouvelle” classe de médicaments : au début des années quatre-vingt, la ciglitazone avait donné lieu à de nombreuses études expérimentales, mais son développement chez l’homme avait été arrêté aux premiers essais de phase II en raison de sa toxicité hépatique. Donc, même si la rosiglitazone et la pioglitazone ont déjà été administrées à plus d’un million de personnes dans le monde, il faudra surveiller les “enzymes hépatiques” avant et pendant la prescription de ces médicaments, surtout dans notre pays où le foie des patients est souvent rendu susceptible par l’alcool éthy- PhotoDisc M. Marre*, É. Larger* lique. Néanmoins, tous les médicaments efficaces ont des effets indésirables, et les chimistes ont déjà largement amélioré le rapport efficacité/tolérance de ces molécules par rapport aux premières de cette classe médicamenteuse. La question de la tolérance des thiazolidinediones est certes importante, mais elle n’est pas centrale : celle qui domine a trait à l’incertitude actuelle sur les bénéfices cliniques que l’on peut attendre de l’utilisation au long cours de ces médicaments, incertitude qui tient à leurs propriétés pharmacologiques. Modes d’action Les thiazolidinediones sont des agonistes des récepteurs gamma des proliférateurs peroxysomaux nucléaires – γ-PPAR – abréviation suffisamment absconse pour que les diabétologues cliniciens (et même peut-être aussi les biochimistes) puissent y dissimuler confortablement l’insuffisance de leurs connaissances… En termes de pharmacologie, les données expérimentales et cliniques indiquent que les thiazolidinediones réduisent de façon importante, et peut être pas de * Service d’endocrinologie et diabétologie, hôpital Bichat-Claude Bernard, Paris. façon équivalente pour toutes les thiazolidinediones, les principaux composants du syndrome d’insulinorésistance (ou plutôt, d’insuffisance d’action de l’insuline) : ✓ Premièrement, la glycémie baisse chez les diabétiques parce que l’action de l’insuline est améliorée comme l’indiquent les résultats des épreuves de glucose-clamp. Les concentrations d’insuline baissent en conséquence. Cette action se retrouve chez les sujets intolérants au glucose et chez les sujets normaux. Comme les PPAR-γ sont exprimés de façon prédominante dans le tissu adipeux, c’est à cet endroit que l’action de l’insuline s’améliore, d’où une baisse des acides gras libres circulants, une réduction de l’activité du cycle de Randle (la compétition entre la captation du glucose et des acides gras libres sous l’effet de l’insuline), et une augmentation de la masse de tissu adipeux. Au bout de quelques mois de traitement, les sujets adultes prennent quelques kilogrammes, dont une bonne partie en tissu adipeux (2). Cependant, cette masse adipeuse serait redistribuée de façon appropriée, puisque la graisse viscérale diminuerait au profit de la graisse sous-cutanée. Ainsi, l’obésité, même si elle se développe, serait moins androïde. ✓ Deuxièmement, la baisse du HDLcholestérol et l’élévation des triglycérides circulants sont des composants importants 254 Act. Méd. Int. - Métabolismes - Hormones - Nutrition, Volume IV, n° 6, décembre 2000 du risque cardiovasculaire des diabétiques de type 2. Ces anomalies sont corrigées par la prescription des thiazolidinediones, mais il se pourrait que certaines d’entre elles augmentent les taux de LDL-cholestérol circulants, ce qui est évidemment moins désirable. ✓ Dernier élément, et non le moindre, de la pharmacologie des thiazolidinediones, leur effet cardiovasculaire : une baisse de la pression artérielle sous l’effet de la troglitazone chez les sujets insulinorésistants non diabétiques a été rapportée par Olefsky et son équipe dès 1994 (3). Même si cet effet hypotenseur est variable d’une thiazolidinedione à l’autre, il paraît clair pour certains. De façon concomitante à la baisse de pression, le pouls accélère et, dernier élément, quelques kilogrammes d’eau et de sel s’accumulent, contribuant à la prise de poids déjà signalée sous ces médicaments. Cela suggère pourtant qu’un effet vasodilatateur artériel (semblable à celui que produisaient l’hydralazine et le minoxidil) est induit. Dans des modèles expérimentaux, le cœur peut s’hypertrophier sous thiazolidinediones, et il a été rapporté une augmentation d’incidence de l’insuffisance cardiaque sous rosiglitazone lors d’essais où elle était utilisée en association avec l’insuline (4). Donc, les thiazolidinediones agissent très probablement sur la pression artérielle, un facteur de risque cardiovasculaire majeur trop souvent présent chez les diabétiques de type 2 qui est un composant majeur du syndrome d’insulinorésistance, mais le mode d’action – la vasodilatation artérielle périphérique prédominante – peut avoir des conséquences non souhaitables. Néanmoins, à court terme, des marqueurs de risque cardiovasculaire dépendant de la pression artérielle, comme la microalbuminurie, sont améliorés par l’administration du thiazolidinedione (5). Conclusion Les thiazolidinediones arrivent à un moment critique de l’histoire thérapeutique du diabète de type 2 (6). Grâce à l’étude UKPDS, les médecins disposent enfin d’une justification à leurs tentatives de réduction de l’hyperglycémie des diabétiques de type 2. Mais les bénéfices mesurés sont ténus, en particulier en ce qui concerne la réduction du risque cardiovasculaire attribuable à la réduction de l’hyperglycémie. Or, c’est ce risque qui domine le pronostic de ces sujets. Pourquoi ? Certainement parce que les moyens d’agir sur l’hyperglycémie étaient peu nombreux lorsque l’UKPDS a été mise en place. À l’instar de ce qui s’est passé dans le domaine de l’hypertension artérielle, où l’incidence des conséquences graves a diminué de façon notable lorsque plusieurs classes médicamenteuses ont pu être utilisées pour éviter la remontée jusqu’alors inexorable des chiffres de pression, il faut envisager un traitement de l’hyperglycémie du diabète de type 2 plus intensifié grâce à la combinaison de plusieurs classes médicamenteuses. Dans ce contexte, l’arrivée d’une quatrième classe de médicaments antidiabétiques doit être considérée de façon positive. Mais c’est l’obligation des médecins (en particulier des spécialistes universitaires dont c’est la mission) de mettre en place, avec les industriels et les instances publiques concernés, les essais thérapeutiques qui, à long terme (mais, cinq ans, c’est vite écoulé), permettront de clarifier le bénéfice que peuvent attendre les patients d’une pilule dont les effets seraient, selon l’humeur du spéculateur, maléfiques (le poids, le LDL-cholestérol, la surcharge cardiaque) ou bénéfiques (la glycémie, le HDL-cholestérol, la pression artérielle). Références 1. Bailey CJ. The rise and the fall of troglitazone. Diabet Med 2000 ; 17 : 414. 2. Day C. Thiazolidinediones : a new class of antidiabetic drugs. Diabet Med 1999 ; 16 : 179-92. 3. Nolan JJ, Ludvik B, Beerdsen P, Olefsky J. Improvement in glucose tolerance and insulin resistance in obese subjects treated with troglitazone. N Engl J Med 1994 ; 331 : 1188-93. 4. Avandia (rosiglitazone) : Summary of product characteristics. Welwyn Garden City : Smithkline Beecham Pharmaceuticals, 2000. 5. Imano E, Kanda T, Nakatani Y et al. Effect of troglitazone on microalbuminuria in patients with incipient diabetic nephropathy. Diabetes Care 1998 ; 21 : 2135-9. 6. Krentz AJ, Bailey CJ, Melander A. Thiazolidinediones for type 2 diabetes : new agents reduce insulin resistance but need long term clinical trials. Br Med J 2000 ; 321 : 252-3. Les articles publiés dans “Métabolismes-Hormones-Nutrition” le sont sous la seule responsabilité de leurs auteurs. Tous droits de reproduction, d'adaptation et de traduction par tous procédés réservés pour tous pays. © octobre 1997 - Médica-Press International - groupe ALJAC Imprimé en France - Differdange S.A. - 95100 Sannois - Dépôt légal 4e trimestre 2000 Act. Méd. Int. - Métabolismes - Hormones - Nutrition, Volume IV, n° 6, décembre 2000 255