MISE AU POINT La polyneuropathie du syndrome POEMS Polyneuropathy in POEMS syndrome T. Lenglet* Un peu d’histoire La première description d’un syndrome POEMS a été rapportée en 1938 par l’Allemand L. Scheinker à l’issue des données autopsiques d’un patient âgé de 39 ans et présentant un plasmocytome solitaire associé à une polyneuropathie sensitivo-motrice et à des anomalies cutanées (1). La majorité des publications sont ensuite venues du Japon où l’incidence du syndrome POEMS serait la plus grande et où il est encore régulièrement rapporté sous le terme de syndrome de Crow-Fukase. Ainsi, en 1956, R. Crow a établi un lien complexe entre la survenue d’une dyscrasie plasmocytaire et d’une polyneuropathie à partir de la description de 2 patients qui, outre des lésions de myélome ostéosclérotique et une neuropathie, présentaient des symptômes à type de mélanodermie, d’hippocratisme digital et d’œdèmes des chevilles (2). Par la suite, plusieurs auteurs ont insisté sur la surincidence d’une polyneuro­pathie dans le contexte de myélome ostéosclérotique (environ 50 % des patients) par opposition au myélome multiple (1 à 8 % des patients), laissant présager des pathologies distinctes. La survenue de manifestations systémiques associées à la neuro­ pathie dans le contexte de lésions ostéosclérotiques a été précisée dans les années 1970 dans une étude de H. Iwashita et al. portant sur 30 patients (3). C’est en 1980 que P.A. Bardwick a proposé d’individualiser l’entité sous l’acronyme POEMS (polyneuropathie, organomégalie, endocrinopathie, protéine monoclonale et anomalies cutanées [skin changes]). Par la suite, les connaissances sur la pathologie ont essentiellement progressé grâce à l’analyse de trois grandes séries : celle de T. Nakanishi et al. à propos de 102 patients japonais, celle progressivement enrichie à 99 patients de la Mayo Clinic et récemment rapportée par A. Dispenzieri et al., et la série française de 25 patients de M.J. Soubrier et al. (4-6). Critères diagnostiques du syndrome POEMS Ils sont régulièrement revisités, mais la polyneuro­ pathie y conserve une place de choix. En 1992, G.D. Miralles et al. avaient souligné la coïncidence évolutive et pronostique entre une dyscrasie lymphoplasmocytaire compliquée d’une polyneuropathie et le syndrome POEMS “complet” selon les critères de Bardwick (Bardwick PA, Zvaifler NJ, Gill GN et al. Medicine 1980;59[4]:311-22). Ils introduisaient ainsi la possibilité d’un continuum entre les deux pathologies et l’existence d’un syndrome POEMS “incomplet” (7). En 2003, l’étude rétrospective des trois principales séries a permis à A. Dispenzieri et al. d’établir une liste de critères diagnostiques censés écarter des diagnostics différentiels hématologiques de type gammapathie monoclonale de signification indéterminée (MGUS), myélome multiple, maladie de Waldenström ou encore amylose systémique primaire, et de porter rapidement le diagnostic de syndrome POEMS. L’­accent était porté sur la polyneuropathie et la dyscrasie plasmocytaire, critères majeurs et constants dont l’association à un signe mineur (parmi les lésions ostéosclérotiques, la maladie de Castleman, l’organo­ mégalie, les signes cutanés et endocriniens, ou le syndrome œdémateux) était nécessaire et suffisante pour le diagnostic de syndrome POEMS. Ces critères diagnostiques ont rapidement été remis en cause du fait d’une spécificité imparfaite (8), et de l’­absence de référence au Vascular Endothelial Growth Factor (VEGF), facteur pathogène caractéristique du syndrome (cf. Pathogénie de la polyneuropathie, p. 264) et dont l’élévation est quasi systématique au cours du syndrome POEMS (9). À partir de ces données, A. Dispenzieri a tout récemment émis de nouvelles recommandations (tableau). Désormais, le diagnostic repose sur l’association indispensable des deux critères majeurs (polyneuro­pathie et dyscrasie * Fédération de neurophysiologie clinique, hôpital de la Pitié-Salpêtrière, Paris. La Lettre du Neurologue Nerf & Muscle • Vol. XIII - n° 9 - octobre 2009 | 259 Résumé Mots-clés Syndrome POEMS Polyneuropathie démyélinisante chronique Perte axonale VEGF Électroneuromyogramme Le syndrome POEMS est un syndrome paranéoplasique rare, secondaire à une dyscrasie plasmocytaire. Il est à l’origine d’une atteinte multisystémique variable, mais dont la neuropathie périphérique est une manifestation constante et le plus souvent inaugurale, lui conférant un rôle diagnostique clé. Sa présentation habituelle est celle d’une polyneuropathie démyélinisante ou axonale et démyélinisante dont les troubles sensitifs symétriques, puis sensitivo-moteurs débutent et dominent au niveau des membres inférieurs. Elle partage, tant d’un point de vue clinique qu’électrique, des points communs avec la polyneuropathie inflammatoire démyélinisante chronique conduisant à de fréquents retards diagnostiques et thérapeutiques. Alors que l’arsenal de traitements – y compris curatifs – n’a de cesse de s’enrichir, ce retard apparaît préjudiciable compte tenu du mode évolutif singulier de la polyneuropathie marqué par la survenue, après un délai variable, d’une perte axonale sévère et rapidement évolutive, responsable d’un handicap fonctionnel irréversible. SUMMARY Tableau. Critères diagnostiques en vigueur pour le diagnostic de syndrome POEMS (34). POEMS syndrome is a rare paraneoplastic syndrome secondary to a plasma cell dyscrasia in which polyneuropathy is most often the first symptom, conferring it a key role for the diagnosis. It usually presents itself as a demyelinating or axonal and demyelinating polyneuropathy with distal symmetric sensorymotor disorder beginning in the lower limbs. It shares some clinical and electrical characteristics with chronic inflammatory demyelinating polyneuropathy leading to frequent misdiagnosis. Delayed treatments are yet harmful as polyneuropathy associated with POEMS symptoms is marked by the occurrence, after a variable phase, of a severe axonal loss responsible for a permanent functional disability. Critères majeurs 1. Polyneuropathie 2. Gammapathie monoclonale (chaîne légère lambda) 3. Lésions ostéosclérotiques 4. Maladie de Castleman 5. Élévation du VEGF Critères mineurs 6. Organomégalie (splénomégalie, hépatomégalie ou adénomégalie) 7. Syndrome œdémateux (œdèmes des membres inférieurs, épanchement pleural ou ascite) 8. Endocrinopathie (surrénales, thyroïde, hypophyse, gonades, parathyroïdes, pancréas) 9. Signes cutanés (mélanodermie, hypertrichose, angiomes gloméruloïdes, acrocyanose, ongles blancs) 10. Œdème papillaire 11. Thrombocytose/polycythémie Autres signes Hippocratisme digital, amaigrissement, hyperhydrose, hypertension artérielle pulmonaire, événements thrombotiques, diarrhée, hypovitaminose B12 Associations possibles Arthralgies, cardiomyopathie (dysfonction systolique), fièvre Keywords POEMS syndrome Chronic demyelinating polyneuropathy Axonal loss Electrodiagnosis Le diagnostic repose sur (1 + 2) + (au moins 1 critère parmi 3 à 5) + (au moins 1 critère parmi 6 à 11). plasmocytaire), d’un critère majeur supplémentaire parmi les lésions ostéosclérotiques, la maladie de Castleman et l’élévation du VEGF. Un critère mineur doit enfin également être associé, parmi lesquels l’organomégalie, l’endocrinopathie, les anomalies cutanées, le syndrome œdémateux, l’œdème papillaire, la thrombocytose ou la polycythémie. Cela dit, le débat sur les critères diagnostiques n’est peut-être pas clos, puisqu’il a tout récemment été rapporté un premier cas de manifestations systémiques et cutanées classiques du syndrome POEMS couplées à une élévation franche du VEGF, mais en l’absence de polyneuropathie tant d’un point de vue clinique qu’électrique (10)... Présentation clinique de la polyneuropathie, signe inaugural du syndrome POEMS Tenir compte des signes extraneurologiques Le syndrome POEMS touche 2 hommes pour 1 femme avec un âge moyen de survenue situé entre 260 | La Lettre du Neurologue Nerf & Muscle • Vol. XIII - n° 9 - octobre 2009 40 et 60 ans (5). Cependant, des sujets jeunes, voire des adolescents, peuvent être concernés (11). La polyneuropathie constitue dans l’immense majorité des cas le signe inaugural (4-6). Le neurologue a donc un rôle clé dans la démarche diagnostique de syndrome POEMS : c’est lui qui le plus souvent initiera et orientera le bilan étiologique de cette polyneuro­pathie. L’installation de la neuropathie est le plus souvent lente (plusieurs mois), mais elle s’effectue parfois de façon rapidement progressive sur quelques semaines. Des débuts sous la forme de poussées rémittentes isolées ont été exceptionnellement évoqués, mais ces dernières sont vraisemblablement influencées par les thérapeutiques employées (12). La neuro­ pathie débute par un déficit sensitif symétrique distal conjuguant troubles de la sensibilité superficielle et profonde (ataxie proprioceptive) avec aréflexie, le tout initialement limité aux membres inférieurs. Dans notre expérience, les douleurs inaugurales des pieds à type de brûlures sont fréquemment évoquées par les patients, alors que A. Dispenzieri et al. considèrent la neuropathie comme rarement douloureuse (5). Le trouble peut rester durablement sensitif pur (13), avant de s’associer à un déficit moteur des membres inférieurs à début symétrique distal. Un pattern initial proximal de faiblesse motrice n’a ainsi été qu’exceptionnellement décrit, et parfois MISE AU POINT attribué à une myopathie inflammatoire aspécifique d’évolution favorable avec le traitement du syndrome POEMS, ou à une imprégnation corti­ sonique prolongée (14). En l’absence de traitement, l’évolution se fera progressivement vers une atteinte des 4 membres pouvant aller jusqu’à la tétraplégie. L’atteinte des nerfs crâniens (si l’on exclut la survenue fréquente d’un œdème papillaire) n’a été que très rarement rapportée (4), de même que celle du système nerveux autonome (15). En revanche, la survenue d’une insuffisance respiratoire restrictive ne serait pas inhabituelle et devrait faire l’objet d’un dépistage systématique (16). Celle-ci pourrait en effet rendre compte d’une fragilité respiratoire particulière des patients présentant un syndrome POEMS vis-à-vis de thérapeutiques agressives telles que l’autogreffe. Il convient d’étendre cette description clinique aux données de l’étude du liquide céphalo-rachidien (LCR). Elle met constamment en évidence une hyperprotéinorachie sans cellule modérée dépassant exceptionnellement 3 g/l (17), ce qui contribue à orienter vers un diagnostic erroné de polyradiculonévrites inflammatoires démyélisantes chroniques (PIDC). La prise en compte par le praticien des éléments extraneurologiques du syndrome POEMS est ainsi d’une importance capitale dans l’optique de favoriser la rapidité du diagnostic. Au moment de leur première consultation pour la neuropathie, la majorité des patients présentent en effet des signes cliniques de syndrome POEMS, dont certains tels que les œdèmes des membres inférieurs, la lipoatrophie faciale dans un contexte d’amaigrissement, l’angiomatose gloméruloïde spécifique du syndrome POEMS (18), ou encore l’hypertrichose sont à la fois d’identification facile et fortement évocateurs du diagnostic (figure). Le simple interrogatoire indique parfois la préexistence de lésions osseuses condensantes ou d’une gammapathie monoclonale indiquant la réalisation rapide d’un bilan systémique. chronique (deux tiers des cas), et la seconde une polyneuropathie démyélinisante chronique (un tiers des cas). Ces 2 patterns électrophysiologiques, sans être précisément décrits, sont évoqués dans des proportions semblables dans la série de M.J. Soubrier et al. (6). La polyneuropathie démyélinisante se caractérise par une démyélinisation marquée (vitesse de conduction tronculaire [VCT] médiane : 30 m/s). Celle-ci s’avère relativement homogène sur le nerf et d’un nerf à l’autre. S’y associent parfois des aspects de A B D C Présentation électrique de la polyneuropathie : 2 patterns distincts À partir des critères dérivés de ceux de l’AAN et appliqués à 13 patients vus dans le service entre 1989 et 2004, nous avons pu distinguer deux présentations électrophysiologiques de la neuropathie du syndrome POEMS (19). La plus fréquente est une polyneuropathie mixte axonale et démyélinisante Figure. Exemples de manifestations cliniques dont l’association à une polyneuropathie doit faire évoquer l’hypothèse d’un syndrome POEMS. A. Œdèmes des membres inférieurs. B. Lipo-atrophie faciale. C. Angiomes gloméruloïdes sous la forme d’une “efflorescence de taches rubis”. D. Hypertrichose visible sur les phalanges et la face antérieure des genoux. (Remerciements au Dr J.C. Corvol pour les illustrations). La Lettre du Neurologue Nerf & Muscle • Vol. XIII - n° 9 - octobre 2009 | 261 MISE AU POINT La polyneuropathie du syndrome POEMS dispersion temporelle, signes d’une désynchronisation des potentiels d’action secondaire à une hétérogénéité des vitesses de conduction au sein des fibres et probablement en rapport ici avec un processus de démyélinisation et de remyélinisation chronique. Cette forme de la neuropathie ne s’associe, en général, qu’à peu de manifestations extraneurologiques du syndrome POEMS, ce qui contribue à en rendre le diagnostic difficile. La polyneuropathie mixte se caractérise par une démyélinisation nettement plus modérée (VCT médiane : 41 m/s), volontiers plus hétérogène d’un nerf à l’autre et le long du nerf, et rarement associée à la mise en évidence de blocs de conduction. Ces derniers siègent essentiellement dans les segments les plus proximaux des nerfs, ce qui expliquerait que, dans les séries publiées où l’étude de conduction étagée est limitée aux segments distaux, ils soient considérés comme exceptionnels, voire absents (20, 21). Diagnostics différentiels Le contexte de l’apparition très lentement progressive d’un déficit distal moteur et sensitif à tous les modes couplé à une polyneuropathie franchement démyélinisante et homogène peut parfois faire envisager le diagnostic de neuropathie de type CharcotMarie-Tooth (CMT), dans une forme démyélinisante de révélation tardive (CMT de type 1). Malgré tout, l’absence d’antécédents familiaux, le caractère douloureux de la neuropathie et, d’un point de vue électrophysiologique, la mise en évidence d’aspects de dispersion temporelle et/ou de blocs de conduction et la relative préservation des potentiels sensitifs sont autant d’éléments de nature à remettre en cause un diagnostic soupçonné de CMT. Dans notre expérience cependant, le diagnostic différentiel le plus souvent évoqué au stade d’une première évaluation clinico-électrophysiologique est celui d’une PIDC associée ou non à une gammapathie monoclonale “de signification indéterminée” ou, plus exceptionnellement, d’une forme subaiguë de syndrome de Guillain-Barré. Concernant la PIDC, il s’agit là aussi d’une neuropathie diffuse sensitivomotrice touchant les 4 membres, présentant des critères de démyélinisation en électrophysiologie et s’associant à une hyperprotéinorachie. Néanmoins, sur le plan clinique, la PIDC se caractérise, dans sa forme la plus habituelle, par une atteinte motrice proximale plus que distale qui prédomine sur les troubles de la sensibilité, plus majoritairement de type proprioceptif. La difficulté à distinguer la 262 | La Lettre du Neurologue Nerf & Muscle • Vol. XIII - n° 9 - octobre 2009 neuropathie du syndrome POEMS et la PIDC provient essentiellement de la grande variabilité de présentation des PIDC (22). En effet, à côté de la forme la plus commune, il existe également des formes sensitives, paresthésiantes et ataxiantes qui peuvent ressembler à la neuropathie du POEMS dans sa phase débutante. De la même façon, des formes avec une répartition distale du déficit sensitivo-moteur sont connues. Ainsi, lorsque la neuropathie du syndrome POEMS se présente d’un point de vue électrique dans sa forme démyélinisante, présentation au cours de laquelle les signes extraneurologiques sont rares, elle impose le diagnostic de PIDC. Dans notre expérience, et dans le contexte de polyradiculonévrite subaiguë ou chronique, les éléments principaux devant éventuellement orienter le diagnostic vers une neuropathie du syndrome POEMS sont : – la répartition distale et initialement limitée aux membres inférieurs des signes cliniques ; l’existence de douleurs ; – une perte axonale précoce ; – une résistance aux immunoglobulines intraveineuses (Ig i.v.) ou aux échanges plasmatiques (e.p.) ; – l’existence d’une chaîne légère lambda monoclonale ou d’autres éléments cliniques du syndrome POEMS qui indiquent un bilan systémique. Présentation histologique de la neuropathie Quelle place pour la biopsie de nerf ? Les données histologiques confirment le plus souvent l’association d’une atteinte axonale avec démyélinisation primitive. L’étude en microscopie électronique peut objectiver des fragments de myéline non compacte, caractéristiques de la neuropathie du syndrome POEMS et absents dans le cadre des PIDC (23). Leur signification semble mal connue et ils sont inconstants. S’y associent un épaississement des membranes basales des capillaires et un important œdème endoneural (24). Enfin, il n’est pas observé d’aspect de démyélinisation secondaire à l’invasion de la fibre nerveuse par des cellules macrophagiques, caractéristique des PIDC. Si l’on se place dans le cas de figure habituel où la présentation clinique et électrophysiologique initiale de la neuropathie fait évoquer une PIDC et que l’on s’en tient aux recommandations en vigueur pour la recherche d’une pathologie associée (25), MISE AU POINT La polyneuropathie du syndrome POEMS la biopsie de nerf paraît rarement indiquée. En effet, la recherche systématique d’une gammapathie monoclonale associée à la neuropathie conduira en cas de positivité à un bilan systémique permettant le plus souvent de remplir les critères diagnostiques de syndrome POEMS. Il existe cependant des cas complexes où la confirmation d’une prolifération lymphoplasmocytaire indispensable au diagnostic de syndrome POEMS peut initialement faire défaut (26). La biopsie nerveuse, si elle comprend une étude en microscopie électronique, peut contribuer dans ces circonstances à orienter le diagnostic. Histoire naturelle de la polyneuropathie En l’absence de traitement, la neuropathie du syndrome POEMS se caractérise chez la majorité des patients par une évolutivité en deux phases. Au cours de la première phase, dont la durée très variable peut aller jusqu’à plusieurs mois, la sympto­matologie est dominée par un trouble sensitif peu évolutif. Si l’examen électrophysiologique est effectué dans cette période, il met en évidence une polyneuropathie démyélinisante pure ou associée à une perte axonale limitée avec peu de dénervation active en détection, et les signes extraneurologiques de syndrome POEMS apparaissent peu nombreux. La seconde phase est caractérisée par une “acutisation” avec installation rapide d’un déficit sensitivomoteur ascendant couplé sur le plan électrique à une perte axonale sévère et franchement évolutive. Parallèlement, les manifestations systémiques du syndrome POEMS se multiplient. Pour un certain nombre de patients, la première phase est “absente” avec l’installation d’emblée, rapide et linéaire du trouble neurologique qui rend le retard diagnostique et thérapeutique d’autant plus préjudiciable. Pathogénie de la polyneuropathie La pathogénie du syndrome POEMS reste mystérieuse. Son association aux pathologies lympho­ prolifératives et sa possible disparition après traitement radical d’un plasmocytome font évoquer l’hypothèse d’un phénomène paranéoplasique médié par un agent produit par des plasmocytes anormaux. Il en découlerait une élévation de cytokines proinflammatoires (IL-1b, TNFα et IL-6) conduisant à une activation du VEGF. Ce dernier est un facteur 264 | La Lettre du Neurologue Nerf & Muscle • Vol. XIII - n° 9 - octobre 2009 de prolifération angiogénique et d’augmentation de la perméabilité vasculaire, actuellement considéré comme le principal facteur pathogène de l’affection. En 1998, O. Watanabe rapportait ainsi l’élévation spécifique du VEGF dans le sérum de 7 des 10 patients atteints de syndrome POEMS versus aucun des sujets contrôles qu’il s’agisse de sujets sains, atteints de PIDC, d’un syndrome de GuillainBarré ou d’autres pathologies neurologiques (27). Par la suite, son augmentation était retrouvée dans la quasi totalité des 74 observations publiées dans lesquelles le dosage avait été effectué. Il est vraisemblable que l’élévation du VEGF rende compte de la survenue de l’organomégalie, du syndrome œdémateux, des hémangiomes gloméruloïdes, et qu’il constitue également un régulateur de différenciation ostéoblastique (28). La polyneuropathie dans le syndrome POEMS découlerait, elle aussi, directement des propriétés du VEGF. En effet, une altération de la barrière sang-nerf – conséquence de l’hyperperméabilité microvasculaire – et un trouble de coagulation microvasculaire, tous deux induits par l’élévation du VEGF, seraient à l’origine de l’atteinte neurologique. Récemment, M. Scarlato et al. ont pu démontrer, à partir de l’étude histologique de nerfs de 11 patients, un lien entre le taux sérique de VEGF et son expression sur le nerf au niveau de l’endothélium vasculaire, mais également des cellules de Schwann, ne participant pas à la formation de myéline (29). L’élévation du VEGF était également corrélée à l’importance de la prolifération et de l’hypertrophie des cellules endothéliales des vaisseaux de l’endonèvre, conduisant à leur occlusion et ainsi à l’aggravation neurologique. Dans cette étude, le VEGF constituait un facteur pronostique, puisqu’un taux inférieur à 1 500 pg/ml avant traitement était associé à une meilleure réponse thérapeutique. Il existait également une corrélation inverse entre les taux de VEGF et d’érythropoïétine (EPO). La production de VEGF est sous la dépendance d’un facteur de transcription dont une sous-unité α est induite par l’hypoxie (30). Il est plausible que, au-delà d’un certain seuil d’occlusion vasculaire, l’hypoxie induite provoque un “emballement” de la production de VEGF et contribue localement à l’exacerbation de l’œdème endoneural et à l’aggravation rapide des lésions neurologiques. Le mécanisme de l’atteinte neurologique n’est cependant peut-être pas univoque et, s’il est vraisemblable que des taux élevés de VEGF conduisent systématiquement à une micro-angiopathie thrombotique endoneurale responsable de la gravité du tableau neurologique, il n’est pas exclu que d’autres méca- MISE AU POINT nismes puissent être mis en jeu au préalable. Ainsi, le VEGF favorise lui-même au cours du syndrome POEMS la libération de certaines métalloprotéinases MMP-1, -2, -3, -9 (31), dont l’implication directe a été démontrée dans la démyélinisation survenant sur des modèles expérimentaux de polyradiculo­ névrite aiguë et évoquée au cours de polyneuro­ pathies démyélinisantes chroniques (32). Quel bilan initial ? Outre des examens cliniques généraux (organomégalie, adénopathie, anasarque, etc.) et cutanés (angiomes gloméruloïdes, mélanodermie, acrosyndrome, épaississements scléreux, etc.) détaillés, un certain nombre d’examens complémentaires sont recommandés pour le bilan initial d’un syndrome POEMS. La recherche d’une dyscrasie plasmocytaire passe tout d’abord par la mise en évidence d’une gammapathie monoclonale. L’électrophorèse des protéines sériques peut montrer un pic étroit mais, même en son absence, une immunoélectrophorèse ou des immunofixations sanguine et urinaire doivent être demandées car le composant monoclonal est souvent en faible quantité (le plus souvent inférieur à 3 g/dl) ou constitué seulement d’une chaîne légère. La chaîne légère est quasiment toujours d’isotype lambda, son absence étant de nature à remettre en cause le diagnostic de syndrome POEMS. La chaîne lourde, lorsqu’elle est isolée, montre aussi souvent une IgA ou une IgG. En l’absence de composant monoclonal, le diagnostic d’une prolifération plasmocytaire monoclonale peut être étayé par la biopsie dirigée d’une lésion osseuse. Des lésions ostéosclérotiques ou en fait souvent mixtes avec lyse centrale et condensation périphériques sont en effet présentes chez 95 % des patients. Elles sont le plus souvent multiples. Outre les classiques radiographies du squelette, un scanner en fenêtres osseuses peut être réalisé pour faciliter leur détection. Le recours au PET-scan apparaît séduisant pour identifier des foyers non visualisés sur des explorations morphologiques standard (33), mais l’avidité des lésions en PET serait en fait inconstante (34). Cet examen couplé au scanner corps entier peut également contribuer à rechercher une maladie de Castleman ou des lésions extraosseuses de plasmocytome. Toujours d’un point de vue hématologique, la numération formule sanguine et plaquettes peut objectiver une thrombocytose ou une polycythémie, et la biopsie ostéomédullaire (BOM) un envahissement médullaire. Le dosage du VEGF doit être systématique. Son taux est considéré comme élevé au-delà de 500 pg/ml. Sur le plan endocrinologique, outre l’interrogatoire sur les menstruations et la fonction sexuelle, on effectue un dosage de testostérone, œstradiol, TSH, cortisol plasmatique, LH, FSH, prolactine, ACTH et un test au synacthène. Un dépistage du diabète, avec glycémie à jeun et hémoglobine glycosylée, est systématique, mais compte tenu de sa fréquence un diabète isolé ne pourrait suffire à établir l’existence d’une atteinte endocrinienne. L’existence d’une hypertension artérielle pulmonaire et d’une dysfonction systolique ventriculaire droite sont dépistées par échocardiographie. Enfin, des épreuves fonctionnelles respiratoires sont utiles pour identifier une insuffisance respiratoire restrictive. Quels traitements ? Pour quel pronostic neurologique ? Compte tenu du mode évolutif particulier de la polyneuropathie du syndrome POEMS, on comprend l’intérêt de commencer un traitement efficace avant la survenue d’une aggravation rapide du tableau neurologique. Celle-ci conduit en effet à un handicap fonctionnel sévère et seulement incomplètement réversible (5, 35), avec le risque de persistance à distance d’un steppage bilatéral complet nécessitant l’usage d’attelles des releveurs, voire de cannes. Il y a des données contradictoires concernant l’efficacité de thérapeutiques classiques des PIDC de type Ig i.v. ou e.p. (36). La majorité des auteurs les considèrent cependant comme inefficaces sur la neuropathie du syndrome POEMS (34, 37). En revanche, dans notre expérience, l’instauration précoce d’une cortico­thérapie contribue, dans l’attente d’un traitement plus radical, à la préservation des axones moteurs et ainsi à l’amélioration du pronostic fonctionnel à long terme. A. Dispenzieri et al. décrivent même une stabilité ou une amélioration transitoire de l’état général et neurologique chez plus de 20 % des patients de leur série traités par corticoïdes seuls. Ainsi, dès que les critères diagnostiques de syndrome POEMS sont remplis, il est opportun d’entamer une corticothérapie sans attendre d’avoir entièrement complété le bilan. La stratégie thérapeutique dépend ensuite du nombre de localisations actives de plasmocytome détectées sur le bilan systémique. Un plasmocytome unique fait l’objet d’une irradiation externe permettant une guérison complète dans environ 50 % des cas. En revanche, en cas de lésions multiples ou en l’­a bsence de lésions identifiables ou encore en La Lettre du Neurologue Nerf & Muscle • Vol. XIII - n° 9 - octobre 2009 | 265 MISE AU POINT La polyneuropathie du syndrome POEMS cas d’envahissement médullaire, une autogreffe de cellules souches succédant à une chimiothérapie intensive est actuellement la thérapeutique préconisée (38). Près d’une quarantaine de cas sont actuellement publiés avec un taux de réponse estimé à plus de 90 %. Par ailleurs, plusieurs communications enthousiastes ont été faites sur un traitement ciblant le VEGF (bévacizumab [Avastin®]), un inhibiteur du protéasome (bortézomib [Velcade®]) et une approche immunomodulatrice avec la lénalidomide (Revlimid®), molécule proche de la thalidomide avec l’effet neurotoxique en moins. Leur place reste à définir, mais il y a un rationnel à les proposer en traitement adjuvant ou en cas de rechute (39-41). Un traitement efficace se traduit par une régression des signes systémiques dans le mois suivant sa réalisation qui serait bien corrélée avec la baisse du VEGF. L’atteinte neurologique ne commence à s’améliorer qu’après quelques mois (42). Cette amélioration se poursuit sur quelques années, jusqu’à, dans le meilleur des cas, une régression complète du déficit moteur avec persistance de troubles sensitifs distaux discrets, mais bien souvent douloureux. ◾ Références bibliographiques 1. Scheinker L. Myelom und Nervensystem: uber eine bishernicht beschrieben mit eigentumlichen Hautveranderungen einhergehende Polyneuritis bei einem plamazellularen myelom des sternums. Dtsch Z Nervenheilkd 1938;147:247-273. 2. Crow R. Peripheral neuritis in myelomatosis. Brit Med J 1956;2:802-4. 3. Iwashita H, Ohnishi A, Asada M. Polyneuropathy, skin hyperpigmentation, edema, and hypertrichosis in localized osteosclerotic myeloma. Neurology 1977;27:675-81. 4. Nakanishi T, Sobue I, Toyokura Y et al. 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