D O S S I E R L’opinion du docteur Gabriel André* L’influence des hormones sexuelles sur le système nerveux central (SNC) est un acquis de ces vingt dernières années et sera sans doute la révolution de la prochaine décennie. Nous ne sommes qu’à l’aube de la psycho-neuro-endocrinologie et avons hâte de savoir comment et pourquoi ce sont les hormones qui nous gouvernent. L’histoire des hormones sexuelles et du cerveau commence très tôt : dès la 14-16e semaine in utero, le pic de testostérone de l’humain mâle va modeler son cerveau, mais déjà par le biais des estrogènes, tant notre matière grise est riche en aromatase. Au niveau du SNC, les hormones sexuelles jouent en fait sur trois registres : l’entretien et la protection des circuits cérébraux, leur plus ou moins grande activation et la modulation des neurotransmetteurs. Anne Dib, dans son article, fait référence aux deux dernières fonctions. La neuroprotection La maladie d’Alzheimer (MA) est un bon exemple. Son incidence augmente de manière exponentielle après 75 ans. Elle atteint alors encore bien davantage la femme que l’homme. Toute situation qui conduit à une diminution des taux d’estrogènes est, pour la femme, un facteur de risque de MA. Le THS est, quant à lui, susceptible de retarder la maladie (aspect préventif) ou d’en ralentir le cours (aspect curatif), notamment lorsqu’il est associé à un inhibiteur de l’acétylcholinestérase. L’estradiol est une substance trophique pour le SNC. Comme pour l’os et le système cardiovasculaire, tout se passe comme si l’avantage acquis se perdait progressivement à la ménopause, fragilisant la femme avec le temps lorsqu’elle n’est pas traitée. La progestérone n’est pas en reste dans la construction cérébrale. Il y a plus de progestérone synthétisée dans le cerveau (concept de neurostéroïde) qu’au niveau du corps jaune. La progestérone est le précurseur obligé de la myéline, gaine conductrice, isolante et nourricière de tous les axones du système nerveux. *Cabinet de gynécologie et d’obstétrique, 1, rue Gustave-Klotz, 67000 Strasbourg. La Lettre du Gynécologue - n° 234 - septembre 1998 La neuroactivité À côté de cet effet trophique, les hormones sexuelles modulent les deux grands systèmes régulateurs de l’activité cérébrale : le GABA, qui ralentit l’activité du cerveau et le protège des courts-circuits, et son contraire, le NMDA, responsable de l’activation cérébrale et dont l’emballement conduit à la mort cérébrale. Estrogènes et progestérone ont des effets opposés sur le système GABA. Les métabolites 5-alpha 3-alpha réduits de la progestérone se lient à un des récepteurs du GABA, celui des benzodiazépines. C’est là l’explication des vertus anxiolytiques et anesthésiques de la progestérone naturelle. Elle a d’ailleurs donné naissance à la plupart des anesthésiques qui potentialisent cet effet. Les progestatifs de synthèse sont aussi susceptibles d’être alpha-réduits, mais ils n’ont aucune affinité pour les récepteurs GABA. L’estradiol, au contraire, diminue les récepteurs du GABA et favorise l’activité NMDA ; il est donc doublement excitateur. La neuromodulation Essentielles pour l’activation et la mise au repos du SNC, les hormones sexuelles ne le sont pas moins pour la modulation de neurotransmetteurs comme l’acétylcholine, les catécholamines, la dopamine et la sérotonine. Les trois derniers sont impliqués dans l’humeur, la déprime et la psychose. Les femmes répondent mieux aux antipsychotiques. Les estrogènes sont antidopaminergiques mais sérotoninergiques. Dans le domaine de la ménopause, la fluoxétine n’est vraiment active qu’en présence d’estrogènes. L’estradiol est à la fois un antidépresseur et un neuroleptique endogène. Les hormones sexuelles assurent à la femme une optimisation de sa fonction cérébrale, mais la rendent aussi plus vulnérable du fait de leur cyclicité. Et voilà bien tout le problème: période périmenstruelle, post-partum, ménopause sont autant de situations de chute hormonale ou de carence, représentant des périodes “à risque” durant lesquelles le cerveau féminin perd sa protection naturelle. C’est à ces situations qu’Anne Dib veut nous sensibiliser. Attention, nous dit-elle ! Apprenons à les reconnaître et à les ■ comprendre, car il y a quelque chose à faire. 27