La clé du diagnostic est encore dans l’observation clinique CAS CLINIQUE Mot-clé

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CAS CLINIQUE
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Steppage unilatéral
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Unilateral foot drop
La clé du diagnostic est encore
dans l’observation clinique
P. Bouche, Service de neurologie, hôpital de la Pitié-Salpêtrière, Paris.
Observation
Un bilan plus exhaustif est alors réalisé. Aucune anomalie
biologique n’est détectée. L’imagerie lombosacrée est normale.
Il n’y a aucun argument pour une affection inflammatoire ou
une maladie systémique. Il n’y a pas d’anomalie à l’immuno­
électrophorèse. L’examen neurologique fait au cours de l’ENMG
montre un déficit localisé aux releveurs du pied gauche, sans déficit
sensitif associé. Les muscles des loges externe et postérieure
de la jambe gauche sont normaux au testing. Les muscles plus
proximaux, comme le moyen fessier, sont normaux. Le réflexe
achilléen gauche n’est pas obtenu et le droit paraît un peu faible.
Les réflexes rotuliens sont normaux (tableaux I et II).
L’examen à l’aiguille-électrode montre des tracés d’effort normaux
dans les muscles jambiers antérieurs droits (figure 1), péroniers
latéraux, jumeaux externes, dans la courte portion du biceps
fémoral et les quadriceps à gauche. Dans le jambier antérieur
gauche (figure 2), il n’y a pas d’activité spontanée anormale et,
à l’effort, le tracé est nettement appauvri, de type simple accéléré
avec des potentiels d’unité motrice (PUM) de l’ordre de 5 mV
(normaux). L’on conclut donc qu’il s’agit d’une affection neurogène
d’allure chronique, limitée aux seuls muscles de la loge antérieure
Mme T., âgée de 61 ans, nous est adressée pour un examen électroneuromyographique (ENMG) le 10 octobre 1995. Cette patiente, en
très bon état général, souffre depuis 4 ans d’un déficit des releveurs
du pied gauche. Elle est plutôt sportive et fait régulièrement de
la danse. C’est à cette occasion qu’elle a remarqué une faiblesse
de la dorsiflexion du pied gauche. Cela la gêne modérément à la
marche et évidemment un peu plus durant son cours de danse. La
gêne s’aggrave progressivement, ce qui la conduit à consulter une
première fois en 1995. Il n’y a ni douleur ni trouble sensitif ; aucun
antécédent traumatique et aucune douleur de type radiculaire ne
sont notés. Elle ne s’est jamais plainte du dos. Curieusement, cette
première consultation neurologique conduit à réaliser d’emblée
une biopsie neuromusculaire. Les résultats de la biopsie du nerf
musculocutané et du muscle court péronier latéral sont quelque
peu troublants : “(…) microvasculite et atteinte neurogène
périphérique d’allure chronique. Les signes inflammatoires sont
extrêmement discrets dans le nerf, mais sont compatibles avec
une immunopathie.”
Tableau I. Étude de la conduction nerveuse motrice.
Nerfs
LDM (msec.)
Amplitude distale (mV)
Amplitude proximale (mV)
VCM (m/s)
Ondes F (msec.)
Médian gauche
2,8
7,0
6,5
50
Cubital gauche
2,7
7,8
7,3
7,9
54
41
28
SPE gauche (pédieux)
4,5
2,8
2,9
1,4
42
46
44
SPE gauche (jambier antérieur)
3,9
1,3
1,0
?
SPI gauche
4,2
8,6
7,0
43
46
SPE droit (pédieux)
5,6
2,4
2,4
2,3
46
43
45
LDM : latence distale motrice ; SPE : sciatique poplité externe ; SPI : sciatique poplité interne ; VCM : vitesse de conduction nerveuse motrice.
Tableau II. Étude de la conduction sensitive.
Nerfs
Latence (msec.)
Amplitude (μv)
2,8
37
Sural droit
2,8
27
Sural gauche
2,8
46
Musculocutané droit
Musculocutané gauche (biopsié)
LDM : latence distale motrice ; SPE : sciatique poplité externe ; SPI : sciatique poplité interne ; VCM : vitesse de conduction nerveuse motrice.
282 | La Lettre du Neurologue Nerf & Muscle • Vol. XVI - n° 8 - octobre 2012
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▲ Figure 1. Jambier antérieur droit : aspect normal à l’effort.
▼ Figure 2. Jambier antérieur gauche : tracé d’effort très appauvri, de type
simple accéléré.
▲ Figure 3. Conduction nerveuse motrice du nerf sciatique poplité externe
gauche.
de la jambe gauche, d’étiologie indéterminée. Il n’y a pas de
bloc de conduction ou de ralentissement de la conduction
nerveuse motrice au col du péroné (figure 3). On ne peut −
sur ces seuls éléments − retenir l’hypothèse d’une atteinte
isolée du nerf tibial antérieur ou d’une atteinte radiculaire
L5. Un nouveau bilan est alors réalisé et se révèle normal, y
compris une étude du liquide céphalorachidien. On ne note
aucun antécédent familial. L’imagerie lombosacrée est refaite
et se révèle à nouveau également normale. Nous sommes
alors à court d’hypothèse, et le mieux nous semble de ne
pas continuer les investigations et de revoir la patiente au
bout de 1 an, s’il n’y a pas d’élément nouveau d’ici là. Aucun
traitement n’est envisagé à ce stade.
La patiente est donc revue régulièrement en 1996, 1997,
1998 et 2001. L’atteinte musculaire ne semble pas évoluer
de façon significative. Aucun élément nouveau n’est apparu
dans ce laps de temps. Les études ENMG sont sensiblement
identiques à celles effectuées en 1995.
En 2003, la patiente revient pour un nouvel examen ENMG.
Elle a présenté quelques éléments nouveaux depuis 2001.
Il s’agit de douleurs musculaires un peu erratiques sans
caractère particulier. Le nouvel ENMG ne montre pas
beaucoup de modifications des conductions nerveuses
motrices et sensitives par rapport aux examens précédents.
Mais on note un aspect différent lors de l’étude à l’aiguilleélectrode dans le jambier antérieur gauche. Cette fois-ci,
selon la position de l’aiguille, on observe un tracé d’effort
assez riche pour l’effort fourni, volontiers polyphasique avec
PUM de faible amplitude (figure 4, p. 284). En bougeant
l’aiguille, et pour un effort un peu moins soutenu, on observe
un tracé très appauvri, de type simple, avec des PUM de
très faible durée (figure 5, p. 284). Il n’y a pas d’activité
spontanée anormale. Les autres muscles testés sont normaux.
Ces résultats nous plongent dans une certaine perplexité.
A-t-on fait fausse route depuis le début ? Un dosage des
CPK et un scanner musculaire sont prescrits. La patiente
est revue en consultation pour les résultats. Les CPK sont
normaux et le scanner n’a pas été fait. Mais, au cours de la
consultation, la patiente se plaint de ressentir de plus en
plus de douleurs dans la partie haute du dos et de constater
une certaine faiblesse dans l’élévation des bras. Le dos est
alors examiné et, surprise (sinon stupéfaction !), on observe
une très nette saillie des 2 omoplates, que la patiente dit
avoir toujours eu, de façon peut-être un peu moins marquée.
La deuxième surprise vient d’une observation un peu plus
attentive de son visage. On constate un aspect relativement
modéré mais certain de la bouche en “museau de tanche”. La
patiente dit n’avoir jamais bien pu siffler ni souffler. L’examen
montre une faiblesse nette des orbiculaires des paupières et
des lèvres. Il existe aussi un déficit modéré de l’abduction
des bras. Le diagnostic ne fait maintenant guère de doute.
Une biopsie musculaire du jambier antérieur est réalisée
(figure 6, p. 284) et elle est très évocatrice du diagnostic de
myopathie facio-scapulo-humérale (FSH). La confirmation
vient de la biologie moléculaire : présence d’un allèle de
8,4 répétitions au locus D4Z4.
La Lettre du Neurologue Nerf & Muscle • Vol. XVI - n° 8 - octobre 2012 | 283
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▲ Figure 4. Jambier antérieur gauche. À l’effort, tracé riche, fait de potentiels
polyphasiques d’assez courte durée et de faible amplitude.
▲ Figure 5. Même muscle que sur la figure 4, avec un effort moins soutenu.
Le tracé est très appauvri, mais avec des PUM de très courte durée.
Commentaire
Cette observation est très riche d’enseignements.
Il est clair que, dans ce cas, l’approche clinique a été très
mauvaise. Il y a eu fixation sur le déficit des releveurs du pied,
sans chercher plus loin. Il est très probable que si l’on avait
examiné le dos de la patiente (figure 6), le diagnostic aurait
pu être fait dès le début. De plus, un examen du visage aurait
montré le déficit des orbiculaires des lèvres et des paupières
et l’aspect caractéristique des lèvres (figure 7). Il faut donc,
même dans une affection limitée à la loge antérieure de jambe,
comme dans ce cas, faire un examen clinique complet. Le
patient doit être examiné de haut en bas, sans ses vêtements.
L’étude rétrospective de l’examen ENMG nous révèle que, si les
tracés d’effort dans le jambier antérieur gauche étaient bien
nettement appauvris, la durée des PUM était déjà significativement raccourcie, donc en faveur d’un processus myogène.
La myopathie FSH peut se révéler de façon atypique : steppage
inaugural, atteinte isolée du grand dentelé, absence d’atteinte
faciale, absence d’antécédent familial (cas sporadique ou
faible expressivité de la maladie). La myopathie FSH est une
affection autosomique dominante où le steppage peut être
inaugural. L’atteinte musculaire est en général asymétrique.
Les autres myopathies pouvant comporter un steppage sont
la maladie de Steinert, la myosite à inclusions, les myopathies
distales (myopathie de Nonaka à transmission, autosomique
récessive AR, gène GNE ou myopathie tibiale à transmission,
autosomique dominante AD, gène de la titine), les desminopathies (AD ou AR), le déficit en enzyme débranchante,
glycogénose AR.
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▲ Figure 6. Biopsie musculaire.
Muscle jambier antérieur. Prélèvement congelé. Coupe transversale. ­Réaction
oxydative NADH. Aspect de grande inégalité de calibre des fibres avec désorganisation du réseau myofibrillaire, fibres lobulées donnant un aspect de
myopathie trabéculaire parfois décrite au cours des myopathies FSH.
◀ Figure 7. Forme caractéristique des
lèvres en “museau de tanche” (il s’agit
ici d’une autre personne).
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