CAS CLINIQUE De la corne antérieure au muscle, des difficultés d’interprétation de l’EMG ■ G. Chauplannaz* OBSERVATION CLINIQUE Une patiente de 62 ans, ouvrière retraitée depuis deux ans, développe progressivement, durant les mois de mars et d’avril 2002, des troubles de la marche, avec un périmètre de marche limité à 1 km. On note comme seul antécédent une rupture de la coiffe des rotateurs. En automne 2001, elle a ressenti une fatigue importante. Elle avait des douleurs lombaires droites et inguinales. Elle a des difficultés pour se relever lorsqu’elle est à genoux. Elle signale également des troubles de la déglutition depuis plusieurs années, avec des fausses routes. Plusieurs bilans ORL auraient été négatifs. Elle a perdu 4 kg (passant de 58 à 54 kg). Elle n’a pas de crampe, pas de paresthésies, pas de trouble urinaire. Le premier examen neurologique met en évidence une amyotrophie distale des membres inférieurs et une aréflexie achilléenne. Les réflexes cutanés plantaires sont en flexion. Il n’y a aucun trouble sensitif. Sur les radiographies standard du rachis, il existe des aspects d’arthrose cervicale. Un premier ENMG réalisé en avril 2002 objective : (tableau). L’examen EMG de détection objective des potentiels de fibrillation et des potentiels lents positifs assez abondants au niveau des deux jambiers antérieurs, du vaste externe gauche et, de manière plus discrète, au niveau du vaste externe droit et du court fléchisseur du gros orteil droit. Le recrutement est considéré comme réduit, avec des tracés intermédiaires à intermédiaires pauvres comportant des potentiels d’unité motrice (PUM) à des fréquences élevées au niveau des jambiers antérieurs, des vastes externes et, à un moindre degré, au niveau des muscles plantaires. Il existe des PUM polyphasiques. Il n’y a aucune anomalie au niveau des premiers interosseux dorsaux droits et gauches. Il est conclu à une “importante atteinte neurogène haute, probablement pluriradiculaire, ou de la corne antérieure, justifiant une IRM et des potentiels évoqués moteurs”. L’IRM cervicale montre un canal cervical à la limite inférieure de la normale en C5-C6 (9 mm), sans hypersignal médullaire. Tableau. Conduction motrice * SCP neurologie Le Rebatêl, Lyon. Nerf Muscle Onde F Ampl. (mV) Péronier gauche Pédieux 5,4 45 51 0,6 Péronier droit Pédieux 5,9 46 49 5,1 Tibial gauche Abd. halluc. 5,6 43 52 7 Tibial droit Abd. halluc. 5,8 42 53 5,5 Conduction sensitive Nerf Sural gauche Sural droit Correspondances en Nerf & Muscle - Vol. III - n° 1 - février 2005 Lat. dist. (m-s) Vitesse (m/s) Vitesse (m/s) 39 46 Amplitude (V) 11 13 35 CAS CLINIQUE En juin 2002, la patiente est adressée en consultation pour des potentiels évoqués moteurs. À l’examen, elle marche mal sur les talons, surtout du côté droit. Il existe un signe du tabouret et une amyotrophie globale des jambes et des cuisses. Il n’y a pas de fasciculation. Les réflexes achilléens sont nettement diminués, surtout à droite. Les réflexes cutanés plantaires sont en flexion. Il n’y a pas d’amyotrophie au niveau de la langue. Il n’y a pas de trouble sensitif objectif. L’étude des potentiels évoqués moteurs par stimulation magnétique est normale. Figure 1. Jambier antérieur droit. Figure 2. Vaste externe droit. 36 Un contrôle de l’ENMG est alors réalisé. Il confirme le caractère normal des conductions motrice et sensitive. Des potentiels de fibrillation et des potentiels lents positifs peu abondants sont mis en évidence au niveau du jambier antérieur droit, des muscles paravertébraux lombaires bas droits et thoraciques droits. Au niveau du jambier antérieur droit et du droit antérieur droit, le tracé est rapidement interférentiel, avec des PUM de durée brève (figure 1). Au niveau du vaste externe droit, les PUM ont des durées brèves (figure 2). Il n’y a pas de potentiels de fasciculation. Il a également été observé des PUM de durée brève au niveau du chef externe du deltoïde droit. L’étude quantifiée (programme IPA, Nicolet Viking) oriente vers un processus myogène au niveau du droit antérieur droit (rapport M/T : 1,11). Le dosage des CK est à 955 (limite supérieure des valeurs normales : 180). La biopsie musculaire est réalisée au niveau du vaste externe droit. “L’aspect histologique est celui d’une myosite. Les faisceaux musculaires sont très largement dissociés par des éléments lymphocytaires. Ces éléments se dispersent dans l’interstitium des fibres musculaires, qui sont de calibre irrégulier et qui montrent parfois des images de nécrose. Les vaisseaux étudiés sont tous de structure histologique normale, dépourvus de signe de vascularite. Il n’y a pas de dépôt amyloïde.” COMMENTAIRES Avant de poser le diagnostic de sclérose latérale amyotrophique (SLA) dans un contexte clinique évocateur, l’examen électroneuromyographique doit permettre d’envisager d’autres hypothèses et d’essayer de les éliminer : neuropathie motrice avec blocs de conduction multiples, atteintes pluriradiculaires motrices, polyradiculonévrites chroniques, polyneuropathies, amyotrophies spinales, sclérose latérale primitive, polymyosite, myasthénie (1). Il faut retenir que les anomalies EMG considérées isolément ne sont jamais spécifiques d’une affection particulière. Le type d’anomalie et leur répartition topographique peuvent aider l’électromyographiste. Les anomalies caractéristiques de la SLA ont fait l’objet de plusieurs mises au point de la part de comités de la Fédération mondiale de neuro- Correspondances en Nerf & Muscle - Vol. III - n° 1 - février 2005 logie (2). Le diagnostic de SLA est certain lorsque des signes d’atteinte du premier et du second neurone moteur sont évidents à 3 niveaux, probable à 2 niveaux, possible à 1 niveau ou s’il existe une atteinte pyramidale à 2 niveaux, et suspect s’il existe des signes d’atteinte du second motoneurone à 2 niveaux ou du premier motoneurone à 1 niveau. Les niveaux correspondant à cette classification sont les niveaux bulbaire, cervical, thoracique et lombo-sacré. Les anomalies rencontrées sont la présence d’activités spontanées, potentiels de fibrillation et de fasciculation, et les modifications de la morphologie des PUM : augmentation de leur amplitude, aspect polyphasique, et présence de PUM instables, traduisant une réinnervation collatérale. La réduction du recrutement traduit la perte des motoneurones, activés à des fréquences plus élevées pour compenser la réduction de leur nombre. Il peut paraître surprenant que l’EMG puisse prêter à confusion au cours d’une polymyosite. Les activités spontanées, en particulier les potentiels de fibrillation ou leur équivalent, les potentiels lents positifs, peuvent en imposer pour une atteinte axonale alors qu’elles ne sont que la conséquence de la nécrose des fibres musculaires. Les modifications de la morphologie des PUM sont causées par les lésions segmentaires des fibres musculaires et par la perte de fibres musculaires de l’unité motrice disséminées dans le Correspondances en Nerf & Muscle - Vol. III - n° 1 - février 2005 muscle. Il en résulte une réduction de la durée et de l’amplitude des PUM. Avec l’évolution du processus, certaines unités motrices auront perdu toutes leurs fibres (3). L’analyse du recrutement peut donc s’avérer difficile. Alors qu’habituellement il est observé un recrutement précoce en cas de myopathie, la perte d’unités motrices peut entraîner des aspects pseudo-neurogènes. D’où la nécessité d’une étude attentive de la morphologie des PUM. Les polymyosites à début bulbaire peuvent également simuler la SLA, en particulier lorsque le dosage des CK est normal (4). Enfin, les myosites à inclusions posent parfois des problèmes particulièrement difficiles, avec une possible association des aspects “myopathiques” à une neuropathie périphérique. ■ RÉFÉRENCES 1. Daube JR. Electrodiagnostic studies in amyotrophic lateral sclerosis ans other motor neuron disorders. Muscle Nerve 2000;23:1488-502. 2. Brooks BR. El Escorial World Federation of Neurology. Criteria for the diagnosis of amyotrophic lateral sclerosis. J Neurol Sci 1994;124(Suppl):96-107. 3. Daube JR. Electrodiagnosis of muscle disorders. In: Engel AG, Banker BQ (eds). Myology: McGraw-Hill, 1986: pages 1081-121. 4. Ryan A, Nor AM, Costigan D et al. Polymyositis masquerading as motor neuron disease. Arch Neurol 2003;60: 1001-3. 37