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Cas clinique
Coup d’œil
Sarcoïdose sur cicatrices
Scar sarcoidosis
Sarcoïdose • Cicatrice.
N. Kluger
Sarcoidosis • Scar.
(Service de dermatologie, hôpital Saint-Éloi, CHU de Montpellier)
U
ne femme de 57 ans est adressée pour des lésions papuleuses évoluant
depuis environ un à deux mois et restreintes à trois cicatrices anciennes
Observation
Cette patiente présentait de lésions papuleuses, violines, infiltrant plusieurs cicatrices : une cicatrice au genou droit due à une chute de vélo (figure 1), une cicatrice
de vaccination contre la variole à la cuisse gauche (figure 2) et, enfin, une cicatrice de
suture du pouce gauche pour un accident de ski survenu à l’âge de 16 ans (figure 3).
Trois autres cicatrices étaient en revanche épargnées. L’histologie réalisée en ville
montrait une réaction à corps étranger de type sarcoïdosique. À l’examen, la patiente
était dans un bon état général. L’examen dermatologique retrouvait effectivement
plusieurs lésions papuleuses violines infiltrant certaines cicatrices. Il n’existait aucune
autre lésion cutanée. En revanche, la patiente décrivait une dyspnée d’effort d’intensité
progressive sans toux, sans expectoration, sans douleur thoracique, malaise, ou perte
de connaissance. Le reste de l’examen clinique était sans particularité.
Le bilan biologique montrait une lymphopénie modérée (1 026/mm3) sans syndrome
inflammatoire. Le ionogramme, la fonction rénale, la calcémie, le bilan hépatique et
l’enzyme de conversion de l’angiotensine étaient normaux. Les épreuves fonctionnelles
respiratoires et la capacité de diffusion du CO2 (DLCO) retrouvaient un trouble isolé
de la capacité de diffusion à 63 % de la théorique, évocateur dans le contexte d’une
pathologie interstitielle débutante. Le scanner thoracique montrait essentiellement des
adénopathies médiastinales sans atteinte parenchymateuse. Enfin, la patiente développait au décours du suivi un tableau de polyarthralgies des poignets, des coudes, des
chevilles, des genoux et des ailes iliaques. Un traitement par antipaludéens de synthèse
(Plaquenil® 2 cp/j) associés à des anti-inflammatoires non stéroidiens permettait de
contrôler les lésions cutanées et articulaires. Un diagnostic de sarcoïdose cutanée sur
cicatrices, médiastinale et articulaire était posé.
Discussion
La survenue de lésions de sarcoïdose sur cicatrices est une possibilité connue depuis
la fin du XIXe siècle (1, 2). Ce n’est cependant qu’à la fin des années 1950 que cette
manifestation particulière de la sarcoïdose cutanée sera mieux décrite (3).
Les localisations sur cicatrices restent rares lors de la sarcoïdose. Leur fréquence est
estimée à 5 %, avec des variations selon les études de 1,4 à 14 % des patients (4). Il
existe une très grande variété de tissus cicatriciels qui peuvent faire l’objet de modifications (4, 5) : sites de traumatismes, d’intervention chirurgicale, de ponction veineuse,
d’intradermoréaction à la tuberculine, de l’ancien test de Kveim-Siltzbach utilisé à
l’époque à but diagnostique, les tatouages (6), les scarifications ethniques, les lésions
de pseudofolliculites de la barbe, les cicatrices de zona ou de radiodermite.
La sarcoïdose sur cicatrice touche avec prédilection les femmes (60 % des cas) d’âge
moyen (45 ans). Le délai entre le traumatisme et la modification de la cicatrice est en
moyenne de 20 ans avec toujours des extrêmes importants allant de quelques semaines
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Images en Dermatologie • Vol. II • n° 2 • avril-mai-juin 2009
Légendes
Figure 1. Infiltration papuleuse violine de la
cicatrice du genou droit (chute de vélo).
Figure 2. Cicatrice de vaccination contre la
variole à la cuisse gauche.
Figure 3. Cicatrice de suture du pouce
gauche due à un accident de ski (toute la
cicatrice n’est pas modifiée).
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Cas clinique
Coup d’œil
à quelques dizaines d’années. L’aspect clinique est évocateur, consistant en l’apparition soudaine de nodules et d’infiltrations indolores sur cicatrices : il peut s’agir de
lésions pseudo-chéloïdiennes infiltrées, saillantes, rouge violacé, non prurigineuses ;
de nodules dermiques fermes, élastiques, rose/rouge violacé, de type sarcoïdes à
petits nodules ou de nodules plus profonds dermo-hypodermique ; enfin d’infiltrats
rouge violacé élastiques ou mous. L’existence d’autres lésions cutanées à distance est
évocatrice du diagnostic (4). Néanmoins, comme dans notre cas, cette situation n’est
pas obligatoire. L’histologie retrouve les granulomes tuberculoïdes classiques de la
sarcoïdose. Dans 60 % des cas, les lésions apparaissent soit en phase aiguë lors de
la maladie active ou lors d’un érythème noueux (syndrome de Löfgren) [7], soit à un
stade plus tardif avec d’autres manifestations pulmonaires, médiastinales, oculaires
(uvéite), ganglionnaires, osseuses et parotidiennes (3). Dans 20 % des cas, les lésions
restent isolées (3). Et dans les 20 derniers pour cent, les lésions précèdent la survenue
de manifestations systémiques ou sont contemporaines d’une rechute (3).
L’évolution est parallèle à l’activité de la maladie (8). Les lésions peuvent disparaître
spontanément mais, le plus souvent, elles persistent plusieurs mois ou années. Le
pronostic est lié à l’existence de lésions viscérales associées car elles ne représentent
en soi qu’une gêne esthétique.
La physiopathogénie du tropisme de la sarcoïdose pour les cicatrices n’est pas claire.
Néanmoins, la présence de particules étrangères dans le derme pourrait jouer un
rôle à l’image de la forme particulière de sarcoïdose papuleuse des genoux (papular
sarcoidosis of the knees) [6, 8] : l’inoculation de corps étrangers lors d’un traumatisme
– même mineur – stimulerait la formation de granulomes chez les patients (7, 9).
La sarcoïdose est, bien sûr, loin d’être l’unique dermatose avec un tropisme électif
pour les cicatrices (10, 11) [tableaux I et II]. Néanmoins, toute modification de cicatrice
récente doit faire évoquer le diagnostic de sarcoïdose.
II
Références bibliographiques
1. Boeck C Multiple benign sarkoid of the skin J Cutan Genitourin Dis 1899;17:543-50.
2. Hutchinson J. Cases of Mortimer’s malady (a form of lupus). Arch Surg 1898;9:307-14.
3. James DG. Dermatological aspects of sarcoidosis. Q J Med 1959;28:108-124.
4. Huet P. Sarcoïdose cutanée. Aspects cliniques et thérapeutiques. Thèse médecine Montpellier
1994;1-391.
5. Caro I. Scar sarcoidosis. Cutis 1983;32(6):531–3.
6. Kluger N, Aractingi S. Sarcoidosis in tattoos in chronic hepatitis virus C. Presse Med 2006;35:
1668-9.
7. Marcoval J, Mañá J, Moreno A, Gallego I, Fortuño Y, Peyrí J. Foreign bodies in granulomatous cutaneous lesions of patients with systemic sarcoidosis. Arch Dermatol 2001;137:427-30.
8. Manz LA, Rodman OG. Reappearance of quiescent scars. Sarcoidosis. Arch Dermatol 1993;129:
105-8.
9. Marcoval J, Moreno A, Mañá J. Papular sarcoidosis of the knees: a clue for the diagnosis of
erythema nodosum-associated sarcoidosis. J Am Acad Dermatol 2003;49:75-8.
10. Boyd AS, Nelder KH. The isomorphic response of Koebner. Int J Dermatol 1990;29:401-10.
11. Weiss G, Shemer A, Trau H. The Koebner phenomenon: review of the literature. J Eur Acad
Dermatol Venereol 2002;16:241-8.
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Cas clinique
Coup d’œil
Tableau I. Classification de Boyd - Nelder du phénomène de Koebner (10), cité par Weiss et al. (11).
Exemples
Commentaires
Catégorie I (koebnerisation vraie)
Psoriasis, lichen plan, vitiligo
Le phénomène de Koebner est inséparable
de la physiopathogénie, du traitement et du
pronostic
Catégorie II (pseudo-Koebner)
Verrue, Molluscum contagiosum,
pyoderma gangrenosum
Dissémination infectieuse post-traumatique
(verrue, molluscum), effondrement cutané plus
qu’une prolifération tissulaire (pyoderma)
Catégorie III (lésions occasionnelles)
Maladie de Darier, érythème polymorphe, Cas post-traumatiques rapportés avec une
certaine fréquence et répondant à quelques
Maladie de Behçet, maladie de Kaposi,
critères du phénomène de Koebner
lichen scléreux…
Catégorie IV (rôle du traumatisme
faible ou discutable)
Pemphigus vulgaire, eczéma,
lichen nitidus, dermatite herpétiforme…
Cas isolés parfois douteux
Tableau II. Liste (non exhaustive) des dermatoses rapportées avec une réaction sur cicatrices d’après Weiss et al. (11).
Catégorie I
Psoriasis, lichen plan, vitiligo
Catégorie II
Molluscum contagiosum, verrue, pyoderma gangrenosum
Catégorie III
Maladie de Behçet ; cancers gastriques, testiculaires et mammaires ; maladie de Darier, érythème polymorphe ; granulome annulaire ;
maladie de Hailey–Hailey ; maladie de Kaposi ; maladie de Kyrle ; folliculite perforante ; collagénose réactive perforante ; pellagre ;
lichen scléro-atrophique ; nécrobiose lipoïdique ; morphée.
Catégorie IV
Maladie de Still de l’adulte ; lichen scléreux bulleux ; pemphigoïde bulleuse ; mastocytose cutanée ; urticaire pigmentaire ; dermatite
herpétiforme ; lupus discoïde érythémateux ; eczéma ; dermatose érosive du scalp ; erythrokeratoderma variabilis ; kératoacanthome ;
lichen amyloide ; lichen nitidus ; papulose bowenoïde ; réticulo-histiocytose multicentrique ; syndrome myélodysplasique ; naevi
naevocytiques ; pemphigus vulgaire ; pityriasis rubra pilaire ; porokératose de Mibelli ; sarcoïdose ; kératose séborrhéique ; syndrome
de Sweet ; telangiectasia macularis eruptiva persistans ; maladie de Grover ; vasculite cutanée ; xanthomes éruptifs
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