Les aspects éthiques de la suppléance respiratoire dans la SLA M

publicité
M
I
S
E
A
U
P
O
I
N
T
Les aspects éthiques de la suppléance respiratoire
dans la SLA
Respiratory support for ALS patients: ethical approach
● M. Guerrier*
P
O
I
N
T
S
P O I N T S
F
O
R
T
S
F O R T S
■ Le concept éthique d’autonomie de la personne impose la
prise en considération de son consentement pour tout soin
la concernant. Cette notion, pour ce qui concerne la ventilation, renvoie aussi bien à sa mise en route qu’à sa poursuite.
■ L’anticipation de l’altération de la fonction respiratoire
avec la personne atteinte de SLA facilite la prise de décision
partagée, en évitant la situation où une ventilation invasive
doit être instaurée dans l’urgence sans démarche participative du patient (qui se retrouve devant un fait accompli).
■ La mise en route d’une ventilation doit être assortie de la
garantie pour la personne de pouvoir changer d’avis.
■ L’arrêt d’un support respiratoire, à la demande de la personne, ne constitue pas un acte d’euthanasie. Il doit être
effectué par une équipe compétente du point de vue technique pour ces circonstances, en sorte que le retrait de la
ventilation ne soit pas accompagné de souffrances ou de
symptômes difficiles pour le patient.
■ La loi en France prend pleinement en compte à la fois
l’autonomie du patient et la question de la non-obstination
thérapeutique.
SUMMARY
SUMMARY
The technical knowledge on respiratory support does not
indicate how to ethically behave with regard to ALS patients.
The principle of autonomy rules the decisions on starting or
stopping ventilation. Vulnerability should also be respected
in the relationship with patients. Anticipation is an important
factor in ventilation decision-making in ALS.
Keywords: Amyotrophic lateral sclerosis – Ethics – Ventilation
– Autonomy.
* Espace éthique/AP-HP, département de recherche en éthique, Paris-Sud-XI.
196
R ÉSUMÉ
RÉSUMÉ
Les connaissances techniques sur l’assistance respiratoire
n’indiquent pas en elles-mêmes la conduite à tenir d’un point
de vue éthique dans le cadre de la sclérose latérale amyotrophique (SLA).
Les décisions relatives à la mise en route ou à l’arrêt de suppléances respiratoires sont subordonnées au principe d’autonomie. L’accompagnement des malades doit également se faire
dans le respect de leur vulnérabilité. L’anticipation est un facteur
important pour ce qui concerne la ventilation dans la SLA.
Mots-clés : Sclérose latérale amyotrophique – Éthique –
Ventilation – Autonomie.
CONNAISSANCE TECHNIQUE, REPÈRES LÉGISLATIFS
ET ENJEUX ÉTHIQUES
La description objective des caractéristiques de l’insuffisance respiratoire au cours de l’évolution “naturelle” de la sclérose latérale
amyotrophique (SLA) constitue un chapitre en soi des connaissances communes aux champs de la neurologie et de la pneumologie. Si l’on se place d’un point de vue clinique au sens technique du terme, ces descriptions, que nous n’abordons pas dans
cet article, renvoient à la fois à des certitudes et à des incertitudes.
Du côté des certitudes, on trouve en premier lieu les notions de
progressivité, d’irréversibilité, de mise en jeu d’une fonction physiologique vitale et de la potentialité d’une suppléance totale par
la ventilation mécanique au long cours. En contrepartie, les incertitudes concernent notamment le moment du début de la détérioration de la fonction respiratoire, la vitesse de son évolution et
l’intensité de cette dernière, ainsi que la survenue d’effets collatéraux en cas de mise en place d’une suppléance respiratoire, particulièrement lorsqu’elle est invasive. Ainsi, sur le versant physiologique de la suppléance, la situation technique est claire au sens
où nous disposons de moyens techniques (ventilation non invasive, ventilation invasive par sonde d’intubation et enfin trachéotomie) susceptibles de permettre à la suppléance respiratoire de
La Lettre du Neurologue - vol. X - n° 6 - juin 2006
continuer de s’effectuer, et ce potentiellement – sauf accident ou
occurrence d’un fait péjoratif lié à la ventilation – jusqu’à ce que
le décès de la personne intervienne du fait de la défaillance d’une
autre fonction vitale.
Cette “clarté” de notre pouvoir de faire par une technique
s’accompagne d’une difficulté liée au fait qu’à la connaissance
de vérités sur le plan scientifique (celles qui nous permettent de
décrire l’insuffisance respiratoire et les moyens de la compenser)
ne correspond pas de connaissance sur le plan moral. Autrement
dit, le savoir technique de la ventilation ne dit rien sur ce qu’il
faut faire de cette technique : la commencer, l’arrêter et, le cas
échéant, comment l’arrêter. Cette dissociation entre technique et
éthique ne nous est pas toujours familière : au chapitre “conduite
à tenir” (autrement dit, “quoi faire”) de nos manuels, on trouve
souvent tous les éléments techniques et peu ou pas de références
utiles sur le plan de l’éthique.
L’examen du plan éthique pour ce qui concerne la ventilation dans
le cadre de la SLA peut se concevoir selon deux approches successives : la décision de mise en route et la décision de ne pas continuer.
Pour chacun de ces deux ordres de décision, nous disposons d’une
part d’un cadre législatif et, d’autre part, d’éléments de repères pour
la discussion éthique proprement dite. Le cadre législatif se distingue
des repères éthiques car la lecture de la loi, si elle indique ce que le
législateur permet ou interdit, n’oblige pas le praticien et la personne
malade à prendre une décision dictée par avance, ni ne fournit à
ces derniers de prescription morale sur la signification des actions
entreprises dans le cadre d’une relation de soin.
DÉCISIONS LORS DE L’AGGRAVATION RESPIRATOIRE
L’insuffisance respiratoire peut se manifester tout aussi bien de
manière très progressive que d’une façon brutale et intense. Il
convient de souligner ici un point opérationnel incontournable du
point de vue de l’éthique : celui du temps. En effet, toute réflexion
éthique, ou encore toute délibération, demande mécaniquement
du temps. Or, le contexte de la survenue d’une insuffisance respiratoire aiguë, toujours possible chez une personne atteinte de
SLA, est précisément celui où le temps de la délibération n’existe
pas. La possibilité de l’existence d’une urgence vitale pour
laquelle il est possible de mettre en route une suppléance renvoie
les professionnels de santé à une double question sur l’anticipation. Premièrement, la possibilité et les modalités de l’anticipation
avec la personne malade et/ou avec ses proches, et, deuxièmement,
l’anticipation en tant que professionnel de la survenue d’événements qui n’auraient pas pu être anticipés avec le patient.
Cet aspect fondamental de la temporalité et de l’anticipation étant
posé, nous proposons d’examiner les repères législatifs relatifs à
la prise de décision de santé, puis quelques principes et prises de
position éthiques au sujet de la mise en route de la ventilation.
Cadre normatif : législation et déontologie médicale
La mise en route d’une suppléance respiratoire est une action
médicale thérapeutique. À ce titre, elle renvoie directement à
l’article 36 du Code de déontologie médicale, et à l’article L1111-1
La Lettre du Neurologue - vol. X - n° 6 - juin 2006
à L1111-9 du Code de la santé publique (CSP). Le principe autour
duquel s’articulent ces deux textes est celui de l’autonomie de la
personne malade. Le Code de déontologie médicale pose en effet
dans son article 36 que “le consentement de la personne examinée ou soignée doit être recherché dans tous les cas” et que “le
médecin doit accepter (son) refus après avoir informé le malade
de ses conséquences”. La loi relative aux droits des malades et à
la qualité du système de santé stipule, parallèlement, que “toute
personne prend, avec le professionnel de santé et compte tenu des
informations et des préconisations qu’il lui fournit, les décisions
concernant sa santé. Le médecin doit respecter la volonté de la
personne après l’avoir informée des conséquences de ses choix.
Si la volonté de la personne de refuser ou d’interrompre tout traitement met sa vie en danger, le médecin doit tout mettre en œuvre
pour la convaincre d’accepter les soins indispensables. Il peut
faire appel à un autre membre du corps médical. Dans tous les
cas, le malade doit réitérer sa décision après un délai raisonnable. Celle-ci est inscrite dans son dossier médical. Aucun acte
médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne, et ce consentement peut
être retiré à tout moment.” (Art. L1111-4, CSP). La déclinaison
pratique du principe d’autonomie se trouve donc dans celle du
consentement de la personne. Notons, pour ce qui concerne la
détresse respiratoire aiguë, que l’urgence vitale constitue toujours
une dérogation au principe du consentement, pour autant que la
personne ne soit pas en état d’exprimer sa volonté. Notons par
ailleurs que les notions de consentement et de refus ne sont en
fait qu’une seule et même chose. En effet, pouvoir consentir, c’est
pouvoir refuser.
Enfin, il convient d’observer que ces principes juridiques ne nous
informent pas sur la manière d’informer la personne et de l’accompagner dans sa décision. Ces derniers points renvoient directement à des considérations éthiques s’exprimant dans une relation de soin respectueuse de la personne malade.
Une décision chaque fois singulière
Une question préliminaire s’impose : faut-il poser la question de
l’opportunité de mettre en route une ventilation pour les personnes atteintes de SLA dont l’état le nécessite ? Autrement dit,
la question de choisir entre ventiler et ne pas ventiler doit-elle
même se poser ? La position selon laquelle il faudrait ne jamais
ventiler les personnes atteintes de SLA ne semble pas défendable
aujourd’hui en France. Observons toutefois que cette tendance
peut exister dans d’autres contextes. La position selon laquelle il
faudrait toujours commencer une ventilation pour les personnes
atteintes de SLA pourrait s’appuyer sur l’idée de la valeur supérieure de la vie, au sens de “rester vivant”, indépendamment de
toute considération relative à la qualité de vie. Cela a pu exister,
par exemple au Japon où, il y a une vingtaine d’années, les personnes atteintes étaient ventilées sans même que leur consentement soit pris en compte (1).
Aucune de ces deux positions extrêmes, toujours ventiler ou ne jamais
ventiler, qui évacueraient la question de la prise de décision au cas par
cas, n’est compatible avec le respect de l’autonomie de la personne,
qui constitue la référence aujourd’hui en France.
197
M
I
S
E
A
L’anticipation et les temps de la décision
La prise en compte du point de vue de la personne s’avère donc
essentielle dans la décision de commencer ou non la ventilation.
C’est pourquoi le principe d’anticipation apparaît fondamental
chez les auteurs ayant réfléchi à la question. Dans une enquête de
Moss (2) effectuée il y a une dizaine d’années, plus d’un quart
des personnes ventilées disaient n’avoir été informées de l’évolution respiratoire de la maladie qu’au moment où la suppléance
était devenue nécessaire. Quarante-six des 50 patients d’une
enquête menée par Cazzolli (3) avaient été trachéotomisés en
urgence. Un tiers des 21 patients trachéotomisés interrogés par
Kaub-Wittermer (4) avaient été clairement informés de l’évolution de leur statut respiratoire. Ces exemples – parmi d’autres –
incitent les auteurs à encourager une pratique plus prononcée de
l’information et de l’anticipation concernant la question respiratoire auprès des personnes atteintes de SLA. Cette position est
reprise dans les recommandations de la conférence de consensus
de novembre 2005 sur la prise en charge des personnes atteintes
de SLA. Dès la partie consacrée à l’annonce du diagnostic, il est
mentionné que “les enjeux nutritionnels, moteurs et respiratoires
peuvent être indiqués sans qu’il y ait nécessité d’emblée de
détailler les techniques de suppléance et leurs indications”. Au
chapitre sur la fonction respiratoire, le texte stipule qu’il est
“nécessaire d’anticiper la délibération et les décisions relatives
aux mesures préventives et aux éventuelles techniques de suppléance de cette fonction vitale”.
C’est donc de l’établissement d’un dialogue adapté à chaque fois
qu’il est question afin de mettre en place les conditions de
réflexion les meilleures, propices à une décision respectueuse de
l’autonomie de la personne, et non, bien entendu, d’une information “totale et brutale”, qui serait délétère et ne tiendrait pas
compte de sa vulnérabilité. Trouver cet équilibre peut être délicat, ce d’autant plus que certaines personnes sont réticentes à
aborder le sujet de l’évolution respiratoire avant une détérioration. Il peut aussi exister des situations où le médecin et la personne malade, sur la base d’une entente tacite dans leur relation
de soin, préfèrent l’un comme l’autre ne pas évoquer une future
altération de la fonction respiratoire (5). Ce type de blocage
expose les différents acteurs à un possible surcroît de difficulté
lors de la survenue d’une détresse respiratoire, tout particulièrement si cette dernière est brutale.
Ainsi la responsabilité du médecin neurologue est-elle de s’efforcer
de rendre possible l’anticipation de la décision, en adaptant l’évolution d’une discussion spécifique à chacun de ses patients.
Cette responsabilité d’anticipation se double-t-elle d’une responsabilité en termes de conseil décisionnel ? Autrement dit, le
médecin doit-il prendre position “pour” ou “contre” la mise en
œuvre de tel ou tel type de suppléance respiratoire ? Pour les
neurologues interrogés par Goldblatt (6), la responsabilité du
médecin n’est pas d’encourager à un traitement, mais simplement
de le proposer. Cette position ne fait pas l’unanimité, comme le
montre par exemple Polkey (7) lorsqu’il atteste du fait que son
attitude consiste à “éviter” de trachéotomiser les personnes
malades. Une telle attitude n’est cependant pas respectueuse de
l’autonomie. Du reste, il est important que la personne malade
198
U
P
O
I
N
T
soit informée du fait que la ventilation améliore la survie et la
qualité de vie dans le contexte évolutif de la SLA. Comme la
notion de qualité de vie peut varier selon chacun, la perception
qu’en a le malade est à prendre en considération.
Pour autant que l’on accepte l’idée que la neutralité est souhaitable
de la part du médecin, on peut se demander dans quelle mesure
elle est possible. Comment, en effet, dans une relation de soin,
pourrait-on évacuer le caractère humain, c’est-à-dire essentiellement
subjectif ? Cette question s’avère d’autant plus importante si l’on
considère que les convictions personnelles du soignant ont une
influence sur le contenu et le moment des discussions entreprises
avec les personnes malades et leur entourage. L’enjeu ici, en tant que
professionnel de santé, n’est donc pas de se départir de sa subjectivité propre, ce qui est impossible, mais bien d’en avoir conscience
et de s’efforcer à ce qu’elle ne représente pas un poids pour la personne malade, afin de lui permettre de construire ses décisions de
manière autonome. La qualité du dialogue et de la relation de soin,
au sein de laquelle une éthique de l’écoute et de l’accompagnement
peut se déployer, se trouve donc ici au premier plan.
Le médecin, en tant qu’agent moral, peut éprouver une difficulté
si les choix de la personne malade entrent en contradiction avec
ses propres positions. Par exemple, Carver (8) rapporte que 20 %
des neurologues qu’il a interrogés considèrent comme moralement inacceptable de ne pas entreprendre de ventilation chez une
personne en détresse respiratoire, si rien d’autre ne menace
immédiatement sa vie. Ces médecins, pour autant, ne doivent pas
ventiler les personnes dont la volonté serait de ne pas l’être. On
conçoit que l’autonomie du médecin est un facteur dont il doit
être tenu compte dans la transparence des relations avec la personne malade. Cette dernière doit être informée de ce que le praticien peut s’engager à faire, et de ce à quoi il se refuse par principe. En cas de conflit de valeurs important, il doit être possible
d’orienter la personne vers un confrère.
Le professionnel de santé peut également être sollicité comme
médiateur en vertu de sa position d’interlocuteur non seulement
du patient, mais aussi de différentes personnes de sa famille ou
de son entourage. Le médecin se trouve également, d’une certaine manière, dans une position d’interface entre ses patients,
d’une part, et la société dans son ensemble d’autre part. À cet
égard, sa position peut être délicate, notamment s’il est témoin
de conflits d’intérêts ou si on lui demande son avis. Là encore, la
question de la neutralité du professionnel doit être prise en considération avec attention. Si les décisions relatives à la ventilation
induisent des conflits d’intérêts, il ne revient pas aux professionnels du soin d’être des arbitres, mais de rester des interlocuteurs
thérapeutes.
L’ARRÊT DE LA VENTILATION
La survie que permet la mise en route de la ventilation assistée
ne modifie pas l’évolution neurologique de la SLA. Le patient
voit ainsi ses capacités fonctionnelles décroître, et peut se retrouver dans une situation physique et un état d’esprit fort différents
de ceux dans lesquels il se trouvait au début de la ventilation.
La Lettre du Neurologue - vol. X - n° 6 - juin 2006
Mentionnons ici, sans y adhérer, l’existence – au moins par le
passé – de positions radicales voulant défendre l’idée qu’il est
immoral de retirer un ventilateur avant que la mort cérébrale soit
avérée. Les mentalités changent largement à cet égard, mais il
reste certain que la possibilité de ne pas ou de ne plus ventiler, et
les conditions éthiques qui s’y rattachent, font encore parfois
l’objet d’un certain tabou.
La loi en France, tout particulièrement depuis 2005, souligne la
possibilité de ne pas continuer des traitements jugés hors de proportion. Sur le plan éthique, un certain nombre de principes
constituent ici des repères importants : l’autonomie, l’équivalence
morale entre arrêter et ne pas commencer, le principe du double
effet et le principe de non-abandon.
Arrêter un traitement entrepris : repères législatifs
et déontologiques
En se fondant sur le principe du consentement, le fait que la personne
malade ne consente plus à un traitement (la ventilation en l’occurrence) impose de cesser ce dernier. Les références juridiques et
déontologiques sont à cet égard les mêmes que celles se rapportant
au consentement de la personne à tout traitement. Le législateur
a pris en considération en 2005 la situation spécifique dans laquelle
l’arrêt d’un traitement peut conduire ou conduira certainement au
décès, ce qui est le cas pour la ventilation d’une personne atteinte
de SLA. On lit notamment dans la loi relative aux droits des
malades en fin de vie que les soins “ne doivent pas être poursuivis
par une obstination déraisonnable. Lorsqu’ils apparaissent inutiles,
disproportionnés ou n’ayant d’autre effet que le seul maintien artificiel de la vie, ils peuvent être suspendus ou ne pas être entrepris”
(Art. L1110-5, CSP). Par ailleurs, la loi stipule que “lorsqu’une
personne, en phase avancée ou terminale d’une affection grave et
incurable, quelle qu’en soit la cause, décide de limiter ou d’arrêter
tout traitement, le médecin respecte sa volonté après l’avoir
informée des conséquences de son choix. La décision du malade
est inscrite dans son dossier médical (…)” (Art. L1110-10, CSP).
La situation où la personne serait hors d’état d’exprimer sa
volonté est prise en considération par la reconnaissance du fait
que “toute personne majeure peut rédiger des directives anticipées (indiquant ses) souhaits relatifs à sa fin de vie concernant
les conditions de la limitation ou de l’arrêt de traitement” (Art.
L1111-11, CSP). Les modalités de décision d’arrêt ou de limitation de traitement pour une personne hors d’état d’exprimer sa
volonté sont expliquées dans l’article L1111-13 du CSP, mentionnant notamment la nécessité d’une décision collégiale.
Si ces éléments apparaissent clairs à la lecture de la loi, y compris
pour ce qui concerne les situations cliniques de locked-in syndrome total où les personnes auraient fait clairement connaître
leur volonté lorsqu’elles étaient en mesure de communiquer, un
certain nombre de questions morales ou éthiques auxquelles ils
renvoient méritent d’être explicitées.
Arrêter un traitement vital n’est pas une euthanasie
Le fait d’interrompre une suppléance respiratoire chez une personne qui en fait la demande n’est pas une euthanasie, mais un
arrêt ou une limitation de traitement. Cette confusion fréquente
La Lettre du Neurologue - vol. X - n° 6 - juin 2006
a fait rappeler à de nombreux auteurs l’équivalence morale qu’il
y a entre ne pas commencer un traitement ou ne pas le poursuivre. Cette affirmation se fonde sur la primauté du principe de
l’autonomie : c’est bien d’une seule et même autonomie qu’il est
question lorsqu’il s’agit de refuser de commencer un traitement
ou de refuser de le continuer à un moment donné (9).
L’autre argument fréquemment soulevé d’un point de vue éthique
pour différencier l’arrêt d’un traitement d’une part et l’acte d’euthanasier d’autre part est fondé sur l’examen de l’intentionnalité,
vue du côté du professionnel de santé. L’intention qui accompagne l’acte d’arrêter un traitement n’est pas de provoquer la
mort de la personne, mais de cesser une action dont on considère
qu’elle est devenue disproportionnée, contrairement à l’intention
qui sous-tend l’euthanasie, dont le but est de provoquer la survenue du décès.
Comment arrêter une ventilation ?
Les modalités de l’arrêt de la ventilation font l’objet d’importantes discussions. La réflexion sur ces modalités n’est pas nécessairement spécifique à la SLA ; elle relève, par exemple, de la
vitesse du “sevrage” et des médications symptomatiques accompagnant ce dernier. À cet égard, la théorie ou principe du double
effet, qui fait appel à celle de l’intentionnalité, permet l’usage de
molécules sédatives, y compris si ces dernières ont pour conséquence un probable raccourcissement de la durée de la vie, dès
lors qu’elles sont administrées en réponse adaptée à des symptômes et qu’il n’existe pas d’autre alternative. Autrement dit,
l’administration de benzodiazépines ou de morphiniques à des
doses aussi hautes que nécessaire dans le cadre du traitement
symptomatique d’une dyspnée est parfaitement possible.
Dans tous les cas, l’interruption d’une ventilation est un acte qui
doit être pratiqué dans le respect de bonnes pratiques décisionnelles, cliniques et éthiques. La conférence de consensus sur la
prise en charge des personnes atteintes de SLA mentionnée plus
haut se réfère directement aux recommandations de la Société
française d’accompagnement et de soins palliatifs. La collaboration de professionnels rompus aux techniques de soins palliatifs
s’avère bien entendu tout à fait souhaitable, si ce n’est nécessaire.
CONCLUSION : UN ENGAGEMENT JUSQU’AU BOUT
L’existence des techniques de suppléance respiratoire et ses différents seuils (non invasif, invasif, intermittent, continu) doit faire
considérer avec l’ensemble des interlocuteurs pertinents, la personne malade en tout premier lieu, toutes les possibilités qu’elles
ouvrent : ne pas commencer, commencer, ne pas passer à un seuil
supérieur, retourner à un seuil inférieur, interrompre. Aucune
règle ne dicte par avance de manière uniforme la conduite générale de la suppléance respiratoire pour les personnes atteintes de
SLA, dont le parcours est chaque fois différent. Dans tous les cas,
le professionnel accompagnant la personne depuis l’annonce du
diagnostic jusqu’à son décès doit s’assurer qu’à aucun moment
la personne malade n’est abandonnée. La multiplicité des intervenants de santé potentiels, y compris dans le contexte de l’ur199
M
I
S
E
A
U
gence (SAMU), doit être prise en considération. C’est grâce au
dialogue et à l’anticipation, dans toute la mesure du possible, que la
personne pourra ne pas être confrontée à des actes thérapeutiques
dépourvus de signification. La mise en œuvre de techniques de
suppléance respiratoire doit respecter les choix de la personne et
s’accompagner de la création d’un véritable réseau de confiance
et de compétences, tissé avec et autour de la personne atteinte de
SLA, et dans un dialogue permanent avec elle.
■
R
É F É R E N C E S
B I B L I O G R A P H I Q U E S
1. Hayashi H. Ventilatory support: Japanese experience. J Neurol Sci 1997;152
(Suppl.1):S97-100.
2. Moss AH, Oppenheimer EA, Casey P et al. Patients with amyotrophic lateral
sclerosis receiving long-term mechanical ventilation, advanced care planning and
outcomes. Chest 1996;110:249-55.
P
O
I
N
T
3. Cazzolli PA, Oppenheimer EA. Home mechanical ventilation for amyotrophic
lateral sclerosis: nasal compared to tracheostomy-intermittent positive pressure
ventilation. J Neurol Sci 1996;139(Suppl.):123-8.
4. Kaub-Wittemer D, Steinbuchel N, Wasner M et al. Quality of life and psychosocial issues in ventilated patients with amyotrophic lateral sclerosis and their
caregivers. J Pain Symptom Manage 2003;26:890-6.
5. Moss AH, Casey P, Stocking CB et al. Home ventilation for amyotrophic lateral
sclerosis patients: outcomes, costs, and patient, family, and physician attitudes.
Neurology 1993;43:438-43.
6. Goldblatt D, Greenlaw J. Starting and stopping the ventilator for patients with
amyotrophic lateral sclerosis. Neurologic Clinics 1989;7:789-806.
7. Polkey MI, Lyall RA, Davidson AC et al. Ethical and clinical issues in the use
of home non-invasive mechanical ventilation for the palliation of breathlessness
in motor neurone disease. Thorax 1999;54:367-71.
8. Carver AC, Vickrey BG, Bernat JL et al. End-of-life care: a survey of US neurologists’ attitudes, behavior and knowledge. Neurology 1999;53:284-93.
9. Borasio G, Voltz R. Discontinuation of mechanical ventilation in patients with
amyotrophic lateral sclerosis. J Neurol 1998;245:717-22.
La Lettre du Neurologue
vous souhaite un bel été et vous remercie
de la fidélité de votre engagement
Le prochain numéro paraîtra en septembre 2006
200
La Lettre du Neurologue - vol. X - n° 6 - juin 2006
Téléchargement