R evue de presse Transplantation hépatique pour carcinome hépatocellulaire. Attention à l’exposition élevée aux inhibiteurs de la calcineurine L’ influence de l’immunosuppression sur l’augmentation du risque de récidive de carcinome hépatocellulaire (CHC), et notamment l’exposition à des taux élevés de ciclosporine, a été antérieurement rapportée comme étant un facteur indépendant prédictif de la récidive tumorale après transplantation. Cette étude, réalisée à partir d’une cohorte de 139 patients transplantés entre 1991 et 2006 pour CHC, rapporte de nouvelles données concernant l’impact réel de deux inhibiteurs de la calcineurine (INC) sur la récidive tumorale de CHC. Les patients ont été randomisés en 2 bras : tacrolimus (60 sujets) et ciclosporine (79 sujets). Les concentrations résiduelles des INC étaient analysées à J3, J7, J14, J30, M3, M6, M9 et M12. L’exposition aux INC était calculée en divisant l’ASC de l’INC par le temps d’exposition au médicament, selon une règle trapézoïdale pour chaque patient. Les caractéristiques des patients étaient comparables entre les 2 groupes ainsi que les caractéristiques tumorales, à l’exception des patients hors critères de Milan et de ceux aux grades histologiques 3 et 4, significativement plus fréquents dans le groupe tacrolimus. La médiane de suivi était de 3,6 ans (4 à 12 ans). Une récidive tumorale est survenue chez 12/60 (20 %) des patients sous tacrolimus et chez 9/79 (11,4 %) des patients sous ciclosporine. La proportion des CHC faiblement différenciés et des tumeurs avancées était significativement plus élevée dans le groupe de patients sous tacrolimus. L’exposition au tacrolimus était de 11,6 ± 1,5 ng/ml chez les patients qui ont développé une récidive tumorale et de 8,6 ± 1,7 ng/­ml chez ceux qui n’ont pas présenté de récidive (p < 0,001). La valeur seuil de l’exposition était de 10 ng/­ml pour le tacrolimus (ASC = 0,913) et de 220 ng/­ml pour la concentration résiduelle de ciclosporine (ASC = 0,752). Dans le groupe tacrolimus, une exposition élevée au tacrolimus était un facteur de risque indépendant de récidive CHC. L’analyse multivariée, incluant les patients sous tacrolimus et ciclosporine, a permis d’identifier l’exposition élevée aux INC (p = 0,014), l’AFP supérieur à 50 ng/ml en préopératoire (p = 0,001), le grade histologique 2 ou 3 d’Edmondson et Steiner (p = 0,009) et la présence d’une invasion microvasculaire (p = 0,04) comme facteurs indépendants prédictifs de la récidive tumorale. L’incidence de récidive tumorale en présence de 2 facteurs de risque ou plus est de 15 % quand l’exposition aux INC est faible, et elle est de 46,2 % quand celle-ci est élevée (p = 0,025). En conclusion, les INC doivent être administrés à des posologies ciblant des faibles concentrations. La place des associations avec les anti-CD25, le mycophénolate mofétil et, plus récemment, les inhibiteurs des mTOR nécessite une évaluation. F. Saliba, hôpital Paul-Brousse, centre hépato-biliaire, université Paris-Sud, unité Inserm 785, Villejuif. Vivarelli M, Cuchetti A, La Barba G et al. Liver transplantation for hepatocellular carcinoma under calcineurin inhibitors: reassessment of risk factors for tumor recurrence. Annals of Surgery 2008;248:857-62. Les transplanteurs hépatiques ont-ils toujours peur de l’alcoolisme ? C’ est évident pour les hépatologues anglo-saxons, comme en témoignent ces 3 articles récents sur le sujet. Dans la méta-analyse de M.A. Dew et al., le but était de rechercher, à partir d’une sélection de 54 études menées entre 1983 et 2005, les facteurs prédictifs de récidive de l’alcoolisme après transplantation hépatique (TH) [50 études] et des autres greffes d’organes solides. Le taux de rechute après TH était de 5,6 cas par 100 patients-année (dont 2,5 cas de récidive grave). Les facteurs démogra- 189 phiques et la plupart des données cliniques prégreffe étaient sans relation. Des conditions socio-familiales défavorables et des antécédents familiaux d’alcoolisme étaient corrélés faiblement, mais significativement, avec la rechute (R = 0,17-0,21). Une abstinence inférieure à 6 mois était également associée, avec une corrélation faible, à la récidive alcoolique. Ce critère de 6 mois d’abstinence est maintenant tellement ancré dans les consciences anglo-saxonnes qu’il est en fait difficile de l’analyser. Dans le travail de R. Gedaly, presque tous les patients avaient une abstinence de plus de 6 mois et 78 % avaient une abstinence d’au moins 12 mois. Le pourcentage de patients transplantés pour maladie alcoolique du foie était de 38 % dans cette série du Kentucky comportant 387 patients transplantés entre 1995 et 2007, ce qui est très supérieur à la moyenne américaine (cause unique dans 12,6 % des cas et associée dans 5,2 % des cas). La survie à 1 et 5 ans a été de 96,2 % et 84,4 %, et le taux de récidive de l’alcoolisme a été de 19 %. La définition de la récidive était large : consommation avouée par le patient ou la famille, quelle qu’en soit l’importance. En analyse univariée (facteurs socio-économiques, psychologiques et l’étiologie de la maladie causale), l’existence d’une dépression était un facteur indépendant associé à la survie (p = 0,01), et la récidive avait un effet limite (p = 0,059). En analyse multivariée, les deux facteurs étaient associés à la survie (p = 0,008 et p = 0,017, respectivement). Le seul facteur indépendant associé à la récidive en analyse multivariée était une abstinence inférieure à 12 mois (p = 0,037). La durée moyenne d’abstinence était de 23,4 ± 16,4 mois chez les patients rechuteurs, et de 50,1 ± 52 mois chez les patients non rechuteurs (p = 0,009). Dans cette série, la consommation de drogues a été fréquente : consommation passée ou en cours d’une drogue chez 47,4 % des patients (narcotique : 17,5 %, marijuana : 28,5 %, cocaïne : 16,1 %, drogue i.v. : 15,3 %). Après TH, seuls 17,2 % des patients ont continué leur consomma- Le Courrier de la Transplantation - Volume VIII - n o 4 - octobre-novembre-décembre 2008 R evue de presse tion (marijuana : 13,9 %, cocaïne : 3,5 %, amphétamine : 0,7 %). En analyse multivariée, seule la consommation pré-TH était prédictive d’une consommation postgreffe (p = 0,017). Le très original travail de l’équipe de E. Day (Birmingham) avait pour but de détecter des consommations alcooliques prolongées et à risque chez les patients transplantés pour une cause supposée non alcoolique d’hépatopathie. Chez 208 patients ainsi définis, 80 (39 %) avaient une consommation d’alcool, avec une alcoolo-dépendance pour 25 % des cas et sans alcoolo-dépendance pour 14 % des cas. Dans 10 des 80 cas, le problème n’avait jamais été décelé auparavant. Dans la plupart des cas, le diagnostic retenu était celui de cirrhose virale C. Les facteurs démographiques et la gravité de la maladie étaient comparables entre patients “détectés” et “non détectés”. Les seconds consommaient plus de tabac et de drogues “illicites” (opiacés, cocaïne, amphétamines, cannabis, hallucinogènes) et de barbituriques. Commentaire. L’analyse de la consommation d’alcool avant TH repose sur différentes techniques : interrogatoire du patient, réalisations d’alcoolémies ou d’alcooluries, de manière systématique ou imprévue, parfois à l’arrivée du patient au moment d’un appel pour TH. De même, si aucune prise en charge spécifique n’est définie, celle pré-TH peut varier entre une prise en charge psychiatrique et une prise en charge alcoologique. Le travail de E. Day démontre clairement que l’absence de prise en charge alcoologique risque d’entraîner une sous-estimation du problème de l’alcool et des problèmes associés de toxicomanie. L’un des autres problèmes majeurs pour la comparaison des séries repose sur la définition de la rechute. L’incidence de la rechute varie en effet de 7 à 95 %, ce qui reflète clairement la dispersion des définitions : d’une simple consommation épisodique, qui ne pose pas de problème chez un sujet non alcoolo-dépendant, aux consommations à risque, qui jouent probablement un rôle dans la survie des receveurs, en altérant directement le greffon ou en réduisant l’observance des traitements. La durée d’abstinence a été l’objet de très nombreuses controverses. Le “consensus” des 6 mois n’est en fait consensuel que dans les pays anglosaxons car il est contesté en Europe continentale. La corrélation entre durée d’abstinence et risque de récidive est en effet réelle mais faible, de sorte que l’exclusion de patients dont l’abstinence est inférieure à ce délai peut faire exclure de nombreux patients fiables d’une TH. Les autres conduites à risque ont été très peu analysées chez les patients bénéficiant d’une TH. L’un des interêts du travail de R. Gedaly et al. est d’avoir interrogé les patients sur leur consommation de “substances illicites”. Le résultat est plutôt surprenant (près de 50 % des patients consomment ou ont consommé), d’autant plus qu’il s’agit d’une population de l’“Amérique profonde” et que les patients avaient une durée prolongée d’abstinence alcoolique. Cependant, aucune donnée sur l’ancienneté de la consommation n’est fournie. La faible récidive postgreffe suggère que beaucoup des patients consommateurs avant TH avaient, en fait, une consommation ancienne. Y. Calmus, Paris » Gedaly R, McHugh PP, Johnston TD et al. Predictors of relapse to alcohol and illicit drugs after liver transplantation for alcoholic liver disease. Transplantation 2008;86:1090-5. » Dew MA, DiMartini AF, Steel J et al. Meta-analysis of risk for relapse to substance use after transplantation of the liver or other solid organs. Liver Transplant 2008;14:159-72. » Day E, Best D, Sweeting R et al. Detecting lifetime alcohol problems in individuals referred for liver transplantation for nonalcoholic liver failure. Liver Transplant 2008;14:1609-13. Les articles publiés dans Le Courrier de la Transplantation le sont sous la seule responsabilité de leurs auteurs. Tous droits de reproduction, d’adaptation et de traduction par tous procédés réservés pour tous pays. © juin 2001 - Edimark SAS (DaTeBe Éditions) - Imprimé en France - ÉDIPS, 21800 Quetigny - Dépôt légal à parution. 190 Le Courrier de la Transplantation - Volume VIII - n o 4 - octobre-novembre-décembre 2008