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Dossier thématique
D ossier thématique
Formes héréditaires des cancers digestifs
Inherited digestive cancers
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B. Buecher*
ette année a été marquée une fois encore par un nombre
important de publications relatives à la génétique des
formes familiales, polyposiques et non polyposiques, des
cancers colorectaux. Elles permettent certes d’améliorer nos
connaissances dans ce domaine, mais elles soulèvent également
un grand nombre de questions et font apparaître un degré de
complexité insoupçonné. Elles conduisent à reconsidérer les
différentes entités nosologiques et à modifier progressivement
les algorithmes diagnostiques. Nous envisagerons successivement les principales acquisitions dans le domaine des formes
polyposiques et des formes non polyposiques et mentionnerons
pour finir quelques données relatives aux facteurs génétiques
de prédisposition aux cancers colorectaux sporadiques.
C
FORMES POLYPOSIQUES
Polypose adénomateuse liée à MYH
(MYH-associated polyposis [MAP])
L’évolution des connaissances dans le champ des polyposes
adénomateuses intéresse principalement la polypose adénomateuse liée à MYH, qui a d’ailleurs donné lieu à de nombreuses
publications. Ces dernières ont permis de préciser un certain
nombre de points concernant à la fois le phénotype de l’affection et les données de génétique moléculaire (altérations
génétiques constitutionnelles causales ; profil des altérations
génétiques somatiques). Il s’agit d’une polypose à transmission
autosomique récessive liée à une mutation délétère des deux
allèles du gène MYH (mutations invalidant l’allèle d’origine
paternelle et l’allèle d’origine maternelle). La perte de fonction de la protéine MYH, adénine glycosylase normalement
impliquée dans la réparation des lésions oxydatives de l’ADN,
est responsable de l’accumulation tumorigène de mutations
somatiques à type de transversions. L’affection rendrait compte
de 20 à 30 % des polyposes adénomateuses non liées à APC. La
polypose colique est le plus souvent de type atténué, avec un
nombre de polypes compris entre 15 et 100. Un phénotype de
polypose adénomateuse colorectale classique (> 100 polypes) est
également possible, mais les formes particulièrement profuses
(> 1 000 polypes) sont rares. Une agrégation de polypes, polyposes et/ou cancers colorectaux au sein d’une même fratrie en
l’absence de transmission “verticale” évidente ou des cas apparemment sporadiques correspondent aux modes de présentation
* Service d’hépato-gastroentérologie, CHU de Nantes.
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clinique les plus fréquents et doivent faire évoquer la responsabilité de MYH. Il est également acquis que la polypose duodénale
fait partie du spectre de l’affection et que les individus atteints
doivent faire l’objet d’une surveillance périodique du tractus
digestif supérieur. L’existence de manifestations phénotypiques
extradigestives observées au cours de la polypose adénomateuse
associée à APC (hypertrophie de l’épithélium pigmentaire de la
rétine ; lésions dermatologiques ; ostéomes, etc.) est possible,
mais cela est moins bien documenté. Sur le plan moléculaire,
les données récentes confirment l’implication préférentielle de
deux altérations de type faux-sens dans les populations caucasiennes : c.494A>G/p.Tyr165Cys et c.1145G>A/p.Gly382Asp.
Les études fonctionnelles ont permis de conclure qu’elles étaient
associées à une diminution significative de l’activité adénine
glycosylase. Elles sont responsables de plus de deux tiers des
cas à l’état homozygote ou hétérozygote composite.
Di Gregorio et al. ont récemment démontré qu’il existait une
modification du profil d’expression de la protéine MYH en immunohistochimie au niveau de la muqueuse colique “saine” et des
lésions néoplasiques (adénomes et adénocarcinomes colorectaux) des individus porteurs d’une polypose associée à MYH
(1). Dans cette situation, en effet, il n’existe pas de marquage
nucléaire des colonocytes, alors que le marquage cytoplasmisque
est intense et prend volontiers un aspect granulaire. Ce profil
diffère de celui de la muqueuse colique d’individus non atteints,
dans laquelle on observe une positivité de l’immunomarquage
au niveau nucléaire et cytoplasmique, et semble spécifique
dans la mesure où il n’a pas été retrouvé au niveau de cancers
colorectaux sporadiques ou survenant dans le contexte d’une
polypose adénomateuse liée à APC. Cette étude suggère que
l’immunohistochimie pourrait être une technique utile pour
l’identification des individus porteurs d’une polypose associée
à MYH. Ces données méritent néanmoins d’être confirmées.
Polyposes “festonnées”
Les polypes festonnés ou dentelés (serrated polyps des AngloSaxons) correspondent à un ensemble hétérogène de lésions
de nature épithéliale caractérisées, sur le plan architectural,
par un festonnement de la lumière des cryptes responsable
d’un aspect en “dents de scie” à la coupe. Les caractéristiques
cytologiques et l’existence éventuelle de troubles de la prolifération épithéliale permettent de distinguer au sein de ce groupe :
les polypes hyperplasiques classiques, les adénomes festonnés
(manifestement dysplasiques) et les adénomes festonnés sessiles
(sessile serrated adenomas, encore appelés polypes festonnés ou
hyperplasiques “atypiques”), caractérisés par de discrets troubles
La Lettre du Cancérologue - Vol. XVI - n° 4 - avril 2007
de la prolifération et de diagnostic anatomopathologique difficile.
Les polypes composites ou mixtes peuvent s’intégrer au groupe
des polypes festonnés lorsque l’un des contingents constitutifs au
moins présente cette caractéristique architecturale. Les polypes
festonnés peuvent être uniques ou multiples et réaliser un aspect
de polypose. Des formes familiales de polyposes “festonnées” ont
été décrites. Elles sont rares et pourraient regrouper plusieurs
entités. Les gènes en cause ne sont pas connus. La polypose
hyperplasique est caractérisée par la présence de multiples
polypes hyperplasiques (parfois de grande taille et/ou de localisation colique proximale), généralement associés à d’autres types de
polypes festonnés (adénomes festonnés et adénomes festonnés
sessiles) et à des adénomes “classiques” (2, 3). Le diagnostic est
porté le plus souvent au cours de la cinquième ou de la sixième
décennie, et il existe un potentiel de dégénérescence certain.
Les formes familiales sont caractérisées par une hétérogénéité
phénotypique intrafamiliale, et les agrégations décrites sont
généralement évocatrices d’un mode de transmission autosomique récessif. J. Young et J.R. Jass suggèrent que la polypose
hyperplasique doit être distinguée d’une autre forme de polypose
festonnée baptisée serrated pathway syndrome, caractérisée par
un nombre moindre de polypes, une prédominance féminine
ainsi qu’une agrégation plus marquée et transgénérationnelle
de cancers colorectaux évocatrice d’un mode de transmission
autosomique dominant (4).
Des altérations génétiques et épigénétiques sont observées de
façon récurrente au niveau des lésions survenant dans le contexte
de ces polyposes festonnées. Il s’agit de l’hyperméthylation des
îlots CpG de l’ADN (phénotype “méthylateur”) et des mutations
activatrices du proto-oncogène B-Raf responsables de l’activation
constitutionnelle de la voie de signalisation Ras/Raf/MAPkinase. L’hyperméthylation des séquences CpG de l’ADN semble
être particulièrement précoce et déterminante dans la genèse
de ces lésions. Elle suggère que les gènes en cause pourraient
être impliqués dans le contrôle de la méthylation de l’ADN. Ses
conséquences phénotypiques et fonctionnelles varient en fonction de la nature des gènes cibles dont l’expression est réprimée.
Cela explique la variabilité du phénotype moléculaire, certaines
lésions présentant une instabilité des microsatellites et d’autres non
(phénotype MSI-H en cas de méthylation du promoteur des deux
allèles du gène MLH1 ; phénotype MSI-L en cas de méthylation du
promoteur des deux allèles du gène MGMT 0-6-méthylguanine
DNA méthyltransférase, notamment ; phénotype MSS en cas de
conservation de l’expression de ces deux gènes).
FORMES NON POLYPOSIQUES
OU SYNDROME HNPCC (HEREDITARY NON
POLYPOSIS COLORECTAL CANCER)
Nouveau mécanisme d’inactivation germinale
des gènes du système MMR
Le syndrome HNPCC est classiquement dû à une altération
délétère germinale et héritée d’un gène du système MMR
(mismatch repair) responsable de la faillite de ce système
La Lettre du Cancérologue - Vol. XVI - n° 4 - avril 2007
d’identification et de réparation des lésions de l’ADN à type
de mésappariements de bases et d’erreurs de réplication de
l’ADN polymérase. Si différents types de mutations “ponctuelles” de la séquence codante de ces gènes (faux-sens, non
sens, insertion ou délétion d’un ou de plusieurs nucléotides
responsables d’un décalage du cadre de lecture et finalement
de la synthèse d’une protéine tronquée, non fonctionnelle) sont
le plus souvent en cause, l’implication de réarrangements de
grande taille de ces gènes a été plus récemment démontrée.
Il s’agit de délétions ou de duplications d’un ou de plusieurs
exons, méconnues par la technique de séquençage classique et
dont l’identification nécessite la mise en place de techniques
de génétique moléculaire particulières (QMPFS ; MLPA). Des
travaux récents indiquent la possibilité d’un troisième mécanisme d’inactivation de ces gènes correspondant à un défaut
d’expression (silencing) en rapport avec une hyperméthylation
du promoteur correspondant alors que la séquence codante
est intacte. T.L. Chan et al. ont en effet rapporté un cas de
syndrome HNPCC en rapport avec une hyperméthylation
constitutive, stable et transmissible, du promoteur du gène
MSH2 (5). Le cas index correspondait à une femme ayant développé un cancer colique à l’âge de 40 ans. La tumeur présentait
une instabilité des microsatellites (phénotype MSI-H) et un
défaut d’expression de la protéine MSH2 en immunohistochimie. L’étude constitutionnelle ne permettait pas d’identifier
d’altération délétère du gène MLH2 (pas de mutation position
de la séquence codante et des régions introniques adjacentes
ni de réarrangement de grande taille) mais une hyperméthylation allèle-spécifique du promoteur de ce gène. Cette dernière
était identifiée au niveau de l’ADN extrait des lymphocytes du
sang périphérique ainsi que de cellules jugales et de muqueuse
colique saine. Une hyperméthylation du promoteur du gène
MSH2 était également observée au niveau des lymphocytes
sanguins et de la muqueuse rectale de 10 des 12 individus testés
de cette famille, répartis sur trois générations successives (en
particulier chez deux sœurs de la proposante ayant développé
un cancer du côlon à l’âge de 30 ans et un carcinome in situ de
l’endomètre à l’âge de 43 ans, ainsi que chez sa mère, porteuse
de plusieurs polypes adénomateux colorectaux).
Une hyperméthylation constitutionnelle du promoteur du gène
MLH1 a également été rapportée dans le contexte du syndrome
HNPCC (6-9). Elle était observée en proportion variable dans
les différents types cellulaires testés et en particulier dans les
spermatozoïdes d’un homme atteint (7). Ainsi, l’hyperméthylation constitutionnelle du promoteur d’un gène du système
MMR correspond à une altération épigénétique potentiellement
responsable du syndrome HNPCC. L’inactivation somatique de
l’allèle fonctionnel restant (par mutation ou perte de matériel
chromosomique) dans une cellule “hémi-méthylée” est responsable de la perte de fonction biologique initiatrice de la transformation cancéreuse. La prévalence de ce type d’altération
au cours du syndrome HNPCC n’est pas connue mais il s’agit
très certainement d’un phénomène rare. De même, il existe
des incertitudes vis-à-vis de l’expression phénotypique de la
maladie dans ce contexte.
Dossier thématique
D ossier thématique
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Dossier thématique
D ossier thématique
Vers l’identification des gènes impliqués dans
le “syndrome X”
Le syndrome X est défini par une agrégation familiale de cancers
colorectaux (et possiblement de cancers extracolorectaux du
spectre HNPPC) ne présentant pas d’instabilité des microsatellites ni de perte d’expression des protéines de réparation des
mésappariements de l’ADN. Il représenterait 30 à 40 % environ
des cas d’agrégation familiale validant les critères d’Amsterdam,
et correspond donc stricto sensu à un sous-groupe du syndrome
HNPCC dans lequel la carcinogenèse n’implique pas une altération du système MMR mais des mécanismes qui restent à
identifier. De nombreuses équipes tentent d’identifier le ou les
gènes en cause. À ce titre, Z. Kemp et al. ont sélectionné un locus
d’intérêt au niveau de bras long du chromosome 3 (3q21-q24)
à partir de l’analyse de 295 individus porteurs de cancers ou
d’adénomes colorectaux phénotype MSS, issus de 69 familles, au
moyen d’une approche pangénomique (étude de liaison utilisant
des puces de génotypage explorant 10 000 polymorphismes
de type SNP [single nucleotide polymorphism] et réalisant une
cartographie à haute densité du génome) [10].
FACTEURS GÉNÉTIQUES DE PRÉDISPOSITION
AUX CANCERS COLORECTAUX SPORADIQUES
L’identification des facteurs génétiques impliqués dans la susceptibilité aux cancers colorectaux sporadiques survenant dans les
groupes d’individus à risque moyen et élevé correspond à un
enjeu majeur, puisque plus de 90 % des cancers colorectaux
surviennent dans ces populations. Elle offre la perspective d’une
évaluation fine et individualisée du niveau de risque de cancer
colorectal, préalable à l’établissement de recommandations de
dépistage spécifiques, voire à la mise en œuvre de mesures de
prévention pharmacologiques ou nutritionnelles ciblées. La genèse
des cancers colorectaux sporadiques est multifactorielle. Elle
implique à la fois des facteurs environnementaux et des facteurs
génétiques dont la nature est actuellement inconnue. Il s’agit de
gènes à pénétrance faible qui interviennent de manière “discrète”
et cumulative dans la carcinogenèse pour constituer un “fond
génétique” de prédisposition. Des études cas-témoins ont permis
d’incriminer individuellement un certain nombre de gènes codant
pour des protéines généralement impliquées dans le contrôle
de la prolifération et de la différenciation cellulaire ou dans le
métabolisme des xénobiotiques : méthylène tétrahydrofolate
réductase (MTHFR), enzymes du cytochrome P450 (CYP), Nacétyl-transférase (NAT), glutathion-transférases (GST) et glucuronyltransférases (UGT). L’approche développée par J.E. Goodman
et al. est particulièrement intéressante, puisqu’elle a consisté à
étudier 94 polymorphismes de type SNP et à évaluer le risque
134
relatif de cancer colorectal conféré par chacun de ces polymorphismes ainsi que par toutes les combinaisons possibles de ces
polymorphismes à partir de l’étude d’une cohorte de 216 hommes
avec cancer colorectal et d’une cohorte de 255 hommes témoins
(11). Cette étude a permis d’attribuer un rôle délétère à l’allèle
nul de la glutathion S-transférases T1 (GSTT1) et de démontrer
l’interaction de deux polymorphismes codants du gène TP53
(p.Arg72Pro) et du gène de la caspase 8 (p.Asp302His) avec cet
allèle. Les données fondamentales fournissent un rationnel à
cette interaction dans la mesure où la GSTT1 est normalement
impliquée dans la prévention des lésions de l’ADN induites par
différents agents mutagènes, alors que la protéine P53 gouverne
l’arrêt du cycle cellulaire nécessaire à la réparation des lésions
induites ou préalable à l’induction de l’apoptose impliquant la
caspase 8.
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RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
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