Du bovin et du séquençage de son génome

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30.4.2009
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point de vue
Du bovin et du séquençage
de son génome
A
près six années de travail c’est
fait : un consortium international
(300 chercheurs de 25 pays) conduit par le Centre de séquençage du Baylor
College of Medicine de Houston (Texas)
vient de publier dans les colonnes de
Science 1 la première analyse détaillée de
la séquence du génome bovin (Bos taurus). «Ce travail apporte des informations
considérables sur la biologie de cette
espèce et sur l’évolution et l’analyse comparées des mammifères, souligne-t-on
auprès de l’Institut national français de la
recherche agronomique (Inra) qui a participé à ce gigantesque travail. Il aura des
applications nombreuses pour les filières
bovines, en élargissant les outils et les
critères pour la sélection des animaux.»
Après le poulet et le chien, la vache
est le troisième animal domestique dont
le génome est entièrement séquencé. Le
séquençage du génome d’une vache femelle de race Hereford a été prolongé
par diverses analyses des populations bovines (dans le cadre du projet «HapMap
bovin») visant à produire une cartographie
de la diversité génétique dans les différentes populations, entre grands rameaux
taurins et zébus, et ce jusque dans les
différentes races bovines.2
On sait désormais que le génome bovin est beaucoup plus proche de celui de
l’homme que ceux de la souris ou du rat.
«Il comprend au moins 22 000 gènes, dont
la plupart se retrouvent chez l’homme,
explique-t-on auprès de l’Inra. La majorité des chromosomes bovins correspondent à de grands fragments de chromosomes humains, parfois des chromosomes entiers.» Comment comprendre cette
grande conservation du génome entre
ces deux espèces ? En postulant l’existence d’un ancêtre commun à l’homme
1 Elsik CG, Tellam RL, Worley KC. The Bovine Genome
Sequencing and Analysis Consortium. Le Consortium international a été conduit par différentes institutions nord-américaines. Il a été pour l’essentiel financé principalement par
des fonds nord-américains (NHGRI, USDA, Etat du Texas,
Genome Canada) ainsi que par quelques autres Etats (Australie, Nouvelle-Zélande, Norvège). Le Département de biologie structurale et bioinformatique, Centre médical universitaire, Faculté de médecine de Genève a participé à ce travail.
La liste complète des auteurs et leurs appartenances est
consultable à l’adresse suivante: www.inra.fr/presse/sequence_
genome_vache_decryptee
2 The Genome Sequence of Taurine Cattle: A window to ruminant biology and evolution. Science 2009;324:522-8.
3 Les personnes intéressées par l’histoire du lait et de sa
consommation prendront connaissance avec le plus vif intérêt du très riche ouvrage «Le lait, la vache et le citadin, du
XVIIe au XXe siècle» de Pierre-Olivier Fanica.Editions Quae
(c/o Inra, RD 10, 78026 Versailles cedex, France) www.quae.
com
00
et au bovin remontant à environ 95 milpourront être plus justement adaptées à
lions d’années. Les réarrangements surla physiologie des animaux et de fait plus
venus ultérieurement sont principalement
durables. La connaissance du génome
localisés dans les gènes impliqués dans
va aussi faciliter l’identification des mul’immunité, le métabolisme et la digestion.
tations responsables de pathologies chez
Sans grande surprise, les auteurs de ce
les bovins.»
travail estiment que ces changements
Pour plusieurs médias, la publication
pourraient expliquer l’efficacité des rumide Science a donné lieu à diverses interprétations. «Des chercheurs sont parvenants à convertir des fourrages énergétinus à séquencer le génome de la vache,
quement pauvres en viande et lait.3
ce qui devrait permettre de lever le voile
Le projet «HapMap bovin» a quant à
sur les secrets génétiques de la bonne
lui dessiné une cartographie de la diverviande et du bon frosité génétique dans les
mage et faire avancer
différentes populations
«… Les connaissances
bovines. L’analyse de
acquises ont des implica- la compréhension des
près de cinq cents animaladies bovines et hutions considérables pour
maux de dix-sept pomaines» s’est enthoules filières bovines …»
pulations (y compris la
siasmé l’Agence France-Presse. Un enthourace française Limousiasme il est vrai très largement partagé.
sine), montre que les bovins constituaient
«Le séquençage du génome bovin va
initialement une population génétiquement
permettre aux chercheurs de comprentrès diverse qui s’est structurée sous
dre les causes génétiques des maladies
l’effet de la domestication, la formation
affectant le cheptel, de produire de la
des races via la sélection. Depuis la domestication (il y a entre 8000 et 10 000
viande et du lait plus sains tout en réduians), les observations et les choix des
sant pour les éleveurs la dépendance des
éleveurs ont conduit à la stabilisation de
antibiotiques utilisés pour préserver la
plus de huit cents races aux aptitudes
santé des animaux, a ainsi déclaré Tom
très variées.
Vilsack, ministre américain de l’AgriculLes auteurs de ces recherches ne se
ture dont le ministère a financé une parsont pas bornés à publier de manière
tie du projet. L’élevage est très important
brute et sèche leurs résultats. Adoptant
pour le secteur agricole aux Etats-Unis
une politique de plus en plus suivie, ils
avec un cheptel bovin de 94 millions de
en ont vanté les mérites et développé les
têtes estimé à 49 milliards de dollars.»
nouvelles perspectives qu’ils ouvrent. «Les
Et encore, selon le Dr Raynard Kington,
connaissances acquises par ce séquendirecteur par intérim des Instituts natioçage ont des implications considérables
naux américains de la santé qui ont piloté
pour les filières bovines tant pour le lait
et cofinancé cette recherche : «Le séquenque pour la viande mais aussi en matière
çage du génome bovin ouvre aussi une
de reproduction ou d’adaptation des esautre fenêtre sur notre propre génome
car en comparant le génome humain à
pèces (robustesse, bien-être), de techniques d’élevage et d’impacts environneceux de nombreuses autres espèces animales, nous pouvons mieux comprendre
mentaux, assure-t-on auprès de l’Inra. La
le mécanisme génétique des maladies.»
sélection génomique des meilleures poPour Shirley Ellis (Institut britannique pour
pulations pratiquée par les éleveurs sera
la santé animale), «cette recherche pourainsi optimisée.»
rait aboutir à une augmentation de la
En d’autres termes, on devrait aller plus
production de lait dans le monde, à une
vite et plus loin dans une pratique qui
amélioration de la qualité de la viande et à
consiste à sélectionner des reproducteurs
un cheptel résistant mieux aux malasur la base de leur valeur génétique prédies». Et pour Richard Gibbs, du Baylor
dite à partir de marqueurs génétiques
College de Houston et premier investigarépartis dans l’ensemble du génome. En
teur, «il faut espérer que ces informations
pratique, cette approche est rendue posgénétiques seront exploitées pour réduire
sible par la fameuse technique des puces
l’impact environnemental de l’élevage».
à ADN. «Les données issues du séquenCertains ne manqueront pas de voir là
çage permettent le développement d’un
une forme de scientisme.
très grand nombre de marqueurs génétiques et d’outils de génotypage à haut
Jean-Yves Nau
débit, renouvelant complètement les mé[email protected]
thodes de gestion des populations pour
une sélection de nouveaux caractères,
dit l’Inra. Ainsi, les méthodes d’élevage
Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 5 janvier 2009
Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 6 mai 2009
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