V Transplantation o c a b u l a i r e J

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V ocabulaire
Transplantation
Jardinage et chirurgie semblent entretenir
une relation inattendue, mais tenace. La
greffe et les greffons, qui évoquent dans
l’Antiquité le stylet de l’écriture (graphum)
et remontent au grec graphein, “inscrire”,
sont passés il y a plus de deux siècles de la
manipulation végétale au règne animal
(greffe animale se lit en français en 1782).
Plus essentielle, plus profonde, car elle ne
concerne plus la pousse, mais la plante ellemême, jusqu’à la racine, la transplantation.
Le latin transplantare reste intimement et
clairement lié à planter, “au-delà (trans-) de
l’enracinement originel”. Comme pour
greffe, la référence horticole suggère une
technique maîtrisée, des soins attentifs ; à la
fin du XIXe siècle, lorsqu’on commence à
parler de tissus et d’organes transplantés, on
ressent encore la métaphore jardinière. Métaphore peu exacte, d’ailleurs : dans le règne
végétal, on transfère, on transporte la plante,
l’organisme entier, alors que pour l’animal,
il ne peut s’agir que de tissus et d’organes.
Dans transplanter règne planter, verbe latin
(plantare) qui fait référence à la face
inférieure du pied (planta, la plante du
pied), utilisée pour tasser le sol autour de la
pousse que l’on met en terre. Mot avec une racine archaïque – on parle de racine
pour les mots comme pour les végétaux – qui a donné aussi le grec platus, “large,
étendu” et “plat”, et le latin planus. Mot sans doute archaïque et, sûrement, notion
protohistorique, qui évoque un rapport primitif – avant tout emploi d’instruments –
entre l’homme et la terre, à des fins agricoles – quand la cueillette ne suffit plus
aux besoins alimentaires des humains.
Toute transplantation évoque ainsi un rapport entre l’activité de l’homo erectus et
le terrain nourricier. Rapport primitif, intime et sans intermédiaire, aujourd’hui
transféré en une relation entre l’organisme menacé de mort par la défaillance d’un
organe et les organismes “donneurs” de cet organe.
Mais, de même que le végétal greffé ou transplanté, l’organe n’est pas un être pensant,
alors que l’organisme humain menacé est d’abord le support d’une conscience. Et la
conscience (cum-scientia) réapparaît pleinement dans la chaîne thérapeutique : intention de donner, don, prélèvement, conservation, compatibilité, enfin transfert, transplantation. Ce qui confère à la mort une signification nouvelle, puisque
l’organe prélevé va épargner la vie d’un ou d’une autre. Il y a dans le mot transplantation un dynamisme absent du terme greffe, souvent confondu avec le
greffon. Un risque aussi, qui est l’instrumentalisation des organes, qui acquièrent
une valeur à l’intérieur d’un marché dramatiquement contraignant. Un organe transplanté n’est pas seulement une affaire de technique médicale ; c’est un morceau de
vie humaine et un sauveur d’autres vies humaines.
La chirurgie, ce “pouvoir de la main”, est alors portée au sommet de ses aptitudes
et de ses responsabilités.
A. Rey, directeur littéraire du Robert, Paris
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Le Courrier de la Transplantation - Volume I - n o 1 - avril-mai-juin 2001
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