DOSSIER États limites Les troubles de la personnalité limite à l’adolescence Borderline personality disorder in adolescence S. Garny de La Rivière*, A. Knafo**, C. Pripis*, N. Rey*, J.M. Guilé* S i le terme borderline apparaît initialement pour désigner des syndromes frontières de la schizophrénie, il a été ensuite développé pour qualifier des organisations psychopathologiques intermédiaires entre des organisations névrotiques et psychotiques. Ce sont surtout O. Kernberg et J. Bergeret qui ont donné un éclairage particulier aux concepts d’organisation de la personnalité limite (Kernberg, 1989) et d’état limite (Bergeret, 1995), organisations psychiques sous-tendant les symptômes observables dans le trouble de la personnalité limite (TPL). Notre travail se propose d’aborder de manière non exhaustive des questions de diagnostic et de psychopathologie, des processus cognitifs et des données neurophysiologiques qui concernent cette pathologie. Des méthodes d’exploration et des méthodes de prise en charge seront également évoquées. Définition * Service de psychopathologie de l’enfant et de l’adolescent, CHU d’Amiens ; université de Picardie JulesVerne, Amiens. ** Service de psychopathologie de l’enfant et de l’adolescent, hôpital Bichat-Claude-Bernard, Paris ; université Denis-Diderot Paris 7. Avant d’aller plus loin, il convient de clarifier certains points de terminologie : le concept d’état limite est souvent confondu avec celui de TPL au sens où l’entendent les DSM-IV et 5. Le TPL, ou borderline personality disorder (BPD) pour les anglophones, est un syndrome spécifique regroupant des comportements observables tels que l’instabilité relationnelle ou l’impulsivité. Le concept d’organisation de la personnalité limite ou d’état limite (borderline condition) est un concept psychodynamique qui renvoie, quant à lui, à une organisation de personnalité pathologique, c’est-à-dire à un ensemble de constituants de la personnalité qui ne sont pas immédiatement observables. Il s’agit donc de 2 concepts situés sur 2 niveaux différents : le TPL relève des comportements observables et du syndrome, tandis que l’état limite renvoie au plan psychodynamique (1). 92 | La Lettre du Psychiatre • Vol. X - no 3 - mai-juin 2014 Épidémiologie La prévalence du trouble en population générale est de 3 % pour les TPL sévères, avec un taux égal chez les garçons et chez les filles de 11 à 21 ans (2). En population clinique, ces chiffres montent à 11 % des adolescents suivis en ambulatoire (3), et 53 % des patients hospitalisés (4). Si l’on ne retrouve pas de différence significative de prévalence concernant le sexe dans la population générale, en population clinique, le TPL est plus souvent observé chez les filles (31 à 61 %) que chez les garçons (39 % au maximum) [2, 5-7]. Au cours des dernières années, le diagnostic de TPL à l’adolescence a suscité de nombreux questionnements quant à sa validité de construit et sa validité prédictive. Si plusieurs études apportent des éléments de preuve quant à la validité de construit du TPL à l’adolescence (7, 8), sa validité prédictive à l’adolescence est davantage controversée. De fait, plusieurs études montrent que la stabilité du diagnostic catégoriel du TPL chez les adolescents est faible (9, 10). En revanche, l’approche dimensionnelle, en définissant le TPL comme l’expression de perturbations d’intensité variable telles que l’instabilité émotionnelle et l’impulsivité, permet une meilleure stabilité diagnostique. Ainsi, plusieurs études concluent à la pertinence d’une approche dimensionnelle sous-tendant l’idée d’un continuum qui permettrait de mieux prendre en compte l’hétérogénéité clinique propre à l’adolescence (7, 11). Questions diagnostiques Approche catégorielle La classification américaine (Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, DSM-IV-R et Points forts » Les états limites et le trouble de la personnalité limite sont 2 entités souvent confondues. » Une approche dimensionnelle présente un intérêt par rapport à l’approche catégorielle classique. » Actuellement, la plupart des modèles dimensionnels décrivent le trouble de personnalité limite selon 4 dimensions : cognitive, impulsive, affective et interpersonnelle. » La psychopathologie repose sur 3 caractéristiques : l’identité diffuse, des mécanismes de défense primitifs prévalents (clivage) et une fragilité de l’épreuve de réalité. » La prise en charge est multimodale. DSM-5) [12], pose le diagnostic de TPL à l’adolescence lorsque le sujet présente depuis au moins 1 an 5 des 9 critères suivants : ➤ Efforts effrénés pour éviter les abandons réels ou imaginés ; ➤ Relations interpersonnelles instables et intenses caractérisées par l’alternance entre des positions extrêmes d’idéalisation excessive et de dévalorisation ; ➤ Perturbation de l’identité : instabilité marquée et persistante de l’image de soi ou de la notion de soi ; ➤ Impulsivité dans au moins 2 domaines potentiellement dommageables pour le sujet (par exemple dépenses, sexualité ou conduite automobile dangereuse) ; ➤ Répétition de gestes ou de menaces suicidaires ou d’automutilations ; ➤ Instabilité affective due à une réactivité marquée de l’humeur ; ➤ Sentiment chronique de vide ; ➤ Colère intense et inappropriée ou difficulté à contrôler sa colère ; ➤ Survenue transitoire dans des situations de stress d’une idéation persécutoire ou de symptômes dissociatifs sévères. L’approche catégorielle permet de mettre en évidence des comorbidités importantes. Le projet multicentrique européen sur la phénoménologie du TPL à l’adolescence (European Research Network on Borderline Personality Disorder [EURNET-BPD]) [13] décrit une comorbidité à l’axe 1 de 89 % chez les adolescents atteints de TPL entre 15 et 19 ans. Dans leur échantillon de 85 adolescents évalués au K-SADS-PL (Schedule for Affective Disorders and Schizophrenia for School-Age Children-Present and Lifetime Version), il était retrouvé 55,3 % de troubles de l’humeur, 31,8 % de troubles des conduites alimentaires (TCA), 25,9 % de troubles du comportement (dont 11 % de trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité type combiné), 25,9 % de troubles anxieux et 20 % de cas de consommation de toxiques. Concernant la comorbidité à l’axe II, à partir du même projet EURNET-BPD, G. Loas et al. (14) retrouvent 10,5 % de troubles du cluster A (principalement, trouble de la personnalité paranoïaque : 9,4 %), 27,1 % de troubles du cluster B (surtout personnalité antisociale : 22,4 %) et 52,9 % de troubles du cluster C (parmi lesquels 35,3 % de troubles obsessionnels-compulsifs, 21,2 % de sujets évitants et 11,8 % de dépendants). Si le diagnostic catégoriel du TPL à l’adolescence a une validité discriminante et convergente satisfaisante (8, 10, 15), sa validité prédictive est questionnable. Bien que la première étude menée par D.P. Berstein et al. montrait une stabilité observée à 2 ans de 25 % (2), les études plus récentes utilisant des procédures diagnostiques plus rigoureuses font état de stabilités plus importantes : 40 % à 2 ans (3) et 47 % à 4 ans (16). Dans ce contexte, une approche dimensionnelle du TPL permet-elle une meilleure stabilité diagnostique entre l’adolescence et l’âge adulte ? En outre, quelles dimensions sémiologiques perdurent ? Approche dimensionnelle Dans une approche dimensionnelle, le TPL est défini comme l’expression de perturbations d’intensité variable selon un continuum entre le normal et le pathologique, et ce sur plusieurs dimensions. Toutefois, toute approche dimensionnelle devient catégorielle à la suite d’un seuil particulier, définissant ainsi des sous-types catégoriels au sein des dimensions. Mots-clés Trouble de la personnalité limite Adolescence Cognition Highlights » Borderline illness and borderline personality disorder are 2 clinical entities often confused. » Dimensional classification has proven to be more useful than traditional categorical classification. » At present, most dimensional models describe borderline personality disorder focusing on 4 aspects: cognitive, impulsive, affective and interpersonal. » The psychopathology is based on 3 descriptive criteria: diffusion of identity, prevalence of primitive defence mechanisms (splitting) and fragility of reality testing. » Management is multimodal. Keywords Borderline personality disorder Adolescence Cognition Actuellement, la plupart des modèles dimensionnels décrivent le TPL selon 4 dimensions (17) : ➤ La dimension cognitive (trouble de l’identité, trouble de l’image de soi, symptômes dissociatifs transitoires) ; ➤ La dimension impulsive (comprenant les automutilations et les tentatives de suicide) ; ➤ La dimension affective (fluctuation de l’humeur, sentiment de vide, colère) ; ➤ La dimension interpersonnelle (relations interpersonnelles instables, efforts pour éviter l’abandon). L’approche dimensionnelle du TPL serait particulièrement pertinente à l’adolescence dans la mesure où elle prendrait davantage en compte la variabilité développementale et l’hétérogénéité observée à cette période de la vie (7, 18). La Lettre du Psychiatre • Vol. X - no 3 - mai-juin 2014 | 93 DOSSIER États limites Les troubles de la personnalité limite à l’adolescence La plupart des études ayant recours à une conceptualisation dimensionnelle du TPL mettent en évidence une stabilité modérée de ce diagnostic à l’adolescence. Ainsi, T.N. Crawford et al. (10) retrouvent une stabilité de 63 % pour les garçons et de 69 % pour les filles, pour une personnalité de cluster B (dont le TPL) sur un échantillon de 407 adolescents suivis sur 8 ans ; alors que, sur un échantillon clinique, de 12 patients (sur les 101 recrutés) présentant un TPL et suivis pendant 2 ans, A.M. Chanen et al. (3) retrouvent une stabilité de 54 %. Au bout du compte, si l’approche dimensionnelle du TPL permet une meilleure stabilité diagnostique que son approche catégorielle, il n’en reste pas moins évident que, pour la majorité des individus, le TPL décline de façon significative entre l’adolescence et l’âge adulte. Deux remarques sont à faire concernant la stabilité du diagnostic : ➤ En premier lieu, la stabilité de rang est conservée, c’est-à-dire que les adolescents ayant un TPL sévère en termes d’intensité des symptômes sont les plus à risque de présenter ce trouble de personnalité à l’âge adulte (19, 20). Ainsi, A.L. Miller et al. (7) soulignent l’émergence de 2 sous-groupes d’adolescents : les adolescents sévèrement atteints, dont le diagnostic est stable, et ceux, moins atteints, dont le diagnostic à travers le temps reste incertain. ➤ En second lieu, un petit nombre de symptômes émergent comme symptômes prédictifs significatifs de la persistance du TPL. K.E. Garnet et al. (21) montrent ainsi que les symptômes dont le pouvoir prédictif est le plus important (donc les plus stables) chez les adolescents sont le sentiment chronique de vide et l’ennui. D’autres auteurs (22, 23) identifient le trouble de l’identité, l’instabilité affective et la colère extrême, voire démesurée, comme les symptômes ayant le pouvoir prédictif le plus important. Le pouvoir prédictif de ces 3 symptômes est aussi relevé dans la littérature concernant le TPL à l’âge adulte, ce qui suggère que leur validité prédictive est élevée quel que soit le groupe d’âge. Comme la plupart des syndromes cliniques en pédopsychiatrie, le TPL est une pathologie développementale qui se construit dans les interactions précoces et s’exprime dans la relation. Le tableau clinique reflète un ensemble de perturbations qui peuvent être réparties dans 3 champs principaux : dynamique psychique, processus cognitifs et neurophysiologie, selon la modélisation développée précédemment (24). 94 | La Lettre du Psychiatre • Vol. X - no 3 - mai-juin 2014 Psychopathologie O. Kernberg (25) développe une conception structurelle qui définit l’état limite comme une organisation de la personnalité intermédiaire entre les organisations névrotiques et psychotiques. L’organisation de la personnalité limite se distingue des 2 autres par 3 caractéristiques : identité diffuse, mécanismes de défense primitifs prévalents (clivage), fragilité de l’épreuve de réalité. Actuellement, les travaux psychodynamiques s’écartent d’une conception structurelle pour mettre l’accent sur l’évolutivité du fonctionnement limite, avec la notion d’aménagement de J. Bergeret et celle de processus de R. Roussillon. Ainsi, selon J. Bergeret, l’état limite est aménagé plutôt que structurellement fixé, comme les structures névrotiques et psychotiques. Le moi et la relation d’objet se déforment sur un mode anaclitique et l’angoisse – une angoisse dépressive qui est en fait une angoisse de perte d’objet –, occupe une place centrale dans le tableau. “Elle survient dès que le sujet imagine que son objet anaclitique risque de lui faire défaut […] car, sans l’objet, [le sujet] anaclitique va sombrer dans la dépression” (26). Dans l’état limite, l’enfant est laissé à une perception contradictoire de lui-même et des autres. Les images positives et négatives de soi ne sont pas harmonisées dans une conception intégrée de soi. De la même façon, l’intégration des images positives et négatives des autres n’est pas acquise. L’identité personnelle est floue et changeante. Conséquemment, ces jeunes rencontrent de grandes difficultés dans la compréhension de leurs idées, de leurs sentiments et de leurs gestes mais aussi dans l’identification des sentiments d’autrui. L’organisation des mécanismes de défense intrapsychiques est centrée sur le clivage, mécanisme primitif qui protège l’appareil psychique et maintient une séparation entre les relations idéalisées par l’amour absolu et les relations persécutoires (1). Par ce procédé le sujet limite se préserve de la confrontation à son ambivalence et à sa souffrance dépressive. Les autres mécanismes de défense retrouvés sont l’identification projective, l’idéalisation primitive, l’omnipotence et la dévalorisation. La mise en action de ces mécanismes conduit à de brèves altérations de la perception de la réalité. Dans les moments les plus chargés en émotion, le jeune tend à percevoir la réalité extérieure de manière inexacte. L’origine interne ou externe des perceptions n’est plus correctement discernée. La distinction entre réalité extérieure partagée par tout le monde DOSSIER États limites et reconstruction imaginaire devient floue, voire inopérante. L’altération de l’épreuve de réalité dans les relations objectales proches est à l’origine de perceptions et de réactions inappropriées, voire de tableaux de psychose de transfert (17). Processus cognitifs : la question de la reconnaissance des émotions faciales chez le patient atteint de trouble de la personnalité limite Comme nous l’avons vu au cours de notre description psychopathologique et clinique, la problématique des difficultés relationnelles est centrale chez le patient souffrant d’un TPL. Articulant les dimensions cognitives, affectives et interpersonnelles du tableau, les mécanismes en jeu sont encore peu connus. L’une des pistes les plus intéressantes pose la question des modalités de perception de l’état émotionnel d’autrui, et, notamment, celle de la reconnaissance de ses émotions faciales. Plusieurs études ont déjà porté sur l’adulte ayant un TPL. Les premières études de reconnaissance des émotions faciales, utilisant un paradigme à base d’image statique de visages, ont montré des résultats contradictoires. Ainsi, D. Levine et al. (27), en 1997, et A.R. Bland et al. (28), en 2004, suggèrent qu’il y a chez les patients atteints de TPL une difficulté accrue à reconnaître certaines émotions, alors que A.W. Wagner et M.M. Linehan ont plutôt observé une hypersensibilité à l’émotion de peur dans une population de femmes ayant un TPL (29). L’utilisation de la technique du morphing présentait l’avantage de permettre de mesurer un seuil de détection de l’émotion présentée. De tels protocoles ont été utilisés par T.R. Linch et al. (30) en 2006 et G. Domes et al. (31) en 2008 : les résultats allaient dans le sens d’une hypersensibilité aux émotions faciales, d’après T.R. Lynch et al., ce que n’a pas confirmé l’étude de G. Domes et al. Chez l’adolescent, la littérature est plus pauvre concernant la reconnaissance des émotions faciales, et les résultats rapportés sont également contradictoires. La première étude, menée par M. Jovev et al. en 2011, utilisant une tâche de morphing, n’a pas montré de différence significative de sensibilité par rapport aux témoins (32). Plus récemment (en 2012), M. Robin et al. (33) se sont attelés à étudier cette problématique, en utilisant une tâche de morphing au sein de la population du EURNET-BPD. Ce volet du projet, incluant 22 patients ayant un TPL versus 22 sujet contrôles, a permis de mettre en évidence chez les adolescents TPL des délais de reconnaissance des émotions plus longs que chez les témoins, avec une différence significative pour la joie et la colère allant dans le sens d’une moindre sensibilité à la reconnaissance de ces émotions. En revanche, il n’a pas été trouvé de différence significative pour la reconnaissance de l’émotion pleinement exprimée (33). Si leurs résultats restent contradictoires avec une partie de la littérature, M. Robin et al. dessinent des pistes très intéressantes, notamment le rôle central des émotions de joie et, surtout, de colère, que l’on retrouve dans plusieurs études, ainsi que l’existence, de plus en plus évidente au fil des études utilisant le morphing, d’une problématique relative aux émotions ambiguës chez les patients ayant un TPL. Une difficulté, qu’il s’agisse d’une hyper- ou d’une hyposensibilité, à discriminer l’ambiguïté qui conforte la psychopathologie des problématiques limites et invite à des recherches complémentaires. Données de neurophysiologie et d’imagerie cérébrale Une étude récente en potentiels évoqués montre que les processus de maturation cérébrale semblent spécifiquement affectés dans le TPL en comparaison des effets cérébraux des troubles des conduites (34). Les données de neuro-imagerie chez l’adolescent ayant un TPL sont assez pauvres. Nous ne disposons pas, à l’heure actuelle, d’informations en IRMf. Les éléments suivants concernent l’imagerie structurale. Des différences volumétriques ont été constatées au niveau du cortex cingulaire antérieur par S. Whittle et al. (2009), qui décrivent une diminution du volume du cortex cingulaire antérieur gauche au sein d’une population de 15 adolescentes présentant un TPL avec comorbidités à l’axe I (35), et par M. Goodman et al. (2011), qui observent une diminution de la matière grise dans l’aire de Brodmann au sein d’une population mixte avec comorbidité dépressive (36). En revanche, aucune différence de volume n’a été constatée concernant l’amygdale, l’hippocampe, le corps calleux et le troisième ventricule (37). Méthode d’explorations Outre l’entrevue clinique, permettant d’établir le diagnostic de TPL en référence à la critériologie La Lettre du Psychiatre • Vol. X - no 3 - mai-juin 2014 | 95 DOSSIER États limites Les troubles de la personnalité limite à l’adolescence catégorielle ou dimensionnelle évoquée plus haut, quelques méthodes permettent d’éclairer le diagnostic. La méthode d’évaluation standardisée la plus répandue repose sur l’utilisation du Diagnostic Interview for Borderline Revised (DIB-R). Cet instrument, développé par J.G. Gunderson et al. a été utilisé, dans plusieurs pays, pour de nombreuses études sur les TPL, y compris chez l’adolescent. Il a été adapté pour l’identification des TPL dans la population adolescente, avec un très bon accord inter-juges (38, 39). Une version abrégé de ce questionnaire, l’Ab-DIB (Abbreviated-DIB), a été mise au point par J.M. Guilé et al. (39). Cet autoquestionnaire, renseigné par le patient âgé de 12 à 21 ans, couvre les composantes affectives, cognitives et impulsives du TPL. Il présente une très bonne fiabilité et une bonne validité convergente avec le DIB-R (40). On dispose de normes en population clinique francophone permettant le dépistage du trouble. La durée de passation est inférieure à 10 minutes. L’évaluation psychologique projective a également toute sa place dans l’évaluation du trouble. Dessins, jeux, psychodrame diagnostique, Children Apperception Test (CAT) ou Thematic Apperception Test (TAT) et Rorschach pourront être proposés. Outre les caractéristiques spécifiquement décrites par O. Kernberg (1989) dans l’organisation de la personnalité limite, on retrouve dans l’état limite des particularités de la relation d’objet, de l’angoisse et dans la vie personnelle. On observe une prépondérance de thèmes prégénitaux, une relation d’objet majoritairement duelle et non triangulaire ainsi qu’une angoisse de perte d’objet importante. Dans les formes sévères, l’épreuve de réalité se fait encore plus fragile, décrivant des situations d’état prépsychotique dont les caractéristiques d’évaluation ont été résumées par D. Widlöcher (41) : activité fantasmatique dénuée d’élaborations secondaires et de mécanismes de défense névrotiques, angoisse de destruction de la cohérence de soi, développement libidinal chaotique et intensité de l’agressivité. Enfin, mentionnons l’intérêt, chez ces patients présentant souvent un dérèglement des rythmes circadiens, d’une exploration actigraphique. J.M. Guilé et al. et C. Huynh et al. (42, 43) montrent ainsi que l’actigraphie a permis d’éclairer la compréhension des troubles du sommeil chez un patient, infirmant dans ce cas la pertinence d’une médication hypnotique. L’actigraphie, présentant l’intérêt d’être moins invasive et plus facilement (réalisable au domicile du patient que les explorations polisomnographiques, a, de surcroît, à l’heure actuelle, certainement le meilleur rapport coût/efficacité 96 | La Lettre du Psychiatre • Vol. X - no 3 - mai-juin 2014 dans une exploration des rythmes veille/sommeil sur une période de plusieurs jours. Évolution Les travaux de M.C. Zanarini et al. au sein de la cohorte MSAD (Mc Lean Study of Adult Development) [44, 45] nous renseignent sur l’évolution du trouble chez des jeunes adultes. Le taux de “récupération” (association d’une rémission des symptômes avec une bonne qualité des compétences sociales et professionnelles) totale et stable du trouble après 10 ans de suivi était de 50 %. Quatre-vingt-six à 93 % des patients présentaient une rémission partielle ou totale des symptômes. Le taux de rechute des patients ayant présenté une rémission de 2 ans était de 30 % (44, 45). Les dernières publications relatives à cette cohorte après 16 ans de suivi ont confirmé ces résultats encourageants et ont permis d’identifier certains facteurs de bon pronostic, tels que l’absence d’antécédent d’hospitalisation psychiatrique, l’absence de comorbidité du type d’un trouble de la personnalité du cluster C, un quotient intellectuel élevé, une bonne insertion professionnelle ainsi que de hauts niveaux d’extraversion et d’amabilité (46). Concernant l’évolution des symptômes, L. Gicquel et al. (17), s’appuyant notamment sur les observations de M.C. Zanarini et al., effectuent une classification par durée moyenne d’évolution, qui permet de préjuger des symptômes ayant le plus de risque de s’enkyster : notons, entre autres symptômes, que les sentiments de colère et de solitude restent les plus prégnants à 10 ans, et que les épisodes dépressifs et l’anxiété présentent une durée moyenne d’évolution de 6 à 8 ans, durée moyenne qui tombe entre 2 et 4 ans pour les abus et la dépendance aux substances psychoactives, les automutilations, et les tentatives de suicide répétées. Prise en charge Le traitement privilégie une thérapie multimodale, souvent groupale, associant psychothérapie psychodynamique, approche cognitivocomportementale et entraînement aux habiletés sociales. Parmi les techniques d’inspiration cognitivocomportementale, mentionnons la thérapie comportementale dialectique (Dialectic Behavior Therapy [DBT]) conçue par M. Linehan. Cette technique à l’efficacité prouvée chez l’adulte ayant un TPL DOSSIER États limites par de nombreuses études, notamment celles de T.R. Lynch et al. (47), de R. Verheul et al. (48) et de J.M. Stoffers et al. (49), a d’abord été adaptée à des populations d’adolescents suicidants par J.H. Rathus et A.L. Miller (50) avant d’être proposée à des populations d’adolescents ayant un TPL et suicidants par de nombreuses équipes, comme celles de C. Fleischhaker et al. (51) et de D.A. Klein et al. (52). Ainsi, le programme de DBT pour adolescent suicidant atteint de TPL, mis au point par D.A. Klein et al., propose une intervention multimodale articulant une psychothérapie individuelle, la participation à des groupes familiaux de formation de compétences, une thérapie familiale, un coaching téléphonique pour le patient et les membres de sa famille et un groupe de consultations de thérapeutes. ■ S. Garny de La Rivière déclare ne pas avoir de liens d’intérêts. Références bibliographiques 1. 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