SUPPLÉMENT le courrier du spécialiste Compte-rendu d’après le 20e congrès de l’European Psychiatric Association Dépression unipolaire Addictions Troubles bipolaires 3-6 mars 2012 République tchèque Rédactrice : Clémentine Wallace (Paris) Ce numéro a été réalisé avec le soutien institutionnel des laboratoires Société éditrice : EDIMARK SAS CPPAP : 0915 T 86854 – ISSN : 1774-0789 PÉRIODIQUE DE FORMATION EN LANGUE FRANÇAISE Suppl. 1 au n° 3-4 - Vol. VIII Mai-août 2012 Attention, ceci est un compte-rendu de congrès et/ou un recueil de résumés de communications de congrès dont l’objectif est de fournir des informations sur l’état actuel de la recherche ; ainsi, les données présentées sont susceptibles de ne pas être validées par les autorités de santé françaises et ne doivent donc pas être mises en pratique. Sommaire Supplément 1 au no 3-4 - Vol. VIII mai-juin-juillet-août 2012 Directeur de la publication : Claudie Damour-Terrasson Directeur scientifique :Pr C.S. Peretti (Paris) Rédactrice: Clémentine Wallace (Paris) Rédacteurs en chef :Pr P. Thomas (Lille) - Dr P. Nuss (Paris) Comité de rédaction Prs et Drs M. Abbar (Nîmes) - E. Bacon (Strasbourg) R. de Beaurepaire (Paris) - M. Benoit (Nice) - O. Blin (Marseille) P. Courtet (Montpellier) - P. Delbrouck (Saint-Nazaire) N. Franck (Bron) - M. Godfryd (Étampes) J.M. Havet (Reims) - P.M. Llorca (Clermont-Ferrand) P.O. Mattei (Paris) - D. Servant (Lille) F. Thibaut (Rouen) - B. Verrecchia (Paris) Comité scientifique Prs et Drs J.F. Allilaire, Paris (France) C. Ballüs, Barcelone (Espagne) - H. Beckmann, Wurzbürg (Allemagne) - G. Besançon, Nantes (France) - D. Clark, Oxford (Grande-Bretagne) - G.B. Cassano, Pise (Italie) - L. Colonna, Rouen (France) - J. Cottraux, Lyon (France) - J.M. Danion, Strasbourg (France) - P. Dick, Genève (Suisse) - M. Escande, Toulouse (France) - A. Feline, Paris (France) - M. Ferreri, Paris (France) - R. Girard, Caen (France) - L. Gram, Odense (Danemark) J.J. Kress, Rennes (France) - M. Lader, Londres (Grande-Bretagne) M. Marie-Cardine, Lyon (France) - I. Marks, Londres (Grande-Bretagne) - J. Mendlewicz, Bruxelles (Belgique) D. Moussaoui, Casablanca (Maroc) - M. Murray, Londres (Grande-Bretagne) - P.J. Parquet, Lille (France) - M. Patris, Strasbourg (France) - G. Potkin, Irvine (États-Unis) - W.Z. Potter, Washington (États-Unis) - C. Pull, Luxembourg (Grand-Duché) G. Rudenko, Moscou (Russie) - B. Saletu, Vienne (Autriche) D. Sechter, Besançon (France) - L. Singer, Strasbourg (France) T. Uhde, Bethesda (États-Unis) - Van der Linden, Liège (Belgique) A. Villeneuve, Québec (Canada) Traitement des dépressions résistantes : nouvelles approches La dépression psychotique comme entité clinique à part entière Modifications épigénétiques et sévérité du syndrome de stress post-traumatique Impulsivité et dépression : quel lien ? Mesure de la qualité de vie des patients alcoolodépendants Le jeu pathologique est-il une addiction ? Société éditrice : EDIMARK SAS Suicide et dépendance à l’alcool Président-directeur général : Claudie Damour-Terrasson Infographie Premier rédacteur graphiste : Didier Arnoult Rédacteurs graphistes :Mathilde Aimée, Christine Brianchon, Sébastien Chevalier, Virginie Malicot, Rémy Tranchant Infographiste multimédia : Christelle Ochin Dessinatrice d’exécution : Stéphanie Dairain Responsable numérique : Rémi Godard Commercial Directeur du développement commercial Sophia Huleux-Netchevitch Directeur des ventes :Chantal Géribi Directeur d’unité :Béatrice Malka Régie publicitaire et annonces professionnelles Valérie Glatin Tél. : 01 46 67 62 77 – Fax : 01 46 67 63 10 Responsable du service abonnements Badia Mansouri Tél. : 01 46 67 62 74 – Fax : 01 46 67 63 09 2, rue Sainte-Marie - 92418 Courbevoie Cedex Tél. : 01 46 67 63 00 – Fax : 01 46 67 63 10 E-mail : [email protected] Site Internet : www.edimark.fr Adhérent au SPEPS Revue indexée dans la base PASCAL (INIST-CNRS) Photographie de la couverture : © Henrik Winther Ander. ADDICTIONS 5 Réduction de la consommation d’alcool : un nouveau paradigme dans la prise en charge de l’alcoolo-dépendance Comité de lecture Drs et Prs P. Alary (Saint-Lô) - D. Barbier (Avignon) F.J. Baylé (Paris) - N. Bazin (Versailles) - P. Fossati (Paris) P. Hardy (Paris) - E. Hoffmann (Strasbourg) - J.P. Kahn (Nancy) C. Lançon (Marseille) - M. Leboyer (Créteil) - P. Martin (Paris) J. Naudin (Marseille) - P. Robert (Nice) - P. Salame (Strasbourg) G. Schmit (Reims) - J.L. Senon (Poitiers) - H. Verdoux (Bordeaux) J.P. Vignat (Lyon) - M.A. Wolf (Montréal) Rédaction Secrétaire générale de la rédaction :Magali Pelleau Première secrétaire de rédaction :Laurence Ménardais Secrétaire de rédaction : Anne Desmortier Rédacteurs-réviseurs :Cécile Clerc, Sylvie Duverger, Muriel Lejeune, Philippe-André Lorin, Odile Prébin DÉPRESSION UNIPOLAIRE 3 Interview du Dr A. Benyamina TROUBLES BIPOLAIRES 8 Marqueurs neurobiologiques du trouble bipolaire Symptômes résiduels dans le trouble bipolaire Interview du Pr W. El-Hage EPA 2012 Dépression unipolaire C. Wallace, Paris Traitement des dépressions résistantes : nouvelles approches D’après la communication de S. Kasper, Vienne (Autriche) Malgré l’évolution rapide de la pharmacologie ces 50 dernières années et la disponibilité sans cesse croissante de possibilités thérapeutiques, les individus non répondeurs aux traitements par antidépresseurs (AD) sont encore nombreux, représentant environ 30 % à 45 % des patients atteints de trouble dépressif majeur. Jusqu’à présent, la prise en charge recommandée pour les non-répondeurs consistait à changer de classe thérapeutique. Or, comme l’a signalé le Pr Siegfried Kasper de l’université de Vienne, les données récentes affirment qu’un prolongement du traitement initial ou une association d’agents sont préférables à un changement de molécule. S. Kasper a présenté les travaux les plus récents du projet européen multicentrique Patterns of Treatment Resistance and Switching Strategies in Affective Disorders, mené par le Group for the Study of Resistant Depression (GSRD). Certaines des évaluations rétrospectives et prospectives menées par ce dernier révèlent que le prolongement du traitement AD initial est plus efficace qu’un changement de mécanisme d’action. Lorsqu’un changement est néanmoins envisagé, il n’y a aucun avantage à se tourner vers une classe thérapeutique différente. Enfin, S. Kasper a fait état de plusieurs études rapportant l’efficacité supérieure d’une association moléculaire comparativement à la monothérapie. Un changement de molécule a des inconvénients cliniques qu’il ne faut pas sous-estimer : l’arrêt du traitement initial mène la plupart du temps à un syndrome de sevrage rarement compensé par le traitement de novo dont les effets ne se manifestent souvent pas avant plusieurs semaines. Les seules occasions dans lesquelles S. Kasper préconiserait un changement de classe thérapeutique sont la non-tolérance d’une molécule par un patient ou le constat de l’absence absolue d’effet thérapeutique. Face à l’abondance de données convergentes, l’European Medicines Agency (EMA) a lancé une révision de ses critères. La dépression psychotique comme entité clinique à part entière D’après le poster de S. Østergaard et al., Aalborg (Danemark) La dépression psychotique est caractérisée par l’apparition d’illusions et d’hallucinations sensorielles, en plus des symptômes caractéristiques de la dépression unipolaire. Dans la classification actuelle du DSM, la dépression psychotique est considérée comme un sous-type de la dépression sévère. Or, de plus en plus de données suggèrent que ces manifestations psychotiques peuvent aussi se manifester chez des patients à dépression dite modérée ou faible. Entre 2000 et 2010, l’équipe de l’Aarhus University Hospital au Danemark a mené une étude pour répertorier l’apparition de symptômes psychotiques éventuels chez 357 patients admis pour un épisode de dépression dans un hôpital psychiatrique danois. La mesure de la sévérité de la dépression et des symptômes psychotiques a révélé une absence de corrélation (coefficient de Spearman : 0,12). Autrement dit, quelle que soit la sévérité de la dépression, les troubles psychotiques peuvent se manifester. Les auteurs concluent qu’il serait préférable de ne pas traiter la dépression psychotique comme un sous-type de la dépression sévère. Leurs résultats soutiennent l’hypothèse de 2 entités cliniques distinctes : la dépression psychotique et la dépression non psychotique. La Lettre du Psychiatre • Supplément 1 au n° 3-4 - Vol. VIII - mai-juin-juillet-août 2012 | 3 EPA 2012 Dépression unipolaire Modifications épigénétiques et sévérité du syndrome de stress post-traumatique D’après la communication de E. Binder, Munich (Allemagne) Référence bibliographique 1. Binder EB, Bradley RG, Liu W et al. Association of FKBP5 polymorphisms and childhood abuse with risk of posttraumatic stress disorder symptoms in adults. JAMA 2008;299(11):1291-305. Que ce soit au moyen d’études portant sur des familles, notamment sur des jumeaux, ou d’analyses épidémiologiques, il est désormais établi que certains polymorphismes génétiques mais aussi certains stress environnementaux augmentent le risque de dépression et de syndrome de stress post-traumatique (SSPT). De nombreuses études suggèrent que ces 2 composantes peuvent, dans certaines conditions, interagir pour démultiplier les risques. Lors de cette communication, Elisabeth Binder, de l’institut Max-Planck, à Munich, a présenté ses données concernant les modifications épigénétiques pouvant résulter d’un traumatisme vécu pendant l’enfance (tel qu’une agression physique, sexuelle ou psychologique). En 2008, E. Binder et son équipe ont exploré les répercutions d’un stress psychologique précoce sur l’expression du gène FKBP5, qui intervient dans la régulation de l’hormone du stress (1). L’étude portait sur 2 types d’individus : un groupe ayant subi un traumatisme au cours de l’enfance, l’autre groupe l’ayant subi à l’âge adulte. L’équipe a mesuré la sévérité de la symptomatologie du SSPT chez ces 900 adultes, qui furent soumis à un génotypage. Leurs résultats ont révélé un lien entre la présence de 4 polymorphismes nucléotidiques (SNP) sur le gène FKBP5 (rs9296158, rs3800373, rs1360780, et rs9470080 ; p minimal = 0,0004) et la sévérité des symptômes du SSPT des participants : les individus non porteurs semblaient protégés – qu’ils aient subi un traumatisme au cours de l’enfance ou à l’âge adulte. En revanche, parmi les individus porteurs des 4 SNP, un traumatisme subi au cours de l’enfance était corrélé à la sévérité du SSPT. Un traumatisme subi à l’âge adulte ne l’était pas. La précocité du traumatisme et la présence des SNP seraient donc les facteurs décisifs de la sévérité du trouble à l’âge adulte. De nombreuses équipes ont confirmé l’existence d’interactions similaires chez des patients d’ethnies variées. E. Binder a ensuite présenté ses recherches en cours concernant les mécanismes sous-jacents de cette 4 | La Lettre du Psychiatre • Supplément 1 au n° 3-4 - Vol. VIII - mai-juin-juillet-août 2012 interaction. Chez les patients porteurs des 4 SNP, un traumatisme dans l’enfance mènerait à une sécrétion accrue de l’hormone du stress. L’équipe a aussi démontré que sous l’influence de cette interaction ont lieu des changements dans la méthylation de l’ADN, ce qui renforce la perturbation du contrôle de l’hormone du stress. Impulsivité et dépression : quel lien ? D’après le poster de H. Ngo et al., Nedlands (Australie) Parmi les tentatives visant à mettre en relation certaines dimensions de la personnalité et les pathologies psychiatriques, celles qui associent impulsivité et dépression ne font pas l’unanimité dans la communauté psychiatrique. Les données à ce propos ont mené à des résultats contradictoires, probablement du fait de l’absence d’une définition universelle et précise du concept d’impulsivité, et d’outils fiables pour mesurer ce trait de caractère complexe. À partir d’une revue de la littérature portant sur le lien entre impulsivité et dépression, l’équipe de l’université de Western Australia a proposé une définition opérationnelle de l’impulsivité comme “comportement allant contre le but recherché”. Ce trait regrouperait 3 dimensions : ➤ ➤ une tendance à répondre trop rapidement (sans réflexion ni retenue) ; ➤ ➤ une préférence pour la récompense immédiate (préférence pour un faible gain immédiat comparé à un gain plus élevé, mais aussi plus éloigné dans le temps) ; ➤ ➤ la sous-estimation des risques. À partir de cette définition, l’équipe a élaboré un outil de mesure de l’impulsivité, dit échelle de types d’impulsivité (TIS), qui évalue de concert les 3 composantes de ce trait de caractère. Les chercheurs ont testé son utilisation dans un groupe de 407 individus issus de la population générale. Les résultats révèlent que la dimension “tendance à répondre trop rapidement” est un marqueur efficace pour identifier un début de dépression. Ce marqueur pourrait être utile à la fois dans la détection, la prévention et la prise en charge de certaines formes de dépressions. ■ EPA 2012 Addictions C. Wallace, Paris Réduction de la consommation d’alcool : un nouveau paradigme dans la prise en charge de l’alcoolo-dépendance D’après les communications de W. Van den Brink, Amsterdam (Pays-Bas), A. Gual, Barcelone (Espagne), K. Mann, Mannheim (Allemagne) La communication de Wim Van den Brink, de l’institut pour la Recherche sur les addictions, à Amsterdam, a porté sur la prise en charge du patient alcoolo-dépendant par une nouvelle approche : la réduction de la consommation d’alcool. Loin de l’idéologie du xixe siècle, qui considérait la dépendance à l’alcool comme une déviance ou une faiblesse morale, ce trouble est désormais reconnu comme une maladie du système nerveux central susceptible d’être traitée. À l’appui, des facteurs de risque neurobiologiques ont été clairement identifiés, et les généticiens estiment la vulnérabilité génétique de ce trouble comme allant de 50 à 70 %. L’actuel DSM-IV-TR distingue l’alcoolo-dépendance de l’abus d’alcool, mais il est en cours d’évolution. En effet, la prochaine version du manuel, prévue pour 2013 (DSM-5), proposera d’aborder cette maladie par une approche dimensionnelle : la distinction entre alcoolo-dépendance et abus n’existera alors plus. On parlera d’Alcohol Use Disorder (AUD), et la notion de sévérité de la maladie pourra être distinguée selon le nombre de critères diagnostiques présents. La notion de craving sera également intégrée à la liste des 11 critères. L’un des défis dans la prise en charge des individus alcoolo-dépendants reste cependant l’accès à ces malades. Selon W. Van den Brink, les personnes alcoolo-dépendantes ne recherchent pas de prise en charge, et encore moins un traitement médicamenteux. Selon l’étude ESEMeD (European Study of the Epidemiology of Mental Disorders), seuls 18 % des individus alcoolo-dépendants perçoivent le besoin de consulter (1). En Europe, en 2004, seuls 8 % d’entre eux ont effectivement réalisé la démarche de consulter (2). L’approche thérapeutique traditionnelle pour prendre en charge ces malades consiste à atteindre et à maintenir l’abstinence par le biais d’aides psychosociales et/ou pharmacologiques. Cependant, depuis les années 2000, une autre approche se développe : la réduction de la consommation d’alcool. Ainsi que l’a souligné W. Van den Brink, la réduction de la consommation permet d’élargir le spectre des offres thérapeutiques pour s’adapter à la demande d’un plus grand nombre de patients et, de surcroît, augmenter les taux de réussite de la prise en charge. En effet, les taux de rechute, avec l’approche préconisant l’abstinence, restent élevés, et 2 études réalisées en Angleterre et au Canada révèlent qu’environ 50 % des patients interrogés préfèrent une prise en charge par réduction de leur consommation (3, 4). Cette alternative gagne du terrain : en 2005 et en 2010, le National Institute on Alcohol Abuse and Alcoholism (NIAAA) et l'European Medicine Agency (EMA) ont intégré la réduction de la consommation, comme “objectif thérapeutique intermédiaire”, à leurs recommandations. En Angleterre, le National Institute for health and Clinical Excellence (NICE) préconise la diminution de la consommation si telle est la préférence du patient. En France, une étude révèle que 50 % des médecins ont adopté cette approche (5). Cette mise en pratique est encore plus forte au Canada (27 à 62 %), en Suisse (22 à 70 %), en Australie (72 %) et en Grande-Bretagne (76 %). Dans ce cadre, les résultats préliminaires d’une étude européenne portant sur un médicament évalué pour réduire la consommation d’alcool ont été présentés au cours du congrès de l’EPA. Un programme clinique de 3 essais randomisés versus placebo (ESENSE1, ESENSE2 et SENSE), portant sur presque 2 000 patients alcoolo-dépendants, a été réalisé en Europe pour évaluer l’efficacité et la tolérance du nalméfène. Les critères d’évaluation étaient : les jours de forte consommation, dits Heavy Drinking Days (HDD) [HDD > 60 g/j d’alcool pour un homme ; HDD > 40 g/j pour une femme), et la consommation totale d’alcool, dite Total Alcohol Consumption (TAC). Les résultats de l’étude ESENSE1 ont démontré une diminution de 66 % de la consommation d’alcool dans le groupe nalméfène à 6 mois. La diminution s’est révélée statistiquement supérieure dans le La Lettre du Psychiatre • Supplément 1 au n° 3-4 - Vol. VIII - mai-juin-juillet-août 2012 | 5 EPA 2012 Addictions groupe nalméfène par rapport au groupe placebo, pour les HDD (− 2,3 j/mois ; IC 95 : − 3,8 ; − 0,8 ; p = 0,02) et pour la TAC (− 11,0 g/j ; − 16,8 ; − 5,1 ; p < 0,001). Avec le nalméfène, le nombre moyen de HDD a diminué de 19 à 7 jours par mois et la TAC a diminué de 84 g/j à 30 g/j, à 6 mois. En ce qui concerne la tolérance, les effets indésirables étaient principalement des vertiges (27,5 %), des nausées (27,5 %), le mal de tête (11,9 %) ou de la fatigue (17,5 %). Ces effets indésirables avaient cependant tendance à disparaître après quelques jours de traitement, selon les auteurs. Les résultats des 2 autres études devraient être présentés en juin, lors de la conférence de la Société américaine de recherche sur l’alcoolisme (Research Society on Alcoholism [RSA]). Mesure de la qualité de vie des patients alcoolodépendants D’après le poster de A. Luquiens et al., Villejuif (France) L’étude présenté par l’équipe d’Amandine Luquiens, de l’hôpital Paul-Brousse à Villejuif, souligne la nécessité d’élaborer un outil spécialement conçu pour une mesure objective de la qualité de vie des patients alcoolo-dépendants dans les études cliniques. En effet, dans la pratique quotidienne, les alcoo­ logues qui considèrent la consommation contrôlée comme un objectif acceptable évaluent généralement l’efficacité de leur approche en interrogeant leurs patients sur leur qualité de vie. Cependant, dans les études cliniques, la qualité de vie est rarement considérée comme un critère de mesure. Au sein de 23 études randomisées de la littérature s’intéressant à la qualité de vie des patients alcoolodépendants, A. Luquiens et l’équipe de Paul-Brousse ont répertorié 14 outils de mesure différents. Or, ces instruments, tels que la SF-36, ont été initialement élaborés pour la mesure de grandeurs telle la sévérité de la dépendance. Les auteurs suggèrent que la dispersion et l’imperfection de ces outils peuvent en partie expliquer les résultats peu encourageants de ces études : en effet, seul un tiers d’entre elles rapportent une amélioration significative de la qualité de vie des patients 6 | La Lettre du Psychiatre • Supplément 1 au n° 3-4 - Vol. VIII - mai-juin-juillet-août 2012 alcoolo-dépendants. Cette revue de la littérature met aussi en évidence une confusion autour du concept de qualité de vie. Le jeu pathologique est-il une addiction ? D’après la communication de W. Van den Brink, Amsterdam (Pays-Bas) Le jeu pathologique est-il un désordre du contrôle de l’impulsivité ou une addiction ? La section dans laquelle le jeu pathologique sera intégré dans la prochaine version du DSM soulève de nombreux débats. Néanmoins, comme le suggère le Pr W. Van den Brink de l’institut de Recherche sur les addictions d’Amsterdam, les données convergent petit à petit vers une appartenance aux addictions. La plupart des critères du jeu pathologique sont identiques à ceux de la dépendance aux substances telles que l’alcool ou le tabac. Le seul critère propre au joueur pathologique est sa caractéristique centrale de “chasseur de pertes”. D’un point de vue génétique, l’héritabilité familiale du trouble va de 50 à 60 % – taux proche de celui qui est retrouvé dans les addictions. Le joueur pathologique partage des gènes de vulnérabilité avec les individus addicts, ce qui n’est pas le cas des individus victimes de troubles du contrôle de l’impulsivité. W. Van den Brink a présenté les résultats d’études neurocognitives récentes. Par exemple, en imagerie cérébrale, lors d’un succès aux jeux, le système de récompense du cortex préfrontal du joueur pathologique apparaît moins activé que celui du sujet sain. Le joueur pathologique serait donc moins sensible au gain. Il semble aussi moins sensible à la perte que le sujet sain. D’autres expériences ont montré que le système de récompense chez les joueurs pathologiques est bien plus actif que celui des sujets sains lorsqu’ils “perdent de peu” une partie. Ainsi, le stimulus encourageant ne serait peut-être pas le gain lui-même, mais l’espoir de gagner. Enfin, un des aspects sur lequel W. Van den Brink a insisté portait sur la nécessité de distinguer les différents sous-types de joueurs pathologiques. En effet, des différences neurocognitives notables ont été observées entre joueurs de machine à sous, joueurs de pokers, joueurs de casino, etc. ■ EPA 2012 Suicide et dépendance à l’alcool Interview du Dr Amine Benyamina, Villejuif (France) sur la communication de G. Martinotti (Italie) : “Suicidal behaviour, substance abuse and double diagnosis” Parmi les communications présentées cette année dans le domaine de l’addictologie, l’une d’elle vous a-t-elle paru particulièrement intéressante ? De mon point de vue, il s’agit de la présentation réalisée par G. Martinotti, de l’équipe du Pr Di Giannantonio, de Chieti, en Italie, portant sur le double diagnostique de comorbidités. G. Martinotti a élégamment résumé la littérature concernant le lien entre conduite suicidaire et addiction à l’alcool. Il faut rappeler que, plus souvent qu’on ne le pense, les praticiens se trouvent confrontés à des patients présentant une double comorbidité psychiatrique. Ces malades sont plus difficiles à prendre en charge : il s’agit d’identifier correctement les différentes pathologies en jeu, puis de traiter chacune d’elles de manière adéquate. Ces cas complexes se révèlent parfois non répondeurs aux traitements de première ligne ; or, il est indispensable de trouver une approche personnalisée qui réponde à toutes les problématiques en jeu. Dans ce cadre, le lien entre prise d’alcool et conduite suicidaire est désormais validé. G. Marti- notti a souligné quelques points clés : selon les études, entre 22 % et 72 % des tentatives de suicide sont réalisées par des individus alcoolo-dépendants. Inversement, 16 % à 29 % des individus dépendants à l’alcool ont fait une tentative de suicide à un moment de leur existence. Dans le cas des patients présentant une dépression ou une bipolarité, le taux de suicides dits réussis est 5 fois plus élevé que dans la population générale. Et la dépendance à l’alcool vient s’ajouter à ces facteurs de vulnérabilité. L’alcool peut être considéré à la fois comme un agent dépressogène et comme un facteur précipitant, qui augmente l’impulsivité des patients dépressifs. La prévalence du suicide parmi les patients alcoolo-dépendants semble plus prononcée chez les femmes que chez les hommes. Mis à part les éventuelles causes neurobiologiques, les femmes alcoolo-dépendantes sont aussi victimes d’une moins bonne intégration sociale que les hommes alcooliques, notamment dans les pays émergents. G. Martinotti a d’ailleurs insisté sur le fait que la problématique suicide-alcool ne se limite évidemment pas aux pays développés. Cependant, les données portant sur les pays en voie de développement sont bien moins abondantes. Les rapports disponibles sur le suicide dans les pays en voie de développement mettent souvent l’accent sur les dimensions sociales, les causes financières du suicide – moins souvent sur ses causes psychiatriques. Or, il s’agit d’un fait : la dépendance à l’alcool croît dans les pays en voie de développement, et le taux de suicides augmente de la même manière depuis une vingtaine d’années. Références bibliographiques 1. Codony M, Alonso J, Almansa J et al. Perceived need for mental health care and service use among adults in Western Europe: results of the ESEMeD project. Psychatr Serv 2009;60:1051-8. 2. Alonso J, Angermeyer MC, Bernert S et al. Use of mental health services in Europe: results from the European Study of the Epidemiology of Mental Disorders (ESEMeD) project. Psychiatr Scand Suppl 2004;420:47-54. 3. Heather N, Adamson SJ, Raistrick D, Slegg GP; UKATT Research Team. Initial preference for drinking goal in the treatment of alcohol problems: I. Baseline differences between abstinence and non-abstinence groups. Alcohol Alcohol 2010;45(2):128-35. 4. Hodgins DC, Leigh G, Milne R, Gerrish R. Drinking goal selection in behavioral selfmanagement treatment of chronic alcoholics. Addict Behav 1997;22(2):247-55. 5. Luquiens A, Reynaud M, Aubin HJ. Is controlled drinking an acceptable goal in the treatment of alcohol dependence? A survey of French alcohol specialists. Alcohol Alcohol 2011;46(5):586-91. La Lettre du Psychiatre • Supplément 1 au n° 3-4 - Vol. VIII - mai-juin-juillet-août 2012 | 7 EPA 2012 Troubles bipolaires C. Wallace, Paris Marqueurs neurobiologiques du trouble bipolaire D’après la communication de S. Frangou, Londres (Angleterre) Alors que le trouble bipolaire est l’un des handicaps mentaux les plus répandus, de nombreux patients reçoivent un diagnostic erroné. Leurs symptômes sont souvent interprétés à tort comme signes d’une dépression majeure. Ainsi, le diagnostic adéquat est parfois réalisé avec un retard allant de 5 à 10 ans. Il est donc indispensable de mettre en place des moyens plus efficaces pour aider à identifier cette pathologie. C’est dans ce cadre que Sophia Frangou, du King’s College à Londres, a suggéré l’utilisation de données neuro-anatomiques pour discerner les patients bipolaires, les patients dépressifs et les individus sains. S. Frangou a cité un essai dans lequel l’analyse gaussienne d’images obtenues par IRM Risque : insula Impliquée dans le rappel des émotions et dans l’autorégulation des affects. Connectée au cortex cingulaire et au tronc cérébral. structurale a permis de différencier des patients malades (atteints de dépression ou de trouble bipolaire) de patients sains, avec une exactitude de 73 % (sensibilité de 69 % et spécificité de 77 %) [1]. Cette approche a aussi permis de distinguer les patients bipolaires des patients dépressifs avec une exactitude de 66 % (sensibilité de 40 % et spécificité de 93 %). Dans la seconde partie de sa présentation, S. Frangou a insisté sur l’importance de faire la différence entre les indicateurs de risque d’une pathologie et les indicateurs d’expression de la maladie. Dans le cas du trouble bipolaire, les facteurs de vulnérabilité génétiques sont fréquents dans la population, comme le polymorphisme rs1006737 du gène CACNA1C. Pour autant, tout porteur de ce polymorphisme ne développe pas un trouble bipolaire. Dans une étude réalisée en 2011, S. Frangou et al. ont observé que les participants porteurs du polymorphisme présentaient tous une augmentation de la densité de matière grise dans l’amygdale et dans l’hypotha- Pathologie : locus niger Possède une concentration élevée en récepteurs D2. Expression accrue du gène des transporteurs vésiculaires des monoamines, associé au trouble bipolaire. Résilience : vermis cérébelleux Impliqué dans le contrôle homéostatique de la fonction autonome. Contribue au contrôle adaptatif des comportements complexes. Figure 1. Différences structurelles observées au sein de la substance grise entre patients considérés à risque, patients atteints de trouble bipolaire et patients porteurs de gènes de vulnérabilité dits “résilients” (d’après [4]). 8 | La Lettre du Psychiatre • Supplément 1 au n° 3-4 - Vol. VIII - mai-juin-juillet-août 2012 EPA 2012 lamus, quel que soit leur diagnostic clinique (2). Ce qui différenciait les patients bipolaires des porteurs sains se situait plutôt au niveau du putamen, qui apparaissait hypertrophié uniquement chez les patients bipolaires. Se fondant sur cette constatation, S. Frangou a poursuivi en présentant son concept de résilience adaptative, phénomène par lequel le cerveau serait capable de générer des réponses adaptatives pour contrecarrer le développement de la maladie. Dans une étude publiée cette année, son équipe a mis en évidence certaines transformations cérébrales structurales et fonctionnelles qui pourraient témoigner Symptômes résiduels dans le trouble bipolaire Interview du Pr Wissam El-Hage, Tours (France) sur le poster P-173 : “Decreased emotional reactivity to positive valence in normothymic bipolar patients” Dans quel cadre se situe votre étude ? Pendant longtemps, la phase euthymique du trouble bipolaire était considérée comme une période de retour à la normalité. Or, on a récemment découvert que certains symptômes résiduels se maintiennent au cours de cette phase. Il est donc important d’identifier, de qualifier et de quantifier ces symptômes infracliniques pour mieux aborder les patients aux différents stades de leur maladie. Votre étude portait-elle sur un symptôme en particulier ? Nous avons mené une étude sur la réactivité émotionnelle comme symptôme résiduel potentiel. Il s’agissait d’évaluer, chez des sujets bipolaires 1 ou 2 en phase normothymique, la réactivité émotionnelle d’un point de vue subjectif – les patients décrivaient leurs émotions. Ces données furent ensuite comparées à une mesure objective d’une adaptation précoce des circuits neuronaux au risque pathologique (3). D’après cette hypothèse, le phénomène de résilience adaptative permettrait aux individus à haut risque de développer des mécanismes neurobiologiques de protection. En perdant cette faculté pour une raison ou une autre au cours de leur vie, les individus développeraient ainsi le trouble. Si l’hypothèse s’avère, un nouveau type d’intervention pourrait consister à renforcer la résilience adaptative chez les patients à haut risque. Les différentes zones du cerveau impliquées dans les phénomènes de risque, de pathologie et de résilience sont présentées dans la figure 1. de dilatation des pupilles, un marqueur de réactivité physiologique. Pendant l’expérience, nous avons présenté des images à 30 sujets sains et à 26 patients bipolaires en phase normothymique. L’enregistrement pupillaire a eu lieu pendant la présentation des images. Les participants ont ensuite répondu à un questionnaire pour évaluer la connotation (neutre, gaie ou triste) et l’intensité émotionnelle de chaque image. Les résultats étaient-ils concordants ? Les résultats du questionnaire n’ont pas rapporté de différence entre les patients des 2 groupes en termes d’intensité ou de connotation des images (figure 2, p. 10). Donc, d’un point de vue subjectif, les patients bipolaires en phase euthymique semblaient réagir comme des individus sains – ce qui confirme d’ailleurs les observations cliniques. Mais les analyses de réactivité pupillaire ont révélé que les patients bipolaires étaient statistiquement moins réactifs que les patients contrôles, notamment vis-à-vis des images positives (figure 3, p. 10). Ces résultats reflètent peut-être la difficulté des patients bipolaires à ressentir des émotions “pleines” vis-à-vis des événements de leur vie, phénomène qui pourrait être lié à la persistance de certains symptômes résiduels infracliniques – une dépressivité latente. La Lettre du Psychiatre • Supplément 1 au n° 3-4 - Vol. VIII - mai-juin-juillet-août 2012 | 9 EPA 2012 Troubles bipolaires Contrôles * 8 Connotation 7 * 6 9 * 4 * NS 6 5 4 NS 3 NS 2 2 1 1 Images négatives * * NS 7 NS 5 3 8 NS Intensité 9 Normothymiques Images neutres Images positives Images négatives Images neutres Images positives Mesure (± IC95 ) de la connotation (gauche) et de l’intensité (droite) des émotions à la présentation d’images négatives, neutres et positives chez les patients contrôles et normothymiques. * p < 0,001. NS : non significatif. Figure 2. Résultats des mesures subjectives : aucune différence entre les patients contrôles et les patients normothymiques. ASC (mm2) Contrôles 14 12 10 8 6 4 2 0 ** * Images négatives *** Normothymiques ** * Images neutres Images positives Mesure (± IC95 ) de l’aire sous la courbe (ASC) du diamètre pupillaire au cours des 6 premières secondes de présentation d’image. * p < 0,05 ; ** p < 0,01 ; *** p < 0,001. Figure 3. Résultats des mesures physiologiques : dilation pupillaire inférieure chez les patients normothymiques comparativement aux patients contrôles (p < 0,01) lors de la présentation d’images positives. Références bibliographiques 1. Frangou S. Neuroimaging markers of genetic risk, disease expression and resilience in bipolair disorder: can they be used for diagnosis? EPA 2012, abstract AS06-01. 2. Perrier E, Pompei F, Ruberto G, Vassos E, Collier D, Frangou S. Initial evidence for the role of CACNA1C on subcortical brain morphology in patients with bipolar disorder. Eur Psychiatry 2011;26(3):135-7. 3. Frangou S. Brain structural and functional correlates of resilience to bipolar disorder. Front Hum Neurosci 2011;5:184. 4. Kempton MJ, Haldane M, Jogia J, Grasby PM, Collier D, Frangou S. Dissociable brain structural changes associated with predisposition, resilience, and disease expression in bipolar disorder. J Neurosci 2009;29(35):10863-8. 10 | La Lettre du Psychiatre • Supplément 1 au n° 3-4 - Vol. VIII - mai-juin-juillet-août 2012 EPA 2012 Les articles publiés dans La Lettre du Psychiatre le sont sous la seule responsabilité de leurs auteurs. Tous droits de traduction, d’adaptation et de reproduction par tous procédés réservés pour tous pays. © mars 2005 - EDIMARK SAS - Dépôt légal : à parution. Imprimé en France - Point 44 - 94500 Champigny-sur-Marne La Lettre du Psychiatre • Supplément 1 au n° 3-4 - Vol. VIII - mai-juin-juillet-août 2012 | 11