Compte-rendu d’après le 20 congrès de l’European Psychiatric Association

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SUPPLÉMENT
le courrier du spécialiste
Compte-rendu d’après
le 20e congrès de l’European
Psychiatric Association
 Dépression unipolaire
 Addictions
 Troubles bipolaires
3-6 mars 2012
République tchèque
Rédactrice : Clémentine Wallace (Paris)
Ce numéro a été réalisé avec
le soutien institutionnel des laboratoires
Société éditrice : EDIMARK SAS
CPPAP : 0915 T 86854 – ISSN : 1774-0789
PÉRIODIQUE DE FORMATION
EN LANGUE FRANÇAISE
Suppl. 1 au n° 3-4 - Vol. VIII
Mai-août 2012
Attention, ceci est un compte-rendu de congrès et/ou un recueil de résumés de communications de congrès dont l’objectif est de
fournir des informations sur l’état actuel de la recherche ; ainsi, les données présentées sont susceptibles de ne pas être validées
par les autorités de santé françaises et ne doivent donc pas être mises en pratique.
Sommaire
Supplément 1 au no 3-4 - Vol. VIII
mai-juin-juillet-août 2012
Directeur de la publication : Claudie Damour-Terrasson
Directeur scientifique :Pr C.S. Peretti (Paris)
Rédactrice: Clémentine Wallace (Paris)
Rédacteurs en chef :Pr P. Thomas (Lille) - Dr P. Nuss (Paris)
Comité de rédaction
Prs et Drs M. Abbar (Nîmes) - E. Bacon (Strasbourg)
R. de Beaurepaire (Paris) - M. Benoit (Nice) - O. Blin (Marseille)
P. Courtet (Montpellier) - P. Delbrouck (Saint-Nazaire)
N. Franck (Bron) - M. Godfryd (Étampes)
J.M. Havet (Reims) - P.M. Llorca (Clermont-Ferrand)
P.O. Mattei (Paris) - D. Servant (Lille)
F. Thibaut (Rouen) - B. Verrecchia (Paris)
Comité scientifique
Prs et Drs J.F. Allilaire, Paris (France)
C. Ballüs, Barcelone (Espagne) - H. Beckmann, Wurzbürg
(Allemagne) - G. Besançon, Nantes (France) - D. Clark, Oxford
(Grande-Bretagne) - G.B. Cassano, Pise (Italie) - L. Colonna,
Rouen (France) - J. Cottraux, Lyon (France) - J.M. Danion,
Strasbourg (France) - P. Dick, Genève (Suisse) - M. Escande,
Toulouse (France) - A. Feline, Paris (France) - M. Ferreri, Paris
(France) - R. Girard, Caen (France) - L. Gram, Odense (Danemark)
J.J. Kress, Rennes (France) - M. Lader, Londres (Grande-Bretagne)
M. Marie-Cardine, Lyon (France) - I. Marks, Londres
(Grande-Bretagne) - J. Mendlewicz, Bruxelles (Belgique)
D. Moussaoui, Casablanca (Maroc) - M. Murray, Londres
(Grande-Bretagne) - P.J. Parquet, Lille (France) - M. Patris,
Strasbourg (France) - G. Potkin, Irvine (États-Unis) - W.Z. Potter,
Washington (États-Unis) - C. Pull, Luxembourg (Grand-Duché)
G. Rudenko, Moscou (Russie) - B. Saletu, Vienne (Autriche)
D. Sechter, Besançon (France) - L. Singer, Strasbourg (France)
T. Uhde, Bethesda (États-Unis) - Van der Linden, Liège (Belgique)
A. Villeneuve, Québec (Canada)
Traitement des dépressions résistantes :
nouvelles approches
La dépression psychotique comme entité clinique
à part entière
Modifications épigénétiques et sévérité
du syndrome de stress post-traumatique
Impulsivité et dépression : quel lien ?
Mesure de la qualité de vie des patients alcoolodépendants
Le jeu pathologique est-il une addiction ?
Société éditrice : EDIMARK SAS
Suicide et dépendance à l’alcool
Président-directeur général : Claudie Damour-Terrasson
Infographie
Premier rédacteur graphiste : Didier Arnoult
Rédacteurs graphistes :Mathilde Aimée, Christine Brianchon,
Sébastien Chevalier, Virginie Malicot, Rémy Tranchant
Infographiste multimédia : Christelle Ochin
Dessinatrice d’exécution : Stéphanie Dairain
Responsable numérique : Rémi Godard
Commercial
Directeur du développement commercial
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Directeur des ventes :Chantal Géribi
Directeur d’unité :Béatrice Malka
Régie publicitaire et annonces professionnelles
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Responsable du service abonnements
Badia Mansouri
Tél. : 01 46 67 62 74 – Fax : 01 46 67 63 09
2, rue Sainte-Marie - 92418 Courbevoie Cedex
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Site Internet : www.edimark.fr
Adhérent au SPEPS
Revue indexée dans la base PASCAL (INIST-CNRS)
Photographie de la couverture : © Henrik Winther Ander.
ADDICTIONS 5
Réduction de la consommation d’alcool :
un nouveau paradigme dans la prise en charge
de l’alcoolo-dépendance
Comité de lecture
Drs et Prs P. Alary (Saint-Lô) - D. Barbier (Avignon)
F.J. Baylé (Paris) - N. Bazin (Versailles) - P. Fossati (Paris)
P. Hardy (Paris) - E. Hoffmann (Strasbourg) - J.P. Kahn (Nancy)
C. Lançon (Marseille) - M. Leboyer (Créteil) - P. Martin (Paris)
J. Naudin (Marseille) - P. Robert (Nice) - P. Salame (Strasbourg)
G. Schmit (Reims) - J.L. Senon (Poitiers) - H. Verdoux (Bordeaux)
J.P. Vignat (Lyon) - M.A. Wolf (Montréal)
Rédaction
Secrétaire générale de la rédaction :Magali Pelleau
Première secrétaire de rédaction :Laurence Ménardais
Secrétaire de rédaction : Anne Desmortier
Rédacteurs-réviseurs :Cécile Clerc, Sylvie Duverger,
Muriel Lejeune, Philippe-André Lorin, Odile Prébin
DÉPRESSION UNIPOLAIRE 3
Interview du Dr A. Benyamina TROUBLES BIPOLAIRES 8
Marqueurs neurobiologiques du trouble bipolaire
Symptômes résiduels
dans le trouble bipolaire
Interview du Pr W. El-Hage EPA 2012
Dépression unipolaire
C. Wallace, Paris
Traitement des dépressions
résistantes : nouvelles
approches
D’après la communication de S. Kasper,
Vienne (Autriche)
Malgré l’évolution rapide de la pharmacologie
ces 50 dernières années et la disponibilité sans
cesse croissante de possibilités thérapeutiques,
les individus non répondeurs aux traitements par
antidépresseurs (AD) sont encore nombreux, représentant environ 30 % à 45 % des patients atteints
de trouble dépressif majeur.
Jusqu’à présent, la prise en charge recommandée
pour les non-répondeurs consistait à changer de
classe thérapeutique. Or, comme l’a signalé le
Pr Siegfried Kasper de l’université de Vienne, les
données récentes affirment qu’un prolongement
du traitement initial ou une association d’agents
sont préférables à un changement de molécule.
S. Kasper a présenté les travaux les plus récents du
projet européen multicentrique Patterns of Treatment Resistance and Switching Strategies in Affective Disorders, mené par le Group for the Study of
Resistant Depression (GSRD). Certaines des évaluations rétrospectives et prospectives menées par ce
dernier révèlent que le prolongement du traitement
AD initial est plus efficace qu’un changement de
mécanisme d’action. Lorsqu’un changement est
néanmoins envisagé, il n’y a aucun avantage à se
tourner vers une classe thérapeutique différente.
Enfin, S. Kasper a fait état de plusieurs études rapportant l’efficacité supérieure d’une association moléculaire comparativement à la monothérapie.
Un changement de molécule a des inconvénients
cliniques qu’il ne faut pas sous-estimer : l’arrêt du
traitement initial mène la plupart du temps à un
syndrome de sevrage rarement compensé par le
traitement de novo dont les effets ne se manifestent
souvent pas avant plusieurs semaines. Les seules
occasions dans lesquelles S. Kasper préconiserait
un changement de classe thérapeutique sont la
non-tolérance d’une molécule par un patient ou le
constat de l’absence absolue d’effet thérapeutique.
Face à l’abondance de données convergentes, l’European Medicines Agency (EMA) a lancé une révision
de ses critères.
La dépression psychotique
comme entité clinique
à part entière
D’après le poster de S. Østergaard et al.,
Aalborg (Danemark)
La dépression psychotique est caractérisée par l’apparition d’illusions et d’hallucinations sensorielles, en
plus des symptômes caractéristiques de la dépression
unipolaire. Dans la classification actuelle du DSM, la
dépression psychotique est considérée comme un
sous-type de la dépression sévère. Or, de plus en
plus de données suggèrent que ces manifestations
psychotiques peuvent aussi se manifester chez des
patients à dépression dite modérée ou faible.
Entre 2000 et 2010, l’équipe de l’Aarhus University Hospital au Danemark a mené une étude pour
répertorier l’apparition de symptômes psychotiques
éventuels chez 357 patients admis pour un épisode
de dépression dans un hôpital psychiatrique danois.
La mesure de la sévérité de la dépression et des
symptômes psychotiques a révélé une absence de
corrélation (coefficient de Spearman : 0,12). Autrement dit, quelle que soit la sévérité de la dépression,
les troubles psychotiques peuvent se manifester.
Les auteurs concluent qu’il serait préférable de ne
pas traiter la dépression psychotique comme un
sous-type de la dépression sévère. Leurs résultats
soutiennent l’hypothèse de 2 entités cliniques
distinctes : la dépression psychotique et la dépression non psychotique.
La Lettre du Psychiatre • Supplément 1 au n° 3-4 - Vol. VIII - mai-juin-juillet-août 2012 | 3
EPA 2012
Dépression unipolaire
Modifications épigénétiques
et sévérité du syndrome
de stress post-traumatique
D’après la communication de E. Binder, Munich
(Allemagne)
Référence
bibliographique
1. Binder EB, Bradley RG, Liu W
et al. Association of FKBP5 polymorphisms and childhood abuse
with risk of posttraumatic stress
disorder symptoms in adults.
JAMA 2008;299(11):1291-305.
Que ce soit au moyen d’études portant sur des
familles, notamment sur des jumeaux, ou d’analyses
épidémiologiques, il est désormais établi que certains
polymorphismes génétiques mais aussi certains stress
environnementaux augmentent le risque de dépression et de syndrome de stress post-traumatique
(SSPT). De nombreuses études suggèrent que ces
2 composantes peuvent, dans certaines conditions,
interagir pour démultiplier les risques.
Lors de cette communication, Elisabeth Binder,
de l’institut Max-Planck, à Munich, a présenté ses
données concernant les modifications épigénétiques
pouvant résulter d’un traumatisme vécu pendant
l’enfance (tel qu’une agression physique, sexuelle
ou psychologique).
En 2008, E. Binder et son équipe ont exploré les
répercutions d’un stress psychologique précoce sur
l’expression du gène FKBP5, qui intervient dans la
régulation de l’hormone du stress (1). L’étude portait
sur 2 types d’individus : un groupe ayant subi un traumatisme au cours de l’enfance, l’autre groupe l’ayant
subi à l’âge adulte. L’équipe a mesuré la sévérité de
la symptomatologie du SSPT chez ces 900 adultes,
qui furent soumis à un génotypage.
Leurs résultats ont révélé un lien entre la présence
de 4 polymorphismes nucléotidiques (SNP) sur le
gène FKBP5 (rs9296158, rs3800373, rs1360780, et
rs9470080 ; p minimal = 0,0004) et la sévérité des
symptômes du SSPT des participants : les individus
non porteurs semblaient protégés – qu’ils aient subi
un traumatisme au cours de l’enfance ou à l’âge
adulte. En revanche, parmi les individus porteurs des
4 SNP, un traumatisme subi au cours de l’enfance
était corrélé à la sévérité du SSPT. Un traumatisme
subi à l’âge adulte ne l’était pas. La précocité du
traumatisme et la présence des SNP seraient donc
les facteurs décisifs de la sévérité du trouble à l’âge
adulte.
De nombreuses équipes ont confirmé l’existence
d’interactions similaires chez des patients d’ethnies
variées.
E. Binder a ensuite présenté ses recherches en cours
concernant les mécanismes sous-jacents de cette
4 | La Lettre du Psychiatre • Supplément 1 au n° 3-4 - Vol. VIII - mai-juin-juillet-août 2012 interaction. Chez les patients porteurs des 4 SNP, un
traumatisme dans l’enfance mènerait à une sécrétion accrue de l’hormone du stress. L’équipe a aussi
démontré que sous l’influence de cette interaction
ont lieu des changements dans la méthylation de
l’ADN, ce qui renforce la perturbation du contrôle
de l’hormone du stress.
Impulsivité et dépression :
quel lien ?
D’après le poster de H. Ngo et al.,
Nedlands (Australie)
Parmi les tentatives visant à mettre en relation
certaines dimensions de la personnalité et les
pathologies psychiatriques, celles qui associent
impulsivité et dépression ne font pas l’unanimité
dans la communauté psychiatrique. Les données à
ce propos ont mené à des résultats contradictoires,
probablement du fait de l’absence d’une définition
universelle et précise du concept d’impulsivité, et
d’outils fiables pour mesurer ce trait de caractère
complexe.
À partir d’une revue de la littérature portant sur
le lien entre impulsivité et dépression, l’équipe de
l’université de Western Australia a proposé une
définition opérationnelle de l’impulsivité comme
“comportement allant contre le but recherché”. Ce
trait regrouperait 3 dimensions :
➤ ➤ une tendance à répondre trop rapidement (sans
réflexion ni retenue) ;
➤ ➤ une préférence pour la récompense immédiate
(préférence pour un faible gain immédiat comparé
à un gain plus élevé, mais aussi plus éloigné dans
le temps) ;
➤ ➤ la sous-estimation des risques.
À partir de cette définition, l’équipe a élaboré un
outil de mesure de l’impulsivité, dit échelle de
types d’impulsivité (TIS), qui évalue de concert
les 3 composantes de ce trait de caractère. Les
chercheurs ont testé son utilisation dans un groupe
de 407 individus issus de la population générale.
Les résultats révèlent que la dimension “tendance
à répondre trop rapidement” est un marqueur
efficace pour identifier un début de dépression.
Ce marqueur pourrait être utile à la fois dans la
détection, la prévention et la prise en charge de
certaines formes de dépressions.
■
EPA 2012
Addictions
C. Wallace, Paris
Réduction de la consommation
d’alcool : un nouveau
paradigme dans la prise en
charge de l’alcoolo-dépendance
D’après les communications de W. Van den Brink,
Amsterdam (Pays-Bas), A. Gual, Barcelone
(Espagne), K. Mann, Mannheim (Allemagne)
La communication de Wim Van den Brink, de
l’institut pour la Recherche sur les addictions, à
Amsterdam, a porté sur la prise en charge du patient
alcoolo-dépendant par une nouvelle approche : la
réduction de la consommation d’alcool.
Loin de l’idéologie du xixe siècle, qui considérait la
dépendance à l’alcool comme une déviance ou une
faiblesse morale, ce trouble est désormais reconnu
comme une maladie du système nerveux central
susceptible d’être traitée. À l’appui, des facteurs de
risque neurobiologiques ont été clairement identifiés,
et les généticiens estiment la vulnérabilité génétique
de ce trouble comme allant de 50 à 70 %.
L’actuel DSM-IV-TR distingue l’alcoolo-dépendance
de l’abus d’alcool, mais il est en cours d’évolution. En
effet, la prochaine version du manuel, prévue pour
2013 (DSM-5), proposera d’aborder cette maladie
par une approche dimensionnelle : la distinction
entre alcoolo-dépendance et abus n’existera alors
plus. On parlera d’Alcohol Use Disorder (AUD), et la
notion de sévérité de la maladie pourra être distinguée selon le nombre de critères diagnostiques
présents. La notion de craving sera également intégrée à la liste des 11 critères.
L’un des défis dans la prise en charge des individus
alcoolo-dépendants reste cependant l’accès à ces
malades. Selon W. Van den Brink, les personnes
alcoolo-dépendantes ne recherchent pas de prise
en charge, et encore moins un traitement médicamenteux. Selon l’étude ESEMeD (European Study of
the Epidemiology of Mental Disorders), seuls 18 % des
individus alcoolo-dépendants perçoivent le besoin
de consulter (1). En Europe, en 2004, seuls 8 %
d’entre eux ont effectivement réalisé la démarche
de consulter (2).
L’approche thérapeutique traditionnelle pour prendre
en charge ces malades consiste à atteindre et à
maintenir l’abstinence par le biais d’aides psychosociales et/ou pharmacologiques. Cependant, depuis
les années 2000, une autre approche se développe :
la réduction de la consommation d’alcool.
Ainsi que l’a souligné W. Van den Brink, la réduction
de la consommation permet d’élargir le spectre des
offres thérapeutiques pour s’adapter à la demande
d’un plus grand nombre de patients et, de surcroît,
augmenter les taux de réussite de la prise en charge.
En effet, les taux de rechute, avec l’approche préconisant l’abstinence, restent élevés, et 2 études réalisées en Angleterre et au Canada révèlent qu’environ
50 % des patients interrogés préfèrent une prise en
charge par réduction de leur consommation (3, 4).
Cette alternative gagne du terrain : en 2005 et en
2010, le National Institute on Alcohol Abuse and
Alcoholism (NIAAA) et l'European Medicine Agency
(EMA) ont intégré la réduction de la consommation,
comme “objectif thérapeutique intermédiaire”, à
leurs recommandations. En Angleterre, le National
Institute for health and Clinical Excellence (NICE)
préconise la diminution de la consommation si telle
est la préférence du patient. En France, une étude
révèle que 50 % des médecins ont adopté cette
approche (5). Cette mise en pratique est encore plus
forte au Canada (27 à 62 %), en Suisse (22 à 70 %),
en Australie (72 %) et en Grande-Bretagne (76 %).
Dans ce cadre, les résultats préliminaires d’une
étude européenne portant sur un médicament
évalué pour réduire la consommation d’alcool ont
été présentés au cours du congrès de l’EPA. Un
programme clinique de 3 essais randomisés versus
placebo (ESENSE1, ESENSE2 et SENSE), portant
sur presque 2 000 patients alcoolo-dépendants, a
été réalisé en Europe pour évaluer l’efficacité et la
tolérance du nalméfène.
Les critères d’évaluation étaient : les jours de forte
consommation, dits Heavy Drinking Days (HDD)
[HDD > 60 g/j d’alcool pour un homme ; HDD > 40
g/j pour une femme), et la consommation totale
d’alcool, dite Total Alcohol Consumption (TAC).
Les résultats de l’étude ESENSE1 ont démontré une
diminution de 66 % de la consommation d’alcool
dans le groupe nalméfène à 6 mois. La diminution
s’est révélée statistiquement supérieure dans le
La Lettre du Psychiatre • Supplément 1 au n° 3-4 - Vol. VIII - mai-juin-juillet-août 2012 | 5
EPA 2012
Addictions
groupe nalméfène par rapport au groupe placebo,
pour les HDD (− 2,3 j/mois ; IC 95 : − 3,8 ; − 0,8 ;
p = 0,02) et pour la TAC (− 11,0 g/j ; − 16,8 ; − 5,1 ;
p < 0,001).
Avec le nalméfène, le nombre moyen de HDD a
diminué de 19 à 7 jours par mois et la TAC a diminué
de 84 g/j à 30 g/j, à 6 mois.
En ce qui concerne la tolérance, les effets indésirables étaient principalement des vertiges (27,5 %),
des nausées (27,5 %), le mal de tête (11,9 %) ou de
la fatigue (17,5 %). Ces effets indésirables avaient
cependant tendance à disparaître après quelques
jours de traitement, selon les auteurs. Les résultats des 2 autres études devraient être présentés en
juin, lors de la conférence de la Société américaine
de recherche sur l’alcoolisme (Research Society on
Alcoholism [RSA]).
Mesure de la qualité de vie
des patients alcoolodépendants
D’après le poster de A. Luquiens et al., Villejuif
(France)
L’étude présenté par l’équipe d’Amandine Luquiens,
de l’hôpital Paul-Brousse à Villejuif, souligne la nécessité d’élaborer un outil spécialement conçu pour une
mesure objective de la qualité de vie des patients
alcoolo-dépendants dans les études cliniques.
En effet, dans la pratique quotidienne, les alcoo­
logues qui considèrent la consommation contrôlée
comme un objectif acceptable évaluent généralement l’efficacité de leur approche en interrogeant
leurs patients sur leur qualité de vie. Cependant, dans
les études cliniques, la qualité de vie est rarement
considérée comme un critère de mesure.
Au sein de 23 études randomisées de la littérature
s’intéressant à la qualité de vie des patients alcoolodépendants, A. Luquiens et l’équipe de Paul-Brousse
ont répertorié 14 outils de mesure différents. Or, ces
instruments, tels que la SF-36, ont été initialement
élaborés pour la mesure de grandeurs telle la sévérité
de la dépendance.
Les auteurs suggèrent que la dispersion et l’imperfection de ces outils peuvent en partie expliquer les
résultats peu encourageants de ces études : en effet,
seul un tiers d’entre elles rapportent une amélioration significative de la qualité de vie des patients
6 | La Lettre du Psychiatre • Supplément 1 au n° 3-4 - Vol. VIII - mai-juin-juillet-août 2012 alcoolo-dépendants. Cette revue de la littérature
met aussi en évidence une confusion autour du
concept de qualité de vie.
Le jeu pathologique est-il
une addiction ?
D’après la communication de W. Van den Brink,
Amsterdam (Pays-Bas)
Le jeu pathologique est-il un désordre du contrôle
de l’impulsivité ou une addiction ? La section dans
laquelle le jeu pathologique sera intégré dans la
prochaine version du DSM soulève de nombreux
débats. Néanmoins, comme le suggère le Pr W. Van
den Brink de l’institut de Recherche sur les addictions
d’Amsterdam, les données convergent petit à petit
vers une appartenance aux addictions.
La plupart des critères du jeu pathologique sont identiques à ceux de la dépendance aux substances telles
que l’alcool ou le tabac. Le seul critère propre au
joueur pathologique est sa caractéristique centrale
de “chasseur de pertes”.
D’un point de vue génétique, l’héritabilité familiale
du trouble va de 50 à 60 % – taux proche de celui
qui est retrouvé dans les addictions.
Le joueur pathologique partage des gènes de vulnérabilité avec les individus addicts, ce qui n’est pas le
cas des individus victimes de troubles du contrôle
de l’impulsivité.
W. Van den Brink a présenté les résultats d’études
neurocognitives récentes. Par exemple, en imagerie
cérébrale, lors d’un succès aux jeux, le système de
récompense du cortex préfrontal du joueur pathologique apparaît moins activé que celui du sujet sain.
Le joueur pathologique serait donc moins sensible
au gain. Il semble aussi moins sensible à la perte
que le sujet sain. D’autres expériences ont montré
que le système de récompense chez les joueurs
pathologiques est bien plus actif que celui des sujets
sains lorsqu’ils “perdent de peu” une partie. Ainsi,
le stimulus encourageant ne serait peut-être pas le
gain lui-même, mais l’espoir de gagner.
Enfin, un des aspects sur lequel W. Van den Brink
a insisté portait sur la nécessité de distinguer les
différents sous-types de joueurs pathologiques.
En effet, des différences neurocognitives notables
ont été observées entre joueurs de machine à sous,
joueurs de pokers, joueurs de casino, etc.
■
EPA 2012
Suicide et
dépendance
à l’alcool
Interview du Dr Amine
Benyamina, Villejuif (France) sur la
communication de G. Martinotti (Italie) :
“Suicidal behaviour, substance abuse and
double diagnosis”
Parmi les communications présentées
cette année dans le domaine de
l’addictologie, l’une d’elle vous a-t-elle
paru particulièrement intéressante ?
De mon point de vue, il s’agit de la présentation
réalisée par G. Martinotti, de l’équipe du Pr Di
Giannantonio, de Chieti, en Italie, portant sur le
double diagnostique de comorbidités. G. Martinotti a élégamment résumé la littérature concernant le lien entre conduite suicidaire et addiction
à l’alcool.
Il faut rappeler que, plus souvent qu’on ne le
pense, les praticiens se trouvent confrontés à
des patients présentant une double comorbidité
psychiatrique. Ces malades sont plus difficiles à
prendre en charge : il s’agit d’identifier correctement les différentes pathologies en jeu, puis de
traiter chacune d’elles de manière adéquate. Ces
cas complexes se révèlent parfois non répondeurs
aux traitements de première ligne ; or, il est indispensable de trouver une approche personnalisée
qui réponde à toutes les problématiques en jeu.
Dans ce cadre, le lien entre prise d’alcool et
conduite suicidaire est désormais validé. G. Marti-
notti a souligné quelques points clés : selon les
études, entre 22 % et 72 % des tentatives de suicide
sont réalisées par des individus alcoolo-dépendants. Inversement, 16 % à 29 % des individus
dépendants à l’alcool ont fait une tentative de
suicide à un moment de leur existence. Dans le
cas des patients présentant une dépression ou une
bipolarité, le taux de suicides dits réussis est 5 fois
plus élevé que dans la population générale. Et la
dépendance à l’alcool vient s’ajouter à ces facteurs
de vulnérabilité. L’alcool peut être considéré à la
fois comme un agent dépressogène et comme un
facteur précipitant, qui augmente l’impulsivité des
patients dépressifs.
La prévalence du suicide parmi les patients
alcoolo-dépendants semble plus prononcée
chez les femmes que chez les hommes. Mis à
part les éventuelles causes neurobiologiques, les
femmes alcoolo-dépendantes sont aussi victimes
d’une moins bonne intégration sociale que les
hommes alcooliques, notamment dans les pays
émergents.
G. Martinotti a d’ailleurs insisté sur le fait que la
problématique suicide-alcool ne se limite évidemment pas aux pays développés. Cependant, les
données portant sur les pays en voie de développement sont bien moins abondantes. Les rapports
disponibles sur le suicide dans les pays en voie
de développement mettent souvent l’accent sur
les dimensions sociales, les causes financières du
suicide – moins souvent sur ses causes psychiatriques. Or, il s’agit d’un fait : la dépendance à
l’alcool croît dans les pays en voie de développement, et le taux de suicides augmente de la
même manière depuis une vingtaine d’années.
Références bibliographiques
1. Codony M, Alonso J, Almansa J et al. Perceived need for mental health care and service
use among adults in Western Europe: results of the ESEMeD project. Psychatr Serv
2009;60:1051-8.
2. Alonso J, Angermeyer MC, Bernert S et al. Use of mental health services in Europe: results
from the European Study of the Epidemiology of Mental Disorders (ESEMeD) project.
Psychiatr Scand Suppl 2004;420:47-54.
3. Heather N, Adamson SJ, Raistrick D, Slegg GP; UKATT Research Team. Initial preference
for drinking goal in the treatment of alcohol problems: I. Baseline differences between
abstinence and non-abstinence groups. Alcohol Alcohol 2010;45(2):128-35.
4. Hodgins DC, Leigh G, Milne R, Gerrish R. Drinking goal selection in behavioral selfmanagement treatment of chronic alcoholics. Addict Behav 1997;22(2):247-55.
5. Luquiens A, Reynaud M, Aubin HJ. Is controlled drinking an acceptable goal in the treatment of alcohol dependence? A survey of French alcohol specialists. Alcohol Alcohol
2011;46(5):586-91.
La Lettre du Psychiatre • Supplément 1 au n° 3-4 - Vol. VIII - mai-juin-juillet-août 2012 | 7
EPA 2012
Troubles bipolaires
C. Wallace, Paris
Marqueurs neurobiologiques
du trouble bipolaire
D’après la communication de S. Frangou,
Londres (Angleterre)
Alors que le trouble bipolaire est l’un des handicaps
mentaux les plus répandus, de nombreux patients
reçoivent un diagnostic erroné. Leurs symptômes
sont souvent interprétés à tort comme signes d’une
dépression majeure. Ainsi, le diagnostic adéquat est
parfois réalisé avec un retard allant de 5 à 10 ans.
Il est donc indispensable de mettre en place des
moyens plus efficaces pour aider à identifier cette
pathologie. C’est dans ce cadre que Sophia Frangou,
du King’s College à Londres, a suggéré l’utilisation
de données neuro-anatomiques pour discerner les
patients bipolaires, les patients dépressifs et les individus sains. S. Frangou a cité un essai dans lequel
l’analyse gaussienne d’images obtenues par IRM
Risque : insula
Impliquée dans le rappel des émotions et dans l’autorégulation
des affects.
Connectée au cortex cingulaire et au tronc cérébral.
structurale a permis de différencier des patients
malades (atteints de dépression ou de trouble bipolaire) de patients sains, avec une exactitude de 73 %
(sensibilité de 69 % et spécificité de 77 %) [1]. Cette
approche a aussi permis de distinguer les patients
bipolaires des patients dépressifs avec une exactitude
de 66 % (sensibilité de 40 % et spécificité de 93 %).
Dans la seconde partie de sa présentation, S. Frangou
a insisté sur l’importance de faire la différence entre
les indicateurs de risque d’une pathologie et les indicateurs d’expression de la maladie. Dans le cas du
trouble bipolaire, les facteurs de vulnérabilité génétiques sont fréquents dans la population, comme
le polymorphisme rs1006737 du gène CACNA1C.
Pour autant, tout porteur de ce polymorphisme
ne développe pas un trouble bipolaire. Dans une
étude réalisée en 2011, S. Frangou et al. ont observé
que les participants porteurs du polymorphisme
présentaient tous une augmentation de la densité
de matière grise dans l’amygdale et dans l’hypotha-
Pathologie : locus niger
Possède une concentration élevée en récepteurs D2.
Expression accrue du gène des transporteurs vésiculaires des monoamines, associé au trouble bipolaire.
Résilience : vermis cérébelleux
Impliqué dans le contrôle homéostatique de la fonction
autonome. Contribue au contrôle adaptatif des comportements complexes.
Figure 1. Différences structurelles observées au sein de la substance grise entre patients considérés à risque, patients atteints de trouble bipolaire et
patients porteurs de gènes de vulnérabilité dits “résilients” (d’après [4]).
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lamus, quel que soit leur diagnostic clinique (2). Ce
qui différenciait les patients bipolaires des porteurs
sains se situait plutôt au niveau du putamen, qui
apparaissait hypertrophié uniquement chez les
patients bipolaires.
Se fondant sur cette constatation, S. Frangou a
poursuivi en présentant son concept de résilience
adaptative, phénomène par lequel le cerveau serait
capable de générer des réponses adaptatives pour
contrecarrer le développement de la maladie. Dans
une étude publiée cette année, son équipe a mis en
évidence certaines transformations cérébrales structurales et fonctionnelles qui pourraient témoigner
Symptômes résiduels
dans le trouble
bipolaire
Interview du Pr Wissam El-Hage, Tours
(France) sur le poster P-173 : “Decreased
emotional reactivity to positive valence
in normothymic bipolar patients”
Dans quel cadre se situe votre étude ?
Pendant longtemps, la phase euthymique du
trouble bipolaire était considérée comme une
période de retour à la normalité. Or, on a récemment découvert que certains symptômes résiduels se maintiennent au cours de cette phase.
Il est donc important d’identifier, de qualifier et
de quantifier ces symptômes infracliniques pour
mieux aborder les patients aux différents stades
de leur maladie.
Votre étude portait-elle
sur un symptôme en particulier ?
Nous avons mené une étude sur la réactivité
émotionnelle comme symptôme résiduel potentiel. Il s’agissait d’évaluer, chez des sujets bipolaires 1 ou 2 en phase normothymique, la réactivité
émotionnelle d’un point de vue subjectif – les
patients décrivaient leurs émotions. Ces données
furent ensuite comparées à une mesure objective
d’une adaptation précoce des circuits neuronaux au
risque pathologique (3). D’après cette hypothèse,
le phénomène de résilience adaptative permettrait aux individus à haut risque de développer des
mécanismes neurobiologiques de protection. En
perdant cette faculté pour une raison ou une autre
au cours de leur vie, les individus développeraient
ainsi le trouble. Si l’hypothèse s’avère, un nouveau
type d’intervention pourrait consister à renforcer la
résilience adaptative chez les patients à haut risque.
Les différentes zones du cerveau impliquées dans les
phénomènes de risque, de pathologie et de résilience
sont présentées dans la figure 1.
de dilatation des pupilles, un marqueur de réactivité physiologique.
Pendant l’expérience, nous avons présenté des
images à 30 sujets sains et à 26 patients bipolaires en phase normothymique. L’enregistrement
pupillaire a eu lieu pendant la présentation des
images. Les participants ont ensuite répondu à
un questionnaire pour évaluer la connotation
(neutre, gaie ou triste) et l’intensité émotionnelle de chaque image.
Les résultats étaient-ils concordants ?
Les résultats du questionnaire n’ont pas rapporté
de différence entre les patients des 2 groupes
en termes d’intensité ou de connotation des
images (figure 2, p. 10). Donc, d’un point de vue
subjectif, les patients bipolaires en phase euthymique semblaient réagir comme des individus
sains – ce qui confirme d’ailleurs les observations
cliniques.
Mais les analyses de réactivité pupillaire ont révélé
que les patients bipolaires étaient statistiquement
moins réactifs que les patients contrôles, notamment vis-à-vis des images positives (figure 3,
p. 10). Ces résultats reflètent peut-être la difficulté
des patients bipolaires à ressentir des émotions
“pleines” vis-à-vis des événements de leur vie,
phénomène qui pourrait être lié à la persistance
de certains symptômes résiduels infracliniques –
une dépressivité latente.
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EPA 2012
Troubles bipolaires
Contrôles
*
8
Connotation
7
*
6
9
*
4
*
NS
6
5
4
NS
3
NS
2
2
1
1
Images négatives
*
*
NS
7
NS
5
3
8
NS
Intensité
9
Normothymiques
Images neutres
Images positives
Images négatives
Images neutres
Images positives
Mesure (± IC95 ) de la connotation (gauche) et de l’intensité (droite) des émotions à la présentation d’images négatives,
neutres et positives chez les patients contrôles et normothymiques.
* p < 0,001.
NS : non significatif.
Figure 2. Résultats des mesures subjectives : aucune différence entre les patients contrôles et les patients normothymiques.
ASC (mm2)
Contrôles
14
12
10
8
6
4
2
0
**
*
Images négatives
***
Normothymiques
**
*
Images neutres
Images positives
Mesure (± IC95 ) de l’aire sous la courbe (ASC) du diamètre pupillaire au cours des 6 premières secondes de présentation d’image.
* p < 0,05 ; ** p < 0,01 ; *** p < 0,001.
Figure 3. Résultats des mesures physiologiques : dilation pupillaire inférieure chez les patients normothymiques
comparativement aux patients contrôles (p < 0,01) lors de la présentation d’images positives.
Références bibliographiques
1. Frangou S. Neuroimaging markers of genetic risk, disease expression and resilience in
bipolair disorder: can they be used for diagnosis? EPA 2012, abstract AS06-01.
2. Perrier E, Pompei F, Ruberto G, Vassos E, Collier D, Frangou S. Initial evidence for the role of
CACNA1C on subcortical brain morphology in patients with bipolar disorder. Eur Psychiatry
2011;26(3):135-7.
3. Frangou S. Brain structural and functional correlates of resilience to bipolar disorder.
Front Hum Neurosci 2011;5:184.
4. Kempton MJ, Haldane M, Jogia J, Grasby PM, Collier D, Frangou S. Dissociable brain
structural changes associated with predisposition, resilience, and disease expression in
bipolar disorder. J Neurosci 2009;29(35):10863-8.
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