Sommaire Vol. XIV - N° 11 - décembre 2010 ÉDITORIAL 359 Peut-on vacciner contre la maladie d’Alzheimer ? Can we vaccinate against Alzheimer’s disease? ÉDITORIAL P. Aucouturier MISE AU POINT 362 Traitement de l’algie vasculaire de la face Treatment of cluster headache A. Donnet Peut-on vacciner contre la maladie d’Alzheimer ? REVUE DE PRESSE 368 Can we vaccinate against Alzheimer’s disease? Résumés de la littérature internationale P. Aucouturier* S. Epelbaum, E. Lesburgères, S. Valerio FICHE 371 Accident ischémique transitoire E. Ellie CAS CLINIQUE 375 Réaction d’inclinaison oculaire Ocular tilt reaction P. Grimbert, F. Abdul Samad, C. Bertout COMPTE RENDU DE RÉUNION 378 “Voir la sclérose en plaques” R. Anxionnat, M. Debouverie, T. Moreau, F. Ricolfi, F. Cattin, A. David, É. Magnin, L. Rumbach, S. Kremer, J. de Seze L a question de l’approche vaccinale dans la maladie d’Alzheimer illustre un ensemble de difficultés auxquelles est confrontée la recherche biomédicale, tiraillée entre le besoin essentiel de mieux connaître les aspects fondamentaux des mécanismes des maladies et la demande impérative et urgente de fournir des solutions thérapeutiques. Ces deux nécessités sont, hélas, souvent défendues par des acteurs différents, de façon trop indépendante, ce qui explique que les résultats se font attendre. DOSSIER THÉMATIQUE 385 Actualités sur la voie glutamatergique et la maladie d’Alzheimer La voie glutamatergique : aspects physiologiques et pharmacologiques du récepteur NMDA The glutamatergic system: physiology and pharmacology of the NMDA receptor G. Pickering Maladie d’Alzheimer : dualité des effets physiologiques et pathologiques du glutamate Alzheimer’s disease: duality of physiological and pathological effects of glutamate D. Deplanque Glutamate et grandes fonctions cérébrales Glutamate and brain functions Histoire d’un essai vaccinal Ainsi, plus de 10 ans se sont écoulés depuis que l’équipe de D. Schenk, du département de recherche de la société Elan Pharmaceuticals, a montré l’efficacité d’une vaccination par le peptide Aβ sur un modèle de maladie d’Alzheimer chez des souris transgéniques (1). Des études analogues démontrant également une action favorable sur les fonctions cognitives dans d’autres modèles murins transgéniques constituaient une démonstration de validité suffisante pour que les sociétés A. Eusebio, J. Micallef-Roll EN PLUS... ❖ Nouvelles de l’industrie pharmaceutique l 413 * Faculté de médecine Pierre-et-Marie-Curie, UMRS 938, hôpital Saint-Antoine, Paris. La Lettre du Neurologue • Vol. XIV - n° 11 - décembre 2010 | 359 ÉDITORIAL Wyeth et Elan Pharmaceuticals lancent très rapidement un essai thérapeutique multicentrique international. Après les études de phase I commencées dès 2000, un essai de phase IIa a inclus, à partir d’octobre 2001, 375 patients de stade léger ou modéré (MMSE 15 à 26), 300 d’entre eux recevant 1 à 3 injections vaccinales d’AN-1792, qui est un composé du peptide amyloïde Aβ42 (un des éléments pathologiques de la maladie d’Alzheimer) agrégé et additionné d’un adjuvant. Seulement 3 mois plus tard, l’essai est interrompu devant la survenue de 4 cas de méningo-encéphalites. Au cours du suivi ultérieur, 14 autres complications identiques seront identifiées (2). Les rares études pathologiques autopsiques suggèrent l’implication de lymphocytes T dans ces méningo-encéphalites. D’autres informations importantes ont été apportées par des études post mortem des patients vaccinés par AN-1792 (3). L’élimination ou la prévention des plaques amyloïdes est corrélée aux taux d’anticorps anti-Aβ dans le sang, mais elle ne semble pas déterminer la réponse clinique. Aucun effet favorable n’a été observé sur les dégénérescences neurofibrillaires (lésions pathologiques les mieux corrélées avec la clinique) ni sur l’angiopathie amyloïde cérébrale, qui peut même être aggravée et accompagnée de microhémorragies corticales (4). Malgré cet échec, le suivi à long terme a objectivé un effet global favorable sur le déclin cognitif des patients vaccinés (5), confirmant l’intérêt potentiel des perspectives immunothérapeutiques. L’ensemble des analyses consécutives à l’essai AN-1792, malgré ses importantes lacunes concernant, en particulier, le statut immunologique des patients, a conduit à une stratégie claire pour les essais ultérieurs : il s’agit dorénavant de concevoir des traitements s’appuyant exclusivement sur les anticorps anti-Aβ, évitant impérativement l’induction de réponses cellulaires T contre ce même peptide. Les essais en cours consistent donc soit en un transfert passif par voie périphérique (sanguine) d’un anticorps monoclonal humanisé ciblant l’extrémité N-terminale d’Aβ, soit en une immunisation active par un vaccin composé d’un fragment court N-terminal d’Aβ conjugué à une séquence polypeptidique exogène ou à une particule pseudo-virale rendant ce fragment immunogène. Immunité et maladie d’Alzheimer : que sait-on ? L’idée d’un vaccin thérapeutique dans la maladie d’Alzheimer part du concept de “soi dangereux” : la pathologie est provoquée par l’accumulation d’une structure protéique 360 | La Lettre du Neurologue • Vol. XIV - n° 11 - décembre 2010 anormale contre laquelle on peut, bien qu’elle ne soit pas étrangère à l’individu, induire une réponse immunitaire. Deux types protéiques participent ainsi à la pathologie : le peptide amyloïde Aβ, fragment de 40 à 42 acides aminés de la protéine membranaire APP, qui s’agrège sous différentes formes pour conduire à des dépôts fibrillaires extracellulaires, et la protéine Tau, normalement associée aux microtubules, qui, sous forme hyperphosphorylée, s’agrège à l’intérieur des neurones pour former les dégénérescences neurofibrillaires (DNF). Si les DNF sont plus directement corrélées aux manifestations de la maladie, leur localisation intracellulaire en fait une cible a priori difficile pour une approche immunothérapeutique adaptée. Aussi la plupart des études se sontelles focalisées sur le peptide Aβ, qui selon l’“hypothèse amyloïde” (l’agrégation amyloïde du peptide Aβ serait le principal événement à l’origine de la maladie) serait à l’origine de la cascade d’événements physiopathologiques conduisant à la neurodégénérescence. Il est intéressant de noter que le système immunitaire n’est pas aveugle aux manifestations pathologiques de la maladie d’Alzheimer. De nombreuses études récentes démontrent en particulier l’implication bénéfique d’une partie des cellules de l’immunité innée, recrutées à partir des monocytes du sang (6). Mais la situation n’est pas simple car d’autres cellules microgliales, celles qui résident dans le cerveau, ont semblet-il un rôle pro-inflammatoire délétère. Une voie de recherche évidemment pertinente consiste à orienter favorablement le profil effecteur de la microglie. Par ailleurs, des anticorps anti-Aβ sont produits spontanément au cours de la maladie d’Alzheimer et semblent interférer avec la formation des plaques séniles ; s’il est aujourd’hui difficile de leur attribuer un effet protecteur, du moins ces anticorps témoignent-ils d’une réaction immunitaire adaptative, spécifique du peptide pathologique (7). Enfin, l’existence d’une réponse immunitaire cellulaire anti-Aβ a été clairement démontrée au cours de la maladie d’Alzheimer, et elle pourrait influencer la survenue et l’évolution des manifestations cliniques (8). Quelles perspectives ? La stratégie la plus simple pour éviter les complications survenues lors du premier essai vaccinal AN-1792 consistait à éviter tout risque d’induire une réponse cellulaire T contre le peptide Aβ. Mais que reste-t-il alors des potentialités effectrices du système immunitaire ? La mise en jeu d’anticorps seuls, soit par vaccination contre un court fragment N-terminal du ÉDITORIAL peptide Aβ, soit par administration passive d’un anticorps thérapeutique, pourrait s’avérer peu efficace : ces anticorps pénètrent difficilement le parenchyme cérébral (sans doute en se fixant sur des monocytes) et, surtout, ils réduisent les dépôts amyloïdes mais semblent peu actifs contre les oligomères Aβ les plus neurotoxiques. Les premiers résultats publiés d’un essai concernant l’un de ces anticorps, le bapineuzumab, ne montrent pas de réel bénéfice et révèlent quelques effets secondaires qui suggèrent une possible aggravation de l’angiopathie amyloïde cérébrale (9). La stratégie alternative ne peut que s’appuyer sur des programmes de recherche à plus long terme, visant à mieux comprendre les implications complexes du système immunitaire dans la maladie d’Alzheimer. Les potentialités effectrices des cellules T auxiliaires (CD4+) sont multiples et doivent pouvoir être orientées de façon à favoriser la neuroprotection et l’élimination des éléments pathogènes, en évitant les effets pro-inflammatoires. À l’aide d’approches expérimentales dans des modèles animaux pertinents, il faudra identifier les facteurs et les paramètres qui permettent de Références bibliographiques maîtriser l’orientation des réponses immunitaires, d’analyser ces mêmes paramètres chez des patients, avant de concevoir les modalités pratiques d’essais immunothérapeutiques innovants. Quelques groupes, particulièrement aux États-Unis et en Israël, ont déjà avancé sur cette voie, et ont montré par exemple un effet favorable de cellules T méningées productrices d’IL-4 sur les performances cognitives (10), ou encore ont suggéré que le recrutement de cellules immunes systémiques (lymphocytes T CD4+ et monocytes sanguins) dans le cerveau pourrait protéger des phénomènes neurodégénératifs (6). Les applications cliniques devront également prendre en compte des facteurs génétiques individuels de réponse immune (comme les haplotypes HLA et d’autres facteurs), méconnus lors d’essais précédents, qui conditionnent vraisemblablement les effets d’un vaccin et ses possibles complications. La voie vers un vaccin thérapeutique est donc sans doute longue et difficile, mais les potentialités nous paraissent importantes, pourvu qu’on se donne les moyens et le temps de les explorer. ■ Claudie Damour-Terrasson et toute l’équipe éditoriale vous souhaitent 1. Schenk D, Barbour R, Dunn W et al. Immunization with amyloid-beta attenuates Alzheimer-disease-like pathology in the PDAPP mouse. Nature 1999;400:173-7. 6. Schwartz M, Shechter R. Systemic infl ammatory cells fi ght off neurodegenerative disease. Nat Rev Neurol 2010;6:405-10. 2. Orgogozo JM, Gilman S, Dartigues JF et al. Subacute meningoencephalitis in a subset of patients with AD after Abeta42 immunization. Neurology 2003; 61:46-54. 7. Kellner A, Matschke J, Bernreuther C, Moch H, Ferrer I, Glatzel M. Autoantibodies against beta-amyloid are common in Alzheimer’s disease and help control plaque burden. Ann Neurol 2009;65:24-31. 3. Holmes C, Boche D, Wilkinson D et al. Long-term effects of Abeta42 immunisation in Alzheimer’s disease: follow-up of a randomised, placebo-controlled phase I trial. Lancet 2008;372:216-23. 8. Monsonego A, Zota V, Karni A et al. Increased T cell reactivity to amyloid beta protein in older humans and patients with Alzheimer disease. J Clin Invest 2003;112:415-22. 4. Boche D, Zotova E, Weller RO et al. Consequence of Abeta immunization on the vasculature of human Alzheimer’s disease brain. Brain 2008;131:3299-310. 9. Salloway S, Sperling R, Gilman S et al.; Bapineuzumab 201 Clinical Trial Investigators. A phase 2 multiple ascending dose trial of bapineuzumab in mild to moderate Alzheimer disease. Neurology 2009;73:2061-70. une très belle fin d’année 2010 au fil de nos pages papier et numérique 5. Vellas B, Black R, Thal LJ et al.; AN1792 (QS-21)-251 Study Team. Long-term follow-up of patients immunized with AN1792: reduced functional decline in antibody responders. Curr Alzheimer Res 2009;6:144-51. 10. Derecki NC, Cardani AN, Yang CH et al. Regulation of learning and memory by meningeal immunity: a key role for IL-4. J Exp Med 2010;207:1067-80. Claudie Damour-Terrasson et toute l’équipe éditoriale vous souhaitent une très belle fin d’année 2010 au fil de nos pages papier et numérique du Pneumologue • Vol. XI - n° 6 - novembre-décembre 2008 La Lettre du Neurologue • Vol. XIV - n° 11 - décembre 2010 | 361