Dossier thématique D ossier thématique Facteurs étiopathogéniques de la schizophrénie •• C. Demily*, F. Thibaut** Les acquis L’ introduction du concept de vulnérabilité à la maladie schizo­phrénique n’est pas une donnée récente, puisque E. Kraepelin, en 1896, avait déjà souligné l’existence de troubles cognitifs prémorbides à la maladie. La grande variabilité des expressions cliniques et des regroupements syndromiques de la schizophrénie explique pour une large part pourquoi il s’agit, encore aujourd’hui, d’une pathologie dont les facteurs étiopathogéniques sont mal connus. Cependant, loin des querelles idéologiques, un consensus plaide actuellement en faveur d’un modèle étiopathogénique complexe selon lequel une vulnérabilité génétique combinée à des facteurs environnementaux pourrait aboutir à l’expression de la maladie. En effet, on peut supposer que des individus ayant une vulnérabilité génétique à la schizophrénie vont, en fonction de leur environnement, développer ou non la maladie ou alors présenter un phénotype intermédiaire appartenant au spectre de la schizophrénie, tel qu’un trouble de la personnalité du registre de la schizotypie. Nous en aborderons les principaux points, mais notre revue ne saurait, ici, être exhaustive. Actuellement, l’hypothèse neurodéveloppementale de la schizo­ phrénie – introduite par T. Clouston en 1891 – figure parmi les modèles les mieux étayés de la littérature. Les données fournies par l’imagerie cérébrale plaident en faveur de cette hypothèse qui engendre la notion de “phase de latence” : des lésions cérébrales survenant au cours du développement pourraient aboutir à la survenue retardée de symptômes psychotiques. L’hypothèse neurodéveloppementale dite “précoce” postule que des perturbations du développement cérébral pourraient survenir de manière très précoce au cours de la vie intra-utérine. Des facteurs génétiques majoritaires pourraient ainsi combiner leurs effets avec des facteurs environnementaux pré- ou périnataux pour aboutir, in fine et à l’adolescence, au phénotype “schizophrénie”. À cet égard, des troubles spécifiques du langage (comme une écholalie) ainsi que des troubles de la coordination motrice ont été observés chez des enfants de 4 et 7 ans devenus ultérieurement schizophrènes, mais leur valeur prédictive reste faible. L’hypothèse développementale dite “tardive” postule que des dysfonctionnements développementaux affecteraient la maturation cérébrale durant l’adolescence, par une perturbation de l’élimination des connexions synaptiques en excès ou par des processus anormaux de myélinisation. Une étude * Service hospitalo-universitaire du Pr Terra, centre hospitalier Le Vinatier, Bron ; ** Service hospitalo-universitaire de psychiatrie, hôpital Charles-Nicolle, Inserm U614, UFR de médecine, Rouen. 164 PSY 6 nov.-déc. 08.indd 164 princeps prospective menée en imagerie fonctionnelle chez des sujets vulnérables à la schizophrénie, et en ayant effectivement développé une ultérieurement, atteste du caractère évolutif des lésions cérébrales mises en évidence, qui atteignaient la substance grise des régions parahippocampique, orbitofrontale et cérébelleuse. L’hypothèse neurodégénérative classique de la schizophrénie entraînant une cicatrice du tissu cérébral semble moins séduisante en raison de l’absence de gliose dans le cerveau des sujets schizophrènes après analyse post mortem. La principale limite de cette observation est le nombre très faible de sujets inclus dans ce type d’études. Cependant, la mort cellulaire apoptotique peut entraîner une disparition silencieuse du neurone, sans réaction gliale ou inflammatoire. Différentes protéines (de la famille Bcl-2) stimulent ou au contraire inhibent l’apoptose. Chez les schizophrènes, le taux de Bcl-2 semble réduit au niveau du cortex temporal et pourrait rendre ainsi le cerveau de ces sujets plus sensible aux phénomènes d’apoptose. De plus, il est désormais acquis que l’administration de phencyclidine (antagoniste des récepteurs glutamatergiques NMDA) exerce une excitotoxicité sur le tissu cérébral et permet de produire des symptômes schizophréniques chez des sujets sains. B.A. Morel, après la description de “l’idiotie acquise des jeunes gens”, fut l’un des premiers auteurs à discuter l’idée que les psychoses puissent être héréditaires. Toutes les études d’agrégation familiale attestent de l’existence d’une concentration familiale de la schizophrénie, sans transmission mendélienne identifiable. Le risque de présenter la maladie pour les frères et sœurs (9 %) et les enfants (13 %) de patients schizophrènes est environ dix fois supérieur à celui de la population générale. Les études de jumeaux aident à caractériser la composante génétique de la maladie schizophrénique. Elles mettent en évidence une concordance morbide pour la maladie plus élevée chez les monozygotes (40 à 70 %) que chez les dizygotes (15 %). L’importance du facteur génétique dans la transmission de la maladie est conforté par les études d’adoption, puisque les enfants adoptés de parents biologiques schizophrènes ont un risque accru (5,6 %) de développer une schizophrénie par rapport aux enfants adoptés de parents biologiques non schizophrènes (0,9 %). Deux types de méthodes sont utilisés classiquement en génétique pour localiser et identifier les gènes impliqués dans le déterminisme d’une maladie : les études de liaison et les études d’association. À ce jour, pour la schizophrénie, aucune de ces stratégies usuelles n’a permis d’identifier de manière reproductible l’existence d’un gène majeur transmis selon un modèle mendélien classique. L’hypothèse d’un modèle de transmission polygénique multifactoriel paraît donc beaucoup plus plausible : un grand nombre de gènes combinent leurs effets avec la composante environnementale pour créer le phénotype “schizophrénie”. Face à la complexité de ce type de modèle, il s’avère donc nécessaire de développer des stratégies alternatives de recherche en génétique. La Lettre du Psychiatre - Vol. IV - n° 6 - novembre-décembre 2008 17/12/08 11:33:59 Faits nouveaux Un des premiers écueils auquel se heurtent les stratégies ­classiques en génétique est la complexité à considérer dans son entièreté le phénotype “schizophrénie”. Il semble donc impératif de “démembrer” cette entité si complexe. Les endophénotypes sont des marqueurs phénotypiques associés à la maladie et mesurables, présents chez les sujets schizophrènes et leurs apparentés. Ils obéissent parfois à un mode de transmission génétique plus simple et identifiable. L’étude simultanée de plusieurs marqueurs électrophysio­ logiques, répondant aux critères des endophénotypes, semble être une perspective novatrice intéressante. Dans cette optique, une étude récente a combiné trois paradigmes : l’enregistrement de l’onde P50 des potentiels évoqués auditifs (qui permet d’évaluer les capacités de filtrage sensoriel des patients schizophrènes), le paradigme des antisaccades lors de l’étude des mouvements oculaires (qui nécessite l’intégrité des cortex pariétal et préfrontal) et la poursuite oculaire lente dans une population de 81 sujets schizophrènes, 25 apparentés et 60 sujets contrôles. Le paradigme de l’onde P50 et celui des antisaccades semblent puissants pour distinguer les sujets schizophrènes, leurs apparentés et les témoins. L’analyse des remaniements chromosomiques semble également être une stratégie plus intéressante dans l’étude de la génétique de la schizo­phrénie. En effet, lorsque dans l’expression phénotypique d’un réarrangement chromo­somique connu et identifiable se manifeste une augmentation de la fréquence des symptômes schizophréniques, il semble judicieux d’envisager que cette région puisse contenir un ou des gènes impliqués dans la schizophrénie. L’implication du chromosome 22 dans le déterminisme de la schizophrénie a été suggérée par la comorbidité fréquente entre syndrome de DiGeorge et symptômes schizophréniques. Les sujets DiGeorge ou atteints du syndrome vélo-cardio-facial présentent une délétion hétérozygote de la région 22q11 entraînant un phénotype particulier (dont une dysmorphie faciale et des anomalies cardiaques), associé à des symptômes schizo­ phréniques dans 25 à 35 % des cas. Plusieurs études génétiques portant sur les gènes de cette région ont été menées, révélant l’association de certains polymorphismes avec la schizophrénie. Certaines variations du gène PRODH (codant une enzyme de dégradation de la proline) sont associées à une hyperprolinémie retrouvée de manière significative chez les sujets présentant un trouble schizo-affectif. Le gène COMT, situé également dans la région 22q11, code la cathécol-O-méthyltransférase, enzyme de dégradation des catécholamines, notamment de la dopamine. Dans la psychose schizophrénique, le cortex préfrontal est hypoactivé lors de la réalisation d’une tâche impliquant la mémoire de travail, en lien avec une hypoactivation des neurones La Lettre du Psychiatre - Vol. IV - n° 6 - novembre-décembre 2008 PSY 6 nov.-déc. 08.indd 165 dopaminergiques mésocorticaux. Les polymorphismes fonctionnels Val/Val et Val/­Met situés en position 108 et 158 de la COMT correspondent à une activité enzymatique haute, alors que le polymorphisme Met/­Met correspond à une activité normale. L’allèle Val serait donc possiblement à l’origine d’un hypercatabolisme dopaminergique. Plusieurs études d’association ont mis en évidence une augmentation de la transmission de l’allèle Val chez les patients schizophrènes et leurs apparentés par rapport à une population témoin, et suggèrent que l’allèle Val aurait un rôle possible de facteur de vulnérabilité dans un sous-groupe de schizophrénie, mais là encore les données sont controversées. Une étude plus récente a directement corrélé, et de manière significative, les performances cognitives, évaluées grâce au test de Wisconsin, à l’analyse des différents polymorphismes fonctionnels du gène COMT dans une population de sujets sains. Le génotype Val/Val serait corrélé à de mauvaises performances cognitives au test de Wisconsin. Cependant, l’existence de facteurs de vulnérabilité génétique n’est pas suffisante pour développer une schizophrénie. Dans cette optique, les modèles d’interaction gène/environnement sont prometteurs dans la détermination de l’étiopathogénie de la maladie. Parmi les facteurs environnementaux précipitants, on citera l’exemple du cannabis. Une consommation précoce (durant la préadolescence) pourrait être associée à un risque plus important de manifestations psychotiques à l’adolescence. La majorité des individus consommant du cannabis ne développeront pas une psychose, ce qui suggère que certains sujets pourraient présenter une vulnérabilité génétique aux effets du cannabis. Dans cette perspective, il a été suggéré que le polymorphisme Val158Met du gène COMT puisse opérer comme un facteur de risque à la psychose dans un contexte environnemental favorisant. Dans une vaste cohorte prospective de 1 037 enfants, les sujets présentant le polymorphisme Val/Val du COMT ont un risque accru de développer des phénomènes psychotiques à l’âge de 25 ans (éléments délirants, hallucinations ou trouble schizo­phréniforme) lors de la consommation de cannabis. La synthèse des données souligne l’existence d’un modèle complexe, polygénique et multifactoriel de la maladie. Ainsi, aucun facteur, qu’il soit génétique ou environnemental, n’est nécessaire ou suffisant pour développer la maladie. On peut faire l’hypothèse qu’un environnement très délétère puisse engendrer une schizophrénie chez un sujet à faible risque génétique et que, réciproquement, chez un sujet à forte vulnérabilité génotypique, un stress moindre puisse engendrer la maladie. ■ Dossier thématique D ossier thématique Pour en savoir plus ▶▶ Caspi A, Moffitt TE, Cannon M et al. Moderation of the effect of adolescentonset ­cannabis use on adult psychosis by a functional polymorphism in the cathecol-O-methyltransferase gene: longitudinal evidence of a gene X environment interaction. Biol Psychiatry 2005;57:1117-27. ▶▶ Louchart de la Chapelle S, Nkam I, Houy E et al. A concordance study of three electrophysiological measures in schizophrenia. Am J Psychiatry 2005;162:466-74. ▶▶ Thibaut F. Génétique de la schizophrénie. Paris: John Libbey Eurotext, 2003. 165 17/12/08 11:34:00