Défi diagnostic - STA HealthCare Communications

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La morsure du froid
François Melançon, M.D.
Défi diagnostic
L
es engelures sont des blessures causées par le froid et caractérisées par des
tissus qui gèlent, dont les victimes principales sont les soldats, les personnes
travaillant au froid, les sans-abris et les athlètes pratiquant des sports d’hiver.
Lors de la formation d’une engelure, le froid induit la formation de cristaux de
glace, la déshydratation cellulaire, la dénaturation des protéines, l’inhibition de la
synthèse protéique, des changements dans la perméabilité des parois cellulaires, un
dommage aux capillaires et des changements du pH. Le réchauffement, quant à lui,
cause l’œdème cellulaire, l’agrégation des érythrocytes et des plaquettes, un dommage endothélial, une thrombocytose, l’œdème des tissus, l’augmentation de la
pression entre les cellules, la formation de vésicules, de l’ischémie localisée et la
mort tissulaire.
En réponse à ces agressions, le corps se défend de la génération de radicaux
libres par la production de prostaglandines et de thromboxane A2, par une relâche
d’enzymes protéolytiques et par une inflammation généralisée. Les dommages aux
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Dans le cas d’une engelure, les symptômes rencontrés sont les suivants : membre
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travailler à mains nues. Depuis, il
se plaint d’une sensation de
brûlure et de perte de précision
du geste. Il a l’impression que son
cœur bat dans ses doigts.
À l’examen, vous notez que ses
mains sont froides, indurées,
érythémateuses, œdémateuses et
d’apparence cireuse. Il y a
plusieurs plaques blanches dures
et vous constatez un déficit sensitif
bilatéral.
De quelle condition s’agit-il?
Comment allez-vous le
traiter?
froid et induré, sensation de brûlure, de piqûre ou de perte de sensation, perte de
précision du geste, douleur, sensation de cœur qui bat dans le membre et brûlure,
puis sensation de choc électrique lorsqu’il y a réchauffement.
Les mains et les pieds sont les membres plus fréquemment atteints. Sont aussi
sensibles au froid le nez, les joues, les oreilles, les cornées et l’avant des jambes,
sous les genoux.
Pour poser le diagnostic :
• Vérifiez la sensation; la présence d’engourdissement peut suggérer une engelure;
• Examinez de façon détaillée; si une petite zone semble blanche ou grisâtre et
cireuse, tout en semblant normale au toucher, ce n’est probablement pas une
engelure. Réchauffez néanmoins la zone rapidement. Cependant, si la même
apparence est associée à l’impression que la peau est dure en surface et souple en
profondeur, il s’agit alors probablement d’une engelure;
• Assurez-vous de ne pas ignorer une engelure plus importante (zone indurée plus
large, décolorée et rougeâtre).
le clinicien janvier 2011
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Défi diagnostic
Tableau 1
Complications possibles des
engelures
• Jusqu’à 30 % des patients souffrent
d’infection de plaie (Staphylococcus aureus,
streptocoque bêta-hémolytique,
bâtonnets Gram négatif ou anaérobies).
• L’engelure constitue une plaie à risque
pour le tétanos.
• D’autres complications fréquentes des
engelures sont :
- l’hyperglycémie;
- l’acidose;
- les dysrhythmies réfractaires;
- la perte tissulaire et la gangrène.
• Quoique rare, la mort est possible.
Les séquelles à long terme
Les séquelles potentielles sont nombreuses.
Parmi celles-ci, notons :
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•
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paresthésies et déficits sensitifs;
hyperhidrose ou anhidrose;
craquelures cutanées récidivantes;
perte des ongles;
changements de couleur cutanée
suggérant le vasospasme;
sensibilité au froid;
raideurs articulaires;
tremblements;
fermeture prématurée des épiphyses
chez les enfants;
ostéoporose;
atrophie musculaire;
douleur du membre fantôme lorsqu’il y a
amputation.
Les soins pré-hospitaliers
Lorsque confronté à une engelure, il
faut d’abord traiter les conditions
médicales menaçant la survie du
patient. Ensuite, il faut rapidement
remplacer les vêtements mouillés par
des vêtements secs. S’il y a certitude
que le membre ne risque plus d’être
gelé à nouveau (lors du transport, par
exemple), on peut commencer à le
réchauffer. Par contre, si le moindre
risque persiste, ne réchauffez pas le
membre avant de pouvoir prodiguer
un traitement définitif. Contrairement
à ce qui a pu être véhiculé, il ne faut
pas frotter une engelure avec de la
neige; ceci ne fait qu’augmenter les
dommages causés par l’engelure. Au
contraire, pour éviter les plaies de frottement, il faut protéger mécaniquement le membre gelé avec une serviette ou un drap.
Ne donnez ni alcool ni sédatifs,
puisque ceux-ci augmentent la vasodilatation et la perte de chaleur, en
diminuant le frissonnement protecteur.
Si le membre gelé est un pied, transportez le patient et évitez de le faire
marcher, de manière à diminuer le
risque de bris cutané et de fracture.
Les soins hospitaliers
Dr Melançon est
omnipraticien et compte
25 années d’expérience
dont 18 en salle
d’urgence. Il a pratiqué
en cabinet privé et en
CLSC. Il est récemment
revenu à ses premières amours, soit la
médecine d’urgence, la traumatologie et la
psychiatrie.
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le clinicien janvier 2011
Il faut d’abord effectuer une réanimation liquidienne agressive; les patients
sont souvent déshydratés et l’ajout de
liquide améliore la perfusion. Il faut
ensuite rapidement réchauffer le membre affecté en l’immergeant dans de
l’eau qui circule (bain tourbillon) à 4042 °C, à laquelle on peut y ajouter un
savon antibactérien doux. Il faut absolument éviter les températures plus
élevées et la chaleur sèche, en raison
du risque de blessure thermique. Si on
ne peut pas immerger le membre, des
serviettes mouillées à la même température peuvent être efficaces. Finalement, il ne faut pas masser la zone
affectée : vous augmenteriez ainsi les
dommages en créant des micro-traumatismes cutanés. L’utilisation d’analgésiques est recommandée, au besoin.
Un membre prend de 20 à 40 minutes pour dégeler. Il est complètement dégelé lorsque l’extrémité la plus
distale développe un léger érythème
(flush). Une fois le membre dégelé, il
faut le fixer dans une attelle de protection, le garder élevé sur des couvertures stériles et débrider les ampoules
séreuses, pour éviter les bris cutanés
causés par le thromboxane. Ne débridez cependant pas les ampoules hémorragiques, car ceci augmenterait les
risques d’infection. Un membre disloqué et gelé doit d’abord être dégelé,
puis remis en position. Les fractures
sont pour leur part traitées dans des
attelles, jusqu’à ce que l’œdème postdégel soit résorbé.
La médication
On vise d’abord et avant tout le contrôle de la douleur et la prévention des
complications (Tableau 1). À cet effet,
plusieurs régimes médicamenteux
peuvent aider – mais il n’existe pas
d’étude prospective ou de standardisation des doses.
• 1er régime : l’infusion de dextran à
faible poids moléculaire pourrait
aider à prévenir l’agrégation des érythrocytes dans les vaisseaux lésés.
• 2e régime : l’infusion de faibles doses d’héparine pourrait diminuer la
formation de microthrombis. Une
Défi diagnostic
Le suivi posthospitalisation
Les CLSC locaux devront être impliqués
dès le congé de l’hôpital.
Le suivi comprend le soin des plaies,
l’analgésie et la protection du froid.
L’évolution clinique dictera le choix de la
médication qui pourra comprendre des
antibiotiques, de l’analgésie et un antiinflammatoire, tel que l’ibuprofène.
Le patient doit être transféré à un centre
spécialisé si le personnel de votre centre
n’est pas familier avec le suivi des
engelures et de leurs séquelles.
Retour sur le cas
de Simon
Vous avez reconnu une engelure
des deux mains.Vous avez traité
Simon en lui posant un soluté, puis
en réchauffant rapidement ses
mains en les immergeant dans de
l’eau qui circule (bain tourbillon) à
40-42 °C, avec un savon
antibactérien doux. Ses mains ont
été enveloppées dans des
pansements. Simon a été mis en
arrêt de travail et est retourné à la
maison sous la supervision d’une
infirmière du CLSC.
L’évolution clinique a heureusement
été banale, quoique Simon est
maintenant très sensible au froid et
ne peut plus travailler à mains nues
à l’extérieur, en hiver.
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le clinicien janvier 2011
étude a suggéré que la combinaison
de faibles doses d’héparine avec de
l’activateur du plasminogène IV
(tPA) pourrait favoriser la guérison,
lorsque les doigts sont affectés.
• 3e régime : l’utilisation de bupivacaïne pour des blocs sympathiques
cervicaux ou lombaires, afin de
diminuer le tonus sympathique et la
douleur – mais l’efficacité de cette
approche n’a pas été démontrée.
Les anti-inflammatoires
Les anti-inflammatoires non stéroïdiens sont préférés à l’AAS, qui bloque de façon irréversible la synthèse
des prostaglandines nécessaire à l’intégrité et au fonctionnement cellulaire.
Ils sont utilisés pour leur effet analgésique et antipyrétique, mais leur mécanisme d’action est imprécis – ils pourraient inhiber l’activité de la cyclooxygénase et la synthèse des prostaglandines. Ils pourraient aussi inhiber
la synthèse des leukotriènes, la relâche
d’enzymes lysosomales, l’activité de
la lipoxygénase, l’aggrégation des
neutrophiles et des plaquettes, puis
avoir une action sur plusieurs propriétés des membranes cellulaires.
Les antibiotiques
Les antibiotiques sont utilisés, par
certains, en prophylaxie des infections de plaies. Il s’agit d’un usage
controversé et plusieurs préfèrent
attendre l’apparition de signes d’infection avant de les utiliser.
Les agents topiques
Les agents topiques, tels que l’aloès
vera, sont très efficaces lorsqu’appliqués sur les zones débridées (vé-
sicules claires) et sur les vésicules
hémorragiques intactes. Cette application minimise la synthèse supplémentaire de thromboxane par les tissus lésés.
Les toxoïdes
Les toxoïdes servent à prévenir le
tétanos. On recommande des doses
de rappel même chez les gens ayant
été vaccinés précédemment. Les patients n’ayant jamais été immunisés
devraient recevoir du toxoïde et de
l’immunoglobuline tétanique (Ig)
250 U par voie intramusculaire (IM).
Les narcotiques
Finalement, l’analgésie avec des
narcotiques est fréquemment nécessaire. La morphine est bien connue
et provoque des réactions prévisibles, facilement réversibles. On la
donne à une dose de 0,1 à 0,2 mg/kg
IV/IM q4h et idéalement en doses
de 2 à 4 mg titrées, si on vise un
effet analgésique.
Le suivi à l’hôpital
On fournit d’abord au patient une
diète hypercalorique et hyperprotéinée pour favoriser la guérison. Il
faut ensuite séparer les extrémités
gelées (doigts et orteils) avec du coton
pour diminuer la macération, tout en
favorisant la mobilisation active du
membre affecté aussi précocément
que possible. On favorise une immersion dans un bain tourbillon deux fois
par jour, avec ajout de savon chirurgical dans l’eau, pour aider au débridement des plaies. En tout temps, il est
recommandé de fortement décourager les patients de fumer. C
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