séance de séminaire : « le maintien de l`hospitalité, de l

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SÉANCE DE SÉMINAIRE :
« LE MAINTIEN DE L’HOSPITALITÉ, DE L’HÔPITAL JUSQU’AU
DOMICILE, DANS DES SITUATIONS DE GRANDE VULNÉRABILITÉ ».
Reconnaître et partager la vulnérabilité de l'enfant en
pédopsychiatrie
Francis MOREAU - pédopsychiatre – EPSM agglomération Lilloise
1 / LA NOTION DE VULNÉRABILITÉ
La vulnérabilité est généralement associée à l'idée de fragilité physique ou psychique ou encore à la
notion d'un contexte psycho-social qui fragilise l'individu : pauvreté, mauvaises conditions de vie,
solitude... A cette idée de la vulnérabilité est volontiers opposée celle d'un individu indépendant,
adapté à son environnement et qui se suffirait à lui -même. Cette représentation nous sert de repère
constant lorsqu'il s'agit de penser le devenir de l'homme à travers le modèle d'un accroissement
progressif de son autonomie, puis, avec l’âge, d'un déclin de celle-ci. A ce modèle adaptatif de la
vulnérabilité comme perte ou manque d'adaptation à l'environnement, je voudrais, à l'instar de
Corinne Pelluchon dans ses "Éléments pour une éthique de la vulnérabilité", montrer ce que ce
concept, entendu comme amoindrissement de la forme typique naturelle, peut avoir de remarquable
lorsqu'il s'agit de l'existence humaine. Si nous prenons l'exemple des premiers soins que nous
prodiguons à un bébé, nous pouvons remarquer qu'ils ne sont pas seulement destinés à sa fragilité
physique, mais à l'égard et à la considération que nous pouvons avoir vis à vis de son altérité, à la
place que nous accordons à celle-ci. C'est ici que réside une vulnérabilité que l'on pourrait dire
spécifiquement humaine. Nous veillons sur l'enfant en l'englobant à notre monde, en l'invitant aussi
à en faire partie, mais nous savons que ce partage est une promesse qui peut ne pas être tenue. Il
n'est pas de chemin tout tracé pour la rencontre qui a toujours des allures de petits miracles pour
que l'enfant acquière la conviction qu'il y a bien un partage possible, le partage d'un monde
commun. En cela réside aussi la vulnérabilité de l'enfant et notre responsabilité à son égard : il y a
toujours une altérité irréductible qui nous sépare et que nous ne pouvons récuser que par
l’imagination. L'autre qui peut être le bébé par exemple, mais qui peut être aussi le vieillard ou tout
autre individu, ne sollicite pas seulement de la protection de notre part, mais un accueil de son
altérité, de sa différence. Il est vulnérable car il est toujours susceptible d’incompréhension,
d'indifférence et d'exclusion. Sa présence est toujours menacée de disparition, de ne pas trouver
l'accueil qu'elle requiert. De ce fait, elle renvoie au devoir moral à son égard : Tu ne tueras pas, dit
Levinas qui voit dans l'épiphanie du visage l'annonce de l'interdit moral. Cet interdit fondateur de la
relation est reconnaissance de l'altérité irréductible du prochain, irréductible à une visée prédatrice
tu la prendras en considération, tu ne la dénieras pas, dans l’indifférence.
Reconnaître la vulnérabilité de l'enfant, c'est donc reconnaître cette présence fragile et précieuse qui
est la sienne, cette différence qui est la sienne et qui se présente au début de la vie dans l'opacité
d'un monde d'avant le langage, d'avant la raison.
L’hôpital comme milieu -Hospitalité et vulnérabilité partagées- mars 2016
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2 / AVOIR UN LIEU À SOI
Privé d'une relation maternelle stable, repérable, d'une niche affective, comme dans ces situations
dans lesquelles les soins donnés à un enfant sont dépourvus de toute qualité relationnelle (et qui
donne lieu à ce que René Spitz a décrit sous le nom d'hospitalisme), l'enfant dépérit et meurt ou
souffre de séquelles neurologiques irréversibles. Le bébé a besoin de cette relation primaire à autrui
dans laquelle s'inscrit déjà toute la force du précepte moral : Tu ne tueras pas. A l'autre extrémité de
la vie n'y a-t-il pas la même nécessité pour un vieillard de ne pas se retrouver perdu dans un lieu
anonyme qui n'est plus son chez soi et où ne l'attendrait aucun autre ? L'hospitalité trouve ici sa
pleine dimension qui est d'ouvrir un lieu pour que l'étranger à ce monde qui est le nôtre y trouve sa
place. L'existence, qu'on pourrait penser indépendante des lieux qu'elle parcourrait comme autant
de domaines, n'est-elle pas, au contraire, par elle-même spatialisante, ayant le pouvoir de donner
accès aux lieux, d'ouvrir aux lieux, de donner l'hospitalité ?
Nous retrouvons une telle idée dans la conception heideggérienne de l'existence comme être-là,
Dasein, expression qui est elle-même construite à partir de l'adverbe de lieu "da". Francoise Dastur
dans son article intitulé: "Heidegger. Espace, lieu, habitation", paru dans "Les temps modernes" en
2008, remarque que cette connotation spatiale qui s'oppose à "hier" (ici) et à "dort" ( là(là-bas), "
interdit d'identifier le Dasein heideggerien à l'ego solipsiste de la tradition classique". L'adverbe "là"
correspond à la deuxième personne, au "tu" de l'alter ego, alors qu'ici correspond au "je" du locuteur
et là-bas au "il" de la troisième personne. Le Dasein n'est donc pas juste "ici " comme s'il était séparé
des autres, ni "là-bas " de façon impersonnelle, mais bien dans un être-avec-l ‘autre originaire. Pour
Heidegger, en effet, le Dasein est toujours déjà co-existentialement Mitsein, c'est à dire être-avec. Il
doit donc être entendu comme un "je-tu " et il a à être cet être même, à la fois comme destin et
comme devoir. "Il s'exprime d'emblée sur lui-même, écrit Francoise Dastur, à partir de la position
qu'il occupe et de la spatialité originaire qui est la sienne." Cette situation qui est la sienne et qui a à
devenir la sienne dans une confiance à chaque fois renouvelée et toujours plus entière avec son
environnement peut être mise en péril, comme nous l'avons vu plus haut, dans l'expérience de
l'abandon, de la solitude qui viennent renvoyer l'enfant, le vieillard ou tout individu à leur étrangeté
première. Dans ces situations choisies comme modèles de notre vulnérabilité, l'homme perd la place
qui avait été la sienne et dans laquelle il se sentait en familiarité avec le monde. Il échoue à se
reconnaître dans cet espace objectivé qui est le nôtre, un espace pourvu de directions et de signes
qui nous permettent de nous y orienter; il lui manque la possibilité de s'y projeter
intentionnellement, de s'y retrouver dans son propre dehors. Comme dans l'expérience de
l'obscurité totale, il ne peut alors s'attendre à trouver un dehors sur lequel il pourrait poser les yeux;
il reste seul, plongé dans l'étrangeté d'un monde qui ne se laisse plus atteindre.
Avoir un lieu à soi peut se définir, à partir de cette expérience privative où l'on se trouve pour ainsi
dire muré dans une pure liberté réduite à elle-même, comme la capacité à disposer d'un espace,
d'une distance ouverte par la présence d’autrui. Cette présence suffit-elle ? Il est vrai que nous
pouvons nous sentir seuls en présence d'autrui dont nous sentons ainsi l’indisponibilité. Pour être
réellement présents, il faut que nous soyons co-présents dans un même espace relationnel et que ce
lieu soit le nôtre dans un accordage réciproque, un accord commun. L'espace nous est alors donné et
nous pouvons nous y déplacer : il est nôtre.
L’hôpital comme milieu -Hospitalité et vulnérabilité partagées- mars 2016
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3 / L´ESPACE SOCIAL ET LA PSYCHOPATHOLOGIE DE L'ENFANCE
La politique de santé en matière de soins psychologiques a été pensée en France sur le modèle de la
sectorisation, à partir du découpage géographique du territoire en secteurs. Ces secteurs
correspondent à un nombre de 300 000 habitants ce qui permet en droit de répartir équitablement
les soins délivrés aux personnes souffrant de troubles psychiques. Que faut-il entendre par trouble
psychique chez un enfant ? Jusqu'à un certain âge, l'enfant n'a pas accès à la capacité d'expliquer luimême ce qui ne va pas, ni à concevoir si ce qu'il ressent a le moindre rapport avec une norme
extérieure à lui qui viendrait confirmer qu'il y bien là un trouble à prendre en considération. Dans
une certaine mesure, cet écart vis à vis de la norme n'est pas non plus simple à penser pour ses
parents qui vivent quotidiennement avec lui et s'adaptent naturellement au comportement de
l’enfant. La dimension développementale vient aussi complexifier l'approche normative que nous
pouvons avoir dans l'évaluation du trouble présenté. Ce qui est normal ou peut être considéré
comme un phénomène transitoire à un certain âge ne l'est plus à un autre. D'autre part, et nous le
voyons avec cette référence faite au développement de l’enfant, il n'est pas possible de faire
abstraction du corps comme s'il n'était la visée que de la médecine somatique tandis que la
psychiatrie ne s'occuperait que des phénomènes psychiques dans une juste répartition des tâches.
L'approche évaluative du pédopsychiatre doit être résolument globale au sens où un médecin
généraliste a une approche plus entière des troubles de son patient qu'un médecin spécialiste. Il doit
prendre en compte l'approche "objectivante" du corps comme ce corps que j'ai, mais aussi la
dimension sociale de ce corps comme ce corps que je suis. Dire de l'approche pédopsychiatrique de
l'enfant qu'elle consiste en l'étude de mécanismes intra-psychiques est donc extrêmement
réducteur. Les troubles présentés par l'enfant sont des troubles liés à son développement, à son
comportement, à son contexte familial et éducatif et ne peuvent se limiter à des troubles liés aux
représentations mentales, même s'il s'agit dans l'approche thérapeutique de s'en faire une
représentation pour agir et soigner.
La raison principale qui préside à la désignation d'un trouble avéré chez l'enfant est l'écart vis à vis de
la norme qui vient le signaler. C'est cet écart qui, comme nous l'avons vu plus haut, le place aussi
dans une situation de vulnérabilité. L'enfant doit faire face à une différence qui l'écarte du groupe et
cela fragilise son insertion sociale. La reconnaissance de plus en plus claire de ces différences peut
donner lieu à la reconnaissance d'un handicap et à ses conséquences en termes d’apprentissage. Il y
a donc dans certaines situations, grâce à la pose d'un diagnostic, par exemple celui d'un trouble de
l'attention avec hyperactivité, la possibilité d'aider spécifiquement un enfant dans le milieu scolaire
par le biais de réunions de concertations entre enseignants, parents et thérapeutes. Ce changement
de paradigme, concernant des troubles qui jusqu'ici étaient étiquetés de déterminations morales
dévalorisantes pouvant atteindre aussi bien l'enfant que ses parents, permet d'éviter les
conséquences néfastes que cette dévalorisation peut avoir sur la représentation qu'un enfant se fait
de lui-même en termes d'estime de soi et sur les liens de confirmation narcissique que ses parents et
ses enseignants lui renvoient. Cette évolution ne peut se faire que sur du long terme et les
changements de mentalité demandent du temps comme en témoigne cette anecdote lors de
laquelle un enfant qui sortait d'une réunion scolaire de concertation entre pédopsychiatre et
enseignants se voit demander par un de ses camarades s'il sortait d'un conseil de discipline ! Ce qui
sous-tend ce changement et qui nous renvoie à la dimension spatialisante que donne Heidegger au
Dasein, c'est le changement de lieu. Le trouble psychique était pensé il y a quelques années dans sa
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dimension intra-psychique et son lieu était l'intériorité de l'âme humaine. Son théâtre était l'intimité
de la famille, voire même uniquement celle de la relation duelle mère/enfant, que venait redoubler
l'intimité de la relation patient /thérapeute. Il est devenu aujourd'hui celui d'une singularité qui doit
être reconnue comme telle dans l'espace public. La reconnaissance de cette différence et,
corrélativement, de cette vulnérabilité, est d'ordre éthique. La cacher au prix du non-dit et du secret,
la dissimuler honteusement comme un manquement à l'ordre social sont des attitudes qui sont
devenues dépassées. La pédopsychiatrie a développé et développe encore un savoir qui doit être
celui de tous, car il a trait à l'essence de l'enfance et nous concerne tous puisqu'avec l'enfance nous
partageons un passé et qu’à partir de celui-ci nous avons un avenir. Notre vulnérabilité d'enfant et la
vulnérabilité de nos enfants dans ce monde qui nous dépasse doivent gagner leur place hors du giron
protecteur où elle a trouvé son origine. Elles doivent changer de lieux, se faire entendre et accepter
pour que cesse la violence et le déni, afin que naisse une véritable reconnaissance à leur égard.
L'enjeu est éthique, car la vulnérabilité ne peut se faire entendre qu'à partir de l'accession à la
différence. Dans le milieu scolaire, elle se montre dans la différence d'acquisition des traits communs
de sociabilité ainsi que, naturellement, dans la différence d'accès aux processus d'apprentissage.
L'évolution des pratiques soignantes en pédopsychiatrie passe de plus en plus par la reconnaissance
de l'importance de la cognition et de la dimension corporelle dans les troubles présentés par les
enfants. En cela notre pratique soignante se rapproche de l'éducation et de la médecine somatique.
Il ne s'agit plus aujourd'hui de la cliver du reste du champ social en une sorte de terra incognita au
nom du secret honteux censé protéger la déviance, mais bien plutôt de l'y faire entrer et admettre
comme une auxiliaire prête à intervenir là où il y a souffrance.
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