D OSSIER thématique Les enjeux de la “transition” et du “transfert” après transplantation d’organe Coordinatrice : D. Debray, service d’hépatologie pédiatrique, CHU de Bicêtre, 94275 Le Kremlin-Bicêtre Cedex. ◗ Les enjeux et les modalités de la transition J.P. Dommergues (page 216) ◗ L’adolescent et ses soignants face au défi de la maladie chronique P. Alvin (page 220) ◗ Adolescence, greffe de rein... P. Cochat, F. Nobili,V.Vessière, C. Boisriveaud, E. Morelon, H. Desombre (page 225) ● Transplantation hépatique : portrait d’un adolescent greffé F. Lacaille ◗ Qualité de vie après transplantation rénale à l’adolescence Ph. Duverger (page 234) Transplantation hépatique : portrait d’un adolescent greffé ● F. Lacaille* a transplantation hépatique chez l’enfant représente près de 10 % des transplantations hépatiques réalisées chaque année en France. L’atrésie des voies biliaires en est la principale indication (> 50 % des cas). L’âge moyen à la transplantation est voisin de 3 ans, la majorité des enfants porteurs d’atrésie des voies biliaires étant greffés avant l’âge de 18 mois. La plupart des équipes font actuellement état d’un taux de survie actuarielle de 70 à plus de 80 % à 10 ans (1). Contrairement à la transplantation rénale, la survie du greffon est presque superposable à celle du patient. Le pronostic à plus long terme reste grevé essentiellement par le risque de rejet chronique du greffon et le risque d’insuffisance rénale chronique liée, en partie du moins, à l’usage des L * Service de gastroentérologie pédiatrique, hôpital Necker-Enfants malades, 75015 Paris. 231 anticalcineurines. Seuls 10 % des enfants nécessitent une retransplantation tardive (2-4), mais 60 % des retransplantations hépatiques tardives réalisées au-delà de 10 ans chez l’adolescent sont indiquées en raison d’un rejet chronique, secondaire dans 75 % des cas à une non-observance du traitement immunosuppresseur. Les indications de transplantation rénale secondaire restent exceptionnelles chez les adolescents (< 1 %). Cependant, près de 40 % présentent déjà une diminution notable de la filtration glomérulaire (entre 50 et 80 ml/mn/1,73 m2) à 10 ans de la transplantation hépatique. Ainsi, la plupart des enfants transplantés arrivent à l’adolescence avec un recul de plus de 10 ans depuis la transplantation hépatique, porteurs d’une maladie chronique “depuis toujours” dont ils ont oublié la phase aiguë et qui Le Courrier de la Transplantation - Volume V - n o 4 - oct.-nov.-déc. 2005 D OSSIER thématique a été la source chez leurs parents d’une angoisse majeure, qui demeure. Les parents gardent d’ailleurs souvent une attitude hyperprotectrice et infantilisante, pouvant générer chez l’adolescent rejet ou repli. Les études de qualité de vie après transplantation hépatique sont encore peu nombreuses, incluant peu de patients (5-7), et en particulier peu d’adolescents. Si, pour le pédiatre et les parents, il apparaît évident que la qualité de vie de l’adolescent a été grandement améliorée par la greffe, l’adolescent luimême n’en perçoit que les contraintes et les effets indésirables des traitements qui le différencient des autres... Les angoisses d’avenir sont majorées par l’incertitude du pronostic à très long terme, par les problèmes éventuels qu’elle peut générer pour un avenir professionnel, par les éventuelles urgences qui peuvent compromettre des projets. L’orientation professionnelle ultérieure ne doit pas être une limitation, et cela doit être dit précocement. Il n’y a aucune profession contre-indiquée après une greffe hépatique, sauf celle de barman ! L’aspect physique est important pour l’adolescent. Si la croissance staturopondérale est un problème majeur avant la greffe chez les enfants, majoritairement atteints de cholestase chronique, la croissance reprend après transplantation, dès que la corticothérapie est diminuée. Cependant, plus la transplantation est réalisée tard, moins le rattrapage statural permet de retrouver le percentile de croissance attendu (8). Toutefois, en dehors de certains syndromes génétiques, les adolescents atteignent généralement une taille finale supérieure au 5e percentile (9). En fonction de l’âge à la transplantation et du retard de croissance antérieur, un retard pubertaire est possible. Il faut rassurer l’adolescent, et mentionner assez tôt que de nombreux patients transplantés, des deux sexes, ont eu des enfants (10), sans tératogéni- cité particulière. Les effets cosmétiques du traitement immunosuppresseur (hypertrichose , hypertrophie gingivale, acné, vergetures, verrues...) sont une cause majeure de non-observance du traitement. Leur importance peut justifier une modification de ce dernier, après discussion et “contrat” avec l’adolescent. Enfin, la cicatrice abdominale peut être cause de repli, l’adolescent refusant de pratiquer un sport avec ses pairs (natation), ou souffrant de ne pouvoir porter des vêtements dégageant l’abdomen. Après transplantation hépatique, la cicatrice est médiane ou bisous-costale, ou une combinaison des deux. Elle ne recouvre pas toujours celle de l’intervention de Kasai réalisée chez les enfants porteurs d’une atrésie des voies biliaires. S’y ajoutent les cicatrices des drains abdominaux et du cathéter central. Si les cicatrices sont inesthétiques, il ne faut pas hésiter à proposer une chirurgie plastique. Le statut de “malade chronique” est rappelé quotidiennement par la prise des médicaments et par les visites médicales. La non-observance du traitement est fréquente chez les adolescents. La prise de risque étant une caractéristique de cette période de la vie, l’une des plus faciles est le rejet des médicaments et des contacts médicaux. Le suivi médical peut, dans la mesure du possible, être réalisé en collaboration avec le médecin traitant et le laboratoire local, si la famille habite loin du centre de transplantation. Il est essentiel d’aménager les horaires de prise médicamenteuse, de proposer des solutions pour éviter l’oubli de la prise du traitement (sonnerie de rappel sur le téléphone portable...), et informer l’adolescent des risques encourus en cas d’oublis répétés ou d’arrêt du traitement. La prise des médicaments à long terme est l’une des pierres d’achoppement les plus importantes dans la relation parents-enfant transplanté. L’angoisse des parents, 232 souvent entretenue par le pédiatre, d’un oubli des médicaments s’oppose à l’autonomisation de l’adolescent, et peut même être une cause d’absence de séjours à l’extérieur de sa famille, les parents ne faisant confiance à personne d’autre, et en particulier pas à l’adolescent lui-même. Enfin, s’y ajoutent tous les “interdits” : consommation d’alcool, de tabac, limitation de l’exposition solaire... La modération de la consommation d’alcool est un sujet qu’il faut aborder tôt, avant l’entrée dans l’âge à risque. Il faut savoir ne pas être trop strict sur “l’interdiction absolue”, insister sur le côté festif des cocktails sans alcool, sur la responsabilité de “celui qui conduit” quand l’âge s’y prête… L’interdiction du bronzage est ressentie comme une frustration. L’argument du cancer cutané étant peu reçu à cet âge, il est plus facile de jouer sur l’idéal de beauté et de parler de “vieillissement prématuré de la peau”, de “peau précocement fripée”. CAS PARTICULIER DE LA TRANSPLANTATION HÉPATIQUE RÉALISÉE CHEZ UN ADOLESCENT C’est une éventualité assez rare, puisque, par exemple, la moitié des 6 000 transplantations pédiatriques enregistrées dans le Registre européen ont été réalisées chez des enfants âgés au plus de 2 ans. Quoi qu’il en soit, il s’agit d’une agression majeure, physique et psychologique, génératrice d’un stress intense chez l’adolescent et sa famille, et empreinte d’angoisses de mort. Rappelons que la mortalité en phase aiguë de la transplantation est d’au moins un cas sur dix. La situation est un peu différente selon que la transplantation est “programmée” dans l’évolution d’une maladie chronique ou décidée en urgence (hépa- Le Courrier de la Transplantation - Volume V - n o 4 - oct.-nov.-déc. 2005 D OSSIER thématique tite fulminante). Mais elle entraîne toujours une rupture plus ou moins longue avec l’environnement social, en particulier scolaire, et des modifications physiques (ictère, cicatrices, effets des médicaments…) interférant de façon variable avec les changements pubertaires. Le retentissement psychologique dépend de la structure mentale de l’adolescent et de sa famille, mais doit être encore plus surveillé étant donné le bouleversement majeur que représente la transplantation à une période déjà fragile de la vie. Paradoxalement, le problème de l’observance du traitement se pose moins dans ce cas, l’angoisse de la période aiguë se reportant, au moins initialement, sur la prise régulière des médicaments. immunosuppresseur à vie. Plus que la transplantation hépatique elle-même, pratiquée des années auparavant, ce sont les contraintes imposées par le suivi médical obligatoire et le traitement immunosuppresseur, auxquelles s’ajoutent les éventuelles réhospitalisations, les conséquences physiques des divers traitements et l’incertitude du pronostic à très long terme, qui rappellent sans cesse à l’adolescent “son statut de malade chronique”, générant angoisse de mort, repli ou rejet, sentiment d’injustice... et arrêt du traitement. ■ R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S CONCLUSION 1. www.eltr.org 2. Evrard V, Otte JB, Sokal E et al. Impact of surgi- La transplantation hépatique n’est pas une guérison ; elle impose un suivi médical et la prise d’un traitement cal and immunological parameters in pediatric liver transplantation: a multivariate analysis in 500 consecutive recipients of primary grafts. Ann Surg 2004; 239:272-80. 233 3. Fouquet V, Alves A, Branchereau S et al. Longterm outcome of pediatric liver transplantation for biliary atresia: a 10-year follow-up in a single center. Liver Transpl 2005;11:152-60. 4. Kim JS, Groteluschen R, Mueller T et al. Pediatric transplantation: the Hamburg experience. Transplantation 2005;79:1206-9. 5. Alonso EM, Neighbors K, Mattson C et al. Functional outcomes of pediatric liver transplantation. J Pediatr Gastroenterol Nutr 2003;37:155-60. 6. Bucuvalas JC, Britto M, Krug S et al. Health-related quality of life in pediatric liver transplant recipients: a single-center study. Liver Transpl 2003;9: 62-71. 7. Taylor R, Franck LS, Gibson F, Dhawan A. A critical review of the health-related quality of life of children and adolescents after liver transplantation. Liver Transpl 2005;11:51-60. 8. McDiarmid SV, Gornbein JA, DeSilva PJ et al. Factors affecting growth after pediatric liver transplantation. Transplantation 1999;67:404-11. 9. Avitzur Y, De Luca E, Cantos M et al. Health status ten years after pediatric liver transplantation. Looking beyond the graft. Transplantation 2004;78: 566-73. 10. Gandhi H, Davies N. Liver transplant and obstetrics. J Obstet Gynaecol 2004;24:771-3. Le Courrier de la Transplantation - Volume V - n o 4 - oct.-nov.-déc. 2005