D OSSIER thématique Place de l’anatomopathologie en transplantation 1re partie - La suite de ce dossier (rein) paraîtra dans le prochain numéro Coordinateur : E. Thervet, service de transplantation rénale et de soins intensifs, hôpital Necker, 75015 Paris ● Avancées récentes en pathologie de la transplantation cardiaque P. Bruneval, J.P. Duong Van Huyen, P. Fornes ◗ Apports de l’examen anatomopathologique dans les complications de la transplantation pulmonaire C. Danel (page 18) ◗ Place de la biopsie hépatique en transplantation hépatique M. Sebagh (page 27) Avancées récentes en pathologie de la transplantation cardiaque ● P. Bruneval*, J.P. Duong Van Huyen*, P. Fornes* près avoir connu une augmentation soutenue pendant les années 1980, l’activité de transplantation cardiaque a connu un pic en 1994 et, depuis, elle décroît (1). Ainsi une très faible proportion des insuffisants cardiaques bénéficie-t-elle d’un traitement par transplantation. Les indications très restrictives de la transplantation cardiaque, la carence relative de greffons cardiaques disponibles et, surtout, l’efficacité thérapeutique des moyens interventionnels endovasculaires, chirurgicaux et médicamenteux en font un choix thérapeutique rare eu égard au nombre considérable d’insuffisants cardiaques. La transplantation cardiaque induit cependant dans des centres spécialisés une activité d’anatomie pathologique qui lui est consacrée. Les bases de l’activité d’anatomie pathologique générée par la transplantation cardiaque restent les mêmes depuis plus de 20 ans : recours à la biopsie endomyocardique pour faire le diagnostic de rejet de greffe cardiaque et contribution A * Service d’anatomie pathologique, hôpital européen Georges-Pompidou, 75015 Paris. 10 importante de l’anatomie pathologique pour détecter les complications de la greffe (complications infectieuses, tumeurs malignes, effets indésirables des immunosuppresseurs, toxicité rénale en particulier). En l’absence de moyens non invasifs fiables, le diagnostic de rejet de greffe cardiaque reste fondé sur la biopsie endomyocardique. Le rejet cardiaque est caractérisé par une grande latence clinique : les troubles du rythme, les anomalies électrocardiographiques et l’insuffisance cardiaque ne doivent pas être considérés comme des signes de rejet, car ils sont tardifs et peuvent témoigner d’un rejet irréversible. Au pire, la mort subite cardiaque peut être un signe révélateur de rejet de greffe. Il n’existe pas actuellement de test biologique simple pour détecter le rejet, comme l’est par exemple la mesure de la fonction rénale en transplantation rénale. L’échographie cardiaque manque de sensibilité et de spécificité dans le diagnostic de rejet. L’analyse des profils d’expression des leucocytes sanguins périphériques a fait l’objet de publications intéressantes, mais qui n’ont pas encore été validées par la pratique clinique. Ainsi, l’analyse Le Courrier de la Transplantation - Volume VI - n o 1 - janvier-février-mars 2006 D OSSIER thématique d’un panel de cytokines par RT-PCR en temps réel permet de caractériser le rejet (2). De même, l’analyse sur puce Affymetrix® des ARN extraits du sang total a montré des variations d’expression de différents gènes répartis en clusters distinguant le rejet aigu de l’absence de rejet ou du rejet résolu (3). Dans cette étude, l’analyse a été poursuivie en RTPCR quantitative et a montré des changements significatifs d’expression d’un gène impliqué dans l’inhibition de l’apoptose et d’un autre impliqué dans l’activation des leucocytes (superoxyde dismutase 2), tous deux augmentés au cours du rejet. Actuellement, le diagnostic de rejet cardiaque reste donc supporté par la biopsie endomyocardique. En raison de la latence clinique, électrocardiographique et échographique du rejet cardiaque, la biopsie endomyocardique n’est habituellement pas indiquée à l’occasion d’anomalies de ces trois indicateurs. Elle est pratiquée de façon systématique pour détecter le rejet cardiaque selon un échéancier qui entre dans un protocole et qui tente de couvrir au mieux la période la plus probable de survenue d’épisodes de rejet. Ainsi de nombreuses équipes pratiquent-elles des biopsies endomyocardiques systématiques toutes les semaines pendant les deux premiers mois, toutes les deux semaines jusqu’à la fin du quatrième mois, puis tous les mois jusqu’à la fin de la première année, et enfin tous les six mois. Ce programme est en accord avec la notion statistique montrant que les épisodes de rejet sont plus fréquents pendant les six premiers mois après la transplantation. Cependant, des crises de rejet aigu peuvent survenir à tout moment, même de nombreuses années après la transplantation. Devant la très faible incidence du rejet aigu tardif, certaines équipes s’interrogent sur l’utilité de pratiquer une biopsie endomyocardique des années après la transplantation. La technique de biopsie endomyocardique en transplantation cardiaque consiste en une biopsie du ventricule droit réalisée par voie transveineuse, le plus souvent jugulaire interne, pratiquée par une pince à biopsie de taille 7F ou 8F (figure 1). La biopsie est dirigée sous contrôle radioscopique contre le septum du ventricule droit près de la pointe : il faut éviter impérativement de biopsier la paroi libre du ventricule droit, qui est fine, exposant au risque de perforation par biopsie transfixiante. Cependant, sur le cœur transplanté qui est un cœur opéré, les adhérences limitent considérablement le risque d’hémopéricarde. Le nombre de fragments requis pour assurer une bonne sensibilité de dépistage de rejet aigu cellulaire est d’environ quatre. L’échantillonnage minimum est fixé à trois fragments. Les fragments biopsiques intéressent l’endocarde et le myocarde sous-jacent. Ces fragments sont fixés dans le formol dilué pour réaliser une étude histologique standard nécessitant des coupes sur plusieurs niveaux afin de détecter un processus pathologique cellulaire focal. Il est nécessaire d’ajouter un prélèvement supplémentaire non fixé qui sera congelé si l’on suspecte un rejet humoral : l’étude en immunofluorescence de coupes au cryostat est alors indispensable. Pour les trois ou quatre fragments biopsiques reçus fixés dans le formol et inclus en paraffine, les différents niveaux de coupe sont colorés par une coloration standard hématoxyline-éosine. Les colorations spéciales n’ont généralement aucune utilité. L’étude immunohistochimique sur tissu fixé peut être utile pour détecter des macrophages endovasculaires (ce qui est un marqueur du rejet humoral). L’essentiel de la pathologie de la transplantation cardiaque est établi depuis longtemps. Cependant, ces dernières années, deux faits principaux ont modifié la pratique en anatomie pathologique de la transplantation cardiaque : ✓ une nouvelle proposition de classification du rejet pour essayer de répondre aux difficultés d’utilisation de la classification du rejet aigu cellulaire cardiaque proposée en 1990 ; ✓ la prise en compte du rejet aigu humoral comme phénomène pathologique réel et possiblement très grave, ainsi que la mise à la disposition des pathologistes d’outils pour le diagnostic de rejet humoral. RÉVISION DE LA GRILLE POUR LA STANDARDISATION DE LA NOMENCLATURE DANS LE DIAGNOSTIC DE REJET CARDIAQUE (tableau I) Les aspects histologiques lésionnels définissant les lésions élémentaires du rejet cardiaque ainsi que leur gradation ont été décrits dans les travaux pion- Figure 1. Pince à biopsie endomyocardique 7F jetable et les fragments de myocarde biopsiés (vus sur lame histologique après coloration par l’hématoxylineéosine). Échelle millimétrique. 11 Le Courrier de la Transplantation - Volume VI - n o 1 - janvier-février-mars 2006 D OSSIER thématique Tableau I. Rejet aigu cellulaire : correspondance entre les différents systèmes de gradation. Classification de l’ISHLT 2004 (11) 0R Pas de rejet 1R Rejet léger, infiltrat périvasculaire ± interstitiel, ± au maximum un foyer unique de lésion myocytaire Classification de l’ISHLT 1990 (5) 0 1A 1B 2 Pas de rejet Infiltrat focal, périvasculaire, ± interstitiel, sans lésion myocytaire Infiltrat diffus, périvasculaire, ± interstitiel, sans lésion myocytaire Un foyer d’infiltrat unique avec lésion myocytaire 2R Rejet modéré, 2 foyers avec lésion myocytaire ou plus 3A Plusieurs foyers d’infiltrat avec lésion myocytaire 3R Rejet sévère, infiltrat diffus avec plusieurs foyers de lésions myocytaires, ± œdème, ± suffusions hémorragiques, ± vasculite 3B Infiltrats diffus avec lésion myocytaire 4 Classification historique de Billingham 1982 (4) Pas d’évidence de rejet Infiltrat diffus polymorphe avec lésions myocytaires étendues, ± œdème, ± suffusions hémorragiques, ± vasculite Rejet aigu léger Pas d’infiltrat Infiltrat cellulaire périvasculaire Rejet aigu léger ou modéré (selon les centres) Rejet aigu modéré Infiltrat diffusant entre les myocytes Rejet aigu sévère Nécrose myocytaire, infiltrat hémorragique ± polynucléaires ISHLT : International Society for Heart and Lung Transplantation. niers d’une pathologiste, M. Billingham (4). Ce système de gradation du rejet a été utilisé dans la plupart des centres. La concrétisation de sa diffusion internationale a été la publication en 1990 d’une grille pour la standardisation de la nomenclature pour le diagnostic du rejet cardiaque (5). Cette grille publiée sous l’égide de la Société internationale pour la transplantation cardiaque et pulmonaire (ISHLT) est une reconnaissance de la validité des travaux initiaux de M. Billingham, et a en outre ajouté des notions dont certaines se sont avérées utiles et d’autres d’utilisation problématique. Dans la grille de 1990 a été introduite la notion “d’agressivité” contre les myocytes cardiaques de l’infiltrat cellulaire du rejet dans l’analyse des lésions élémentaires, caractérisant des grades de rejet ≥ 3 (figure 2). La constatation d’un infiltrat cellulaire agressif envers les myocytes a été considérée comme un seuil important par de nombreuses équipes pour évaluer la gravité de l’épi- sode de rejet et déclencher ainsi un traitement de crise de rejet. Pour d’autres équipes, moins nombreuses, le traitement de crise de rejet est déclenché pour un grade plus bas (1B), alors qu’il existe un infiltrat cellulaire assez abondant, mais sans agressivité. L’argument clé des équipes considérant que le seuil d’instauration du traitement de crise Figure 2 Agressivité de l’infiltrat cellulaire envers un myocyte d’aspect nécrotique (flèche). Hématoxyline-éosine x 400. 12 de rejet doit être l’infiltrat agressif (grade ≥ 3) est que les grades inférieurs évoluent spontanément vers la stabilisation ou la régression et que l’aggravation est exceptionnelle (6-8). Même si les signes histologiques d’agressivité peuvent être parfois difficiles à reconnaître sur biopsie pour un pathologiste moins entraîné, cette notion n’a pas été contestée au fil du temps et reste d’actualité. Au contraire, deux éléments de la grille de 1990 ont posé des problèmes, parce que leur signification ou leur réalité ne sont pas démontrées, ou parce qu’ils rendaient la grille plus complexe sans intérêt pratique. La première entité à avoir posé problème est celle étiquetée “rejet de grade 2”, définie dans la grille de 1990 comme un infiltrat cellulaire en un foyer unique avec agressivité envers les myocytes. De nombreux pathologistes ont eu des difficultés à reconnaître pratiquement ce grade qui, finalement, survient rarement. Le problème majeur a été sa signification en termes de pathologie Le Courrier de la Transplantation - Volume VI - n o 1 - janvier-février-mars 2006 D OSSIER thématique réelle et d’intérêt pour déclencher un traitement de crise de rejet (9). Devant les doutes entourant cette entité, des études fondées essentiellement sur des coupes sériées ont abouti au résultat que le grade 2 serait en fait le résultat d’une incidence de coupe histologique ne traduisant qu’un infiltrat cellulaire endocardique “inclus” au sein du myocarde du fait du hasard des niveaux de coupe histologiques (figure 7). Cet infiltrat issu de l’endocarde n’aurait pas de signification de rejet myocardique et ne nécessiterait donc aucun changement thérapeutique. La deuxième difficulté dans la grille de 1990 a été la distinction entre deux types d’infiltrats cellulaires endocardiques ou “effet Quilty”, de type A ou de type B (figure 3). L’“effet Quilty” de type A est strictement limité à l’endocarde et n’infiltre pas le myocarde sous-jacent. L’“effet Quilty” de type B diffuse à partir de l’endocarde dans le myocarde sous-jacent avec possiblement des images d’agressivité. Quel que soit le type d’“effet Quilty”, les auteurs ont conclu qu’il ne devait pas être considéré comme une manifestation histologique du rejet cardiaque, alors que le phénotype des cellules qui y sont présentes est identique à celui des cellules du rejet myocardique. La signification pathologique de l’“effet Quilty” reste actuellement inconnue. Dans la terminologie établie, le rejet aigu cardiaque avait initialement la signification d’un rejet aigu cellulaire. Ce rejet est défini par une infiltration cellulaire avec des cellules du rejet, avant tout des lymphocytes T ayant typiquement une morphologie de grands lymphocytes activés. Il s’agit surtout de lymphocytes T CD8. L’infiltrat a constamment au minimum une topographie périvasculaire, surtout périveinulaire (figure 4). Il peut en outre diffuser en position interstitielle entre les myocytes. La gradation du rejet est basée sur la présence de l’infiltration cellulaire, son intensité en termes de nombre de foyers d’infiltrat cellulaire et sur la notion d’agressivité envers les myocytes. Dans la grille de standardisation de la nomenclature de 1990, la topographie de l’infiltrat, périvasculaire ou périvasculaire et interstitielle, n’est plus prise en considération. Ainsi, la grille de 1990 distingue : ✓ grade 0 : pas de rejet, absence d’infiltrat cellulaire ; ✓ grade 1A : c’est un rejet aigu léger focal constitué d’un ou de rares infiltrats cellulaires de topographie périvasculaire ou périvasculaire et interstitielle observés sur un ou plusieurs fragments biopsiques (figure 5) ; ✓ grade 1B : l’infiltrat est plus abondant, comprenant plusieurs foyers sur plusieurs fragments, toujours sans aucune agressivité envers les myocytes (figure 6) ; ✓ grade 2 : présence d’un foyer unique cellulaire avec, en outre, agressivité envers les myocytes (figure 7) ; ✓ grade 3A : présence de plusieurs foyers cellulaires dont au moins un présente une agressivité envers les myocytes (figure 8) ; Figure 5 Rejet aigu 1A (ancienne nomenclature) ou 1R (nouvelle nomenclature). Un infiltrat autour d’une veinule (flèche). Hématoxyline-éosine x 100. Figure 4 Figure 3 Volumineux effet Quilty (flèches) : infiltrat cellulaire mononucléé de l’endocarde. Hématoxyline-éosine x 20. Lésion élémentaire de rejet cellulaire cardiaque : infiltrat cellulaire dense autour d’une veinule sans agressivité envers les myocytes adjacents, qui restent d’aspect normal. Pas de diffusion interstitielle sur cet exemple. Hématoxyline-éosine x 400. 13 Figure 6 Rejet aigu 1B (ancienne nomenclature) ou 1R (nouvelle nomenclature). Plusieurs infiltrats autour de veinules (flèches). Hématoxyline-éosine x 100. Le Courrier de la Transplantation - Volume VI - n o 1 - janvier-février-mars 2006 D OSSIER thématique a b c Figure 8 Figure 7. Rejet aigu 2 (ancienne nomenclature) ou 1R (nouvelle nomenclature). Sur ces trois coupes sériées, il apparaît clairement que ce type de lésion définissant le grade 2 (flèche) peut être produit par un effet Quilty par hasard des plans de coupe histologique. Hématoxyline-éosine x 200. ✓ grade 3B : plusieurs foyers cellulaires, plus nombreux que dans le grade précédent et avec une nette agressivité envers les myocytes (figure 9) ; ✓ grade 4 : l’infiltrat peut comporter des polynucléaires neutrophiles, se combiner à des suffusions hémorragiques interstitielles, et l’agressivité myocytaire est nette, avec une nécrose myocytaire (figure 10). Des images de vasculite peuvent être observées. C’est l’équivalent du rejet aigu sévère défini antérieurement par M. Billingham. Ce grade de rejet est devenu tout à fait exceptionnel avec les traitements immunosuppresseurs modernes, à condition que ces derniers soient correctement suivis. La révision de la grille de gradation du rejet cardiaque a été essentiellement justifiée par le problème du grade 2 (10). L’autre justification a été le fait que les rejets de bas grade, 1A et même 1B, évoluent rarement sur la biopsie consécutive vers des rejets de plus haut grade, et même régressent sans traitement de crise de rejet. La grille révisée (11) de gradation du rejet ignore donc le grade 2. Elle combine en un seul grade 1R les anciens grades 1A, 1B et 2. Le grade 2R correspond à l’ancien 3A. Enfin, le grade 3R englobe les anciens Rejet aigu 3A (ancienne nomenclature) ou 2R (nouvelle nomenclature). L’infiltrat autour d’une veinule diffuse largement et est agressif (flèches). Hématoxyline-éosine x 400. Figure 10 Figure 9 Rejet aigu 3B (ancienne nomenclature) ou 3R (nouvelle nomenclature). Infiltrat dense multifocal et agressif. Hématoxyline-éosine x 100. grades 3B et 4. Pour la plupart des équipes, le seuil de déclenchement d’un traitement de crise de rejet devient le grade 2R. Cependant, quelques équipes pour lesquelles le déclenchement du traitement de crise de rejet correspondrait au grade ancien 1B ne peuvent pas se satisfaire du nouveau système de grades. En l’absence d’une signification clinique différentielle évidente, les deux sous-types d’“effet Quilty” ne sont plus reconnus. Un progrès majeur dans la nouvelle proposition d’évaluation du rejet est la prise en compte du rejet aigu humoral. 14 Rejet aigu 4 (ancienne nomenclature) ou 3R (nouvelle nomenclature). Rejet aigu sévère avec nécrose myocytaire étendue (N) et infiltrat avec des hématies et des polynucléaires. Hématoxyline-éosine x 400. REJET AIGU HUMORAL Le rôle des anticorps acquis a été longtemps négligé dans le rejet de greffe. Les phénomènes cellulaires impliquant les lymphocytes T étaient considérés comme seuls responsables du rejet de greffe. Au contraire, les anticorps naturels étaient bien connus pour être responsables des phénomènes de rejet suraigu, comme dans la xénogreffe discordante expérimentale ou la transplantation incompatible ABO au cours d’erreurs de groupage transfusionnel. Dans ces situations, le rôle pathogène des anticorps naturels se mani- Le Courrier de la Transplantation - Volume VI - n o 1 - janvier-février-mars 2006 D OSSIER thématique festait dès les premières minutes de la remise en circulation du greffon par des microthromboses multiples, traduisant l’attaque de l’endothélium et entraînant une ischémie irréversible “sur table” du greffon (figure 11). La notion de rejet humoral a commencé à faire son chemin depuis une dizaine d’années. Le terme de rejet humoral est souvent confondu ou du moins mis en parallèle avec celui de rejet vasculaire. En effet, bien souvent, le rejet humoral dû à la présence d’anticorps contre des déterminants du greffon (antiHLA de classe I le plus souvent, exceptionnellement anticorps anti-cellule endothéliale) atteint en premier lieu les structures vasculaires, microcirculation et artères de petit calibre. Cependant, le rejet artériel peut aussi dépendre de phénomènes cellulaires. Pour ajouter à la confusion de l’utilisation des deux termes, il convient d’ajouter la notion selon laquelle dans le rejet chronique, phénomène essentiellement vasculaire, le rôle des anticorps acquis a été incriminé. La reconnaissance tardive du rejet humoral vient en partie du manque de moyens techniques permettant de reconnaître de façon fiable le rejet humoral. La cible de ce rejet humoral étant avant tout l’endothélium vasculaire, puis la paroi vascu- laire, c’est l’atteinte de ces structures qui a permis d’évoquer le rejet humoral (quasi synonyme de rejet aigu vasculaire). Pendant longtemps, les signes permettant de reconnaître le rejet humoral ont manqué de spécificité et posé des problèmes de reconnaissance d’un pathologiste à l’autre. Les signes retenus à l’époque étaient la turgescence endothéliale et l’œdème interstitiel (figure 12) ; ces deux critères peuvent poser le problème de leur distinction d’artéfacts biopsiques. Plus fiables, mais rarement observées, étaient des lésions de vasculite ou d’artérite nécrosante (figure 13). De plus, les marqueurs en immunofluorescence ont fait l’objet d’un débat, certaines équipes proposant de retenir comme critère de rejet vasculaire des dépôts d’immunoglobulines (12), d’autres contestant le rôle pathogène de ces mêmes dépôts (13). Finalement, la solution est venue de l’expérience de la transplantation rénale avec la mise en évidence de la fiabilité d’un marqueur, les dépôts de la faction du complément C4d (14). Le C4d est un fragment de clivage traduisant l’activation du complément. Il présente l’avantage de persister longtemps : sa clairance est lente et permet de reconnaître l’activation du complément in situ pendant plusieurs semaines. Le fragment C3d semble avoir la même pro- priété et sa détection peut être pratiquée au même titre que celle du C4d (15). Il a fallu attendre 1999, soit six ans après les premières observations en transplantation rénale, pour que soit publiée la première étude valorisant la détection du C4d comme moyen de diagnostic du rejet humoral (16). Depuis 2004, plusieurs études ont confirmé la valeur de la détection de dépôts de C4d pour faire le diagnostic de rejet humoral (15, 17-19). Les dépôts de C4d sont corrélés à la présence d’anticorps acquis spécifiques du donneur (15, 17, 19). Le rejet humoral cardiaque avec dépôts de C4d peut être favorisé par une immunisation préalable du receveur (17, 20). Le retentissement fonctionnel cardiaque de la positivité des marqueurs d’activation du complément comme le C4d ou le C3d, souvent associés à la présence d’anticorps spécifiques du donneur, est extrêmement variable. La plupart des études s’accordent toutefois pour reconnaître la gravité du rejet humoral isolé ou associé au rejet cellulaire. Ainsi Michaels et al. (20) constatent-ils dans leur série de rejets humoraux purs une défaillance cardiaque dans 47 % des cas et une mortalité de 14 %. Dans l’étude de Rodriguez et al. (15), la Figure 13 Figure 11 Rejet humoral et vasculaire suraigu dans un cas d’incompatibilité transfusionnelle ABO. Microthrombose d’une artériole qui contient un amas de plaques de leucocytes et de fibrine. Hématoxyline-éosine x 400. Figure 12 Rejet humoral : turgescence endothéliale (flèches). Noter l’absence d’infiltrat cellulaire. Hématoxyline-éosine x 400. 15 Artérite nécrosante de rejet entrant dans le cadre d’un rejet mixte humoral et cellulaire. La nécrose fibrinoïde (flèche) est accompagnée de débris cellulaires nucléaires et de quelques leucocytes. Noter qu’il s’agit d’une artère coronaire épicardique de petit calibre biopsiée par hasard lors d’une biopsie transfixiante du ventricule droit. Hématoxyline-éosine x 40. Le Courrier de la Transplantation - Volume VI - n o 1 - janvier-février-mars 2006 D OSSIER thématique défaillance fonctionnelle myocardique due au rejet humoral est observée chez 25 % des patients. Enfin, le rejet humoral augmenterait l’incidence du rejet chronique, caractérisé en transplantation cardiaque par une coronaropathie du greffon. L’incidence du rejet chronique augmenterait donc de 10 % à un an et de 36 % à cinq ans (20). Ce fait n’est pas confirmé par une étude récente (19). Ainsi est apparu un outil de diagnostic fiable pour le rejet humoral : la détection de dépôts de la fraction C4d du complément, à laquelle certains auteurs ajoutent C3d (15). Dans le rejet humoral cardiaque, ces dépôts sont observés au niveau de l’endothélium des capillaires interstitiels et, parfois, dans des parois artériolaires (figure 14). La plupart des études ont été fondées sur la détection du C4d en immunofluorescence sur coupes à congélation en utilisant un anticorps monoclonal. Le recours à la congélation impose une contrainte supplémentaire à la biopsie cardiaque et empêche la détection du rejet humoral s’il n’a pas été prévu de congeler une biopsie cardiaque. Un progrès récent paraît être la possibilité de détecter les dépôts de C4d sur des coupes de tissu fixé inclus en paraffine grâce à un nouvel anticorps polyclonal (19) [figure 15]. Il semble y avoir une assez bonne corrélation entre les deux techniques, immunofluorescence et immunohistochimie. Les dépôts de C4d sont donc actuellement le meilleur marqueur pour détecter un rejet dépendant d’anticorps spécifiques du donneur. Les dépôts de fibrine et d’immunoglobulines sont plus rarement observés (figure 16). Un autre marqueur fiable est l’accumulation de macrophages intravasculaires dans la lumière des microvaisseaux (17, 21) [figures 17 et 18]. La réalité du rejet cardiaque humoral et la mise à disposition d’un outil de diagnostic permettant de détecter les dépôts de C4d doivent conduire à une politique plus large de détection des anticorps spécifiques du donneur acquis durant la transplantation. La date de survenue du rejet humoral est extrêmement variable, allant de quelques jours chez des sujets immunisés (17) à plusieurs mois dans les autres études (15, 19). Cela impose donc une contrainte supplémentaire et coûteuse dans la surveillance des transplantés cardiaques. Dans la révision de la grille de diagnostic du rejet cardiaque (11), il apparaît maintenant que, en plus du rejet cellulaire, il est recommandé de mentionner la présence ou l’absence de rejet humoral détecté par ces marqueurs histologiques et surtout immunohistochimiques (dépôts de complément C4d, présence de macrophages CD68 dans les lumières vasculaires). Ainsi, la biopsie est cotée AMR 0 (antibody mediated rejection) en l’absence de rejet humoral et AMR 1 si les marqueurs de rejet humoral sont présents. Figure 16 Figure 15 Rejet humoral : dépôts de C4d dans de nombreux capillaires. Immunohistochimie sur biopsie fixée au formol et incluse en paraffine, avec l’anticorps polyclonal anti-C4d. x 200. Rejet humoral : dépôts de fibrine dans de nombreux capillaires. Immunofluorescence sur coupe à congélation. x 200. Figure 14 Rejet humoral : dépôts de C4d dans de nombreux capillaires et une section artériolaire (coupée obliquement). Immunofluorescence sur coupe à congélation avec l’anticorps monoclonal anti-C4d. x 200. Figure 18 Figure 17 Rejet humoral : stase de leucocytes mononucléés dans une veinule, adhérant à la paroi. Hématoxyline-éosine x 400. 16 Rejet humoral : sur coupe sériée, il apparaît que les leucocytes mononucléés sont des macrophages. Immunohistochimie antiCD68. x 400. Le Courrier de la Transplantation - Volume VI - n o 1 - janvier-février-mars 2006 D OSSIER thématique ATTEINTE RÉNALE CHEZ LES TRANSPLANTÉS CARDIAQUES L’atteinte des reins natifs est un enjeu majeur en transplantation cardiaque. La toxicité des inhibiteurs de la calcineurine conduit à l’hypertension artérielle et à l’insuffisance rénale un grand nombre de transplantés cardiaques (22, 23). Largement dominée par la toxicité des inhibiteurs de la calcineurine, l’atteinte rénale peut relever d’autres causes : de rares cas d’atteinte rénale par le Polyomavirus viennent d’être décrits (2426). L’atteinte des reins natifs par le BK virus est très rare en transplantation cardiaque en comparaison avec l’incidence élevée observée sur les greffons rénaux. biopsie cardiaque. La rareté de tels épisodes de rejet augmente avec l’ancienneté de la transplantation. Ces faits conduisent certaines équipes à contester l’intérêt de pratiquer des biopsies cardiaques chez les transplantés depuis plusieurs années, voire, pour certains auteurs, au-delà de la première année post-transplantation (27). La variabilité du grade de rejet sur des biopsies itératives, alors qu’il n’a pas été mis en route de traitement de crise de rejet, conduit même certains auteurs à s’interroger sur l’intérêt de la biopsie cardiaque chez les patients asymptomatiques (28). ■ R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S CONCLUSION La grille révisée de diagnostic du rejet cardiaque est un progrès parce qu’elle intègre dans ses paramètres le rejet humoral, et aussi parce qu’elle semble apporter une simplification en réduisant le nombre de grades de rejet aigu cellulaire. La disparition du grade 2 peut être accueillie favorablement, car ce grade mettait dans l’embarras la plupart des pathologistes et leurs correspondants transplanteurs cardiaques. Cependant, le problème du grade 2 est simplement passé sous silence, et sa signification pratique n’est pas totalement résolue. Réduire le nombre de grades apparaît comme un retour en arrière par rapport à ce qui était la classification historique de Billingham. Enfin, la disparition de l’ancien grade 1B (grille de 1990) met dans l’embarras les équipes qui déclenchaient un traitement de crise de rejet à partir de ce grade. Le recours à la biopsie cardiaque est admis par tous. Cependant, l’efficacité actuelle des traitements immunosuppresseurs de base fait que le diagnostic de rejet nécessitant un traitement de crise de rejet est rarement constaté sur 1. Taylor DO, Edwards LB, Boucek MM et al. Registry of the International Society for Heart and Lung Transplantation: twenty-second official adult heart transplant report-2005. J Heart Lung Transplant 2005;24:945-55. 2. Schoels M, Dengler TJ, Richter R et al. Detection of cardiac allograft rejection by real-time PCR analysis of circulating mononuclear cells. Clin Transplant 2004;18:513-7. 3. Horwitz PA, Tsai EJ, Putt ME et al. 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