DOSSIER THÉMATIQUE La médecine personnalisée L’imagerie fonctionnelle pour la médecine personnalisée Functional imaging for personalized medicine N. Lassau* L a recherche de biomarqueurs prédictifs de la réponse clinique est indispensable pour le développement de la médecine personnalisée en cancérologie et devient un enjeu majeur (1). Des tests compagnons diagnostiques ont vu le jour dans le côlon, le sein et le mélanome avec les mutations de KRAS, de BRCA et de BRAF, respectivement. En imagerie, l’objectif est de sélectionner la bonne molécule pour le bon patient (2) en effectuant 2 mesures, avant et juste après le début du traitement. Cette recherche de biomarqueurs en imagerie est encore en phase de validation et nécessite avant tout, comme première étape, de démontrer une corrélation avec le devenir clinique dans des études multicentriques. Jusqu’à présent, la réponse tumorale objective évaluée par l’imagerie sur 2 examens successifs est l’un des éléments qui guident la décision de poursuivre ou d’arrêter les traitements. Pour les essais de phase I et II, cette réponse tumorale est le principal paramètre d’évaluation. Les thérapeutiques ciblées ont mis en défaut le critère de diminution de la taille comme seul paramètre à évaluer. En effet, des patients considérés comme non répondeurs aux thérapeutiques sur ce seul critère ont une survie équivalente à celle des répondeurs. De nouvelles méthodes d’imagerie fonctionnelle, basées sur l’évaluation initiale et les modifications de l’angiogenèse tumorale sous traitement, sont maintenant indispensables pour estimer correctement la réponse tumorale. Ces techniques pourraient être un atout majeur pour le développement de la médecine personnalisée en permettant de distinguer très tôt les bons et les mauvais répondeurs avant l’apparition des critères morphologiques traditionnels. Rappel des critères internationaux La réponse tumorale est actuellement définie en général par la diminution de la taille d’une lésion observée sur 2 examens d’imagerie successifs (espacés de 2 à 3 mois), qu’il s’agisse d’évaluer un traitement dont l’efficacité est connue ou d’un essai clinique concernant un nouveau traitement. Les critères classiques de l’OMS (Organisation mondiale de la santé), les RECIST (Response Evaluation Criteria In Solid Tumors) ou les critères d’approximation volumique ont l’avantage d’être fiables et reproductibles. Mais la corrélation entre survie globale et réponse tumorale n’est pas toujours prouvée (3). Actuellement, les critères RECIST sont reconnus au niveau international dans les essais de phase I et II pour les tumeurs solides de l’adulte. En pratique courante, ils doivent toujours être corrélés à l’amélioration clinique, à la diminution des symptômes, à la normalisation d’un marqueur et à l’amélioration de la qualité de vie (4). Les critères de l’OMS sont déterminés (5) pour une lésion donnée en calculant sa surface (produit des 2 plus grandes dimensions perpendiculaires dans un même plan). Quand il y a plusieurs cibles, on réalise la somme des surfaces des différentes lésions. On évalue la réponse au traitement par l’évolution de ces mêmes surfaces. Si une réponse complète correspond bien à 100 % de régression tumorale, les valeurs définissant la réponse partielle (au moins 50 % de régression) ou la progression (au moins 25 % de progression) sont totalement arbitraires, et la validité clinique de ces mesures n’est jamais isolée. On parle de maladie stable dans la fourchette intermédiaire : progression inférieure à 25 %, régression inférieure à 50 %. * Irciv, institut Gustave-Roussy ; IR4M, UMR8081, université Paris-Sud-XI, Villejuif. La Lettre du Cancérologue • Vol. XXI - n° 6 - juin 2012 | 315 Mots-clés Imagerie fonctionnelle Volume vasculaire Quantification DCE-US Traitements antiangiogéniques Highlights » DCE-US has been implemented in european guidelines with a level 1.B evidence. » DCE-US has been standardized: bolus injection and quantification based on rough linear data over 3 minutes. » One month AUC (blood volume) predicts response to antiangiogenic agents in several tumors (RCC, HCC, colorectal cancer, melanoma). Keywords DCE-US Functional imaging Antiangiogenic agents Points forts » La DCE-US a été implémentée dans les guidelines européens avec un niveau de preuve 1.B (Oxford). » La DCE-US a été standardisée : injection en bolus et quantification à partir des données linéaires brutes sur 3 minutes. » La mesure à 1 mois du paramètre AUC (volume sanguin) est prédictive de la réponse aux traitements anti-angiogéniques dans différents types de tumeurs (RCC, HCC, côlon, mélanome). Avec l’arrivée de l’imagerie en coupes, qui permet de détecter un nombre plus important de lésions, les imprécisions des critères de l’OMS ont été majorées, et des travaux canadiens, nord-américains et européens ont proposé l’utilisation de mesures unidimensionnelles mises à jour en 2009 (6, 7). On mesure toujours la somme des plus grands diamètres des lésions, mais on se limite à 2 lésions par organe (au lieu de 5) et à 5 lésions par patient (au lieu de 10). Pour l’évaluation en tomodensitométrie (TDM), la taille minimale des lésions mesurables est de 10 mm si l’épaisseur des coupes est égale ou inférieure à 5 mm ; si les coupes sont plus épaisses, la taille minimale est le double de l’épaisseur. Cette nouvelle version apporte également des précisions concernant l’évaluation ganglionnaire : une adénopathie peut être prise pour cible si le petit axe ganglionnaire mesure plus de 15 mm. Des précisions ont été apportées quant aux critères de réponse afin de pallier les inconvénients qui ont été décrits dans la littérature. La progression tumorale qui correspond à une augmentation de la taille de 20 % de la somme des mesures est affinée afin de tenir compte du risque d’erreur lors de la mesure : il faut que cette augmentation soit également supérieure ou égale à 5 mm. Concernant la confirmation de la réponse exigée par la première version dans un délai de 1 mois, cela ne sera nécessaire que pour les essais thérapeutiques où le critère de réponse est le critère principal. Dans les autres cas (critère principal : survie globale ou survie sans progression), il n’y a plus lieu de confirmer la réponse. Actuellement, on utilise les critères de l’OMS, l’approximation volumique pour les lymphomes et les tumeurs solides pédiatriques, et les RECIST pour la majorité des tumeurs solides de l’adulte. Les contraintes techniques sont nombreuses : techniques identiques, fenêtrage convenable en TDM, temps d’injection identique. Compte tenu de la variabilité des mesures, qu’elles soient prises ou non par le même observateur, il est recommandé lors de l’examen de contrôle de disposer de l’examen antérieur afin de reprendre les mesures sur l’examen initial, et ce, dans les mêmes conditions : on ne compare pas un examen d’échographie ou d’IRM (imagerie par résonance magnétique) avec un examen tomodensitométrique et on ne compare pas une séquence sans injection avec une séquence injectée. 316 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XXI - n° 6 - juin 2012 Techniques adaptées pour la médecine personnalisée Avec les nouvelles thérapeutiques ciblées, le comportement tumoral a remis en question ces critères en raison du peu d’effet sur la taille tumorale de ces traitements alors que la survie était très rapidement améliorée chez les patients évalués comme non répondeurs selon les RECIST. Les patients évalués comme répondeurs (régression lésionnelle de plus de 30 %) avaient le même taux de survie à 6 mois que les patients évalués comme non répondeurs (régression inférieure à 30 % ou progression inférieure à 20 %) [8]. La diminution du volume tumoral n’est plus le seul paramètre d’évaluation. La nécrose tumorale doit être mesurée pour ne pas sous-évaluer une bonne réponse et interrompre des thérapeutiques efficaces. L’analyse des modifications de la vascularisation tumorale est le second nouveau paramètre à prendre en compte. Les premières études se sont donc intéressées aux modifications post-thérapeutiques des tumeurs stromales gastro-intestinales (GIST) en associant taille tumorale et densité en unité Hounsfield (UH) [9] afin d’apprécier la nécrose tumorale. L’arrivée de l’imatinib, qui cible les récepteurs c-KIT et PDGFR (Platelet-Derived Growth Factor Receptor), a fondamentalement changé le pronostic de ces patients avec un taux de réponse objective de l’ordre de 80 %. Ce traitement induit d’importantes modifications du parenchyme tumoral, avec une diminution de la vascularisation et l’apparition de nécrose, sans modification du volume tumoral. La pertinence des critères de l’OMS et des RECIST, basés sur la taille de la tumeur pour l’évaluation de la réponse à ce traitement a donc été mise en défaut. Les modalités d’imagerie associant des critères morphologiques et fonctionnels doivent maintenant être préférées pour évaluer la réponse à ce type de traitement. Qu’il s’agisse de lésions primitives laissées en place ou d’une dissémination métastatique hépatique ou péritonéale, une réponse au traitement est typiquement une diminution de la densité lésionnelle des lésions de 15 % en UH mesurée au temps portal de l’injection par rapport à la densité avant traitement, associée ou non à une diminution de la taille (critère RECIST) de 10 %. L’absence de réponse est DOSSIER THÉMATIQUE définie par une augmentation de la taille supérieure à 20 %, par l’absence de diminution de la densité tumorale ou par l’apparition d’une nouvelle lésion. Ces méthodes ont également été testées chez les patients atteints de cancer du rein métastatique et traités par antiangiogéniques (10, 11). Le nombre croissant de patients atteints de cancer traités avec de nouvelles thérapies antiangiogéniques, associé à des enjeux éthiques et économiques, propulse l’imagerie fonctionnelle au tout premier plan dans la prise en charge de ces patients (12). Il est donc de mieux en mieux reconnu que les règles morphologiques internationales (OMS ou RECIST) définissant les méthodes de mesure des tumeurs solides et les critères de réponse ne sont pas adaptés pour ces nouvelles thérapies (13). Plusieurs techniques − comme le scanner de perfusion, la DCE-MRI (Dynamic Contrast Enhanced-Magnetic Resonance Imaging) ou l’échographie de contraste − sont maintenant proposées. Caractériser la néovascularisation d’une tumeur peut se faire en étudiant différents paramètres dynamiques après injection d’un agent de contraste. L’évaluation du flux sanguin perfusant la tumeur, du volume sanguin tumoral correspondant au taux de vaisseaux par rapport au volume tumoral ou de la diffusion de l’agent de contraste dans l’interstitium sont des indicateurs pertinents calculés à partir de l’acquisition de la courbe de prise de contraste au cours du temps sur plusieurs minutes avec une résolution temporelle très variable d’une technique à l’autre. Le flux sanguin, le volume sanguin tissulaire et le temps de transit moyen peuvent être calculés à partir de l’IRM fonctionnelle, du scanner de perfusion et de l’échographie dynamique de contraste ; en revanche, la perméabilité capillaire et le volume interstitiel ne peuvent l’être qu’avec les 2 premières techniques. Ces techniques d’imagerie fonctionnelle ne sont actuellement pas validées dans la version 1.1 des RECIST. Il est essentiel de souligner que la standardisation des techniques est un obstacle majeur à la comparaison des résultats d’une machine à l’autre. La DCE-MRI a été utilisée dans différents types de tumeurs depuis le début des années 2000 (14), mais uniquement dans des études monocentriques étudiant plusieurs paramètres, et proposée comme biomarqueur (15) : une diminution du coefficient de perméabilité vasculaire permettrait de prédire la réponse au bévacizumab 15 jours après le début du traitement. L’IRM de diffusion est également très prometteuse et a été proposée comme biomarqueur lors de la conférence de consensus du NCI en 2008 (16) : une augmentation du coefficient de diffusion apparent (correspondant au mouvement brownien des molécules d’eau) serait observée chez les patients répondeurs, en particulier dans le cancer du sein, le sarcome, le cancer primitif du foie et les tumeurs cérébrales. Cette technique permettrait d’évaluer la réponse tôt et d’estimer la survie, mais également de recommander la dose optimale biologique. La DCE-US (Dynamic Contrast-Enhanced UltraSonography) a montré initialement son potentiel pour prédire précocement la réponse dans les GIST et le cancer du rein (17, 18). Une quantification objective paramétrique a été mise au point pour que cette technique soit reconnue, validée et incluse de façon systématique dans les essais thérapeutiques. Le rehaussement obtenu à partir des données brutes après injection de produit de contraste permet d’observer clairement la prise de contraste avec une acquisition de la courbe de perfusion tumorale (19). Ce type de quantification est actuellement utilisé chez l’animal, et ce très tôt, dès les premières minutes pour l’évaluation de l’efficacité des nouvelles thérapies, mais également dans plusieurs essais thérapeutiques chez l’homme dès les premiers jours du traitement (20). Après modélisation des courbes de perfusion, il est possible de calculer différents paramètres tels que l’intensité maximale du pic, le temps de transit moyen, le coefficient de la courbe du wash-in, l’aire sous la courbe (AUC). Il est important de rappeler que les agents de contraste utilisés en ultrasons ont la particularité d’être uniquement intravasculaires, ce qui simplifie la modélisation des courbes comparativement à la DCE-MRI avec de plus une relation linéaire aux concentrations utilisées. Mais, en contrepartie, il n’est pas possible de calculer le coefficient de perméabilité. Plusieurs études (21) ont montré que l’AUC (correspondant au volume vasculaire) est un paramètre toujours significativement corrélé à la réponse RECIST. L’étude de carcinomes hépatocellulaires (CHC) traités par bévacizumab montre que ce paramètre est également significativement corrélé à la survie globale (p = 0,002). Une étude multicentrique (19 centres) soutenue par l’Institut national du cancer (INCa) [STIC 2006 DCE-US] a diffusé cette technique afin de déterminer le paramètre le plus robuste mais également le timing le plus adéquat pour confirmer ou infirmer l’efficacité des traitements antiangiogéniques. Cinq cent trente-neuf patients métastatiques (rein, côlon, sein, GIST, mélanomes) ou porteurs de carcinomes hépatocellulaires ont été inclus et traités majoriLa Lettre du Cancérologue • Vol. XXI - n° 6 - juin 2012 | 317 DOSSIER THÉMATIQUE La médecine personnalisée L’imagerie fonctionnelle pour la médecine personnalisée tairement par bévacizumab, sorafénib, sunitinib et imatinib ; l’intérêt de l’AUC comme biomarqueur a été confirmé. Des recommandations (22) européennes publiées récemment ont proposé cette technique pour le suivi des patients (niveau 1.B selon les recommandations d’Oxford). Enfin, l’imagerie moléculaire pourrait jouer un rôle primordial pour caractériser l’hétérogénéité tumorale et proposer des biomarqueurs plus spécifiques (23). Le ciblage moléculaire (24) a fait ses premiers pas avec les intégrines αvβ3 dès 1998 en IRM puis en PET-CT (Positron Emission Tomography-Computed Tomography). Les études récentes avec les microbulles ciblées (25) ciblant les intégrines, VEGFR-2 (Vascular Endothelial Growth Factor Receptor 2) [26] et l’endogline sont très prometteuses (27) avec une forte dynamique concrétisée par la première phase I dans le cancer de la prostate, commencée en 2011. Conclusion Les nouvelles techniques d’imagerie très prometteuses vont jouer un rôle essentiel dans le développement de la médecine personnalisée. Le coefficient de perméabilité vasculaire pour la DCE-MRI, le coefficient de diffusion apparent pour l’IRM de diffusion et l’AUC pour la DCE-US sont des paramètres qui semblent pertinents pour cette indication. Cependant, la validation de ces potentiels biomarqueurs nécessite la mise en place d’études multicentriques ; celles-ci sont encore insuffisantes à ce jour. ■ Références bibliographiques 1. La Thangue NB, Kerr DJ. Predictive biomarkers: a paradigm shift towards personalized cancer medicine. Nat Rev Clin Oncol 2011;8(10):587-96. 2. 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Chers abonnés, chers lecteurs, L’équipe Edimark vous souhaite un très bel été d’évasion et de réflexion, et vous donne rendez-vous dès la rentrée pour vous accompagner dans votre pratique ! 318 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XXI - n° 6 - juin 2012 DOSSIER THÉMATIQUE La médecine personnalisée L’imagerie fonctionnelle pour la médecine personnalisée Références bibliographiques (suite de la p. 318) 17. Lassau N, Koscielny S, Albiges L et al. Metastatic renal cell carcinoma treated with sunitinib: early evaluation of treatment response using dynamic contrastenhanced ultrasonography. Clin Cancer Res 2010;16(4): 1216-25. 18. Lassau N, Chami L, Koscielny S et al. Quantitative functional imaging by Dynamic Contrast Enhanced Ultrasonography (DCE-US) in GIST patients treated with masatinib. Invest New Drugs 2012;30(2):765-71. 19. Cosgrove D, Lassau N. Imaging of perfusion using ultrasound. Eur J Nucl Med Mol Imaging 2010;37(Suppl. 1):S65-85. 20. Lassau N, Koscielny S, Chami L et al. 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