diabétologie Urgences en endocrinologie, et maladies métaboliques Hypokaliémie sévère Severe hypokalemia J.M. Kuhn* Définition L’hypokaliémie se définit classiquement par un chiffre inférieur à 3,6 mmol/l. Elle est dite sévère lorsque celui-ci s’abaisse au-dessous de 3 mmol/l et devient gravissime au-dessous de 2,5 mmol/l. Cadre de survenue Les causes d’hypokaliémie sont nombreuses et variées et relèvent de trois mécanismes essentiels : ✓ les hypokaliémies par transfert ; ✓ les hypokaliémies par fuite digestive ; ✓ les hypokaliémies par fuite rénale. Dans chacun de ces cadres, les hypokaliémies sévères relèvent d’étiologies particulières : ✓ médicamenteuse (xanthines, vérapamil, diurétiques, par exemple) ; ✓ nutritionnelle (acide glycyrrhizinique, vomissements) ; ✓ génétique (paralysie périodique, syndrome de Bartter ou de Gitelman, néphropathie tubulaire) ; ✓ endocrinienne (syndrome de Cushing, hyperaldostéronisme etc.). Diagnostic La tolérance clinique est fonction non seulement de la profondeur de l’hypokaliémie mais également de la rapidité de son installation. * Service d’endocrinologie, diabète et maladies métaboliques, CHU Rouen. 224 L’hypokaliémie ne se manifeste cliniquement qu’au-dessous de 3 mmol/l. La symptomatologie se limite en règle générale à une fatigue et à une constipation. Au-dessous de 2,5 mmol/l, une atteinte musculaire (rhabdomyolyse) peut survenir. À des concentrations inférieures à 2 mmol/l, l’atteinte musculaire devient majeure, avec accès paralytiques susceptibles de toucher les muscles respiratoires. Le diagnostic est bien évidemment biologique, par mesure de la kaliémie. La détermination conjointe des autres paramètres biologiques usuels (réserve alcaline, créatininémie, natrémie, chlorémie, glycémie) sera informative dans la démarche étiologique si la cause de l’hypokaliémie n’est pas connue au moment du diagnostic. L’électrocardiogramme se caractérise par un aplatissement de l’onde T, un sous-décalage du segment ST, une négativité préterminale de T et une élévation de l’onde U. Si les troubles de la conduction cardiaque sont rarissimes chez les patients à cœur sain, l’hypokaliémie sévère augmente le risque d’arythmie chez les patients cardiopathes (extrasystoles auriculaire et ventriculaire, tachycardie nodale, fibrillation auriculaire) ainsi que le potentiel arythmogène des digitaliques. De plus, le contexte symptomatique clinique et biologique aura une influence directe sur les modalités de prise en charge. Outre l’interrogatoire recensant les prises médicamenteuses, une mesure de la pression artérielle et une détermination de la kaliurèse des 24 heures doivent être réalisées. Quoi qu’il en Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (IX), n° 6, novembre/décembre 2005 soit, une profonde hypokaliémie nécessite la mise en route d’un traitement sans délai. Conduite à tenir La thérapeutique d’urgence d’une profonde hypokaliémie repose sur la compensation de la déplétion potassique et sur la suppression de sa cause. Si dans une hypokaliémie modérée, une supplémentation potassique quotidienne de 60 à 80 mmol/l (sous forme de sel de potassium), associée ou non à la prescription d’un épargneur de potassium (amiloride, spironolactone), suffit à corriger l’anomalie, l’apport de potassium doit être plus rapide et plus intense chez les patients ayant une hypokaliémie sévère, en particulier en raison du retentissement musculaire, squelettique et cardiaque. La posologie de la supplémentation doit tenir compte à la fois de l’intensité du déficit et de la relation existant entre la quantité de potassium apportée et le résultat en termes de kaliémie. À titre d’exemple, l’absorption orale de 50 mmol ou de 150 mmol de potassium induit potentiellement une élévation de la kaliémie de 1 à 1,5 mmol/l et 2,5 à 3,5 mmol/l respectivement. Par ailleurs, l’existence d’une kaliémie inférieure à 2 mmol/l suggère que la déplétion totale peut atteindre 400 à 800 mmol. L’intensité de l’hypokaliémie peut rendre nécessaire l’usage de la voie intraveineuse. Ses modalités seront fonction de la sévérité de l’hypokaliémie et de la tolérance hémodynamique potentielle du patient. L’addition de 40 à 60 mmol de chlorure de potassium à chaque litre de Troisième partie : Hypophyse-Surrénales soluté salé isotonique dilué de moitié (soit au départ 4,5 g de NaCl/l) permet d’apporter des quantités importantes de potassium sans risque de surcharge hémodynamique chez le patient à cœur sain. La concentration plafond à ne pas dépasser pour le potassium est de 60 mmol/l. La vitesse maximale d’administration intraveineuse doit être comprise entre 10 et 20 mmol/h. Une autre modalité thérapeutique, qui permet de limiter l’apport hydrique, consiste à recourir à une injection intraveineuse continue à la seringue autopousseuse de chlorure de potassium (ampoule de 13,4 mmol pour 10 ml, soit 1 g pour 10 ml). Afin d’améliorer la tolérance veineuse périphérique, il est conseillé d’effectuer un branchement en Y avec une perfusion de soluté glucosé. La posologie maximale est de 20 mmol/h. Elle permet d’élever la kaliémie de 0,25 mmol/h. L’effet de la “recharge” en potassium doit être évalué toutes les 3 heures sur les plans clinique, électrocardiographique et biologique. L’intensité de la supplémentation potassique doit, notamment, être adaptée aux résultats de la kaliémie mesurée à chacun de ses paliers. De façon concomitante, des facteurs responsables ou aggravants doivent être corrigés : ✓ interruption d’une thérapeutique hypokaliémiante ; ✓ correction de troubles digestifs ; ✓ usage d’antagoniste minéralocorticoïde ; ✓ correction d’une hypomagnésémie concomitante. supplémentation orale systématique dans les circonstances favorisant les fuites (notamment urinaires) de potassium. D’autre part, elle consiste à anticiper les mouvements de potassium du secteur vasculaire vers le secteur intracellulaire par un apport préventif et suffisant de sel de potassium (par exemple, dans le traitement de l’acidocétose diabétique). Prévention ■ Gennari FJ. Hypokalemia. N Engl J Med 1998; 339:451-8. D’une part, elle repose sur la surveillance de la kaliémie et sur une ■ Gennari FJ. Disorders of potassium homeostasis. Hypokalemia and hyperkalemia. Crit Care Clin 2002;18:273-88. Références ■ Stedwell RE, Allen KM, Binder LS. Hypokalemic paralysis: a review of the etiologies, pathophysiology, presentation, and therapy. Am J Emerg Med 1992;10:143-8. Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (IX), n° 6, novembre/décembre 2005 225