F O R M E R C o l o - p r o c t o l o g i e s a n s f r o n t i è r e s Modalités d’une radiothérapie pelvienne pour un carcinome du canal anal ● A. RAPPELS ET GÉNÉRALITÉS Les cancers du canal anal sont rares (3 à 4 % de l’ensemble des cancers colo-rectaux). Classiquement, il existe une nette prédominance féminine (sex-ratio de 2 à 6 pour 1), avec un pic de fréquence après la ménopause, autour de 65 ans. Cependant, les formes touchant les sujets plus jeunes (hommes et femmes) se voient aujourd’hui plus fréquemment. La transmission possible par l’intermédiaire d’un Papilloma humain (HPV) est suggérée (antécédents de condylomes). Histologiquement, les lésions répondent le plus souvent à des carcinomes épidermoïdes (plus ou moins différenciés) et à des carcinomes cloacogéniques (ou basaloïdes). La radiosensibilité des ces tumeurs est importante, si bien que la radiothérapie, associée à une chimiothérapie concomitante de potentialisation, pour les formes étendues, représente l’approche thérapeutique première de référence, la chirurgie d’exérèse étant réservée aux échecs de cette radiothérapie. Son but est double : c’est celui d’assurer le contrôle locorégional définitif de la maladie associé à la conservation d’un sphincter fonctionnel. LES MOYENS UTILISÉS : RADIOTHÉRAPIE EXTERNE (TRANSCUTANÉE) ET CURIETHÉRAPIE INTERSTITIELLE La radiothérapie externe utilise des photons de haute énergie (4 à 25 MV), ainsi que des électrons (9 à 15 MeV) pour les cibles plus superficielles. Les photons gamma du télécobalt sont toujours utilisés, surtout en complément localisé, grâce à un faisceau périnéal direct. La curiethérapie interstitielle (iridium 192) peut être proposée en complément de l’irradiation externe. * Département de radiothérapie, centre René-Huguenin, Saint-Cloud. Le Courrier de colo-proctologie (II) - n° 2 - juin 2001 Labib* Hormis pour les petites lésions d’extension naux ne sont traités que par les faisceaux superficielle pouvant bénéficier d’un traiantéro-postérieurs (figure 2). tement “allégé” (radiothérapie externe La dose à ce niveau sera donc complétée par localisée ou simple curiethérapie), les un faisceau direct d’électrons (énergie 9 à 12 lésions infiltrantes relèvent d’une radioMeV) ou de cobalt, pour atteindre la dose de thérapie d’intention curative. Plusieurs 45 Gy. S’il existe des adénopathies patentes et techniques existent selon les écoles, mais toutes observent une chronologie superposable avec : – une première série correspondant à une irradiation externe locorégionale “de base” (figure 1) ; – un intervalle libre de repos de 4 à 6 semaines (split course) ; – une deuxième série d’irradiation complémentaire (faible dose et volume cible restreint). La première série est une irradiation pel- Figure 1. Champ antérieur (plus large et postérieur dans vienne intéressant un l’irradiation externe pelvienne première. volume cible large, incluant la lésion anale, la région pararectale, les ganglions pelviens et inguinaux. Une dose de 45 grays (Gy) est délivrée en 5 semaines à raison de 5 séances par semaine. La technique dite “en boîte” utilise 4 faisceaux orthogonaux (2 antéro-postérieurs et 2 latéraux) de 4 faisceaux 25 MeV : DST = 100 cm photons de haute éner1 ANT 22 x 17 20 Gy (1/2 E) gie permettant de traiter 1 POST 16 x 17 25 Gy (1/2 E) 2 LATER 10 x 17 2 x 5 Gy (1/2 E) les volumes cibles profonds en épargnant les structures saines super- Figure 2. Courbes isodoses dans le plan transverse central. irraficielles. Les territoires diation pelvienne première, utilisant 4 faisceaux orthogonaux de ganglionnaires ingui- photons de 25 MV (irradiation “en boîte”). 60 3 Faisceaux : 1 ANT 25 MeV 1 POST 20 MeV 1 PERIN Co 22 x 17 16 x 17 7 x 10 25 Gy 20 Gy 15 Gy (1/2 E) (1/2 E) (100 %) 6 cm 2 cm M = 64 Figure 3. Complément d’irradiation localisée : champ périnéal direct initial (9 cm de côté) et après réduction (6 cm de côté). vérifiées, la dose sera alors plus élevée, pouvant atteindre 60 à 65 Gy. C’est pendant cette première série qu’une chimio-potentialisation est associée en présence de lésions étendues, lorsque l’état du patient le permet. Plusieurs schémas sont possibles : soit un traitement sur 5 jours associant cisplatine et fluorouracil, avec reprise d’un deuxième cycle à J 21 (quatrième semaine) ou J 28 (cinquième semaine), soit une seule perfusion hebdomadaire de paraplatine. D’autres combinaisons moins bien validées sont possibles (mitomycine, vinorelbine, taxanes…) Intervalle de repos de 4 à 6 semaines. Son but est multiple : il permet aux réactions cutanéo-muqueuses induites par la première série de s’estomper avant le complément d’irradiation localisé (dans le cadre d’une radiothérapie exclusive d’intention curative). La tolérance locale est ainsi améliorée. L’intervalle libre permet aussi “d’exprimer” au maximum l’effet de l’irradiation sur des lésions patentes qui peuvent régresser plus tardivement, après l’arrêt de la première série. Cette régression plus tardive représente un gain pour le choix et l’optimisation du complément d’irradiation (troisième série). La durée de l’intervalle libre varie en pratique de 4 à 6 semaines. Sauf en cas de nonréponse, voire de progression où l’indication d’une chirurgie radicale devrait être posée, Figure 4. Courbes isodoses dans un plan sagittal médian d’une combinaison de 3 faisceaux : 2 antéro-postérieurs (photons de 25 MV et 20 MV) et 1 périnéal direct au télécobalt. un complément d’irradiation localisé va être réalisé dans la plupart des cas. La technique utilisée en radiothérapie externe peut être celle d’une irradiation en boîte, mais avec des faisceaux réduits, soit grâce à un faisceau périnéal direct (électrons, photons de 4 MV ou Co60), ou encore périnéo-sacré (2 à 3 faisceaux réduits) (figures 3 et 4). La dose délivrée est de l’ordre de 20 Gy, pour atteindre une dose cumulée totale de 60 à 65 Gy au niveau de la lésion et de ses extensions proximales. Le complément d’irradiation peut être délivré par une curiethérapie interstitielle. Il s’agit d’une radiothérapie sélective dans un volume cible limité. Le principe est de délivrer une dose complémentaire de 15 à 20 Gy (après 45 Gy ou équivalent en radiothérapie transcutanée), en débit lent permanent et dans un temps court (24 à 48 heures). L’application est réalisée sous anesthésie générale (avec pose d’une sonde urinaire chez les femmes). Elle consiste en l’implantation d’aiguilles vectrices, d’intranules ou de tubes plastiques (non radioactifs) par voie périnéale périanale. Ces vecteurs cheminent en sous-muqueux, englobant le secteur de circonférence du volume cible à traiter dans un “plan incurvé”. Les aiguilles parallèles et équidistantes sont maintenues et solidarisées à un barillet prétroué en plexiglas qui est suturé à la peau (figure 5). Les fils 61 Figure 5. Curiethérapie interstitielle : aiguilles vectrices obturées, montées et solidarisées sur un barillet en plexiglas, secondairement suturé à la peau. Les lignes sont parallèles et équidistantes. radioactifs d’iridium 192, insérés dans des petits tubes en plastique et dont les longueurs auront été déterminées, sont introduits secondairement (chargement différé). Des clichés Le Courrier de colo-proctologie (II) - n° 2 - juin 2001 F O R M E R C o l o - p r o c t o l o g i e s a n s f r o n t i è r e s C o l o - p r o c t o l o g i e s a n s f r o n t i è r e s F O R M E R PL : 2 FRO. OBLIQ GAUCHE AG : 2.00 DOSE.G : P. BASE : NON D. BASE : IS. REF : D.REF : F. MULT : --------------------1.80 1.40 1.20 1.07 1.00 0.91 0.83 0.80 0.70 0.60 0.55 0.50 ANTE T: 1.0 H Figure 6. Cliché de l’implantation : les fils radioactifs sont en place, bien visibles dans les aiguilles vectrices dont le biseau est obturé à son extrémité. de l’implantation vont servir de base à la dosimétrie par ordinateur, qui va déterminer le temps d’application (figures 6 et 7). Lorsque ce temps est écoulé, les fils radioactifs et le dispositif vecteur seront déposés. Le patient peut quitter le service de curiethérapie après une courte période d’observation. DÉROULEMENT DU TRAITEMENT Lors des consultations hebdomadaires pendant la radiothérapie externe, les signes fonctionnels vont pouvoir être évalués et traités en conséquence. La diarrhée pose rarement des problèmes graves, et elle répond favorablement aux médications orales classiques (antisécrétoires optionnels) et au régime alimentaire (pauvre en graisses et en cellulose, sans lait ni gluten). L’exacerbation de la douleur ano-rectale induite par la réaction inflammatoire de l’irradiation peut nécessiter l’utilisation de topiques locaux (éventuellement avec corticoïde et analgésique). Des soins cutanéomuqueux compatibles avec la radiothérapie sont souvent prescrits (éosine aqueuse, pommades cicatrisantes et antiseptiques). Une surinfection bactérienne muqueuse ou une éventuelle mycose (vulvo-vaginite) seront dépistées et traitées, de même qu’une possible Le Courrier de colo-proctologie (II) - n° 2 - juin 2001 DROITE PAS : 2.5MM infection urinaire. Le poids, systématiquement noté, est un élément important dans la tolérance. Lorsqu’une chimiothérapie concomitante est associée, une surveillance hématologique et rénale régulière est indispensable, permettant l’adaptation des doses en chimiothérapie pour le second cycle, le dépistage et le traitement précoce d’une réaction anormale. La décision d’une interruption temporaire de la radiothérapie n’est pas exceptionnelle. Elle n’impose pas de réelles modifications du plan de traitement quand elle n’excède pas deux semaines. Au décours de l’intervalle libre, un examen clinique comparatif sera alors possible dans de bonnes conditions, sans douleur. Il pourra être complété par une endo-sonographie anorectale, au mieux réalisée par le même opérateur que lors du bilan initial d’extension. L’ensemble de ces données permettra de décider du meilleur choix concernant la technique de la radiothérapie complémentaire (dans le cadre d’une radiothérapie exclusive d’intention curative). Les signes fonctionnels liés à la deuxième série d’irradiation de complément sont rarement bruyants, même si une curiethérapie interstitielle est réalisée. En effet, la dose modérée délivrée et le caractère limité du 62 Figure 7. Curiethérapie interstitielle : courbes isodoses dans le plan perpendiculaire aux fils. En gras : l’isodose de référence représente le volume de prescription de la dose. volume cible ne sont pas suffisants pour réactiver les réactions à la première série qui se sont amendées pendant l’intervalle de repos. ATTITUDE POST-THÉRAPEUTIQUE Plusieurs cas de figures sont possibles selon la qualité de la réponse clinique pendant et au décours de la radiothérapie exclusive. Une disparition complète de la lésion ou la persistance d’anomalie minimes (irrégularités muqueuses) représentent une évolution favorable. Un temps de recul est nécessaire, et les contrôles cliniques pourront s’espacer tous les trois mois la première année. Les examens paracliniques généraux simples (radiographie pulmonaire et échographie hépatique) seront pratiqués tous les six mois. Aucun autre examen local ne paraît indiqué dans ce cas de figure, et on s’abstiendra d’effectuer des biopsies systématiques dont l’effet pourrait être péjoratif (risque de nécrose extensive, de fistule recto-vaginale, à partir du point de prélèvement), pouvant conduire à une colostomie de dérivation, voire à une amputation abdomino-périnéale de nécessité (avec pièce histologique négative). La grande majorité (80 %) des échecs loco-régionaux survenant dans les deux premières années, les contrôles pourront alors s’espacer tous les six mois, voire tous les ans. La seconde situation concerne la persistance d’un reliquat au décours de la radiothérapie exclusive. Une surveillance clinique rapprochée est indiquée, effectuée au mieux par le même opérateur (le radiothérapeute) pour tenter de discerner l’aspect évolutif ou non de cette anomalie. Sa stabilité constitue un argument fort en faveur du contrôle local. La temporisation est souvent préférable à l’obtention à tout prix d’une preuve histologique avec une biopsie précoce. Lorsque la lésion locale s’accroît avec, en particulier, l’apparition d’une ulcération, les biopsies (sous anesthésie générale) sont alors indiquées. Leur positivité (récidive ou non-stérilisation) devra conduire à une chirurgie de rattrapage après un bilan complet, mais il n’est pas rare que plusieurs séries de biopsies restent négatives. Dans ce cas, la conduite à tenir est particulièrement délicate, ce d’autant que des signes fonctionnels significatifs invalidants et résistants sont souvent présents, pouvant amener à une intervention de nécessité. Ces présentations cliniques difficiles le sont aussi pour l’endo-sonographie, qui ne peut pas toujours être formelle, soit dans le sens d’une séquelle trophique cicatricielle, soit dans le sens d’une anomalie évolutive. La radiothérapie curative des cancers du canal anal reste une technique délicate, dont la marge de manœuvre entre l’efficacité thérapeutique et le risque de complications est étroite. Des “petits moyens” (traitements médicaux locaux et généraux, régularisation du transit, etc.) sont une contrainte nécessaire, associés au suivi multidisciplinaire des patients, permettant d’obtenir les meilleurs résultats et d’éviter la survenue de complications, dont la sanction thérapeutique est bien souvent la chirurgie radicale avec colostomie définitive. Les indications bien posées et un traitement bien conduit permettent d’éviter un certain nombre de colostomies abusives et sont le gage d’un taux optimal de contrôle local et de conservation sphinctérienne fonctionnelle. ■ R É F É R E N C E S • Schlienger M, Tiret E, Touboul E et al. Cancer du canal anal. Editions Techniques. Encycl Méd Chir (Paris, France), Gastro-entérologie, 9084 D10, 1992, 16 p. • Salmon RJ, Zafrani B, Labib A et al. Cancer du canal anal : résultats et traitement d’une série de 195 cas. Gastroentérol Clin Biol 1985 ; 9 : 911-7. • Eschwege F, Lasser P, Chavy A et al. Squamous cell carcinoma of the anal canal : treatment by external beam irradiation. Radiother Oncol 1985 ; 4 : 145-50. ABONNEZ-VOUS ☞ 24 revues indexées avec moteur de recherche ☞ un e-mail offert ☞ l’actualité des grands congrès INSCRIVEZ-VOUS http://www.edimark.fr 63 Le Courrier de colo-proctologie (II) - n° 2 - juin 2001 F O R M E R C o l o - p r o c t o l o g i e s a n s f r o n t i è r e s