Progrès en Urologie (1996), 6, 443-446 Cancer du rein et métastases pancréatiques. A propos de 3 cas Jean MASSON(1), Isabelle BEREDER(1), Evelyne RAGNI(1), Jean-Claude MASSON(2), Christian RICHAUD(1) (1) Service d’Urologie, Hôpital Nord, Marseille, (2) Service Deuxième observation (découverte métachrone, stade IIIA, T3bN0 initial, métastases pancréatiques multifocales) : RESUME Les métastases pancréatiques simultanées ou secondaire à un cancer primitif rénal sont exceptionnelles. Le délai d’apparition est souvent tardif. En cas de lésion symptomatique, les signes cliniques sont variés et non spécifiques. La tomodensitométrie réalise une exploration complète et l’angiotomodensitométrie montre une hypervascularisation typique, corrélable aux examens angiographiques. L’observation de 3 cas traités chirurgicalement avec un recul clinique significatif nous offre l’opportunité d’un rapprochement avec les données de la littérature. Mots clés : Cancer du rein, métastase pancréatique, pancréa tectomie. Progrès en Urologie (1996), 6, 443-446. Si les métastases pulmonaires ou viscérales de découverte synchrone ou métachrone à la tumeur de Grawitz ne sont pas exceptionnelles, la possibilité de découverte d’une ou plusieurs métastases au pancréas en tant que localisation unique reste une éventualité rarissime [8, 10, 14]. Après un bref résumé des trois observations, une revue de la littérature sera effectuée. OBSERVATIONS Première observation (découverte synchrone, stade IV T1N0M1, métastase pancréatique unifocale) : Mme L. Yvonne, 71 ans, subit en 1973 une néphrectomie élargie gauche avec lymphadénectomie par voie antérieure. En per-opératoire est découvert une lésion «thrillante» de l’isthme pancréatique qui motive la réalisati on d’une pancréatectomi e corporéocaudale. L’examen anatomopathologique retrouve un adénocarcinome rénal de 7 cm, sans autre lésion néoplasique dans la pièce d’exérèse. La lésion intrapancréatique mesure 1,5 cm et répond à une lésion secondaire d’un adénocarcinome rénal. En 1979, soit 5,5 ans après, la patiente présente une hématurie. L’UPR montre une lacune sur l’uretère restant, motivant une urétérectomie secondaire. L’analyse anatomopathologique affirme la présence d’une nouvelle lésion métastatique sousmuqueuse de son cancer rénal. Les suites sont simples, mais la patiente meurt ébouillantée 2 mois plus tard. d’Urologie, Clinique du Méridien, Cannes Mme D. Françoise, 56 ans, présente en 1990 une masse de l’hypochondre gauche avec volumineux syndrome tumoral aux examens paracliniques (échographie, artériographie). De façon contemporaine sont découvertes des lésions hépatiques angiomateuses du segment 5. Une néphrectomie élargie avec lymphadénectomie par voie antérieure est réalisée. L’examen anatomopathologique retrouve un adénocarcinome rénal de 9 cm sans atteinte du tissu péri-rénal et des ganglions, mais avec des foyers d’envahissement veineux hilaires. Sept mois plus tard, à l’occasion d’une tomodensitométrie de surveillance des lésions hépatiques, est découverte une lésion hypodense, prenant le contraste, au niveau de la queue du pancréas de 48 mm. Une artériographie sélective retrouve de nombreuses lésions intrapancréatiques hypervascularisées. Une duodénopancréatectomie est réalisée. Sur l’analyse anatomo-pathologique, seul le pancréas est le siège de lésions secondaires d’un adénocarcinome à cellules claires. Il existe une lésion de 5 cm de diamètre au niveau de la queue, une de 2 cm au niveau de l’isthme, une de 1,7 cm au niveau du corps et deux autres de 1,3 et 1,5 cm au niveau de la tête. L’analyse des lésions hépatiques confirme leur nature angiomateuse. La patiente est toujours en vie avec un recul de 44 mois. Troisième observation (découverte métachrone, stade IIIA, T3bN0 initial, métastase pancréatique unifocale): Mr. C. Jean-Marie, 71 ans, subit en 1992 une néphrectomie élargie avec lymphadénectomie par voie antérieure. L’examen anatomopathologique retrouve un adénocarcinome rénal de 9 cm sans atteinte du tissu péri-rénal et des ganglions, mais avec des foyers d’envahissement veineux hilaires. Dix mois plus tard est découvert un épanchement pleural gauche à l’occasion d’une toux sèche, le patient étant par ailleurs asymptomatique. L’analyse du liquide de ponction montre une amylopleurie. Une tomodensitométre abdominale retrouve des images de pancréatite prédominant au Manuscrit reçu le 10 juin 1995, accepté : septembre 1995. Adresse pour correspondance : Dr. J. Masson, CHRU de Marseille, Hôpital Nord, Service de Chirurgie Urologique, 13326 Marseille Cedex 15. 443 Tableau 1. Tableau récapitulatif des 3 observations. Age les structures d’origine [10]. Taille tumeur Côté Atteinte vx hile Lésions pancréas Délai Recul 71 7 cm G + unique synchrone 5 ans 56 9 cm G + multiple 7 mois 44 mois 71 9 cm G + unique 10 mois 24 mois Sexe et âge Le sex ratio est de 1,7 en faveur du sexe masculin, comparable à celui de l’épidémiologie du cancer du rein. Lors du diagnostic l’âge moyen est de 61 ans avec des extrêmes allant de 39 et 76 ans. Circonstances de diagnostic niveau caudal avec un faux kyste. Une wirsungographie montre une image en faveur d’une compression extrinsèque médio-wirsungienne. - La métastase est révélatrice dans 13% des cas. Une échographie note une image nodulaire hypoéchogène de 20 mm à la jonction isthme-corps. Une nouvelle tomodensitométrie retrouve alors une masse de 15 mm de même topographie, avec prise de contraste intense au temps artériel et homogénéisation partielle au temps veineux. Une artériographie sélective confirme l’hypervascularisation aux dépends de branches pancréatiques postérieures de l’artère splénique et de la mésentérique supérieure. - La ou les lésions pancréatiques sont métachrones [4] dans 81% des cas et découvertes dans un délai variant de 2 mois à 37 ans, le délai moyen étant de 11,4 ans (DS 8). On note par ailleurs une hypertension portale avec thrombose de la veine splénique. Une splénopancréatectomie corporéocaudale est réalisée en avril 1993. L’analyse anatomopathologique confirme la nature adénocarcinomateuse à cellules claires de la lésion pancréatique unique. La patiente est toujours en vie avec un recul de 24 mois (Tableau 1). DISCUSSION Fréquence Les métastases pancréatiques de cancer du rein sont rares : la fréquence moyenne de découverte autopsique est de 5%, avec des extrêmes allant de 0,3 et 14% [1]. L’étude la plus importante [15] montre une augmentation de fréquence, proportionnelle au nombre de sites métastatiques : 0,8%, 1%, 7% et 18% respectivement s’il existe 1, 2, 3, 4 localisations. Nous ne relevons dans la littérature que 35 cas [1] de métastases pancréatiques auxquelles s’ajoutent nos 3 cas. Le délai d’apparition est parfois très éloigné, allant dans certaines observations jusqu’à 24 ans [10]. L’incidence des lésions secondaires par rapport à l’ensemble des cancers pancréatiques est classiquement faible : 4% pour OPPOCHER [12]. Les lésions primitives ont pour siège dans l’ordre décroissant : les bronches, le rein, le sein, l’appareil digestif, génital et la peau. L’aspect particulier de ces tumeurs est leur topographie péri-hilaire et leur extension vers la paroi duodénale et la glande pancréatique. Le diagnostic histologique s’avère souvent très difficile avant l’étude de la pièce d’exérèse, et c’est dans le cadre d’une lésion secondaire d’origine rénale que l’on retrouve le plus fidèlement - La métastase n’est synchrone et non révélatrice que 2 fois : découverte lors du bilan d’extension 1 fois et peropératoire une autre fois. Manifestations cliniques La découverte est fortuite chez 8% des patients. Les modes de révélation sont principalement liés à l’évolution loco-régionale de la maladie : - Une altération de l’état général dans 33% des cas. - Une hémorragie digestive chez 33% des patients par envahissement de la muqueuse duodénale ou par hypertension portale. Elle est extériorisée dans 60% des cas et se traduit par une anémie occulte dans 40% [2, 5, 9]. - Des douleurs épigastriques dans 18% des cas. - La découverte d’une masse abdominale chez 13% des patients (essentiellement pour les tumeurs de la queue et du corps). - Ictère, cholestase anictérique et prurit se retrouvent dans 20% des observations liées à la compression des voies biliaires. - Plus rarement un diabète sucré est révélateur dans 2 cas, une pleurésie par pancréatite (par blocage du Wirsung) dans 1 cas [1]. Nombre de métastases et localisation La tumeur initiale siège dans une égale proportion à droite ou à gauche. Dans 2/3 des cas la lésion est solitaire [7, 17]. La localisation céphalique prédomine (58%) sur l’atteinte caudale (16%) alors que le corps est concerné dans 10% des cas. L’isthme est atteint dans 22% des observations. Associations métastatiques Au moment du diagnostic le pancréas est atteint isolément dans 63% des cas. Les autres localisations sont 444 soit une atteinte rénale controlatérale (3 cas), une localisation surrénalienne (3 cas), 2 cas de métastases pulmonaires, 1 atteinte vésiculaire, 1 localisation thyroïdienne et 1 diffusion hépatique. Dans le suivi sont apparus d’autres sites métastatiques dans 5 cas et 2 récidives loco-régionales. Pathogénie GILLET [5] évoque la propagation par voie lymphatique de voisinage. La revue de littérature ne retrouve cependant pas de prépondérance d’une tumeur rénale droite primitive. L’étude des voies lymphatiques de drainage des reins et du duodénopancréas montre que certains ganglions sont communs aux deux voies, ou communiquent entre eux. Lors de la dissémination par voie lymphatique, une métastase ganglionnaire peut bloquer le passage ultérieur de cellules cancéreuses et provoquer ainsi que dissémination rétrograde. La voie hématogène est un autre mode de propagation [13, 16]. L’existence de shunts artério-veineux au sein du néphroépithéliome détermine une baisse des résistances vasculaires, une augmentation importante du flux sanguin, et comme conséquence une multiplication et une ectasie des veines de drainage péri-tumorales et périrénales. La pression veineuse dans ce système exo-rénal étant supérieure à celle des structures adjacentes, il se crée de larges anastomoses avec les veines surrénales, pariétales, avec le plexus de Batson et le système porte. Ainsi et surtout s’il existe une thrombose de la veine rénale, les embols néoplasiques peuvent migrer dans un shunt réno-portal. Enfin la voie hématogène systémique avec passage pulmonaire reste l’autre voie possible. Moyens diagnostiques • Les investigations biologiques sont inconstamment anormales et sans spécificité. • Le transit gastro-duodénal ne donne qu’une expression indirecte de la lésion pancréatique. • L’échotomographie permet une approche globale du pancréas : le syndrome tumoral s’appréciant sur des modifications de taille (pathologique si l’épaisseur de la tête et du corps dépasse 34 mm et celle de l’isthme 24 mm), de forme, d’hétérogénéité et de dilatation des structures canalaires comprimées. Cet examen recherchera par ailleurs l’atteinte vasculaire ou ganglionnaire. Le couplage à un doppler évalue l’hypervascularisation pathologique. • La tomodensitométrie sans réhaussement vasculaire apprécie une modification de la taille ou des contours du pancréas, en s’aidant éventuellement d’une opacificat ion des structures creuses digestives. L’angioscannographie met en évidence l’hypervascularisation des lésions secondaires d’un adénocarcinome rénal. Par cet examen sont appréciées l’extension du processus aux gros troncs vasculaires juxta-pancréatiques et la présence d’adénopathies. • La cholangiopancréatographie rétrograde (CRPE) rend compte dans son temps endoscopique d’un intéressement gastro-duodénal. Elle permet une opacification canalaire biliaire et pancréatique avec recherche de signes de compression et autorise des prélèvements à visée cytologique. • L’artériographie sélective du tronc coeliaque et de l’artère mésentérique supérieure est primordiale, sa sémiologie étant comparable à la tumeur rénale d’origine. Elle fournit en plus la carte artérielle du pancréas, évaluant l’opérabilité et dépistant d’éventuelles lésions hépatiques ou rétropéritonéales. • La cytoponction guidée est possible, mais il convient d’insister sur les difficultés d’interprétation. Enfin le diagnostic pré-opératoire peut s’avérer difficile en cas de métastases révélatrices d’une lésion primitive méconnue ou d’apparition très différée. Il convient alors de pratiquer une biopsie extemporanée, les métastases de cancer du rein gardant les caractères de la lésion primitive. Traitement Il est majeur dans 81% des observations : 14 duodénopancréatectomies céphaliques, 8 duodéno-pancréatectomies totales, 6 splénopancréatectomies caudales. Seule l’intervention a permis d’apporter une réponse au tableau clinique lié à la complication révélatrice parfois dans un contexte d’urgence [3, 6]. L’absence de suivi à distance rend difficile à évaluer la survie (de 2 mois à 5 ans) et ne nous permet pas de baser l’attitude actuelle sur le nombre de lésions intra-pancréatiques. Néanmoins les lésions secondaires pancréatiques du cancer du rein offrent après exérèse les meilleures chances de survie par rapport aux autres origines [10]. Dans 2 cas un traitement palliatif résume l’attitude thérapeutique : 1 dérivation biliaire et 1 splanchnicectomie [11]. Un drainage par endoprothèse des formes ictériques peut se discuter. Une éventuelle immuno thérapie reste une proposition future à définir en fonction des protocoles dans le cadre d’études randomisées. CONCLUSIONS Les métastases pancréatiques du cancer du rein sont rares. Elles sont marquées par un délai d’apparition souvent tardif, une localisation souvent unique et céphalique, une symptomatologie non spécifique et souvent hémorragique, un diagnostic pré-opératoire difficile et une atittude thérapeutique résolument chirurgicale. Rapportant 3 cas d’atteinte pancréatique secondaire à un cancer de Grawitz, les auteurs ont eu l’occasion de traiter radicalement ces localisations isolées avec succès, le recul étant respectivement de 5, 3,5 445 et 2 ans, validant un geste pouvant paraître majeur mais salvateur et procurant à nos patients des reculs parmi les meilleurs publiés. REFERENCES 1. BEREDER-COUTURIER I. Métastase pancréatique d’un cancer du rein. Thèse, Mars eille, 1994. 2. DE CANNIERE P., M AGOS E, TIMMERMANS Th. et al. 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