Lire l'article complet

publicité
Progrès en hypertension
Justifications pharmacologiques de
l’utilisation des antagonistes du récepteur
AT1 de l’angiotensine II (ARA II)
Michel Andrejak (Amiens)
d'après la communication de Christian Thuilliez (Rouen, France)
C
ompte tenu des propriétés pharmacologiques de l’angiotensine II et de ses effets associés à la stimulation
des récepteurs AT 1 (constriction vasculaire, rétention
hydrosodée, sécrétion de l’aldostérone, hypertrophie de la
cellule vasculaire lisse associée ou non à des remaniements
de la matrice extracellulaire), le blocage des récepteurs
AT 1 par des antagonistes sélectifs fait de ces médicaments
d’intéressants antihypertenseurs. Plusieurs substances ont
été développées, la première étant la saralasine, antagoniste peptidique qui présentait l’inconvénient de n’être utilisable que par voie parentérale et de ne posséder que des
propriétés agonistes partielles. Les antagonistes actuels
exercent un effet très sélectif sur les récepteurs AT 1 et sont
actifs en administration orale.
Démonstration des effets antagonistes vis-à-vis de l’angiotensine
Les propriétés antagonistes de ces médicaments peuvent, de façon très directe,
être évaluées sur un organe isolé (par
exemple une aorte de rat), soumis à des
doses croissantes d’angiotensine II. Sur de
telles préparations, l’irbésartan empêche
la vasoconstriction de façon concentration-dépendante (figure 1). Il faut remar-
quer qu’il n’est pas possible, en augmentant les concentrations d’angiotensine II,
d’obtenir un effet maximal tel identique à
celui obtenu sans irbésartan, ce qui suggère que l’antagonisme est non compétitif.
Cela peut être lié à une fixation prolongée
au niveau cellulaire.
In vivo, cet effet antagoniste est retrouvé
de façon tout à fait analogue sur l’inhibition de la vasoconstriction induite par la
perfusion d’angiotensine II. L’évaluation
Act. Méd. Int. - Hypertension (10), n° 9, novembre 1998
230
se fait à partir du pourcentage de l’inhibition de la réponse pressive induite par
l’angiotensine en présence de doses
croissantes d’irbésartan (6). On peut
noter que l’irbésartan est une molécule
dont l’aire sous la courbe de la baisse
tensionnelle en fonction du temps après
l’administration est proportionnelle à la
dose. Cela rend donc prédictibles les
effets du médicament en fonction de la
dose administrée (figure 2).
Données pharmacocinétiques
L’irbésartan est directement actif par voie
orale ; en effet, il ne nécessite pas de biotransformation pour agir. Le pic de
concentration plasmatique est obtenu 1,5
à 2 heures après administration unique, la
biodisponibilité est de 60 à 80 % et elle
est non infectée par la prise de nourriture.
En cas de prise répétée, la concentration
plasmatique à l’équilibre est obtenue en
trois jours. La demi-vie est prolongée (11
à 15 h), permettant d’obtenir un effet parfaitement soutenu sur l’ensemble du nycthémère. En pathologie, il faut noter que
linsuffisance hépatique légère à modérée,
de même que l’insuffisance rénale, quelle que soit leur sévérité, ne modifient pas
la pharmacocinétique de l’irbésartan.
Comment situer les ARA II
par rapport aux IEC ?
Avec les IEC, il n’est pas seulement
obtenu une inhibition du système rénine-angiotensine mais également une
inhibition de la dégradation de la bradykinine, ce qui aboutit à une potentialisation des effets de ce peptide. Les
ARA II ont un effet beaucoup plus ciblé
sur le système rénine-angiotensine et
l’effet direct sur les récepteurs de l’angiotensine II supprime les possibilités
d’adaptation du SRA qui existent avec
Figure 1 : Inhibition par l’irbésartan des contractions induites par l’angiotensine II.
Irbésartan nM
• Aortes isolées de lapin
(%)
100
0
1
80
3
60
10
30
40
20
les effets antihypertrophiques des IEC
peuvent être supprimés par les antagonistes B2. Cela a été montré notamment
dans un modèle d’infarctus du myocarde
chez le chien.
Il existe dans la littérature des résultats
contradictoires concernant le rôle de la
bradykinine dans les effets des IEC. Ce
rôle est donc largement controversé.
Si les AT1-bloquants n’ont pas d’effet sur
la bradykinine, ils ont potentiellement un
point d’impact que n’ont pas les IEC, à
savoir une stimulation des récepteurs AT2
du fait de l’augmentation des taux circulants d’angiotensine II.
0
-10
-9
-8
-7
Quelles sont les conséquences
potentielles de la stimulation AT2 ?
-6
Angiotensine ll , log M
étudié les variations du diamètre de l’artère radiale à l’état basal et lors d’une
épreuve d’hyperémie pro2 : Inhibition par l’irbésartan des réponses pressives induites par
voquée (per- Figure
l’angiotensine II in vivo.
mettant d’obtenir une dila• Aires sous la courbe de pression systolique
tation débit150 mg
75 mg
300 mg
dépendante de
l’artère).
0
La vasodilatation induite par
-20
l ’ hy p e r é m i e
est fortement
-40
majorée par les
IEC, cet effet
étant supprimé
-60
par les antagonistes des récep-80
teurs B2 de la
bradykinine
(figure 4).
-100
AUC sur 24 heures (cm2/h)
les IEC (figure 3), avec en particulier la
synthèse d’angiotensine II malgré le
blocage de l’enzyme de conversion, car
d’autres systèmes enzymatiques
comme la chymase peuvent aboutir à la
formation d’angiotensine II soit à partir
de l’angiotensinogène soit, à partir de
l’angiotensine I. Ces voies semblent
intervenir tout particulièrement lors des
traitements chroniques par les IEC.
La potentialisation de la bradykinine
sous IEC peut expliquer une partie des
effets obtenus avec ces médicaments,
puisque la bradykinine a des effets
vasodilatateurs (soit par l’intermédiaire
du monoxyde d’azote, soit par l’intermédiaire des prostaglandines) et un
effet antiprolifératif. On peut donc se
poser la question de savoir si l’on se
prive pas, avec les ARA II, d’une partie
des effets bénéfiques des IEC, à savoir
ceux qui seraient dépendants de l’accumulation de bradykinine.
Cette question a été examinée par l’équipe de Drexler (2). Ces auteurs ont ainsi
Les travaux de Bernard Levy et coll. (4)
ont montré que dans des conditions de
perfusion prolongée d’angiotensine II, il
existe une augmentation de la surface
cross-sectionnelle de l’aorte, cette aug-
Dans d’autres
expériences, il
est montré que
-120
231
Progrès en hypertension
Figure 3 : Inhibiteurs du SRA.
Angiotensinogène
Inhibiteurs de la rénine
CAGE
Cathepsine G
Chymases
CAGE
Cathepsine G
Chymases
Bradykinine
Angiotensine l
IEC
Angiotensine ll
Fragments inactifs
Récepteurs
AT2
Récepteurs
AT1
Comparaison entre ARA II et IEC sur
différents modèles expérimentaux
ARA II
Figure 4 : Bradykinine et effet vasodilatateur des IEC chez l’homme.
Diamètre radial (%)
laires provoquées par l’ad• Dilatation débit-dépendante de l'artère radiale
ministration
30
chronique d’angiotensine II
non modifiée
par un anti-AT1
20
mais seulement
par un antiAT2. Ces résultats, qui ont
10
suscité beaucoup d’interrogations, posent
le problème de
0
savoir si la stiContrôle
Antag B2
IEC
IEC+
mulation AT2
Antag B2
ne pourrait pas
avoir des effets
Hornig et Coll., 1997
délétères.
D’autres résulmentation n’étant réduite que modestetats montrent au contraire que la stimulation AT2 serait bénéfique.
ment avec un anti-AT1 mais de façon
beaucoup plus nette avec un anti-AT2.
Il a notamment été décrit que la stimulaCela est également vrai pour l’augmentation AT2 peut provoquer la libération de
NO. Cela a été montré dans des expétion du collagène dans les parois vascu-
Act. Méd. Int. - Hypertension (10), n° 9, novembre 1998
riences où les taux de GMPc (qui sont le
reflet de la libération de monoxyde
d’azote ou NO) étaient mesurés chez des
rats placés en déplétion sodée pour stimuler leur système rénine-angiotensine
(figure 5). Dans ces expériences, un antagoniste AT2 diminue la libération de NO
comme le fait un inhibiteur de synthèse
de NO (L-NAME). Il n’y a pas d’effet
synergique entre L-NAME et anti-AT2 ce
qui suggère que le même phénomène est
en cause. Cela permet de penser qu’il y
a libération de NO sous l’effet de la stimulation AT2 (8).
232
Sur un modèle de coarctation de l’aorte
du rat provoquant une surcharge barométrique brutale, une hypertrophie du
ventricule gauche apparaît chez les rats
non traités alors que cette hypertrophie
est prévenue par un traitement par IEC
et, dans les mêmes proportions, par un
traitement par un ARA II. L’effet antihypertrophique est, au moins dans ce
modèle, tout à fait superposable sous
ARA I et sous IEC, ce qui témoigne
d’un effet bénéfique comparable avec
les deux types de substance (figure 6).
Dans un modèle de néphropathie hypertensive chez le rat Dahl, modèle avec système rénine-angiotensine non stimulé, les
effets des ARA I et des IEC sont également similaires, avec réduction modérée
de la pression artérielle et réduction de la
protéinurie et de la glomérulosclérose de
façon similaire avec les deux molécules
(10).
Dans l’insuffisance cardiaque expérimentale (Liu et coll. 1997), l’hypertrophie
appréciée par la surface des myocytes est
réduite par un traitement avec un IEC (5).
Cet effet est moindre lors de la co-administration avec un antagoniste des récepteurs B2, la bradykinine, ce qui montre
musculaires lisses du rat est augmenté
par l’angiotensine II, cet effet étant
réduit par la coadministration d’un
antagoniste ARA II. Ces effets sont
retrouvés chez l’homme (Hornig 1997)
en mesurant les concentrations d’inhibiteur du plasminogène dans le sang
veineux. Ces concentrations sont
réduites fortement par les IEC alors
que, parallèlement, ils majorent les taux
d’activateur tissulaire du plasminogène
(t-PA) (figure 7). Des effets bénéfiques
des IEC et des ARA II pourraient résulter de cet effet de type fibrinolytique.
Figure 5 : Récepteurs AT2 et production de NO.
• Production rénale de GMPc chez le rat
3.0
Déplétion sodée
GMPc (mol/min)
2.5
2.0
1.5
1.0
0.5
0.0
Na
norm
Contrôle
Antag
AT2
L-NAME
L-NAME
+ Antag
AT2
Antag
AT1
LO et coll., 1996
comparable sur ce modèle, l’hypertrophie mais par un mécanisme vraisemblablement différent puisque supprimé non
pas par un antagoniste des récepteurs
B2, mais par un antagoniste des récepFigure 6 : Effets antihypertrophiques : IEC versus antagonistes AT1.
teurs AT2. Ces résul• Rats : coarctation de l'aorte
tats tendraient donc à
prouver que les ARA
Sténose
3.5
II et les IEC exercent
des effets cardiaques
3.0
bénéfiques comparables mais pas des
2.5
mécanismes différents.
Poids duVG/POINDS du corps (mg/g)
qu’avec un IEC, la bradykinine est
impliquée dans les effets morphométriques cardiaques. En revanche, les
ARA II réduisent également, et de façon
2.0
1.5
1.0
0.5
0.0
Sham
Non
traités
IEC
Antag
AT1
D’autres propriétés
potentiellement intéressantes restent à
confirmer, en premier lieu l’effet de
type thrombolytique.
Ainsi, dans une étude
de Van Leeuwen (9),
le taux d’inhibiteur
du plasminogène au
niveau des cellules
233
Stimulation d’AT1 et stress oxydatif ?
Dans un travail de Rajagopalan (1996),
il est montré qu’en cas de perfusion
d’angiotensine II, il y a augmentation
des radicaux libres produits, alors
qu’avec la même augmentation de
pression artérielle, la noradrénaline
n’a pas cet effet (7). L’augmentation
des radicaux libres en réponse à l’angiotensine II est fortement réduite en
cas de coadministration d’ARA II.
Parallèlement, l’angiotensine II
entraîne une dysfonction endothéliale
ce que ne fait pas la noradrénaline.
Cet effet de l’angiotensine II est là
aussi inhibé par un ARA II (figure 8),
ce qui montre que l’angiotensine II
joue un rôle dans le stress oxydatif
endothélial, que ce stress oxydatif est
responsable de dysfonctions endothéliales et que ces effets délétères peuvent être atténués par un ARA II.
Le même phénomène est retrouvé chez
des souris déficientes en Apo E (souris
chez lesquelles l’oxydation des LDL est
fortement majorée), puisqu’un ARA II
réduit l’oxydation des LDL et l’étendue
de la plaque, mais l’extrapolation à
l’homme de ce type d’effet doit, bien
entendu, se faire avec une extrême prudence (3).
Au total, les ARA II exercent, en plus
Progrès en hypertension
Figure 7 :
Figure 8 :
Cellules musculaires
lisses (rat)
In vivo (homme)
(concentrations veineuses)
20
PAI
15
Rats . perfusion chronique d'All
Production
de radicaux libres
t-PA
100
30
80
Dysfonction
endothéliale
100 –
12000 –
25
10000 –
20
8000 –
80 –
40
10
5
6000 –
4000 –
Relaxation (%)
15
Production d'O2
10
60
t-PA (UI/ml)
PAI (UI/ml)
2 -O
Production d'O
de leur effet de
réduction de la pression artérielle, un
certain nombre d’effets bénéfiques, en
particulier en termes
de protection vasculaire et rénale et de
réduction de l’hypertrophie ventriculaire
gauche. Ils agissent
aussi sur le stress
oxydatif et possèdent
peut-être un effet de
type thrombolytique.
Toutes ces propriétés
font des antagonistes
des récepteurs de l’angiotensine II une classe thérapeutique tout à
fait prometteuse.
2000 –
20
Van Leeuwen et Coll., 1994
20 –
0–
0–
Contrôle ARA ll Antag AT1
40 –
5
0
0
0
60 –
Contrôle IEC Contrôle IEC
Hornig et Coll., 1997
Sham All NAdr All +
antag
AT1
Sham All NAdr All +
antag
AT1
Rajagopelan et Coll., 1998
Références
1- Bruckschelegel G., Holmer S., Jandeleit K. et coll. : Blockade of the renin-angiotensin system in cardiac pressure-overload hypertrophy in rats.
Hypertension, 1995, 25 : 250-9.
2- Hornig B., Kohler C., Drexler H. : Role of bradykinin in mediating vascular effects of angiotensin-converting enzyme inhibitors in humans.
Circulation, 1997, 95 : 1115-8.
3- Keidar S., Attias J., Smith J. et coll. : The angiotensin-II receptor antagonist, losartan, inhibits LDL lipid peroxidation and atherosclerosis in
apolipoprotein E-deficient mice. Biochemical and biophysical research communications, 1997, 236 : 622-5.
4- Levy B.I., Benessiano J., Henrion D. et coll. : Chronic blockade of AT2-subtype receptors prevents the effect of angiotensin II on the rat vascular structure. J. Clin. Invest., 1996, 98 : 418-25.
5- Liu Y.H., Yang X.P., Sharon V.G. et coll. : Effects of angiotensin - converting enzyme inhibitors and angiotensin II type 1 receptor antagonists in
rats with heart failure. J. Clin. Invest., 1997, 99 : 1926-35.
6- McIntyre M., MacFadyen R.J., Meredith P.A. et coll. : Dose-ranging study of the angiotensin II receptor antagonist irbesartan (SR 47436/BMS186295) on blood pressure and neurohormonal effects in salt-deplete men. Journal of Cardiovascular Pharmacology, 1996, 28 : 101-6.
7- Rajagopalan S., Kurz S., Münzel T. et coll. : Angiotensin II-mediated hypertension in the rat increases vascular superoxide production via membrane NADH/NADPH oxidase activation. J. Clin. Invest., 1996, 97 : 1916-23.
8- Van Leeuwen R.T., Kol A., Andreotti F. et coll. : Angiotensin II increases plasminogen activator inhibitor type 1 and tissue-type plasminogen activator messenger RNA in cultured rat aortic smooth muscle cells. Circulation, 1994, 90 : 362-8.
9- Siragy H.M., Carey R.M. The subtype 2 (AT2) angiotensin receptor mediates renal production of nitric oxide in conscious rats. Journal of Clinical
Investigation, 1997, 100 : 264-9.
10- Ziai F., Ots M., Provoost A.P. et coll. : The angiotensin receptor antagonist, irbesartan, reduces renal injury in experimental chronic renal failure. Kidney International, 1996, 57 : S132-6.
Act. Méd. Int. - Hypertension (10), n° 9, novembre 1998
234
Téléchargement