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Gynécologie et psychosomatique
● D. Winaver*
QU’EST-CE QUE LA MÉDECINE PSYCHOSOMATIQUE ?
“Les maladies qui échappent à l’âme contribuent à dévorer le
corps”, dit Hippocrate cinq siècles avant J.-C.
Socrate énonçait quant à lui : “Les Thraces sont en avance sur
nous car ils savent que le corps ne peut être guéri si on ne
soigne pas en même temps l’esprit.”
Freud, avec la découverte de l’inconscient, permet à la psyché
de prendre sa place dans un grand nombre de pathologies liées
à des troubles névrotiques. Les théories psychosomatiques sont
directement issues des postulats freudiens :
– le rôle primordial de la libido : pulsion de vie, intégrant la
pulsion sexuelle ;
– le passage obligé de tout individu par des stades successifs :
oral, anal, phallique, les névroses résultant d’un blocage possible à chacun de ces stades ;
– le ça, le moi, le surmoi dans l’organisation mentale ;
– la notion de conflit intériorisé ;
– la notion de frustration : frustration de besoins, frustration de
désirs.
Ce sont des médecins psychanalystes qui jettent les bases
d’une médecine psychosomatique. Groddeck, dès 1917, veut
réunifier le corps et l’esprit : “Ils sont une seule entité hébergeant un ‘ça’, une puissance par laquelle nous sommes vécus,
alors que nous pensons vivre.”
La définition de la médecine psychosomatique par Frantz
Alexander reste d’actualité : c’est l’usage coordonné et simultané des méthodes d’ordre médical et psychologique. La maladie psychosomatique implique la présence d’un facteur émotionnel à rôle étiologique. C’est une approche globaliste du
sujet malade. L’approche psychosomatique est fondée sur la
relation médecin-malade.
Contrairement à Groddeck, qui propose de remplacer le traitement médical par une psychanalyse, Alexander, psychanalyste
et excellent médecin, propose, dès les années 30, l’adaptation
des concepts freudiens au traitement de certains symptômes
organiques.
À la même époque, les neurophysiologistes ont une autre
approche de la psyché. Le premier d’entre eux, Pavlov, en
1876, ambitionne d’expliquer le psychisme par la seule physiologie. La découverte de son fameux réflexe conditionné,
conditionnement modèle, permettrait de comprendre
l’ensemble des retentissements de la vie psychique sur l’orga* Cabinet médical, 109, rue de l’Université, 75007 Paris.
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nisme animal et, aussi bien, humain. Beaucoup plus tard, Selye
poursuit la même démarche et redécouvre le “stress”, mot
inventé par Cannon en 1911. Pour Selye, le stress est la réaction non spécifique d’un organisme aux stimuli provenant d’un
environnement perturbant. L’exagération des réponses issues
essentiellement de l’axe hypophyso-surrénalien serait nocive,
voire pathogène.
En France, Laborit, dans les années 70, et, plus récemment,
Dantzer suivent les mêmes voies, essayant de purifier la psychopathologie de l’odeur de soufre de la libido.
Avant de parler de l’École de Paris, créée par Pierre Marty, il
faut citer un de ses prédécesseurs. Contemporain d’Alexander,
Spitz découvre les “somatisations” chez le nouveau-né sous
forme de troubles digestifs ou d’eczéma. Il étudie la dyade
constituée par la relation mère-bébé, véritable entité indifférenciée. Il est le premier à filmer des consultations où interagissent mère et enfant et à affirmer que l’existence d’une
pathologie somatique du nourrisson s’accompagne d’une relation spécifique avec sa mère.
Pour Marty, dans la même ligne, les pathologies de l’âge
adulte sont la continuité de processus amorcés dans l’enfance.
C’est une “coupure du sujet avec son inconscient” le privant
de toute “liberté fantasmatique”. Ses fonctions mentales, chargées “normalement de réguler ses affects et ses émois”, ne
peuvent remplir leur fonction d’élaboration ; la “voie somatique” étant libre, les affects l’empruntent sans avoir été soumis à des “représentations” préalables. Le “soma” devient la
cible de phénomènes pathologiques que la “psyché”, hors
d’usage, ne peut endiguer.
Pour suivre la démarche de Marty et de ses collaborateurs, certaines notions méritent d’être explicitées.
• La “pensée opératoire” est le reflet d’un fonctionnement
mental défaillant. L’esprit du sujet est privé de sa “dimension
symbolique”. Il “manque toujours la référence à un objet intérieur vivant”. Le patient, démuni de capacité d’association, de
représentations, s’accroche aux faits, aux événements, sans
pouvoir en décoller.
• La dépression essentielle : elle est sans expression symptomatique, plus difficile à repérer. C’est “l’abaissement du tonus
des instincts de vie au niveau des fonctions mentales”.
• La “mentalisation” désigne les productions psychiques émanant de l’inconscient : une mauvaise mentalisation entraîne des
risques somatiques.
• Le deuil non élaboré : quand le travail de deuil est impossible, le patient reste dans un état de perte sans fin et tombe
dans un état dépressif chronique.
La Lettre du Gynécologue - n° 266 - novembre 2001
S’attaquant au cancer du sein, l’équipe de l’IPSO produit une
étude statistique prédictive par la seule investigation psychologique (1988) et poursuit ses recherches dans ce domaine.
La gynécologie psychosomatique n’est pas une spécialité dans
la spécialité de gynécologie. C’est une approche de la patiente.
Elle exige une formation personnelle.
QU’EN EST-IL DE LA GYNÉCOLOGIE PSYCHOSOMATIQUE ?
QUELLE FORMATION ?
Hélène Michel-Wolfromm est la véritable pionnière de
l’approche psychosomatique en gynécologie. Il reste un
nombre désormais de plus en plus restreint de gynécologues à
l’avoir connue. Elle a été admirée, contestée, beaucoup l’ont
aimée. J’ai eu la chance d’assister à ses consultations. Elle
nous a appris l’écoute, la tolérance, l’implication personnelle,
la modestie. Sans être psychiatre, elle s’est intéressée à toutes
les névroses retentissant sur le corps des femmes et sur leur
sexualité. Elle a vite abandonné la catégorisation des patientes
(on parlerait aujourd’hui de “profils psychologiques”) pour
découvrir au cas par cas la vérité complexe et unique de chacune, ce qui n’est guère quantifiable.
C’était dans les années 60, à Broca, le fief de la chirurgie
gynécologique, de la stérilité puis de la contraception. Des
femmes bien portantes, celles qui voulaient un enfant, celles
qui n’en voulaient plus, déboulaient dans les consultations de
gynécologie et nous faisaient sauter sans filet dans l’intimité
de leur vie sexuelle, leur souffrance ou leur simple demande de
les aider à mieux vivre. Nous étions écartelés entre le risque de
plonger avec elles derrière le miroir de l’identification et la
construction maladroite d’un espace pour nous protéger contre
nos émotions contradictoires. Les seuls moyens contraceptifs
étaient la courbe de température, que nous expliquions en
enseignant la physiologie hormonale, et l’utilisation d’un diaphragme vaginal, qui requérait des explications sur la morphologie du vagin et du col. Nos études hospitalières ne nous
avaient pas préparés à ce type de contact physique et psychologique. Les résistances à une contraception réclamée, ses
échecs et les demandes d’interruption de grossesse, illégales à
l’époque, l’ambiguïté même du désir d’enfant mettaient à mal
l’idée de maîtrise médicale que nous avait enseignée la
Faculté. Cette spécialité de gynécologie médicale que nous
avions choisie nous propulsait au cœur même de la vie, de son
foisonnement, de son désordre, au cœur de la mort, souvent.
Comment gérer ses émotions et quelles motivations profondes
au choix de ce métier ? Comment, chez ses patientes, tenter de
découvrir le lien entre corps et psyché ?
Pour ce faire, beaucoup d’entre nous ont désiré se former à la
médecine psychosomatique, adhérant à la définition
d’Alexander, son père américain : “la médecine psychosomatique est une science et un art. Cet art est la connaissance profonde, intuitive, c’est-à-dire non verbalisée, que le médecin
acquiert durant les longues années de son expérience clinique.”
Cet art médical n’est-il pas aussi la perception intuitive de la
personnalité du patient que l’on veut soulager, “les bonnes
paroles” pour inspirer confiance, pour sécuriser et réconforter ?
Est-ce à dire que tous ceux qui pratiquent la science et l’art de
la médecine font de la médecine psychosomatique comme
Monsieur Jourdain fait de la prose, sans le savoir ? Est-ce à
dire qu’il suffirait d’être explicatif, rassurant, attentif, en un
mot : gentil, pour être un gynécologue psychosomaticien ?
C’est une condition nécessaire, mais non suffisante.
Une psychanalyse personnelle semble constituer une solution
de choix. Cependant, la psychanalyse n’est pas forcément utile
ni bénéfique à toutes les structures mentales, et ce n’est pas
toujours un “label de qualité”. Il y faut en plus un goût et un
talent dans la relation médicale ainsi qu’une remise en question régulière. Une autre bonne façon de s’interroger sur la
relation que l’on a avec ses patients est de participer à un
groupe Balint. Balint, médecin anglais, reconsidère la relation
médecin-malade-maladie dès la fin des années 40. Il constitue
des groupes de travail. Douze à 15 médecins parlent de cas qui
les ont préoccupés non pas au plan médical mais psychologique : leur attitude personnelle, leurs émotions, leur rejet du
patient. Ils sont assistés par un ou deux psychanalystes qui les
aident à comprendre leur comportement et les causes de leur
malaise.
Des connaissances en psychiatrie et en sexologie sont également nécessaires pour une bonne approche psychosomatique
en gynécologie.
La Lettre du Gynécologue - n° 266 - novembre 2001
QU’EST-CE QUE CETTE APPROCHE A DE PARTICULIER ?
C’est une disponibilité complète à chacune des étapes de la
consultation, qui prend en compte ce que la femme exprime,
consciemment ou non. Avant l’examen, une écoute attentive
permet de ne pas l’enfermer tout de suite dans les grilles
rigides de l’interrogatoire classique. Les cases se rempliront au
fur et à mesure, sans violence, et ce n’est pas pour cela
qu’échappent les indispensables informations médicales. Déjà,
la personnalité de la patiente se dessine, ainsi que le rôle du
symptôme dans son organisation mentale. Au cours de l’examen, il nous faut capter ce qu’elle dit avec son comportement,
son corps et ses émotions. Il n’y a pas un temps pour l’écoute
et un temps pour l’examen : c’est un tout. Pour certaines, les
gestes techniques doivent être expliqués, l’examen commenté
en leur laissant toujours une place pour poser des questions,
pour s’exprimer : cela dédramatise.
De retour de la salle d’examen, rhabillée, la patiente est plus
détendue, et nous sommes plus avancés. Même si l’origine
psychologique du symptôme nous semble évidente, ce n’est
pas le moment d’en faire une interprétation sauvage. Il faut
parfois plusieurs consultations pour qu’avec notre aide la
femme admette que son symptôme n’est qu’un cache-misère.
Elle est alors prête à entendre nos propositions de consultation
psychiatrique, de psychothérapie ou d’analyse, en un mot :
d’aide psychologique.
D’aucuns me diront que je viens de décrire la consultation de
tout gynécologue attentif, rassurant ou simplement chaleureux
qui sait mettre sa patiente en confiance. C’est un bon médecin,
sa relation avec elle est bonne et il l’aide avec compétence à
traverser les moments difficiles de sa vie. C’est déjà beaucoup : cela se nomme une psychothérapie de soutien. Mais,
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parfois, le médecin se trouve débordé par les confidences de sa
patiente. Dans certains cas, c’est même lui qui les sollicite
pour accroître inconsciemment son pouvoir sur elle. Or, les
confidences ne se sollicitent pas, c’est un matériel précieux
qu’il faut savoir utiliser pour ne pas être intrusif ni destructeur.
C’est là un des intérêts d’une formation personnelle, d’un travail sur soi. Cela permet de reconnaître ses émotions et de les
apprivoiser. Les émotions niées ou refoulées parasitent les
relations avec les malades. Cela permet de ne pas utiliser ses
patientes comme psychothérapeutes, dans le pouvoir ou la
séduction, pour alimenter son narcissisme. Cela permet de
s’identifier à sa patiente sans fusionner, sans perdre ses limites.
C’est ce qu’on appelle l’empathie. Ce mot, constitué de en, “à
l’intérieur”, et de pathos, “ce que l’on éprouve”, désigne la
capacité de s’identifier à autrui, de ressentir ce qu’il ressent
tout en restant soi-même. C’est la capacité de partager et
même d’éprouver les sentiments de l’autre tout en percevant ce
que l’autre nous renvoie de nous. C’est une identification projective, mais reconnue pour telle. Dans le langage psychanalytique, il s’agit de transfert. L’empathie n’est pas un savoirfaire, mais un “savoir-être” qui se développe au fil du temps.
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Un contrôle auprès d’un analyste ou d’un groupe de travail est
indispensable pour éviter les dérapages ou les délires.
CONCLUSION
La gynécologie psychosomatique n’est donc pas une spécialité. Seule existe une approche psychosomatique de la
patiente – je dis bien : de la patiente, et non pas des maladies
gynécologiques. En effet, les mêmes symptômes gynécologiques affectent des femmes psychologiquement différentes.
Nous sommes avant tout des médecins du corps qui devons
repérer le moment où la patiente est prête à une prise en charge
psychothérapique. Ni trop tard, ni trop tôt. L’approche psychosomatique de la gynécologie exige du temps, de la disponibilité, de la curiosité, de l’imagination ; pas de recettes pour bien
faire, pas de protocole. Cette médecine n’est jamais ennuyeuse
ni routinière.
À ce tournant de notre médecine française qui veut cliver notre
pratique en actes ou intellectuels ou techniques, nous revendiquons, en collaboration avec d’autres spécialistes, une prise en
charge globale de nos malades, psychologique et somatique. ■
EVAFIL
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