DOSSIER Hormone et cancer du sein Contraception orale et cancer du sein Oral contraception and breast cancer M. Espié*, S. Frank*, A.S. Hamy* S * Centre des maladies du sein, oncologie médicale, hôpital Saint-Louis AP-HP, 1, avenue Claude-Vellefaux 75475 Paris. elon la majorité des études publiées, la prise de contraception orale (CO) n'augmente pas le risque de cancer du sein chez la femme. Parmi les travaux qui s'attachent plus particulièrement à analyser ce risque avant l'âge de 45 ans, certains retrouvent une légère élévation du risque avec une durée plus longue de prise contraceptive, notamment avant la première grossesse à terme. En ce qui concerne les femmes plus âgées, aucune majoration du risque liée à la CO n’a été retrouvée, certaines études évoquant même une baisse possible du risque. En 1996, une méta-analyse a regroupé les principales publications antérieures : Le Collaborative group on hormonal factors in breast cancer (1) a colligé 54 études et a retrouvé un risque relatif (RR) global de 1,07 (± 0,017). Ce chiffre semblait majoré pour les patientes ayant une contraception en cours (RR : 1,24 ; IC95 : 1,15-1,33) et 10 ans après. Il n’y avait plus d’élévation du risque après 10 ans d’arrêt. Cette méta-analyse n’a pas pu estimer le risque lié à la durée d’utilisation, au type ou au dosage de la pilule. Le risque semblait plus important en cas de prise avant l'âge de 20 ans (RR : 1,22 ± 0,04). Les tumeurs survenant sous pilule ont été plus fréquemment localisées (RR : 0,88 ; IC95 : 0,81-0,95) et s’accompagnaient moins souvent de métastases (RR : 0,70). Cette méta-analyse suggérait un éventuel phénomène promoteur de la CO sur des tumeurs déjà initiées. Elle n’évitait pas les biais des études antérieures, notamment celui d’une surveillance accrue permettant un diagnostic plus précoce, qui pourrait également expliquer le stade plus précoce des tumeurs survenant sous pilule. La CO pourrait cependant promouvoir des tumeurs moins agressives. Cette méta-analyse évoquait également la possibilité d’un rôle particulier des hormones exogènes pendant l’adolescence, période où le sein est plus sensible à l’action des carcinogènes, ou chez certaines femmes jeunes plus susceptibles et donc éventuellement en cas de mutation de type BRCA1 ou BRCA2. Depuis cette méta-analyse de 1996, Newcomb et al. (2) ont publié une étude cas-témoins regroupant 6 751 femmes atteintes d'un cancer du sein appariées à 9 311 femmes témoins. Le RR observé était de 1,1 (IC95 : 1,0-1,2) ; il n’a pas été noté d’augmentation du risque en fonction de la durée de prise contraceptive, mais le risque de cancer du sein était à nouveau plus élevé chez les femmes de moins de 45 ans en cas d’utilisation récente de la pilule (RR : 2 ; IC95 : 1,1-3,9). En 1997, Brinton et al. (3) ont rapporté les données d’une étude cas-témoins concernant les cancers du sein survenus chez 1 647 femmes de moins de 45 ans appariées à 1 501 femmes témoins. En cas de prise de CO de plus de 6 mois, l’étude retrouvait un RR de 1,3 (IC95 : 1,1-1,5) et, pour les cancers du sein survenus avant 35 ans, un RR de 1,8 (IC95 : 1,2-2,7). Hankinson et al. (4) ont publié les résultats de la Nurses’ Health Study avec 3 383 cas de cancers du sein observés entre 1976 et 1992 (16 ans de suivi). Les auteurs n’ont pas retrouvé d’élévation du risque lié à la prise de pilule (RR : 1,11 ; IC95 : 0,941,32), y compris en cas de prise de plus de 10 ans. Cette étude n’a montré aucune majoration du risque chez les femmes de moins de 45 ans, y compris en cas de contraception d’une durée supérieure à 10 ans (RR : 1,07 ; IC95 : 0,7-1,65), ni même pour une utilisation de 5 ans ou plus avant une première grossesse (RR : 0,57 ; IC95 : 0,24-1,31). Aucune différence n’a été retrouvée en fonction de la parité. Une élévation jugée marginale a été notée dans les 5 années suivant l’utilisation (RR : 1,20 ; IC95 : 1-1,44). Ursin et al. (5) ont apparié 744 femmes de moins de 40 ans atteintes d’un cancer du sein à des femmes témoins, en tenant compte de l'âge, de la parité, du lieu de résidence et de l'ethnie. Pour une durée de CO supérieure ou égale à 12 ans, il n’y a pas d’augmentation significative du risque de cancer du sein (RR : 1,4 ; IC95 : 0,8-2,4). Dans leur étude de 2002 incluant 4 575 femmes de 35 à 64 ans atteintes d'un cancer du sein appariées à 4 682 femmes témoins, March- 8 | La Lettre du Gynécologue • n° 363 - juin 2011 LG 2011-06.indd 8 07/06/11 09:45 Mots-clés Points forts »» Toutes femmes confondues la contraception orale n'augmente pas le risque de cancer du sein. »» La possibilité d'une action promotrice chez les femmes jeunes n'est cependant pas exclue. »» L'utilisation de la contraception orale est possible, y compris en cas de mutation BRCA. »» La mortalité par cancer du sein n'est pas accrue chez les femmes ayant utilisé la pilule. banks et al. (6) ne retrouvent aucune élévation du risque en cours d’utilisation (RR : 1 ; IC95 : 0,8-1,3) ou après arrêt de la CO (RR : 0,9 ; IC95 : 0,8-1). On n’a observé aucun lien avec la durée d’utilisation ou avec les doses d’estrogènes, ni aucun risque accru en cas d’antécédent familial de cancer du sein ou d’utilisation à un jeune âge. Il existe cependant des résultats discordants. Il faut noter le travail de Kumle et al. (7), également publié en 2002. C’est une étude prospective menée en Norvège et en Suède de 1991-1992 à 1999 sur 103 027 femmes qui avaient rempli un questionnaire et avaient fait l'objet d'un suivi prospectif. Au cours de ce suivi, 1 008 cancers infiltrants sont apparus, avec un RR de 1,6 en cas de prise de pilule (IC95 : 1,2-2,1). Les risques étaient identiques selon les différents types de pilule. Le RR était de 1,5 (IC95 : 1-2) pour la CO estroprogestative et de 1,6 (IC95 : 1-2,4) pour la CO progestative. Les auteurs ont mis en évidence un effet durée (p = 0,005). En 2003, Dumeaux a lui aussi retrouvé une petite élévation du risque (RR : 1,25 ; IC95 : 1,07-1,46). Une nouvelle méta-analyse a été menée en 2006, cette fois consacrée au risque de survenue de cancer du sein avant la ménopause (8). Seules les études cas-témoins publiées après 1980 ont été reprises. Sur 60 études recensées, 26 ont été exclues, de même que toutes les études prospectives. Les auteurs ont choisi de retenir des odds-ratios (OR) non ajustés. Ils ont retrouvé une petite augmentation (OR = 1,19 ; IC95 : 1,09-1,29) du risque, surtout en cas de prise de CO pendant plus de 4 ans avant une première grossesse menée à terme (OR : 1,52 ; ; IC95 : 1,25-1,82). Cette méta-analyse va donc dans le sens d’un effet promoteur de la CO sur les cancers préexistants. Hunter et al. (9) ont repris l’étude des infirmières nord-américaines et retrouvent à nouveau un risque faiblement augmenté avec une CO en cours (RR : 1,33 ; IC95 : 1,03-1,73), avec un risque estimé à 1,8 % et qui disparaît après 4 ans d’arrêt. En cas de mutation BRCA1/2, les études étaient contradictoires. Une méta-analyse regroupant 18 études incluant 2 855 femmes atteintes de cancer du sein ne retrouve pas d’augmentation significative du risque (survie sans récidive [SRR] : 1,13 ; IC95 : 0,881,45). Il n’existe pas non plus de différence en fonction du gène muté : pour BRCA1, le RR significatif est de 1,09 (IC95 : 0,77-1,54), et pour BRCA2, la SSR est de 1,15 (IC95 : 0,61-2,18). Il n’a pas été observé d’effet durée, mais un surrisque a été noté pour les pilules prescrites avant 1975 (effet dose ?) [10]. La pilule n’est donc pas contre-indiquée en cas de mutation BRCA, mais il est recommandé de l’utiliser à visée uniquement contraceptive. Deux articles britanniques récents concernant la mortalité associée à la pilule ne montrent aucun risque accru de mortalité par cancer. L’étude du Royal College of General Practitioners (11) montre une réduction de cette mortalité (RR : 0,85 ; IC95 : 0,78-0,93) et pas d’élévation de la mortalité par cancer du sein (RR : 0,90 ; IC95 : 0,74-1,08). Là encore, dans l’étude de l'Oxford Family Planning Association [12], on ne note pas d’augmentation de la mortalité tous cancers confondus (HR : 0,9 ; IC95 : 0,8-1,0), ni par cancer du sein (HR : 1,0 ; IC95 : 0,8-1,2). Ces données sont donc globalement rassurantes. ■ Contraception orale Cancer du sein Épidémiologie BRCA1 BRCA2 Facteur de risque Keywords Oral contraception Breast cancer Epidemiology BRCA1 BRCA2 Risk factor Références bibliographiques 1. Collaborative Group on Hormonal Factors in Breast Cancer. Breast cancer and hormonal contraceptives: further results. Contraception 1996;54(Suppl.):1S-106S. 2. Newcomb PA, Longnecker MP, Storer BE et al. Recent oral contraceptive use and risk of breast cancer (United States). Cancer Causes Control 1996;7:525-32. 3. Brinton LA, Gammon MD, Malone KE, Schoenberg JB, Daling JR, Coates RJ. Modification of oral contraceptive relationships on breast cancer risk by selected factors among younger women. Contraception 1997;55:197-203. 4. Hankinson SE, Colditz GA, Manson JE et al. A prospective study of oral contraceptive use and risk of breast cancer (Nurses' Health Study, United States). Cancer Causes Control 1997;8:65-72. 5. Ursin G, Ross RK, Sullivan-Halley J, Hanisch R, Henderson B, Bernstein L. Use of oral contraceptives and risk of breast cancer in young women. Breast Cancer Res Treat 1998;50:175-84. 6. Marchbanks PA, McDonald JA, Wilson HG et al. Oral contraceptives and the risk of breast cancer. N Engl J Med 2002;346:2025-32. 7. Kumle M, Weiderpass E, Braaten T, Persson I, Adami HO, Lund E. Use of oral contraceptives and breast cancer risk: the Norwegian-Swedish Women's Lifestyle and Health Cohort Study. Cancer Epidemiol Biomarkers Prev 2002;11:1375-81. 8. Kahlenborn C, Modugno F, Potter DM, Severs WB. Oral contraceptive use as a risk factor for premenopausal breast cancer: a meta-analysis. Mayo Clin Proc 2006;81:1290-302. 9. Hunter DJ, Colditz GA, Hankinson SE et al. Oral contraceptive use and breast cancer: a prospective study of young women. Cancer Epidemiol Biomarkers Prev 2010;19:2496-502. 10. Iodice S, Barile M, Rotmensz N et al. Oral contraceptive use and breast or ovarian cancer risk in BRCA1/2 carriers: a meta-analysis. Eur J Cancer 2010;46:2275-84. 11. Hannaford PC, Iversen L, Macfarlane TV, Elliott AM, Angus V, Lee AJ. Mortality among contraceptive pill users: cohort evidence from Royal College of General Practitioners' Oral Contraception Study. BMJ 2010;340:c927. 12. Vessey M, Yeates D, Flynn S. Factors affecting mortality in a large cohort study with special reference to oral contraceptive use. Contraception 2010;82:221-9. La Lettre du Gynécologue • LG 2011-06.indd 9 n° 363 - juin 2011 | 9 07/06/11 09:45