mise au point L’hypertension de la femme : trois phases clés du dépistage à ne pas méconnaître Women hypertension: three fundamental periods for the diagnosis C. Mounier-Vehier*, P. Delsart*, G. Rosey*, B. Letombe** L * Service de médecine vasculaire et HTA, pôle de cardiologie et maladies vasculaires, hôpital Jeanne-deFlandre, CHRU de Lille et faculté de médecine Henri-Warembourg, université de Lille-2. ** Service de médecine du couple, pôle de gynécologie et obstétrique, hôpital Jeanne-de-Flandre, CHRU de Lille et faculté de médecine HenriWarembourg, université de Lille-2. es femmes se révèlent particulièrement vulnérables à l’hypertension artérielle (HTA) à trois périodes de leur vie : lors de la prise d’une contraception orale, au cours de la grossesse et à la ménopause. La vigilance s’impose donc à ces phases clés. La femme jeune est en général protégée par ses estrogènes naturels (1-3). Selon le rapport NHANES III (4), la prévalence de l’HTA augmente avec l’âge : moins de 10 % des femmes de moins de 20 ans et plus de 70 % de celles de plus de 70 ans. Après 60 ans, les femmes sont aussi plus fréquemment touchées que les hommes. En France, les données de la French League Against Hypertension Survey du Comité français de lutte contre l’HTA donnent des résultats similaires, avec une prévalence de 15 % de femmes hypertendues entre 35 et 44 ans et de 59 % après 70 ans Tableau I. Recommandations de l’ACOG et de l’OMS sur l’usage de la contraception estroprogestative suivant le terrain (6). Variable ACOG (2000) OMS (2000) Fumeuse > 35 ans < 15 cigarettes/j > 15 cigarettes/j Risque inacceptable Risque inacceptable Risque > bénéfice Risque inacceptable HTA PA contrôlée Risque acceptable Risque > bénéfice si PAS > 140-159 mmHg ou PAD > 90-99 mmHg Risque inacceptable si PA > 160/100 mmHg PA non contrôlée Risque inacceptable Antécédent AVC, coronaire, thrombose veineuse Risque acceptable si pas d’autre FR et pas d’AOC Bénéfice > risque si < 20 ans et pas d’AOC Hypercholestérolémie Risque acceptable si LDL < 1,6 g/l et pas d’autre FR Dépend des autres FR AOC : atteinte d'un organe cible ; AVC : accident vasculaire cérébral ; FR : facteur de risque. 16 | La Lettre du Cardiologue • n° 424 - avril 2009 (www.comitehta.org). Enfin, le rapport de la Caisse nationale d’assurance maladie paru en octobre 2007 sur Internet souligne la prévalence croissante de l’HTA dans les deux sexes. Chez la femme, le rapport fait ainsi état d’une prévalence de 45,3 % pour la tranche d’âge 60-69 ans, de 62 % pour celle des 70-79 ans et de 70,4 % pour celle des plus de 80 ans (www.ameli.fr, rapport du 19 octobre 2007). Les accidents cardiovasculaires, dont l’HTA est un facteur de risque, restent la première cause de mortalité chez la femme après 65 ans (1, 4). Les estrogènes ont des actions spécifiques sur le système cardiovasculaire et agissent sur des récepteurs aux estrogènes localisés sur la cellule endothéliale et sur la cellule musculaire lisse vasculaire. Les estrogènes agissent sur la vasodilatation endothéliumdépendante, diminuent le tonus vasculaire, favorisent la cicatrisation endothéliale, induisent une diminution de la prolifération des cellules musculaires lisses et ont un effet antiathérogène chez l’animal (5). HTA et contraception orale Trois références sur le sujet sont à retenir : l’article de D.B. Petitti (6), le bulletin américain de l’ACOG n° 73 (7) et les recommandations européennes sur l’HTA parues en 2007 (2) [tableau I]. Selon l’Institut national d’études démographiques, 64 % des femmes en âge de procréer utilisent une contraception. La contraception estroprogestative (COP) est le premier mode de contraception utilisé jusqu’à 40 ans, mais elle pose des problèmes de sécurité, notamment sur le plan cardiovasculaire. Les contraceptifs ont toutefois évolué avec le temps. Les Résumé Les femmes peuvent développer une hypertension artérielle (HTA) à trois périodes de leur vie : lors de la prise d'une contraception orale, au cours de la grossesse et à la ménopause. Seulement 5 % des femmes sous contraception estroprogestative vont développer une HTA, qui pourra ne survenir qu’après plusieurs années de prescription et qui est favorisée par l’hérédité hypertensive, l’obésité et l’âge (supérieur à 35 ans). Le traitement indiqué consiste en de faibles doses d’estrogène et un progestatif de nouvelle génération. Au cours d’une grossesse, l’HTA est la traduction clinique tardive d’une anomalie de la placentation. Le traitement antihypertenseur est indiqué pour éviter à la mère les complications de l’HTA. Les bloqueurs du système rénineangiotensine, tératogènes, sont contre-indiqués. À la ménopause, la disparition des hormones féminines n’est pas l’unique cause de l’HTA : l’âge, l’obésité et la dyslipidémie sont aussi impliqués. Le THM n’est pas contre-indiqué mais sera prescrit par voie transdermique si l’HTA et le risque cardiovasculaire sont maîtrisés. doses d’estrogènes ont diminué, passant de 50 µg dans les premières formulations à 25 à 30 µg dans les spécialités les plus récentes. La nature du progestatif a aussi évolué, et l’on distingue la COP de première, de deuxième et de troisième génération. La mise en route d’une COP peut être l’occasion de diagnostiquer une HTA méconnue ou un état préhypertensif. La contraception orale, lorsqu’il s’agit d’une combinaison estroprogestative, augmente la pression artérielle systolique (PAS) de 5 à 8 mmHg en moyenne, ainsi que, dans une moindre mesure, la pression diastolique. Cette augmentation n’est pas observée avec la contraception progestative pure ni avec la contraception “mécanique” (6, 8). Seules 5 % des femmes exposées vont développer une HTA. Il s’agit de la forme d’HTA secondaire la plus fréquente chez la jeune femme. L’HTA ne survient pas toujours au début du traitement, mais parfois après plusieurs années de prescription. Trois circonstances favorisent son apparition : l’hérédité hypertensive, l’obésité et l’âge (> 35 ans) [1, 6, 8]. Le diagnostic d’HTA peut être confirmé par une mesure ambulatoire ou une automesure de la PA. L’HTA est le plus souvent modérée et asymptomatique ; elle se normalisera dans les 3 mois suivant l’arrêt de la COP. Plus rarement, le tableau sera celui d’une HTA maligne. Le diagnostic est indispensable, car l’arrêt de la COP permet la plupart du temps de normaliser les chiffres tensionnels. Le pronostic à moyen terme est bon. Le syndrome hémolytique et urémique (SHU) est au contraire une complication rarissime mais gravissime. Il peut s’agir de la reprise contreindiquée d’une COP après un SHU lié à la grossesse (8). Avec les estrogènes, l’HTA apparaît quelle que soit la dose (30 µg, 50 µg, etc.), contrairement aux progestatifs, dont l’effet toxique dépend plus de la dose et de la nature de la combinaison. Un composé progestatif récent, la drospirénone, douée d’une activité antiminéralocorticoïde, pourrait d’ailleurs avoir un effet moins important sur la PA (1, 8). L’HTA liée à la COP est multifactorielle, et fait intervenir la stimulation de la synthèse de rénine et d’angiotensinogène, une dysfonction endothéliale et une rétention hydrosodée. Il est conseillé de débuter par de faibles doses d’estrogène (25-30 µg) en utilisant un progestatif de nouvelle génération et de mesurer la PA tous les 6 mois, lors du renouvellement de l’ordonnance. Si la PA augmente significativement sur 3 consultations, il est recommandé d’arrêter la COP et de proposer une alternative. Si la PA ne se normalise pas à 3 mois, un traitement de l’HTA pourra être proposé après un bilan approprié, car la COP a pu démasquer une préhypertension. En France, l’usage de la COP n’est pas recommandé chez la femme hypertendue. Il s’agit même d’une prescription expressément formulée “hors AMM” (3, 8). La situation est différente aux États-Unis : si aucune autre contraception n’est possible, les Américains admettent l’usage de la COP chez les femmes de moins de 35 ans, non fumeuses et ayant une HTA contrôlée sous traitement (7). Le risque de la COP est par ailleurs “acceptable” chez la femme diabétique si elle n’a pas d’autre facteur de risque associé ni d’atteinte d’organe cible. De même, l’hypercholestérolémie n’est pas une contre-indication si elle s’intègre dans un faible risque cardiovasculaire. Le risque de la COP est unanimement jugé inacceptable et contre-indique sa prescription si l’HTA est non contrôlée ou compliquée, si la jeune femme présente des antécédents de prééclampsie ou d’accidents artériels ou veineux, et si elle fume après 35 ans, même si sa consommation est inférieure à 15 cigarettes par jour. Les femmes ayant fait une HTA de la COP feront l’objet d’une surveillance accrue au moment d’une grossesse et lors de la ménopause pour ne pas méconnaître une récidive d’HTA (6-8) (tableau I). Syndromes hypertensifs de la grossesse L’HTA de la grossesse est définie par une PA supérieure ou égale à 140/90 mmHg, à n’importe quel terme, lors de 2 consultations successives. Il s’agit d’une pathologie encore fréquente, puisqu’elle concerne 10 à 15 % des grossesses. Une prééclampsie modérée est observée dans 2 % des grossesses. Même si la prééclampsie est devenue un accident rare, elle est encore responsable de 30 % des décès maternels et de 20 % de la mortalité fœtale et néonatale (1, 9-11). Mots-clés Hypertension artérielle Contraception orale Prééclampsie Ménopause Traitement Summary Women are subject to hypertension during three stages of their life: while taking oral contraceptives, during a pregnancy and after menopause. 5% of women using oral contraceptives will develop hypertension, sometimes years after the initial prescription. Its development is all the more likely that the patient possesses a family history of hypertension, suffers from obesity or is aged over 35. It is recommended to begin treatment by using low doses of estrogen and a new generation progesterone derivative. Hypertension during pregnancy is the consequence of multifactorial abnormal placenta implantation. Treatment of this hypertension during pregnancy should only be initiated so as to protect the mother from the consequences of heightened blood-pressure. Renin-angiotensin system blockers have a teratogenic effect and should be stopped before beginning a pregnancy. Finally, hypertension should be detected during menopause. The loss of vascular protective pro­perties of female hormones is not its sole cause but adds on to the effects of aging, obesity and dyslipidemia. Cases of difficultto-manage climateric symptoms permit the use of transdermic Hormonal Substitutive. Keywords Hypertension Women Oral contraceptive Postmenopausal hormone replacement therapy Preeclampsia Treatment Gestational hypertension La Lettre du Cardiologue • n° 424 - avril 2009 | 17 mise au point Panier 1 L’hypertension de la femme : trois phases clés du dépistage à ne pas méconnaître ARA II Bêtabloquant IEC Déconseillé diabète + SM Panier 2 HTA vasculaire ++ ICA Diurétiques thiazidiques HTA systolique ++ SM : syndrome métabolique ; ARA II : antagoniste des récepteurs à l'angiotensine II ; IEC : inhibiteur de l'enzyme de conversion ; ICA : inhibiteur calcique (classe des dihydropyridines). Figure. Traitement de l’HTA selon les recommandations de la HAS (2005) et de l’ESH-ESC (2007). Particularités chez la femme ménopausée. Tableau II. Classification des syndromes hypertensifs de la grossesse. Protéinurie significative > 300 mg/24 h HTA avant la grossesse Non Oui Non* HTA gravidique isolée Prééclampsie Oui** HTA préexistante HTA préexistante + prééclampsie *HTA gravidique isolée et prééclampsie : après la 20e SA et jusqu’à 42 jours après l’accouchement. **HTA préexistante : avant la 20e SA. Normalement, au cours d'une grossesse, l'endothélium maternel ne rejette pas, sur le plan immunologique, l'implantation trophoblastique. La colonisation trophoblastique des artères spiralées du myomètre entraîne de profondes modifications de la structure histologique des artères : désendothélialisation, disparition du tissu élastique et perte des récepteurs hormonaux. Les artères utérines acquièrent des caractéristiques d’artères élastiques permettant une vasodilatation artérielle majeure. La PA va alors baisser au cours des deux premiers trimestres pour remonter à son niveau initial au cours du troisième trimestre. Le primum movens des “syndromes hypertensifs” de la grossesse est la survenue, vers 16 semaines d’aménorrhée (SA), d’une ischémie placentaire à la suite d’un défaut de l’invasion trophoblastique artérielle. Les lésions d’ischémie placentaire apparaissent à la fin du premier trimestre avec la libération dans la circulation de débris fibroblastiques responsables d’une réaction inflammatoire maternelle. Il s’agit 18 | La Lettre du Cardiologue • n° 424 - avril 2009 bien d’une véritable maladie artérielle, à l’origine des symptômes cliniques et biologiques qui n’apparaîtront qu’au cours du deuxième trimestre de la grossesse ; ceux-ci associent de façon variable HTA, protéinurie, vasospasmes artériels (hépatique, rénal, cérébral), activations pro-coagulante et proinflammatoire. L’HTA n’est ainsi qu’un symptôme de l’ischémie placentaire et non sa cause réelle (figure) [9-11]. Dans la mesure du possible, il faut essayer de différencier l’HTA préexistante de l’HTA apparaissant au cours d’une grossesse, car les prises en charge seront différentes. On distingue l’HTA préexistante diagnostiquée avant la 20 e SA, l’HTA “gestationnelle isolée”, apparaissant après la 20 e SA et régressant sous 42 jours après l’accouchement, et la prééclampsie, qui ne survient qu’après la 20e SA et associe HTA, protéinurie et/­o u cytolyse hépatique et thrombopénie (le HELPP syndrome). Une prééclampsie peut aussi compliquer une HTA préexistante. Une nouvelle entité, l’“HTA anténatale non classable”, a été définie récemment. Son diagnostic est rétrospectif et doit être confirmé dans les 42 jours après l’accouchement : si, passé ce délai, l’HTA a disparu, il s’agissait d’une HTA gestationnelle ; si elle persiste, il s’agit d’une HTA préexistante (tableau II) [9-11]. La surveillance de ces grossesses nécessite une prise en charge dans un centre obstétrical disposant d’un service de réanimation néonatale. La mesure ambulatoire de la PA montre tout son intérêt dans le diagnostic, l’évaluation pronostique (protéinurie, retard de croissance, prématurité, complications maternelles) et la surveillance thérapeutique, car elle permet d’éviter des hypotensions iatrogènes délétères pour le fœtus. L’automesure tensionnelle a également sa place, car elle permet la surveillance à domicile : la moyenne des 18 mesures à effectuer doit être inférieure à 125/85 mmHg, quel que soit le terme de la grossesse. Il est aussi conseillé aux mères d’effectuer régulièrement, à partir du deuxième trimestre, un test sur bandelette urinaire ; s’il est positif (> 2 croix de protéine dans les urines), un dosage de la protéinurie des 24 heures sera effectué (pathologique si supérieur à 300 mg/l ou supérieur à 500 mg/24 h) [2, 9-11]. La prise en charge repose sur des règles hygiéno-diététiques bien conduites, avec une information des mères, notamment sur la diminution des activités fatigantes et le régime normosodé. Le régime amaigrissant est déconseillé chez la femme enceinte obèse, car il peut induire une hypotrophie fœtale. Pour les femmes hypertendues “chroniques”, la programmation des grossesses est recommandée, pour arrêter mise au point les traitements tératogènes (bloqueurs du système rénine-angiotensine). Un allègement, voire un arrêt, du traitement est même souvent proposé au début de la grossesse. Dans les autres cas, le traitement hypotenseur est indiqué dans le seul but de protéger la mère si la PAS est supérieure ou égale à 150 mmHg et/ou la PAD supérieure ou égale à 95 mmHg, ainsi que dans les tableaux de prééclampsie. Il convient de ne pas descendre en dessous de 140/90 mmHg. Les traitements de première intention sont les antihypertenseurs centraux (alpha-méthyldopamine, clonidine), puis, en deuxième intention, les alpha-bêtabloquants (labétalol) et les inhibiteurs calciques (nicardipine). Les bêtabloquants peuvent être éventuellement utilisés, mais avec un risque de retard de croissance intrautérine et de bradycardie fœtale. Les diurétiques sont déconseillés, car ils peuvent aggraver l’hypovolémie. L’aspirine, à la dose de 100 mg/j, est indiquée en traitement préventif à partir de 16 SA jusqu’à 2 semaines avant l’accouchement pour les femmes ayant des antécédents vasculo-placentaires. Le seul traitement curatif restera l’accouchement, avec le retrait du placenta ischémié (2, 9-11) ! Tous les antihypertenseurs passent à faibles doses dans le lait maternel. Seuls le propanolol et la nifédipine passent à pleines doses dans le lait. La bromocriptine, bloqueur de la lactation, peut induire une hypertension (2, 10, 11). Après l’accouchement, la surveillance de la PA sera rapprochée. Si cette dernière reste élevée après 6 semaines, il s’agira d’une HTA permanente. Une consultation spécialisée est alors justifiée pour rechercher une cause méconnue d’HTA (néphro­ pathie, dysplasie artérielle). Le risque de récidive de la pré­éclampsie est de 70 % environ (10, 11). La pré­éclampsie est un marqueur de risque cardiovasculaire indépendant, avec un risque relatif d’accident coronaire multiplié par 1,7 à 2 chez la femme pré­éclamptique par rapport à la femme non pré­éclamptique (12). Elle est enfin un facteur de risque d’HTA chronique pour 1 femme sur 4 et justifie un suivi régulier à distance (2, 10, 12). HTA, ménopause et traitement hormonal de la ménopause (THM) Dernière phase clé du dépistage, la ménopause. Elle survient en moyenne à 50,5 ans en France. Les deux signes les plus évidents de la ménopause sont l’impossibilité de concevoir et la carence en estrogènes. La ménopause est synonyme d’altération de la qualité de vie, surtout pour les 70 % de femmes présentant des symptômes climatériques. Ces symptômes s’estompent néanmoins avec le temps et les femmes s’adaptent à leur nouvel état. C’est aussi à cette période que la prévalence de l'hypertension augmente significativement chez les femmes. La disparition des hormones féminines n’est pourtant pas l’unique cause de l’HTA. D’autres facteurs confondants concourent à l’apparition, voire à l’aggravation, de l’HTA avec l’âge, tels que l’obésité abdominale (périmètre abdominal > 88 cm) et la dyslipidémie. Certains parlent même de “syndrome métabolique de la ménopause”. Il y a aussi des facteurs d’influence, comme l’âge à la survenue de la ménopause ou la prise d’un THM (1, 8). La ménopause se caractérise par un changement structurel et fonctionnel du système artériel, qui n’est plus “protégé” par les estrogènes naturels. La paroi artérielle (épaisseur intima-média) s’épaissit, devient plus rigide en raison d’une modification de structure de la média, qui est alors plus riche en collagène. Il s’y associe une dysfonction endothéliale et une augmentation du tonus des fibres musculaires. Ces modifications artérielles vont se traduire par une augmentation marquée de la vitesse de l’onde de pouls, ce d’autant plus qu’il s’agira physiologiquement d’artères courtes et fines. L’HTA de la ménopause est de “phénotype” métabolique et vasculaire à prédominance systolique (1, 2, 8). Cette connaissance physiopathologique va guider le choix de la stratégie thérapeutique. Car si, en termes d’efficacité, toutes les classes d’antihypertenseurs sont comparables chez la femme et chez l’homme, le contexte clinique conduira à préférer certaines associations (2, 3). Il s’agira de l’association inhibiteurs calciques-bloqueurs du système rénine-angiotensine ou encore de l’association diurétiques thiazidiquesbloqueurs du système rénine-angiotensine. L’avantage des diurétiques thiazidiques est leur effet positif sur la densité osseuse et l’ostéoporose ; mais celui-ci est contrebalancé par des troubles ioniques plus fréquents chez la femme âgée (hyponatrémie et hypokaliémie). Le choix des traitements sera aussi guidé par la tolérance clinique des médicaments, les femmes se plaignant plus souvent que les hommes d’effets adverses (1). Avant 80 ans, l’objectif tensionnel sera une PA inférieure à 140/80 mmHg ; après 80 ans, une PA inférieure à 150/90 mmHg (2, 3). Qu’en est-il du traitement hormonal de la ménopause ? En 2002, plusieurs publications, dont l’essai WHI, ont semé l’agitation en rapportant une augmentation du risque de cancer du sein après 5 ans de THM, quelle que soit la voie d’administration, en particulier chez les femmes qui prenaient des progestatifs de synthèse. Ce risque s’estompait à l’arrêt du traitement et n’était, La Lettre du Cardiologue • n° 424 - avril 2009 | 19 mise au point Références bibliographiques 1. Rosenthal T, Oparil S. Hypertension in women. Review article. J Hum Hypertens 2000;14:691704. 2. Mancia G, De Backer G, Dominiczak A et al. 2007 Guidelines for the Management of Arterial Hypertension: The Task Force for the Management of Arterial Hypertension of the European Society of Hypertension (ESH) and of the European Society of Cardiology (ESC). J Hypertens 2007;25(6):1105-87. 3. Haute Autorité de santé. Re c o m m a n d a t i o n s p o u r l a pratique clinique. 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Hypertension in pregnancy: recommendations for diagnosis and treatment. European Society of Hypertension scientific newsletter: update on hypertension management. 2000;1(2). www.eshonline.org Retrouvez les références bibliographiques sur le site : www.edimark.fr L'auteur remercie Christophe Hurt pour la traduction du résumé. L’hypertension de la femme : trois phases clés du dépistage à ne pas méconnaître en revanche, pas retrouvé en cas d’utilisation d’estrogènes seuls (femmes hystérectomisées) ni lorsque le progestatif était la progestérone naturelle. Les femmes sous THM présentaient aussi une augmentation du risque de maladie thrombo-embolique. Ce risque était maximal durant la première année du traitement et se poursuivait tout au long de celui-ci. Il était particulièrement élevé au-delà de 60 ans. Le type d’estrogènes et le mode d’administration pourraient être en cause. Le risque d’accident artériel (accidents coronaire et vasculaire cérébral) est surtout lié à l’association d’estrogènes (a fortiori par voie orale) et de progestatifs de synthèse. La voie orale aurait un effet néfaste de premier passage hépatique, et augmenterait le risque d’accidents vasculaires thrombotiques, liés à une augmentation des triglycérides, de la protéine C réactive et de l’angiotensinogène, et à la baisse de l’antithrombine et de la protéine S. La voie transdermique, plutôt utilisée en France, évite ces effets hépatiques. Il reste les effets incertains du THM, avec un impact méconnu sur la démence et les fonctions cognitives, le cancer ovarien, la mortalité par cancer du sein, la mortalité par maladies cardiovasculaires et la mortalité totale. Chez la femme normotendue, le THM n’augmente pas la PA, et peut même l’abaisser. Chez la femme hypertendue, aucune étude prospective randomisée n’a été réalisée, mais il semblerait qu’il n’y ait pas de variation significative de la PA. La prise d’estrogènes par voie percutanée n’induirait pas d’augmentation de la rénine, contrairement à la prise par voie orale. Les progestatifs ne semblent pas remettre en question l’effet favorable ou neutre des estrogènes, sauf peutêtre avec la médroxyprogestérone. Ils ont, en revanche, un effet délétère sur le métabolisme des glucides et des lipides qu’il ne faut pas négliger (1, 6, 8, 13). Le médecin se trouve donc aujourd’hui dans une situation délicate et redoute les conséquences médicolégales de sa prescription. Pour faciliter la pratique médicale, un premier rapport, américain, l’US Preventive Services Task Force (14), a fait un état des lieux des principaux bénéfices du THM. Le THM améliore les symptômes climatériques temporaires et la qualité de vie avec un effet net sur les bouffées de chaleur, les sueurs nocturnes et la sécheresse vaginale. Il prévient l’ostéoporose en augmentant la minéralisation osseuse et en réduisant le risque fracturaire. Cet effet perdure pendant toute la durée du traitement mais, à son arrêt, la perte osseuse reprend son rythme. Enfin, le THM réduit le risque de cancer du côlon. L’US Preventive Services Task Force reconnaît l’absence d’effet “tensiogène” des formes percutanées, ne recommande pas le THM en protection cardiovasculaire et contre-indique le THM si la femme a des antécédents cardiovasculaires 20 | La Lettre du Cardiologue • n° 424 - avril 2009 graves. En revanche, l’HTA non compliquée n’est pas une contre-indication. Les formes orales sont déconseillées chez la femme hypertendue ou à risque cardiovasculaire. En France, l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) a rédigé un premier rapport d’étape en 2003 (15), puis un second en 2006 (16) sur le THM. Les indications actuelles du THM en France sont limitées aux symptômes climatériques, si la femme le souhaite, à la dose minimale efficace, et ce tant que durent les symptômes. Il est nécessaire de corriger l’HTA et l’hyperlipidémie avant d’entreprendre le THM. Ce traitement reste contreindiqué si la femme est à haut risque cardiovasculaire. Une information objective de la patiente sur les bénéfices et les risques du THM est nécessaire. Une fenêtre thérapeutique annuelle est recommandée pour réévaluer l’intérêt du traitement. Quand réaliser un bilan d’HTA chez la femme ? Il est recommandé d’adresser la femme hypertendue à un spécialiste pour un bilan exhaustif dans les situations suivantes : HTA sous contraception orale ; au décours d’une HTA gravidique (attendre alors un délai de 4 à 6 mois) ; HTA résistante à une trithérapie (PA > 140/90 mmHg sous trois traitements, dont un diurétique thiazidique à pleines doses) ; HTA de grade 3 récente, surtout en présence d’un contexte clinique évocateur ; HTA maligne ou accélérée (1-3). Conclusion L’HTA de la femme a d’abord été peu, voire pas du tout, prise en compte comparativement à celle de l’homme, comme de nombreuses autres pathologies cardiovasculaires. La femme avait la réputation d’être protégée par ses hormones. La femme jeune est en effet moins hypertendue que l’homme. À la ménopause, le problème semble s’inverser. Les récentes controverses sur le bénéfice du THM ont remis à l’ordre du jour l’HTA de la ménopause, avec des travaux récents qui ont permis une meilleure connaissance de son épidémiologie et de sa physiopathologie. Il manque encore des essais thérapeutiques ciblés sur l’HTA de la femme pour valider l’absence de spécificité sur les doses thérapeutiques préconisées, déterminer les associations thérapeutiques les plus pertinentes et évaluer l’efficacité des traitements antihypertenseurs sur les organes cibles. ■ mise au point L’hypertension de la femme : trois phases clés du dépistage à ne pas méconnaître Références bibliographiques (suite de la page 20) 11. Report of the Canadian Hypertension Society Consensus Conference: definitions, evaluation and classification of hypertensive disorders in pregnancy; non pharmacologic treatment and prevention of hypertensive disorders in pregnancy; pharmacologic treatment of hypertensive disorders in pregnancy. Can Med Asso 1997;157:907-1254. 12. 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Le traitement hormonal de la ménopause (THM) - point d’étape (juin 2006). ww.afssaps.fr