TRIBUNE Faut-il encore une fois réformer les études médicales ? Do we need a medical studies reform, once again? D A. Grimaldi Service de diabétologie, hôpital de la Pitié-Salpêtrière, Paris. epuis plus de 20 ans, on déplore l’inadéquation des études médicales à leur objectif : former d’abord et avant tout les praticiens du pays. On souhaite des praticiens formés à la résolution de problèmes toujours singuliers, souvent complexes, et, pour ce faire, sachant chercher et traiter les informations nécessaires, des professionnels habitués à travailler en équipe et à fonctionner en réseaux (formels ou informels), et donc aptes à piloter leurs patients dans le système de santé. On veut des médecins au fait des données de l’“evidence-based medicine”, sachant les adapter à la singularité de chaque patient, des médecins jaloux de leur indépendance à l’égard de l’industrie et des financeurs, pouvant justifier leurs actes et leurs prescriptions. Des professionnels pratiquant l’autoévaluation, analysant les échecs rencontrés et les erreurs commises, toujours avides d’apprendre, convaincus que, “en médecine, ce qui est difficile, ce sont les 80 premières années, après ça va tout seul”, des médecins développant une médecine centrée sur le patient grâce à une approche globale et à une relation empathique. Enfin, des médecins soucieux de la collectivité et des deniers publics, développant la prévention et pratiquant le “juste soin au juste coût”, bref des médecins formés à la pratique de la santé publique. Amen ! On ne cesse de le répéter de rapports en colloques, de réformes des programmes en révisions des cursus et en rénovations pédagogiques. Pourtant, malgré tous ces efforts, les résultats sont décevants : le meilleur côtoie le pire. Le constat est partagé : nous formons plus des prescripteurs (et quelques futurs PU-PH à notre image) que des professionnels aptes à résoudre des problèmes pratiques. Il apparaît donc indispensable, avant toute nouvelle réforme, de repérer et d’analyser les verrous au changement souhaité par tous : ce sont, à mon sens, les modes de sélection et d’évaluation des étudiants et des enseignants. ➤➤ On sélectionne les étudiants sur 2 critères : leur appétence pour les matières scientifiques et leur capacité d’ingurgitation et de régurgitation. Malheur aux littéraires et aux lents ! Résultats : les victimes de l’hypersélection sont sujets à la dépression, tandis que les reçus ont tendance à se comporter en anciens combattants, exigeant reconnaissance et faisant valoir leurs droits. Quant aux collés fortunés, ils peuvent toujours aller faire leurs études en Belgique ou en Roumanie et revenir ensuite s’installer en France. Les doyens proposent, par humanité, d’abréger le calvaire des postulants en avançant la date du couperet. Hélas, plus personne ne semble proposer la vieille solution raisonnable : organiser l’entrée en médecine à partir des différentes filières universitaires, scientifiques comme littéraires, sur la base de quotas en première et en deuxième année de licence. La faculté de médecine serait en quelque sorte branchée en dérivation sur les autres facultés. La biologie serait la voie principale, mais non exclusive. Oui, mais les facultés de médecine y perdraient des postes d’enseignants, de l’argent et donc du pouvoir ! 44 | La Lettre du Neurologue • Vol. XVIII - no 2 - février 2014 TRIBUNE ➤➤ Les étudiants, de façon pragmatique, apprennent comme on les interroge. On les interroge par QCM, ils apprennent les réponses, comme au jeu des 1 000 euros. On les évalue par des mots-clés, ils en apprennent les listes. Peut-être faudrait-il les évaluer comme on souhaite qu’ils exercent leur futur métier. L’informatique permet déjà, depuis un certain temps, de remplacer les vrais patients par des cas virtuels, dont le déroulé progressif de l’histoire clinique permet d’évaluer à chaque étape la capacité des étudiants à réaliser un raisonnement hypothético-déductif et à justifier des prescriptions sur la base d’une analyse décisionnelle. De même, des enregistrements vidéo portant sur le vécu des patients et en particulier sur la relation médecin-malade pourraient être soumis à l’analyse des candidats. Ainsi, les stages dans les services cliniques retrouveraient leur irremplaçable valeur de formation. Encore faudrait-il que les externes n’y soient plus de simples “touristes” mais y soient immergés à plein temps, qu’ils voient les patients en premier et non après tout le monde, et qu’ils bénéficient du compagnonnage de leurs aînés. Quitte à ce que les stages hospitaliers soient plus courts durant 2 mois, alternant avec l’enseignement facultaire. Ce dernier gagnerait à être revu à l’aune des nouvelles techniques de communication. Tout cours prétendument magistral mais se résumant en fait à la lecture commentée de diapositives devrait être remplacé par son enregistrement vidéo. C’est fait ou ça va l’être. L’examen national classant aurait par ailleurs intérêt à devenir régional, avec possibilité, pour les étudiants, de présenter plusieurs examens régionaux, en contrepartie d’un engagement à exercer pour une période donnée dans la région qu’ils auraient choisie pour effectuer leur internat. ➤➤ Reste la clé de la réforme des études de médecine : la réforme des enseignants. L’enseignement est aujourd’hui “la dernière roue du carrosse”, le dernier critère sur lequel on recrute les enseignants. Ni la quantité, ni la qualité de l’enseignement, ni les innovations, ni les publications pédagogiques, ni l’avis des étudiants ne sont réellement pris en compte. C’est la conséquence des modalités de recrutement des PU-PH, qui sont censés, depuis 1958, exercer personnellement une triple mission, devenue depuis quintuple (soin, recherche, enseignement, gestion et santé publique), et en réalité recrutés essentiellement, voire exclusivement, sur les publications de recherche. Il faudrait revenir à un statut unique de PH, avec des valences variables d’enseignement, de recherche, de gestion, pouvant fluctuer au fil des années mais traduisant la réalité de l’activité de chacun. On peut difficilement faire bien plus de 2 activités. Un grand chercheur (publicateur) n’est pas forcément un grand clinicien ou un bon enseignant, ou un bon chef de service. La polyvalence doit être celle de l’équipe. L’auteur n’a pas précisé ses éventuels liens d’intérêts. Utopie ? Usine à gaz ? Peut-être… Mais pendant combien de temps encore peut-on continuer à faire semblant ? On entend déjà dire qu’on n’apprend pas le métier de médecin dans les CHU… La Lettre du Neurologue • Vol. XVIII - no 2 - février 2014 | 45