PHYSIOLOGIE DE L’EQUILIBRE ET DU DESEQUILIBRE Le passage de l’environnement marin à la vie terrestre à quatre pattes, puis sur deux jambes, a nécessité un profond remaniement des systèmes chargés d’assurer l’équilibre. La bipédie est certainement celui qui a occasionné le plus de changements. Le sujet assure son équilibre grâce à deux systèmes complémentaires, le premier de type statique antigravitaire est appelé le tonus postural, le deuxième de type dynamique (maintien de l’équilibre lors du mouvement) est régulé par l’appareil vestibulaire. Ces deux systèmes adaptent l’équilibre du sujet en temps réel. Quand le déséquilibre se manifeste la proprioception prend le relais pour gérer au mieux la situation. 1. TONUS POSTURAL ANTIGRAVITAIRE Le tonus postural, contrairement au système vestibulaire dont l’action est centrée sur l’équilibre, a pour objet de maintenir l’organisme érigé grâce aux contractions involontaires des muscles rachidiens, des ceintures et des membres (ou des membres inférieurs chez les bipèdes). Son action s’applique donc en priorité sur les muscles extenseurs. + Physiologie du tonus postural Le tonus postural a pour fonction d’assurer le maintien des attitudes de l’animal. Il est assuré par de nombreuses informations provenant des voies afférentes coordonnées aux différents étages encéphaliques. Les principales afférences ont pour origine : = Le réflexe myotatique et le système gamma. Ce réflexe prend naissance dans les muscles, il est modulé par le système qui permet la contraction musculaire équilibrante pour un degré d’étirement optimal. Les afférences musculaires sont identiques aux afférences ostéoarticulaires, tendineuses et capsulaires. Les informations sont transmises aux centres du tronc cérébral, des hémisphères et du cervelet. Cet équilibre entre les muscles agonistes et antagonistes permet le maintien de la posture chez les sujets soumis au champ de la gravitation. = Le système vestibulaire. Le vestibule (oreille interne) est à l’origine d’un réflexe tonique dont les centres sont bulbaires cérébelleux et réticulaires. Les voies efférentes aboutissent aux motoneurone et . = Le système visuel. La vue participe indirectement au tonus postural en contrôlant la position du corps dans l’espace (placement de la tête, contraction des muscles nucaux). La perte, même momentanée de la vision au repos, peut entraîner une chute du sujet, si elle n’est pas compensée par l’un ou l’autre des autres mécanismes assurant le tonus postural. = Le système ostéo-articulaire cervical est mis en jeu par la variation de la position de la tête par rapport au tronc. Il s’agit d’un réflexe tonique qui transite par le cervelet et les centres réticulaires pour aboutir au motoneurone . Toute contraction anormale des muscles nucaux (torticolis) peut être à l’origine de sensations vertigineuses. L’ensemble de ces informations est transmis aux centres nerveux, qui agissent à leur tour sur les motoneurones et . Cinq de ces centres peuvent être individualisés : Les noyaux gris centraux des hémisphères (néo-striatum et pallidum). 1 Le cortex cérébral, par le biais de la voie cortico-spinale (d’origine prérolandique) exerce une action activatrice, tandis que la voie cortico-réticulo-spinale agit en inhibant le système , et en activant d’autres zones sous corticales. Le cervelet joue un rôle régulateur sur le système postural en intégrant les informations cérébro-réticulaires et cérébro-vestibulaires. L’hypothalamus est inhibiteur dans sa région antérieure, et activateur du système dans sa région postérieure. La formation réticulaire du tronc cérébral constitue un véritable carrefour des informations toniques. + Acquisition du tonus postural Le système postural de nos ancêtres devait présenter des caractéristiques assez semblables à celles que nous connaissons aujourd’hui chez les vertébrés. Il semble, au vu des études réalisées auprès d’enfants « sauvages » rapportées depuis plus de 500 ans, que le tonus postural subisse chez l’homme les effets d’un apprentissage à la bipédie (l’enfant de Hesse marchait à quatre pattes et était dans l’incapacité de se redresser, de même les enfants de Lituanie, d’Hanovre, des Pyrénées, de Salzburg, de Sékandra, de Kamala... n’ont jamais réussi à retrouver une bipédie satisfaisante). Autrement dit, les connexions indispensables au bon fonctionnement du tonus postural, s’adapteraient en fonction de la demande de l’individu lors de la première année, période d’acquisition de la marche bipède chez les Homo. Si l’équilibre et le tonus permettent dès les premières semaines le maintien de la tête, puis la marche à quatre pattes et la station assise, il faut attendre près de 12 mois pour qu’un début de déplacement bipède apparaisse. Ce dernier, peut d’ailleurs, s’il n’est pas l’objet de stimulation par les parents, ne jamais apparaître. Tout se passe comme si l’inné ne concernait que le schéma de base sans donner le mode d’emploi du système. En l’absence de l’apprentissage des parents, l’enfant se trouve dans l’incapacité d’adapter son tonus postural à la bipédie. Le système postural à disposition de tout nouveau-né sera donc modulé en fonction des stimulations données par les parents ou l’entourage. Sans modèle le système est incapable de fonctionner et de s’adapter. Autrement dit, sans parents bipèdes, il n’y a pas de bipédie. C’est pourquoi, si Tarzan a pu acquérir assez vite une brachiation de bonne qualité du fait d’un apprentissage donné par les singes, il est certain que Rémus et Romulus, élevés par la fameuse Louve romaine, n’auraient jamais pu marcher autrement qu’à quatre pattes. Dans les deux cas la légende dépasse largement les capacités d’adaptation de l’organisme aux contraintes de la gravitation. Chronologie de l’installation du tonus postural : = Tonus prénatal. La mise en place du tonus postural commence in-utéro. Les changements de position du fœtus dans le liquide amniotique répondent aux stimulations utérines. Dès la sixième semaine les muscles axiaux du cou et du tronc peuvent répondre aux contractions utérines. La maturation du système vestibulaire permet les retournements et un début d’orientation. Ce phénomène est retrouvé chez tous les mammifères. = De 0 à 3 mois. La mise en place du système postural se fait de la région encéphalique vers la région caudale. Après le réflexe oculomoteur, ce sont les muscles nucaux, puis ceux du tronc et de l’abdomen qui sont l’objet d’une maturation neurologique, pour terminer par ceux des membres inférieurs. Entre la naissance et trois mois, les fonctions psychomotrices d’ajustement et d’éveil arrivent à maturité. L’enfant commence dès cette date à intégrer les attitudes posturales de ses parents. = De 3 à 4 mois. Pendant cette période, l’enfant commence à contrôler ses muscles oculomoteurs, sa tête s’équilibre, il est capable de suivre un objet sans loucher. Les connexions cérébelleuses entre les afférences visuelles et nucales se mettent en place. 2 = De 4 à 6 mois. L’enfant passe de la reptation, parfois chaloupée, à une marche à quatre pattes bien coordonnée. Il tient la position assise du fait de la bonne tonicité des muscles axiaux et de la coordination oculomotrice. = De 5 à 8 mois. Lors de la position assise, l’enfant peut se pencher en avant sans déséquilibre. Le contrôle des ceintures due à la maturation du système pyramidal lui permet de jouer avec ses mains et de bouger la tête sans perdre l’équilibre. = De 9 à 12 mois. A partir de cette période, le tonus postural lui permet de se tenir debout, appuyé contre un support, mais si l’on occupe son regard (modification de la position de la tête) il tombe par fléchissement des membres inférieurs. Entre 9 et 12 mois il réalise ses premiers pas, d’abord aidé, puis seul. Ce simple déplacement nécessite une maturation du système réticulé, des corps striés, du cervelet, du thalamus et du système pyramidal. = De 1 à 3 ans. Pendant cette période, l’enfant acquière l’équilibre, coordonne le déplacement de ses bras et de ses jambes et met en place la course. La mise en jeu de l’ajustement postural, à partir du schéma corporel inconscient géré par les réflexes proprioceptifs, prend une place prépondérante à cet âge. = De 3 à 7 ans. Le schéma corporel, parfaitement inconscient jusqu'à ce stade du développement, commence progressivement à intégrer un niveau conscient par la mise en jeu de la fonction d’intériorisation. L’ajustement tonique postural est plus précis grâce aux capacités d’inhibition corticale qui permet d’éliminer les tensions parasites. C’est à ce niveau que débute l’hominisation du tonus postural. D’inconsciente, l’ensemble de la chaîne motrice se trouve maintenant soumise à un contrôle cortical, il est possible d’en modifier significativement les réponses. L’apprentissage devient possible (natation, saut...) *. L’acquisition du tonus postural tel que nous le connaissons chez Sapiens sapiens est donc passé par des phases d’apprentissage transmises de génération en génération depuis l’apparition de la bipédie. Les ajustements permettant le passage d’une position semi-érigée à une position érigée n’ont certainement pas posé de grandes difficultés d’adaptation posturale du fait de l’existence au sein de notre système nerveux des structures propres à prendre en compte ces modifications. La question qui se pose est de savoir si le passage de la position quadrupède à une démarche bipède (semi-érigée, ou totalement érigée) a nécessité des aménagements plus complexes. L’étude du tonus postural des primates quadrupèdes ne montre pas sur le plan macro anatomique de véritable spécificité. C’est plus au plan des connexions neuronales, des localisations ostéo-articulaires des récepteurs et des muscles effecteurs que se trouvent les différences essentielles. Mais là encore il s’agit vraisemblablement de processus adaptatifs du même type que ceux mis en jeu au niveau des articulations du membre inférieur. En conclusion le tonus postural, comme la bipédie, ne constitue pas un caractère probant d’hominisation. Seule la maîtrise volontaire du tonus posturale, telle qu’elle peut être acquise après l’âge de sept ans, peut différencier l’homme des autres primates. * Ce mécanisme peut être perturbé chez l’adulte dès l’instant où la nuque se trouve heurtée brutalement par un choc direct ou indirect. Lors de la pratique de la boxe anglaise un coup violent porté à la face peut rompre la chaîne du tonus postural en provoquant une déconnexion momentanée du système nucal. La chute du sportif est tout à fait significative de cette interruption tonique. Les genoux fléchissent donnant l’impression que le sportif tombe assis. Dans ce type de KO la conscience ne se trouve à aucun moment perturbée. 3 2. L’EQUILIBRE + L’appareil vestibulaire L’appareil vestibulaire est apparu chez les vertébrés dès la sortie de l’eau, prenant ainsi le relais du système latéral qui caractérise tous les vertébrés inférieurs aquatiques (poissons, certains amphibiens...). Le système latéral présente de multiples fonctions (perception, équilibration...) Il disparaît chez la presque totalité des amphibiens, mais peut persister de façon plus ou moins complète en fonction du mode de vie de l’animal (totalement aquatique, aquatique pour la ponte...). Cet organe a totalement régressé chez les vertébrés supérieurs. Le labyrinthe, situé au niveau de l’oreille interne, est retrouvé chez tous les vertébrés depuis les Poissons et les Cyclostomes. Chez les tétrapodes, ce système uniquement relié à l’équilibre de l’animal se trouve couplé au système auditif par adjonction d’une cavité supplémentaire, l’oreille moyenne. Le labyrinthe membraneux est issu de cellules épiblastiques qui s’invaginent pour donner l’otocyste. C’est à partir des parois de cette vésicule que naissent les neurones ganglionnaires à l’origine de la mise en place du nerf stato-acoustique. L’otocyste se divise en deux parties qui donneront dans la moitié dorsale la cavité de l’utricule et dans la partie ventrale le saccule. L’utricule donne naissance aux trois canaux semi-circulaires qui s’orientent dans l’espace suivant les trois plans d’un trièdre rectangle. L’extrémité de chacun de ces canaux se renfle pour donner l’ampoule. Le saccule s’évagine pour former la lagéna qui donne naissance au canal endolymphatique. Parallèlement à ces transformations morphologiques l’épithélium du labyrinthe se différencie en plages sensorielles (cellules ciliées) dont les fonctions varient suivant leur localisation. On retrouve : . Une papille basilaire acoustique uniquement présente chez les tétrapodes . Des macules statiques (utriculaire, sacculaire et lagénaire) chargées de sécrétions calcaires (otoconies ou otolithes). . Des crêtes moins mobiles, dépourvues d’otoconies placées dans les ampoules des canaux semi-circulaires. = L’oreille interne humaine Chez l’homme, l’appareil vestibulaire se trouve localisé à l’intérieur du rocher. Les canaux semi-circulaires sont orientés à 30° vers l’arrière pour le canal horizontal (ou canal externe), à 45° par rapport an plan sagittal pour le canal vertical antérieur, et à 90° par rapport au précédent pour le canal vertical postérieur. Chacun de ces canaux communique avec l’utricule qui s’ouvre lui-même dans le saccule. Ces cavités contiennent de l’endolymphe dont les déplacements sont en rapport direct avec les mouvements de la tête. Les accélérations et décélérations stimulent spécifiquement les crêtes ampullaires localisées dans les canaux semi-circulaires, les changements de posture stimulent électivement les macules. Ces récepteurs donnent naissance à des fibres convergeant vers le conduit auditif interne où sont localisés les premiers neurones (ganglion de Scarpa). Les prolongements de ces cellules donnent naissance au nerf vestibulaire qui s’associe au nerf cochléaire pour donner la VIIIème paire crânienne. A l’intérieur du tronc cérébral ces fibres se connectent avec celles du deuxième neurone (noyaux vestibulaires). Les fibres issues des noyaux vestibulaires se dirigent vers le cervelet, la corne antérieure de la moelle, les noyaux oculomoteurs (paires III, IV et VI). L’équilibre des vertébrés terrestres a, depuis la sortie des eaux, eu pour références la verticale, direction d’application des forces gravitaires, et l’horizontale point de repère du système visuel. Si l’oreille moyenne a subit une évolution structurale considérable, avec la migration et la mise en place des osselets, l’oreille interne ne s’est que faiblement transformée. Néanmoins, l’étude des pièces osseuses protégeant le système vestibulaire a permis d’évaluer chez les fossiles la taille de cet organe, l’orientation des canaux semi-circulaires et la position relative de ces canaux les uns par rapport aux 4 autres. Une étude récente portant sur ce sujet montre que l’augmentation globale du système vestibulaire, et notamment la grandeur du rayon de courbure du canal postérieur, était proportionnelle à la taille du crâne considéré. La seule différence notable porte sur les néandertaliens qui présentaient un canal postérieur placé plus bas que celui des Homo (habilis, erectus et les autres…). Cette disposition particulière peut être intéressante pour caractériser ce cousin et évaluer son éloignement de la branche sapienne, mais ne joue sans doute aucun rôle physiologique particulier. Les néandertaliens répondaient de façon identique aux contraintes de l’équilibre. La modification de l’équilibre au cours de notre courte évolution, au regard des temps préhistoriques, se situe donc au moment de l’acquisition de la bipédie qui se trouve être par définition une position instable, non gérable en totalité par le tonus postural. L’étude de cette position instable montre que le déséquilibre est essentiellement antéropostérieure. Le pendule inversé (point d’appui au niveau des chevilles) oscille donc d’avant en arrière et maintient son équilibre grâce à la contraction des muscles agonistes/antagonistes de la jambe suivant un schéma de contraction partant du bas et se déplaçant vers le bassin. La perte de cette fonction (perte de la proprioceptivité, vieillissement, immobilisation prolongée...) tend à déplacer le point fixe pendulaire vers le bassin, rendant l’ensemble particulièrement instable. Cette observation s’articule parfaitement avec la genèse de la bipédie, acquise suivant un plan antéro-postérieur tandis que les membres postérieurs gardaient latéralement une fonction pratiquement identique à celle de la quadrupédie. L’acquisition de l’équilibre par l’enfant, après celle de son tonus posturale, répond certainement à un apprentissage mené de front avec ce dernier dès les premiers jours de la vie. Contrairement au tonus qui commence à se développer de façon réflexe in utero, l’apesanteur relative à laquelle est soumis l’enfant pendant la grossesse ne permet sans doute pas une mise en place aussi rapide des connexions neuronales spécifiques à la fonction équilibratrice. La maîtrise de l’équilibre sur les pieds, puis sur un pied, les yeux ouverts puis fermés, éventuellement sur les mains pour certains sportifs, s’acquière par l’entraînement, c’est à dire la coordination des réponses motrices à partir des stimuli efférents. Le ski, le skate bord, la planche à voile... sont autant de situations de déséquilibres d’autant plus facilement à gérer que l’on est jeune. La boxe, déjà citée dans le cadre du tonus postural donne encore ici un exemple caricatural de l’atteinte de l’équilibre par un traumatisme. Si le coup porté est un crochet, les canaux semi-circulaires de l’oreille interne subissent une accélération rotatoire rapide qui perturbe l’état d’équilibre du boxeur. Le sportif chute, et se trouve dans l’incapacité de se relever du fait de la perte d’équilibre (on le voit tituber, retomber du fait d’un vertige qui se calmera spontanément en quelques minutes, bien souvent après avoir été compté dix). L’équilibre n’apparaît donc pas comme un facteur sélectif propre à infléchir les processus évolutifs, mais comme une fonction modulable que les premiers bipèdes utilisèrent à leur profit pour modifier leur système de locomotion. 3. PROPRIOCEPTION La proprioception peut se définir comme l’ensemble des moyens neuromusculaires inconscients permettant de rétablir dans un temps très rapide une situation de déséquilibre. La proprioception concerne l’ensemble des réactions d’équilibre de l’organisme ainsi que le tonus postural. Elle associe l’oreille interne et les yeux, mais également l’ensemble des informations neuromusculaires susceptibles de donner une information instantanée sur la position de notre corps dans l’espace. Elle correspond physiologiquement aux voies profondes de la sensibilité. La proprioception est donc directement en relation avec la vue, la position de la tête dans l’espace et le système neuromusculaire. Les organes sensoriels mettant en jeu ce système sont placés aux niveaux du crâne (œil et oreille interne), de la nuque et de l’ensemble des récepteurs proprioceptifs articulaires, ligamentaires, musculaires et cutanés. Les relais nerveux sont réalisés au niveau du tronc cérébral, du cortex et surtout du cervelet. Les informations efférentes sont d’ordre moteur et concernent essentiellement les muscles de la nuque et des membres inférieurs. Chez l’homme, la proprioception est essentiellement en rapport avec les membres inférieurs et les muscles chargés du tonus postural. Contrairement à ce dernier, qui est uniquement chargé de 5 maintenir une position érigée, et à la fonction d’équilibre dont le rôle est d’assurer une synchronisation entre le mouvement segmentaire et l’ensemble du système neuromusculaire, la proprioception prend en charge de façon originale les déséquilibres localisés, protégeant ainsi le système articulaire concerné. Très schématiquement le tonus postural permet de tenir debout, l’équilibre de marcher et de courir, la proprioception de se rattraper en cas de déséquilibre. Cette fonction s’est donc profondément modifiée entre la brachiation, où elle concernait principalement le membre supérieur, la quadrupédie où elle se répartissait sur les quatre membres, et la bipédie où elle se trouve limitée aux membres inférieurs. Il est probable que ce type de mécanisme autoprotecteur existait de la même façon chez les premiers bipèdes, qu’ils soient Australopithèques ou Homo. + La bipédie neurologique La véritable originalité de la bipédie humaine est son caractère totalement érigé d’une part (jambe dans l’axe de la cuisse), et son exclusivité comme mode de déplacement d’autre part, que ce dernier soit lent ou rapide. Cette double spécificité nécessite de la part du système nerveux (tonus postural et du système vestibulaire) des « aménagements » importants, mais dont la mise en place ne nécessita sans doute aucune mutation sélective spécifique. En ce qui concerne le tonus postural, deux points sont à considérer : = Le tonus des muscles rachidiens et des ceintures La contraction automatique des muscles participant aux ceintures et à l’ensemble du rachis permet à l’animal de lutter contre les effets de la pesanteur tout en maintenant une position suffisamment tonique pour unir solidement ses différents segments vertébraux. Chez les bipèdes sporadiques, deux cas peuvent se rencontrer en fonction de l’importance que joue la bipédie dans le comportement et le mode de vie de l’animal. Chez ceux ne se redressant qu’exceptionnellement (ours, chiens savants) le tonus postural est « à géométrie variable ». Quand l’animal se redresse le tonus rachidien est très proche de celui des bipèdes permanents, alors que celui appliqué aux ceintures reste celui du quadrupède ; la ceinture antérieure reste en position de quadrupédie, l’animal gardant les stylopodes à 90° d’extension, la ceinture postérieure prend en charge la totalité de la masse corporelle mais ne permet pas de position maintenue très prolongée. Chez les animaux bipèdes sporadiques et brachiateurs, ou maintenant la position bipède plus longtemps, le tonus postural de la ceinture scapulaire est spontanément aboli quand l’animal se déplace en suspension ou quand il utilise ses mains pour se nourrir. Le mode de tonus postural du rachis et de la ceinture pelvienne passe sans difficulté de la position horizontale à la position verticale. Au cours de l’évolution, c’est donc au niveau de la ceinture antérieure (scapulaire) qu’à eu lieu le changement le plus important dans la transformation des signaux efférents destinés à informer le système central gérant la posture. Chez les animaux bipèdes permanents, le maintien de la tête est assurée par un système antagoniste fléchisseurs extenseurs avec cependant une prédominance des muscles extenseurs. La ceinture scapulaire a pratiquement perdu la totalité de son tonus postural. Les muscles rachidiens jouent un rôle nouveau et original qui consiste à appliquer les forces du tonus suivant un axe longitudinal par rapport à la colonne au lieu de forces transversales. Les abdominaux ont perdu leur fonction antigravitaire et une grande partie de leur tonus postural. La ceinture pelvienne prend en charge le relais entre les muscles rachidiens et les membres inférieurs. Le carré des lombes, le moyen fessier, le pyramidal et le psoas iliaqu, sont continuellement soumis aux stimulations posturales. 6 Contrairement aux quadrupèdes, le tonus postural des bipèdes se limite à la ceinture pelvienne et à l’ensemble du rachis, où son action s’exerce simultanément sur les systèmes agonistes au niveau du rachis cervical. Il ne présente pas de particularité spécifique, seul son caractère fonctionnel le différencie du mode établi chez les quadrupèdes. = Le tonus des membres inférieurs Chez les bipèdes sporadiques non érigés, comme l’ours ou le gorille, seuls les muscles postérieurs présentent dans cette situation un caractère antigravitaire. Le développement considérable du quadriceps (extenseur de la cuisse) et du triceps sural (extenseur du pied) répond à cette nécessité. Les fibres concernées sont essentiellement de type lent à contraction maintenue. Les membres antérieurs libres lors de cette attitude ne sont plus soumis à l’obligation de la lutte antigravitaire, le tonus postural peut y être momentanément aboli. Chez les bipèdes exclusifs (une grande partie des Australopithèques et les Homo), le maintien de la position debout verticale, oblige à une continuelle balance entre les muscles fléchisseurs et extenseurs, Le développement des masses musculaires antérieures (quadriceps) et postérieures (ischiojambiers) est équilibré. Pour maintenir cette position les systèmes et doivent être constamment en activité pour stimuler un groupe musculaire et inhiber simultanément son antagoniste. La station debout à l’arrêt ne devient possible que si le tonus s’applique de manière ordonnée et continue à l’ensemble des muscles du membre inférieur. Dès l’instant où le sujet fléchit légèrement les jambes, comme cela est fréquent dans la position d’attente de nombreux sports (tennis, tennis de table, boxe, judo...), ce sont naturellement les extenseurs qui prennent en charge la plus grande partie du maintien de la position érigée. Si pour une raison traumatique réflexe brutale, le tonus postural se trouve aboli, on observe une chute du sportif dans l'axe de son corps sans que la vigilance ou l’équilibre ne soit perturbé. Les messages indispensables au maintien de cette position ont essentiellement pour origine le système plantaire et les capsules articulaires de l’autopode (pied et cheville). Le cas bien connu des crampes des fléchisseurs des orteils touchant les nageurs et les cosmonautes (les deux effectuent un travail musculaire en apesanteur), confirme les difficultés de l’organisme à gérer son tonus postural dès l’instant où les récepteurs plantaires ne reçoivent plus d’informations sensorielles. L’ensemble de ces adaptations ou de leur carence momentanée montre bien que le tonus postural des membres inférieurs est très malléable et adaptable suivant les circonstances et certainement l’apprentissage de la lutte contre la pesanteur. Les mécanismes neurologiques posturaux et vestibulaires nécessaires au déplacement bipède exclusif et de type érigé semblent être déjà présents avant la mise en place de cette manière de se déplacer chez les Australopithèques, puis chez les Homo. Les systèmes postural et vestibulaire n’ont fait que s’adapter, sans transformation anatomique ou fonctionnelle considérable. L’originalité de la locomotion bipède neurologique semble donc uniquement résider dans l’acquisition de nouvelles connections synaptiques centrales et dans la création, ou la modification de récepteurs posturaux concernant les membres inférieurs. Contrairement à ce qui est souvent le cas en embryologie des vertébrés supérieurs, ce n’est pas le système nerveux qui est à l’origine du processus, mais ce dernier qui s’est adapté à une nouvelle fonction. + L’exemple de l’entorse externe de cheville L’entorse externe (et seulement cette dernière) reflète parfaitement le décalage qui existe entre la mise en place de la bipédie et les moyens mis en œuvre pour assurer cette situation instable. Les deux os de la jambe, le péroné (fibula) et le tibia, reposent sur un socle osseux l’astragale. Pour stabiliser latéralement cette articulation, dont la fonction est de permettre des mouvements de flexion et d’extension, nous disposons de ligaments latéraux externe et interne. L’articulation tibio-tarsienne est le résultat d’un bricolage évolutif qui a vu notre espèce passer d’un statut arboricole à une démarche semi-érigée, puis bipède permanente. 7 Péroné EXT Tibia INT Astragale Le rôle dévolu à cette articulation complexe s’est donc transformé en prenant une dimension inconnue chez les quadrupèdes, ou du moins faiblement développée, qui est celle de l’équilibre instantané par induction proprioceptive permanente. La station debout nécessite en effet des informations constantes et rapides (en temps réel) de la position du pied par rapport à la jambe (flexion, extension, varus, valgus). La forme particulière de notre pied à « cinquième rayon court », est issue d’une période bien antérieure aux premiers primates (les amphibiens présentent déjà cette particularité). Cette disposition anatomique donne aux animaux bipèdes une instabilité externe importante. En effet si l’application de la force résultante de notre poids se trouve excentrée au-delà de l’axe formé par le cinquième rayon, deux cas peuvent être observés : soit le corps bascule et participe dans son entier au rééquilibrage, soit ce dernier reste inerte et la cheville se trouve étirée en varus. Schématiquement d’un point de vue purement évolutif deux solutions pouvaient être envisagées, soit mettre en place un ligament externe capable de résister à des étirements de plusieurs centaines de kilo, soit placer à cet endroit un système proprioceptif d’une grande précision susceptible d’éviter la bascule externe par une maîtrise globale de l’équilibre. Le ligament latéral externe Le hasard de l’évolution a mis en place ce deuxième mécanisme. Suivant cette conception, les rôles des ligaments externe et interne sont donc éminemment différents; le ligament interne, résistant (plus de cent kilo avant la rupture) joue un rôle mécanique essentiel comme un hauban pour tenir un mât, le ligament externe, arachnéen, et beaucoup moins résistant, celui d’un organe neuro-sensoriel de haute précision, mais d’une grande fragilité (moins de 20 kilo). 8 Tibia Ligament latéral interne Cette dualité explique pourquoi une entorse externe ne peut être comparée sur le plan anatomique et physiologique à une entorse interne tant sur le plan du diagnostic que sur celui du traitement. Cette confusion est à l’origine des ambiguïtés thérapeutiques puisque aujourd’hui le traitement proposé est identique que l’entorse soit externe ou interne. Cette simplification abusive explique les échecs répétés des thérapeutiques ne prenant en compte que la lésion anatomique sans intégrer l’atteinte sensorielle. L’entorse externe de la cheville apparaît donc sur le plan anatomique comme une lésion capsulaire et ligamentaire, avec ou sans rupture de l’un ou de plusieurs faisceaux ligamentaires, et sur le plan sensoriel comme une sidération nerveuse des récepteurs et/ou une perte de la continuité neurosensorielle de l’appareil stabilisateur du « membre inférieur » (et non pas seulement de la cheville ou du pied). Le rôle neurosensoriel du LLE explique pourquoi les résultats thérapeutiques sont aussi décevants, la simple cicatrisation ou reconstruction ne pouvant reconstituer la fonction proprioceptive de cet organe, car il s’agit bien d’un organe à part entière. La mise en place de ce système proprioceptif n’apparaît intéressante que pour les individus ayant perdu la capacité d’opposer les doigts, et d’autre part dans l’obligation de stabiliser latéralement une articulation destinée non seulement à travailler en charge, mais aussi à assurer l’équilibre de l’ensemble de l’organisme. Cette acquisition vraisemblablement non génétique prend toute son importance lors de l’apprentissage de la marche bipède. Chez l’enfant normal existe une laxité physiologique importante mais une stabilité de l’articulation tibio-tarsienne parfaite. En cas de blessures répétées (entorses externes de la cheville) la laxité demeure, mais s’associe maintenant à une forte instabilité. Les excellents résultats du traitement proprioceptif appliqué à ces lésions montrent d’une part la capacité d’adaptation de cet organe aux stimuli proprioceptifs, mais aussi le caractère non inné de la proprioception. Si l’apprentissage réalisé lors du début de la marche est de mauvaise qualité (marche tardive, acquisition difficile de l’équilibre, chaussures inadaptées....) l’enfant se trouve spontanément instable. La réversibilité de ce phénomène montre bien que ce fût la bipédie qui a engendra ce type de régulation, et non l’inverse. 9