Conduite à tenir devant une végétation volumineuse M

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Conduite à tenir
devant une végétation volumineuse
● G. Habib*
Points forts
■ Les embolies, particulièrement cérébrales, sont une des
complications majeures des végétations endocarditiques, et sont associées à un pronostic péjoratif.
des embolies est de l’ordre de 35 % des
endocardites, dont 20 % sont des embolies cliniquement
silencieuses.
ment un facteur reconnu de mauvais pronostic. Ainsi, la prédiction du risque embolique devant la présence d’une végétation est
un objectif d’une importance considérable.
L’échographie joue un rôle important dans l’évaluation et la surveillance des endocardites infectieuses, et son impact a encore
grandi depuis l’apport de la voie transœsophagienne. Cependant,
sa valeur prédictive de la survenue d’un accident embolique n’est
pas universellement reconnue, si bien que la conduite à tenir
devant une végétation volumineuse reste discutée.
■ L’incidence
■ La fréquence des embolies décroît dans les 15 jours qui
suivent l’instauration du traitement antibiotique ; l’incidence des embolies sous traitement est de l’ordre de
10 à 15 %.
■ Le risque embolique est d’autant plus important que la
végétation est longue et mobile ; les végétations de plus
de 15 mm et très mobiles sont associées à un risque
embolique majeur.
■ En
cas d’indication chirurgicale hémodynamique,
embolique ou bactériologique, la présence d’une volumineuse végétation incite à une chirurgie plus précoce.
■ En
cas de volumineuse végétation isolée, la chirurgie
est discutée au cas par cas, mais peut être proposée dans
le cas des végétations les plus mobiles et les plus volumineuses, de taille supérieure à 15 mm.
Mots-clés : Endocardite - Végétation - Embolie.
L‘
embolie systémique est une complication redoutable
de l’endocardite infectieuse. Elle est en rapport avec
la migration d’un fragment de végétation dans la
circulation sanguine et peut être responsable de séquelles sévères,
notamment cérébrales. La survenue d’une embolie au cours d’une
endocardite, particulièrement une embolie cérébrale, est égale-
* Service de cardiologie B, hôpital La Timone, 13005 Marseille.
La Lettre du Cardiologue - n° 352 - février 2002
RISQUE EMBOLIQUE ET ENDOCARDITE
INFECTIEUSE
L’incidence des embolies systémiques dans l’endocardite est discutée, avec des estimations allant de 10 à 50 % des endocardites
infectieuses. Dans notre expérience, sur une série de 178 endocardites confirmées (1), l’incidence des embolies observées est
de 37 %, parmi lesquelles 21 % sont des embolies silencieuses,
justifiant un dépistage systématique par scanner.
Il est important de différencier par ailleurs les embolies survenues avant traitement de celles survenues après l’instauration du
traitement antibiotique ; si nous avons vu que l’incidence totale
des accidents emboliques est de l’ordre de 35 % , les accidents
survenant après le début du traitement sont plus rares [13 % dans
la série de Steckelberg (2), 21 % dans la série de Rohmann (3),
9 % dans notre série].
CONSÉQUENCES CLINIQUES D’UNE EMBOLIE
SYSTÉMIQUE
Les conséquences cliniques de l’embolie dépendent bien sûr du
siège de cette embolie ; la figure 1 montre la répartition des embolies dans notre expérience. Les embolies cérébrales sont les plus
graves, mais aussi les plus fréquentes ; elles peuvent être asymptomatiques et découvertes lors d’un scanner cérébral systématique. Elles peuvent au contraire être responsables d’accidents
cérébraux gravissimes, parfois inauguraux, source de séquelles
parfois importantes. Par ordre de fréquence viennent ensuite les
embolies spléniques, pulmonaires et rénales, alors que les autres
localisations emboliques sont plus rares (embolie périphérique,
mésentérique, coronaire) (figure 2).
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montré que ceux qui présentaient des végétations de taille supérieure à 10 mm avaient un risque embolique plus important que
ceux dont les végétations étaient plus petites, cette différence
étant surtout significative lorsque la végétation était située en
position mitrale. Des résultats similaires ont été observés par Sanfilippo (5) et Rohmann (3).
À l’inverse, d’autres études n’ont pas retrouvé une telle relation.
Lutas (6) et Steckelberg (2) n’ont pas trouvé de relation entre la
taille de la végétation et le risque embolique. Toutefois, il s’agit
d’études anciennes n’utilisant que l’échographie transthoracique,
et on peut penser que l’incidence réelle des végétations et surtout
leur taille ont pu être sous-estimées dans ces études. D’autres
études plus récentes, utilisant cette fois l’échographie transœsophagienne (7), n’ont à nouveau pas confirmé l’existence d’une
relation entre risque embolique et végétation. Les explications
possibles de ces divergences sont l’inclusion ou non des embolies silencieuses, le nombre souvent faible de patients étudiés,
voire l’absence de standardisation des critères diagnostiques utilisés pour le diagnostic d’endocardite (tableau I).
Figure 1. Siège des embolies au cours de 178 cas d’endocardite (expérience marseillaise).
Dans notre étude (1), une relation statistique forte a été retrouvée entre taille des végétations et risque embolique : sur les
178 endocardites étudiées, 37 % d’accidents emboliques ont été
observés. En analyse univariée, les facteurs significativement liés
à un risque embolique plus élevé sont la présence, la taille et la
mobilité de la végétation, les végétations du cœur droit, et les
endocardites à staphylocoque.
2b
2a
Figure 2. Embolie coronaire au 5 jour d’une endocardite mitrale ; 2a : aspect de
nécrose antérieure aiguë à l’ECG ; 2b : coronarographie en urgence montrant une
occlusion de l’interventriculaire antérieure (IVA) moyenne.
e
En analyse multivariée, les seuls paramètres indépendamment et
significativement liés à un risque embolique majoré sont la mobilité et la longueur de la végétation. En revanche, le siège aortique
ou mitral de la végétation n’est pas discriminant. La figure 3
montre que le risque embolique croît progressivement avec la
taille de la végétation. Ce risque est significatif lorsque la végétation est de taille supérieure à 10 mm, mais c’est surtout au-delà
de 15 mm que ce risque paraît très important [25 événements
emboliques sur 30 patients présentant une végétation mobile de
plus de 15 mm (83 %)].
RELATION ENTRE VÉGÉTATION ET RISQUE
EMBOLIQUE
L’existence d’une relation entre la présence et la taille d’une végétation et le risque d’embolie de cette végétation a fait l’objet de
nombreux travaux dont les résultats sont contradictoires :
Mugge (4), dans une étude prospective incluant 105 patients, a
Tableau I. Corrélation entre la taille de la végétation et le risque embolique.
Auteur
Relation entre embolie
et taille de la végétation
Patients (n)
Embolies (%)
Échographie
Végétations détectées (%)
Embolies sous
traitement (%)
Lutas et al. (6)
Négative
77
22
ETT
56
ND
Mugge et al. (4)
Positive
105
31
ETO biplan
91
19
Jaffe et al. (8)
Négative
70
43
ETT
78
16
Sanfilippo et al. (5)
Positive
204
33
ETT
75
ND
Steckelberg et al. (2)
Négative
207
13
ETT
38
13
Rohmann et al. (3)
Positive
118
26
ETO
42
21
Heinle et al. (10)
Négative
41
49
ETT
73
49
Werner et al. (9)
Positive > 20 mm
106
35
ETO monoplan
92
ND
De Castro et al. (7)
Négative
57
44
ETO
80
44
Notre étude (1)
Positive
178
37
ETO multiplan
75
9
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embolie sous traitement est faible, il existe réellement et reste lié
à la taille et à la mobilité des végétations.
Faut-il pour autant envisager systématiquement une chirurgie de
principe devant une végétation volumineuse isolée ? Probablement pas. En fait, les études précédentes ont permis de conclure
que le risque embolique était lié à la taille de la végétation, mais
aucune n’a spécifiquement montré qu’il était réduit par la
chirurgie pratiquée dans ce contexte. Bien que la chirurgie
précoce ait fait la preuve de son intérêt dans l’endocardite
infectieuse aiguë, la décision d’intervenir reste difficile et à
discuter au cas par cas chez les patients concernés.
Figure 3. Taux d’événements emboliques selon la taille de la végétation.
AUTRES FACTEURS DE RISQUE EMBOLIQUE
Il est vraisemblable, voire certain, que d’autres facteurs que la
taille de la végétation elle-même interviennent dans le risque
embolique. La présence d’anticorps antiphospholipides, les paramètres de la coagulation et l’activation des cellules endothéliales
sont des facteurs dont il a été montré récemment qu’ils étaient
significativement associés à une majoration du risque embolique
d’une végétation (11). Une approche thérapeutique médicale
potentielle pour réduire le risque embolique serait l’utilisation de
l’aspirine. Après des travaux expérimentaux prometteurs, les
études cliniques n’ont malheureusement pas confirmé l’efficacité d’un tel traitement dans l’endocardite (12).
D’autres facteurs, bactériologiques ceux-là, sont vraisemblablement aussi liés au risque embolique ; par exemple, les endocardites à Candida et à staphylocoque auraient un risque embolique
plus marqué. Le risque embolique d’autres germes est plus discuté ; dans notre expérience, les endocardites à Streptococcus
bovis auraient un risque embolique plus élevé que les autres streptocoques (13).
Enfin, les endocardites du cœur droit s’accompagneraient d’une
incidence plus élevée d’accidents emboliques que celles du cœur
gauche.
QUE FAIRE EN PRATIQUE
En résumé, malgré quelques études divergentes, et bien que l’appréciation du risque individuel pour un patient reste difficile, le
risque embolique semble clairement lié à la présence et à la taille
de la végétation ; ce risque apparaît particulièrement net pour les
végétations de plus de 15 mm, et, dans certaines études, pour les
végétations en position mitrale.
Ce risque est d’autant plus important que le patient n’est pas
encore traité : le taux d’embolies sous traitement est relativement
faible, de l’ordre de 10 %, et diminue encore après deux semaines
de traitement, l’essentiel du risque embolique se situant dans les
jours qui suivent le diagnostic d’endocardite et la mise en évidence de la végétation. Néanmoins, si le risque de survenue d’une
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Deux situations peuvent finalement être envisagées
en pratique :
✔ La présence d’une végétation volumineuse est associée à
une autre indication chirurgicale, hémodynamique, bactériologique, embolique : dans ces cas, la présence d’une végétation
“menaçante” est un argument supplémentaire pour intervenir
chirurgicalement, et certainement pour opérer tôt. Dans les cas
d’indication “limite”, quand une discussion médico-chirurgicale
n’emporte pas la décision, par exemple devant une fuite valvulaire volumineuse sans signe d’insuffisance cardiaque, l’existence
d’une volumineuse végétation mobile doit là aussi faire pencher
en faveur d’une indication chirurgicale.
✔ La volumineuse végétation est isolée, sans embolie clinique,
sans insuffisance cardiaque, sans fuite valvulaire massive et sans
abcès. C’est la situation la plus difficile : elle doit être discutée
au cas par cas. Le réflexe oculo-chirurgical conduisant à opérer
toute volumineuse végétation doit être évité. Si la végétation est
réellement isolée, après s’être assuré qu’elle n’a pas été responsable d’une embolie silencieuse, par exemple splénique, l’attitude retenue est loin d’être univoque dans la littérature ; la nôtre
est de proposer une chirurgie rapide à ces patients, quel que soit
le siège aortique ou mitral de la végétation, dès lors que celle-ci
est très volumineuse (> 15 mm) et très mobile.
CONCLUSION
Devant une végétation volumineuse, il paraît logique d’avancer
la date de la chirurgie chez les patients pour lesquels il existe en
outre une autre indication chirurgicale “classique” (embolique,
hémodynamique, infectieuse). Devant une végétation volumineuse isolée, la chirurgie prophylactique doit être réservée aux
végétations mitrales ou aortiques très mobiles et de taille supérieure à 15 mm.
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AUTOQUESTIONNAIRE
Habib G et al. Comparison of clinical and echocardiographic characteristics of Streptococcus bovis endocarditis with that caused
by other pathogens. Am J Cardiol (sous presse).
C
FM
1. Quelles sont la fréquence et les localisations préférentielles des embolies dans l’endocardite ?
2. Quels sont les critères échographiques permettant de prédire la survenue d’une embolie ?
RÉPONSES FMC
1. L’incidence des embolies dans l’endocardite est de l’ordre de 35 %, dont 20 % sont silencieuses. Cette incidence décroît sous traitement
antibiotique ; les localisations préférentielles sont cérébrales et spléniques.
2. De nombreux facteurs ont été incriminés : la taille de la végétation, sa mobilité, sa texture, son évolution sous traitement, sa localisation
mitrale plutôt qu’aortique ; en pratique, les paramètres échographiques les plus prédictifs sont la taille et la mobilité de la végétation, le risque
embolique étant le plus important en cas de végétation très mobile, de plus de 15 mm.
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