Médecine & enfance Infection à Helicobacter pylori chez l’enfant O. Mouterde, gastroentérologue pédiatre, département de pédiatrie, CHU de Rouen, et Faculté de médecine, Université de Sherbrooke, Canada et F. Gottrand, pôle enfant, hôpital Jeanne-de-Flandre, CHRU de Lille, Faculté de médecine, université Lille 2, en tant qu’expert consulté Le rôle pathogène d’Helicobacter pylori (HP) a été établi dans les années 80, lorsqu’un chercheur a démontré l’apparition d’une gastrite aiguë dans son propre estomac après ingestion d’un bouillon de culture de ce germe… Cela a mis fin à des décennies d’accusation de la sécrétion acide gastrique dans le mécanisme de constitution et de récidive des ulcères duodénaux, et aux interventions de vagotomie qui résultaient de cette théorie. Helicobacter et enfant sont liés, dans la mesure où l’infection s’acquiert habituellement dans l’enfance et persiste toute la vie en l’absence de diagnostic et de traitement. Ses conséquences sont potentiellement graves, chez l’enfant mais surtout chez l’adulte, et la responsabilité d’HP est parfois méconnue des médecins, comme dans le purpura thrombopénique idiopathique ou la carence en fer. Malheureusement aucune symptomatologie spécifique n’est associée à l’infection à HP chez l’enfant. Beaucoup d’éléments plaident pour un traitement systématique de tout enfant chez qui le diagnostic est fait, sachant qu’il existe des risques à long terme et que l’éradication, lorsqu’elle est obtenue, est souvent définitive. Dans un article récemment publié, Pacifico et al. discutent à plusieurs reprises la question suivante : « devant tel problème, lorsque l’on diagnostique une infection à HP, est-il prouvé qu’il est intéressant de l’éradiquer ? ». Note de lecture suivie d’un entretien avec un expert français. NOTE DE LECTURE Pacifico L., Anania C., Osborn J.F., Ferraro F., Chiesa C. : « Consequences of Helicobacter pylori infection in children », World J. Gastroenterol., 2010 ; 16 : 5181-94. L’infection à HP est l’une des infections bactériennes les plus fréquentes dans le monde, la moitié de la population mondiale étant infectée. Cette prévalence est différente selon les pays, en diminution dans les pays développés, élevée dans les pays en voie de développement. L’infection est le plus souvent acquise dans l’enfance, avant dix ans. HP est accusé d’être le principal facteur de gastrites et d’ulcères peptiques, mais son rôle est évoqué dans des pathologies comme le cancer gastrique, le reflux gastro-œsophagien, le retard de croissance, l’anémie ferriprive, le purpura thrombopénique idiopathique (PTI), l’asthme et l’allergie. Les manifestations extradigestives seraient dues à l’inflammation chronique et à la réponse immune induites par l’infection. BÉNÉFICES DE L’ÉRADICATION D’HP SELON LES SITUATIONS Gastrite et ulcères peptiques Dans l’enfance, HP est associé avec des gastrites antrales et des ulcères duodéfévrier 2011 page 82 naux. Les ulcères gastriques sont plus rares. L’éradication d’HP diminue le risque de récurrence d’ulcères duodénaux. Cancers gastriques Chez l’adulte, des adénocarcinomes et des lymphomes du tissu lymphoïde de la muqueuse gastrique (MALT) sont décrits. Chez l’enfant, seuls des lymphomes sont signalés. L’adénocarcinome semble se développer après quelques décennies d’infection compliquée de gastrite atrophique et de métaplasie intestinale. Ces deux complications pourraient être vues chez l’enfant, chez qui la métaplasie intestinale Médecine & enfance peut déjà être trouvée. Le risque de survenue d’un cancer peut être modulé par des facteurs génétiques ou environnementaux associés. Le risque relatif de développer un cancer serait de 5 en cas d’infection chronique ; il ne diminuerait que si HP était éradiqué avant l’apparition de lésions précancéreuses. L’enfance est donc l’âge idéal où éradiquer HP en prévention du cancer gastrique de l’adulte. Les lymphomes du MALT sont très fortement associés quant à eux à une infection chronique à HP. Quelques cas ont été rapportés chez l’enfant. Ces lymphomes de bas grade peuvent dans certains cas régresser après simple éradication d’HP. Dyspepsie fonctionnelle Il s’agit d’un sujet très débattu depuis la découverte du rôle pathogène d’HP. Chez l’adulte, il existe une corrélation faible entre la dyspepsie et HP. Chez l’enfant, la relation entre dyspepsie et HP n’est pas claire. Les douleurs abdominales chroniques sont très fréquentes chez l’enfant, et leur classification difficile. Ces douleurs, lorsqu’elles sont modérées et non épigastriques ne semblent pas être un point d’appel pour rechercher et traiter HP. Ainsi, dans une des études citées, les enfants dyspeptiques étaient soulagés autant par l’éradication d’HP que par le placebo, et ce quelle que soit l’évolution d’une éventuelle gastrite. Les douleurs abdominales sévères amenant à consulter en milieu hospitalier et les douleurs épigastriques semblent cependant plus fréquemment associées à HP. Reflux gastro-œsophagien Certaines études ont montré une relation inverse entre présence d’HP et reflux pathologique, ainsi qu’une aggravation du reflux après éradication d’HP. Un des mécanismes possibles serait l’atrophie de la muqueuse antrale. Cependant les études sont contradictoires et peu ont été menées chez l’enfant. Cela ne doit pas influencer la décision de traitement d’éradication. Anémie ferriprive HP peut être associé à une anémie ferriprive, dont la résolution serait favorisée par l’éradication du germe. Plusieurs mécanismes sont évoqués : des saignements occultes, une diminution de l’absorption du fer par diminution de la sécrétion acide ou une utilisation du fer par la bactérie. Retard de croissance Même si les données sont contradictoires, certaines études soulignent un ralentissement de la croissance en taille et poids chez les enfants infectés, en particulier dans les mois suivant l’infection. Une diminution de l’apport calorique du fait de la dyspepsie pourrait être en cause. Purpura thrombopénique idiopathique Chez l’adulte, une relation entre l’éradication d’HP chez des patients infectés et l’amélioration du PTI (dans 50 % des cas ou plus) a été clairement établie. Plusieurs mécanismes ont été évoqués pour lier HP et PTI : parenté antigénique entre HP et plaquettes, interaction de HP avec le facteur Willebrand, rôle de l’inflammation chronique, voire rôle immunomodulateur des antibiotiques utilisés pour l’éradication. Chez l’enfant, les caractéristiques du PTI (guérison spontanée dans 30 % des cas versus 5 % chez l’adulte), ses mécanismes et les preuves du rôle d’HP dans le PTI sont différents. Quelques études discordantes de faibles effectifs ne permettent pas de conclure à l’intérêt de l’éradication pour améliorer le PTI chez l’enfant. Asthme et allergie Dans les pays développés, l’incidence de l’asthme augmente alors que celle d’HP diminue du fait de l’amélioration des conditions sociales et de l’hygiène. Certaines études suggèrent que le défaut d’exposition précoce à HP serait associé à une augmentation du risque d’asthme, de rhinite allergique et d’atopie cutanée. Le mécanisme ferait appel aux lymphocytes T régulateurs, plus nombreux dans la muqueuse gastrique en cas d’infection à HP. Cette relation mérite d’être établie plus avant par des études longitudinales. CONCLUSION L’infection à HP n’est associée à aucun symptôme spécifique chez l’enfant. HP doit être recherché en cas d’ulcère février 2011 page 83 duodénal ou gastrique, par endoscopie avec biopsies. Un dépistage de HP chez l’enfant serait utile dans les populations à risque de cancer gastrique, comme la famille au premier degré d’un patient atteint. La dyspepsie est fréquente ; il n’est pas établi que chercher et traiter HP devant ces symptômes ont un intérêt. Il n’est pas indiqué de rechercher systématiquement HP devant un PTI, un reflux gastro-œsophagien pathologique ou un retard de croissance. Chercher HP peut être indiqué devant une anémie ferriprive sans cause autre. Il n’y a pas assez d’éléments pour ne pas traiter une infection à HP dans la perspective de diminuer le risque ou la gravité d’un asthme ou d’allergie. QUESTIONS AU Pr F. GOTTRAND Quels enfants sont exposés en France à l’infection par HP ? Les enfants issus de l’immigration représentent le premier groupe en fréquence des enfants infectés dans notre pays. Il est clairement établi en effet que l’infection survient durant les trois à quatre premières années de la vie et est favorisée par un faible niveau socioéconomique et la promiscuité (nombre de frères et sœurs proches en âge dans la fratrie, nombre de personnes vivant sous le même toit/nombre de pièces du logement…). Dans un travail prospectif réalisé chez tous les enfants ayant eu une endoscopie digestive et chez qui l’infection avait été recherchée systématiquement, nous avions retrouvé une prévalence de l’infection de 5,1 % chez les enfants de parents français nés en France et de 17,1 % chez les enfants nés de parents étrangers [1]. Des études épidémiologiques faites dans d’autres pays européens retrouvent le même type de profil, avec par exemple une forte prévalence chez les enfants d’origine turque vivant en Allemagne. La deuxième population à risque dans notre pays est celle des enfants polyhandicapés vivant en institution. Nous Médecine & enfance avons pu démontrer dans cette population une prévalence (et une incidence !) très élevée chez ces enfants, là encore probablement favorisée par le contact étroit avec d’autres enfants infectés [2]. Devant quels symptômes faut-il rechercher HP chez l’enfant ? L’infection par HP n’est pas directement la cause des symptômes (en particulier des douleurs abdominales récurrentes), mais ce sont la gastrite ou l’ulcère (induits par HP) qui en sont responsables. La recherche d’HP n’est donc justifiée que chez les enfants présentant des signes digestifs évoquant une gastrite ou un ulcère, c’est-à-dire des douleurs abdominales de siège épigastrique, nocturnes, réveillant l’enfant, éventuellement associées à un amaigrissement, une hématémèse ou des vomissements. Un consensus pédiatrique actualisé conjoint entre les sociétés européenne et nord-américaine de gastropédiatrie à paraître réaffirme ces règles, déjà publiées par ces deux sociétés savantes il y a plus de dix ans [3, 4]. Comment faire le diagnostic ? Peut-on se contenter d’un test non invasif ? Le diagnostic repose sur l’endoscopie digestive haute, qui permet d’identifier les lésions de la muqueuse digestive et de poser le diagnostic d’infection à HP en associant au moins deux techniques : recherche du germe à l’histologie, test à l’uréase et idéalement culture avec antibiogramme. Les tests non invasifs (test respiratoire à l’urée marquée et recherche d’antigène d’HP dans les selles) ne sont indiqués que pour le contrôle de l’éradication. La sérologie n’a aucun intérêt en pratique clinique, car elle ne différencie pas un sujet infecté d’un sujet guéri. Faut-il toujours traiter si on diagnostique un HP chez l’enfant ? Comment ? Il y a un consensus pour traiter HP quand on l’a diagnostiqué, et aussi pour vérifier (par un test non invasif) son éradication six à huit semaines plus tard. L’évolution des symptômes ne permet pas en effet d’évaluer l’éradication d’HP et les schémas thérapeutiques actuels ne sont efficaces que dans 75 à 80 % des cas. Un traitement triple, associant un inhibiteur de la pompe à protons (IPP) à deux antibiotiques (amoxicilline, métronidazole ou clarithromycine) pendant 1 semaine à 10 jours est le schéma actuellement recommandé. Il doit être idéalement adapté aux données de l’antibiogramme, ce qui permet alors d’avoir des taux d’éradication de plus de 90 %. Plus récemment, des traitements séquentiels (IPP plus amoxicilline pendant 5 jours, puis IPP plus clarithromycine et/ou métronidazole pendant encore 5 jours) semblent aussi avoir donné de bons résultats, même si les études comparant ce nouveau schéma au schéma classique sont encore rares et peu concluantes [5]. Une conclusion sur l’étude de Pacifico et al. ? En dehors de la gastrite et de l’ulcère gastrique et duodénal, où les liens de causalité avec HP sont démontrés, il faut à mon avis être très dubitatif vis-àvis des manifestations extradigestives. Les preuves de telles associations restent à apporter, alors que depuis quinze ans ces sujets ont fait l’objet de nombreuses études. Des associations entre HP, croissance et état nutritionnel sont rapportées dans des études transversales ou observationnelles, mais elles s’expliquent très probablement par les mêmes facteurs socio-économiques défavorables, plutôt que par une relation de cause à effet. Les relations avec le RGO ne sont pas convaincantes et ne reposent pas chez l’enfant sur l’hypothèse que la gastrite atrophique induite par HP « protège » du RGO, puisque l’atrophie gastrique et l’hypochlorhydrie sont exceptionnelles chez l’enfant [6]. Seule l’anémie ferriprive rebelle au traitement me semble raisonnablement justifier la recherche et le traitement d’HP, car plusieurs études d’intervention sont convaincantes, même si un travail, publié récemment dans Gastroenterology, réalisé chez 200 enfants au Bengladesh et méthodologiquement irréprochable ne montre pas de bénéfice du traitement de l’infection à HP pour la correction de l’anémie par carence en fer [7]. 첸 Références [3] DRUMM B., KOLETZKO S., ODERDA G. : « Helicobacter pylori infection in children : a consensus statement. European Paediatric Task Force on Helicobacter pylori », J. Pediatr. Gastroenterol. Nutr., 2000 ; 30 : 207-13. [4] GOLD B.D., COLLETTI R.B., ABBOTT M., CZINN S.J., ELITSUR Y., HASSALL E., MACARTHUR C., SNYDER J., SHERMAN P.M. ; NORTH AMERICAN SOCIETY FOR PEDIATRIC GASTROENTEROLOGY AND NUTRITION : « Helicobacter pylori infection in children : recommendations for diagnosis and treatment », J. Pediatr. Gastroenterol. Nutr., 2000 ; 31 : 490-7. [5] GATTA L., VAKIL N., LEANDRO G., DI MARIO F., VAIRA D. : « Sequential therapy or triple therapy for Helicobacter pylori infection : systematic review and meta-analysis of randomized controlled trials in adults and children », Am. J. Gastroenterol., 2009 ; 104 : 3069-79. [6] DIMITROV G., GOTTRAND F. : « Does gastric atrophy exist in children ? », World J. Gastroenterol., 2006 ; 12 : 6274-9. [7] SARKER S.A., MAHMUD H., DAVIDSSON L., ALAM N.H., AHMED T., ALAM N., SALAM M.A., BEGLINGER C., GYR N., FUCHS G.J. : « Causal relationship of Helicobacter pylori with iron-deficiency anemia or failure of iron supplementation in children », Gastroenterology, 2008 ; 135 : 1534-42. [1] WIZLA-DERAMBURE N., MICHAUD L., ATEGBO S., VINCENT P., GANGA-ZANDZOU S., TURCK D., GOTTRAND F. : « Familial and community environmental risk factors for Helicobacter pylori infection in children and adolescents », J. Pediatr. Gastroenterol. Nutr., 2001 ; 33 : 58-63. [2] LAPORTE R., PERNES P., PRONNIER P., GOTTRAND F., VINCENT P. : « Acquisition of Helicobacter pylori infection after outbreaks of gastroenteritis : prospective cohort survey in institutionalised young people », BMJ, 2004 ; 329 : 204-5. février 2011 page 84