thématique Dossier La neuropathie urogénitale du sujet diabétique Diabetic urogenital neuropathy

publicité
Dossier
thématique
>>>
La neuropathie urogénitale du sujet diabétique
Diabetic urogenital neuropathy
Xavier Gamé*, Sébastien Fontaine**
points FORTS
▲ Les troubles vésicosphinctériens sont fréquents au cours de l’évolution
du diabète. Ils apparaissent habituellement après au moins 10 ans d’évolution.
▲ Ils se manifestent soit par la perte ou la diminution de la sensation de
besoin, des mictions qui sont moins fréquentes, une dysurie (gêne à la
miction, sensation de vidange vésicale incomplète), soit par une hyperactivité vésicale (pollakiurie, nycturie et urgenturie), soit par des infections
urinaires récidivantes.
▲ La stratégie thérapeutique dépend du type de dysfonctionnement mis
en évidence. Elle a pour objectifs de traiter les symptômes, de préserver
la fonction rénale, de prévenir des infections urinaires, et d’assurer une
continence satisfaisante ainsi qu’une bonne vidange vésicale.
▲ La dysérection est une pathologie fréquente chez les patients diabétiques. Elle est très souvent négligée et sous-évaluée. D’origine fréquemment multifactorielle, elle s’accompagne toujours d’un retentissement
psychique.
▲ L’existence d’une dysérection non traitée retentit significativement sur
la qualité de vie et s’associe fréquemment à une dégradation de l’équilibre
glycémique ainsi qu’à un risque majoré de complications.
▲ Des moyens thérapeutiques efficaces et de plus en plus simples d’utilisation (inhibiteurs de la phosphodiestérase 5, injections intracaverneuses)
sont disponibles pour la prise en charge des troubles érectiles chez le sujet
diabétique.
Mots-clés : Vessie neurologique – Dysfonction érectile – Diabète –
Neuropathie.
Keywords: Neurogenic bladder – Erectile dysfunction – Diabetes mellitus – Neuropathy.
L’
* Service d’urologie, transplantation rénale et
andrologie, CHU Rangueil, Toulouse.
** Service de diabétologie, maladies métaboliques et nutrition, CHU Rangueil, Toulouse.
216
atteinte du système nerveux
autonome est une complication fréquente au cours de
l’évolution du diabète. Elle peut être
responsable de multiples dysfonctionnements dans l’organisme. Au
niveau de l’appareil génito-urinaire,
elle se manifeste par des troubles
Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (XI), n° 5, septembre-octobre 2007
vésicosphinctériens et des troubles
de la sexualité. Ces troubles ont
deux types de conséquences : la survenue de complications graves telles
qu’une détérioration du haut appareil urinaire, et une altération de la
qualité de vie secondaire à l’incontinence urinaire ou aux troubles de la
sexualité. Ces complications du diabète ne sont donc pas à méconnaître et doivent être systématiquement
recherchées. L’objectif de cet article
est de décrire les particularités cliniques, les modes de présentation
ainsi que les moyens d’évaluation et
de prise en charge de la neuropathie
autonome génito-urinaire.
La neuropathie autonome
vésicale
Les troubles vésicosphinctériens sont
fréquents au cours de l’évolution
du diabète. Leur prévalence reste
encore assez imprécise, puisque les
taux rapportés varient de 27 à 85 %
(1). Classiquement, ils apparaissent après au moins 10 ans d’évolution du diabète. Ont cependant
été rapportés des cas de survenue
précoce de ces troubles (2). Le sexe,
le type de diabète et l’âge ne sont
pas des facteurs influant la survenue
de l’atteinte vésicosphinctérienne.
En revanche, l’ancienneté et la sévérité de l’hyperglycémie chronique la
favorisent. Ainsi, les patients traités
par hypoglycémiants oraux ou par
insuline ont trois à quatre fois plus
de risques de survenue d’infections
urinaires récidivantes que les sujets
non diabétiques (3).
Les troubles vésicosphinctériens
du diabète ne sont pas univoques
en termes d’expression clinique
et d’évolution, ce qui rend leur
diagnostic et les décisions thérapeutiques parfois difficiles (4). Cet éclectisme a comme support une grande
hétérogénéité dans l’atteinte de
l’innervation vésicosphinctérienne.
Peuvent de plus se surajouter, dans
la genèse de ces troubles, l’effet du
vieillissement et celui d’autres pathologies plus communes telles que les
séquelles de lésions gynéco-obstétricales chez la femme ou une hypertrophie de la prostate bénigne chez
l’homme. Ces troubles vésicosphinctériens ne doivent pas être méconnus,
car ils ont un impact sur la survie des
patients et sont responsables d’une
altération de la qualité de vie.
✓ Le deuxième type de neuropathie
est la mononeuropathie ou multineuropathie (12 % des cas). Le tableau
clinique est marqué par un début le
plus souvent brutal, avec un déficit
moteur prédominant, volontiers asymétrique ;
✓ Bien entendu, la neuropathie
végétative viscérale du sujet diabétique contribue également largement
aux troubles vésicosphinctériens
(7, 8). D’autres contingents du système nerveux autonome peuvent être
simultanément affectés. La recherche
d’anomalies de la commande cardiovasculaire et de troubles digestifs
L’atteinte du système nerveux
responsable des troubles vésicosphinctériens du patient diabétique
peut siéger à différents niveaux de
la commande neurologique. Ainsi,
quatre types de neuropathies associées au diabète peuvent contribuer
aux troubles urinaires (1, 6) :
✓ L’atteinte la plus fréquente (60 %
des cas) est la polyneuropathie distale et symétrique. Aux troubles
vésicosphinctériens vont s’associer
les signes distaux classiques (signes
fonctionnels, aréflexie et déficits
principalement sensitifs), bilatéraux
et généralement symétriques ;
Centre détrusien
thématique
Dossier
Centre sphinctérien
Centre limbique
Rappels physiopathologiques
Le bon fonctionnement de l’appareil
vésicosphinctérien impose l’intégrité du système nerveux central et
périphérique, somatique et neurovégétatif, qui assure l’innervation des
structures anatomiques, mais aussi la
régulation et le contrôle du fonctionnement du bas appareil urinaire. C’est
à cette seule condition que la motricité vésicosphinctérienne peut assurer
l’alternance des phases de remplissage
(continence) et de vidange (miction)
par des phénomènes d’activation et
de désactivation de fibres musculaires
lisses ou striées, présentes dans les
différentes structures anatomiques.
Si la miction est sous le contrôle de
la volonté, elle est préparée de façon
automatique lors de la continence par
une veille sensitive progressive qui ne
s’impose que lorsque la capacité vésicale atteint sa réplétion ou lorsque
des conditions sociales le nécessitent
(5). Ce contrôle, assuré uniquement
par le système nerveux, repose sur le
système nerveux périphérique reliant
la vessie et les sphincters urétraux
aux structures nerveuses hiérarchisées, plus ou moins individualisées et
situées à différents étages du névraxe
(figure 1).
PONT
M
L
TH 10
L2
Noyau
d’Onuf
S2
S3
S4
Centre orthosympathique
Centre parasympathique
Nerf pelvien
Noyau présacral
Plexus hypogastrique
Nerf pudendal
Figure 1. Contrôle neurologique de l’appareil vésicosphinctérien.
Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (XI), n° 5, septembre-octobre 2007
217
Dossier
thématique
revêt donc un intérêt indéniable lors
de l’enquête étiologique ;
✓ Les troubles vésicosphinctériens
du sujet diabétique peuvent aussi
être secondaires à une atteinte du
système nerveux central (2, 9). Cette
dernière peut siéger au niveau de
l’encéphale ou au niveau médullaire
et être responsable d’une altération
des voies de la sensibilité ou de la
motricité.
Enfin, ces différents types d’atteinte
du système nerveux peuvent également être associés.
Les manifestations cliniques
Les troubles vésicosphinctériens
d’origine diabétique ont habituellement un début insidieux et passent
le plus souvent inaperçus jusqu’à un
stade avancé. Les premiers signes
se rapportent classiquement à la
diminution de la sensibilité vésicale. Ils se manifestent par la perte
ou la diminution de la sensation de
besoin, des mictions qui sont moins
fréquentes, une diminution du jet
urinaire, des difficultés à initier la
miction, une incontinence par regorgement et une sensation de vidange
vésicale incomplète. L’ensemble
de ces symptômes était auparavant
regroupé sous le terme de cystopathie diabétique (10).
Il apparaît cependant que, dans
un nombre significatif de cas, les
patients présentent une pollakiurie,
une nycturie et une urgenturie. L’ensemble de ces symptômes constitue
l’hyperactivité vésicale. La pollakiurie est définie par un nombre de
mictions supérieur à 8 par 24 heures.
L’urgenturie est définie comme la
survenue d’un désir soudain, impérieux et fréquemment irrépressible
d’uriner. Ces symptômes peuvent être
associés à une incontinence urinaire
par hyperactivité vésicale. Les fuites
sont alors secondaires à un besoin
irrépressible. Le délai de sécurité est
diminué, inférieur à deux minutes.
D’autres manifestations cliniques de
l’atteinte neurologique de l’appareil
vésicosphinctérien sont les infections
218
urinaires récidivantes. Le nombre
d’infections urinaires doit être
supérieur à quatre par an pour que
celles-ci soient considérées comme
récidivantes. De plus, les patients
diabétiques ont une prévalence
élevée de bactériurie asymptomatique. Ainsi, chez la femme diabétique, la prévalence de la bactériurie
asymptomatique est deux à trois
supérieure à celle observée dans la
population générale et représente un
marqueur de risque de complications
(11). Pour les patients présentant
un diabète de type 2, la bactériurie
asymptomatique constitue un facteur
de risque de survenue d’une infection urinaire symptomatique (12).
Pour les patients ayant un diabète
de type 1, elle constitue un facteur
de risque de survenue d’une pyélonéphrite et d’une altération de la
fonction rénale (13).
Quand et comment rechercher
une neuropathie autonome
vésicale ?
Lorsque les troubles mictionnels
sont au premier plan, leur diagnostic
est facile à établir. Cependant, les
signes cliniques peuvent être discrets
et ne pas attirer l’attention. Dans la
série de Ueda et al., sur 53 patients
diabétiques n’ayant pas de plainte
fonctionnelle, des signes cliniques
ont été révélés par l’interrogatoire
dans 40 % des cas. Tous ces patients
symptomatiques avaient des altérations urodynamiques. De plus,
parmi les patients qui n’avaient pas
de trouble clinique, tous présentaient
des altérations urodynamiques, par
comparaison aux sujets témoins (2).
Il apparaît donc que les troubles
urinaires doivent être systématiquement recherchés par l’interrogatoire
à chaque consultation, en particulier
après 10 ans d’évolution et chez les
patients présentant des complications
autres de leur diabète, en particulier
en cas d’atteinte du système nerveux.
Une évaluation de la fonction urinaire
doit être réalisée devant toute suspicion de trouble vésicosphinctérien,
en cas d’infections urinaires récidivantes, de pyélonéphrite, d’incontinence urinaire et de vessie palpable
à l’examen clinique.
Lorsque le diagnostic est évoqué,
différents examens complémentaires
devront être proposés (tableau).
Cette évaluation doit comprendre une
étude de la fonction rénale (créatininémie, mesure de la clairance de la
créatinine sur 24 heures), un examen
cytobactériologique des urines,
une échographie rénovésicale avec
mesure du résidu postmictionnel. En
cas d’anomalie de ce premier bilan
ou en cas d’infections urinaires
récidivantes, de pyélonéphrite ou
d’incontinence urinaire, le patient
doit être adressé à un urologue. Un
bilan urodynamique sera réalisé. Il
permettra de déterminer avec précision le fonctionnement de l’appareil
vésicosphinctérien. De plus, un catalogue mictionnel sera demandé afin
de déterminer le nombre de mictions
sur 24 heures, la diurèse, le volume
uriné maximal, la survenue de fuites,
leur nombre. Un examen neurologique périnéal évaluant la sensibilité périnéale, le tonus sphinctérien
et les réflexes bulbocaverneux sera
pratiqué. Enfin, l’urologue pourra
distinguer les troubles mictionnels
Tableau. Bilan à réaliser devant des troubles vésicosphinctériens chez un sujet diabétique
ou en cas de suspicion de tels troubles.
Examens systématiques
Bilan urologique
Étude de la fonction rénale
Examen cytobactériologique des urines
Échographie rénovésicale avec mesure du
résidu postmictionnel
Examen neurologique périnéal
Catalogue mictionnel
Bilan urodynamique
± examen gynécologique, examen prostatique, dosage PSA total sérique
Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (XI), n° 5, septembre-octobre 2007
liés au diabète de ceux liés à d’autres
pathologies telles que l’hypertrophie
bénigne de la prostate, l’incontinence urinaire d’effort, les troubles
de la statique pelvienne, etc.
Quelle prise en charge
thérapeutique ?
La stratégie thérapeutique dépendra
du type de dysfonctionnement mis en
évidence. Elle aura pour objectifs de
traiter les symptômes, de préserver
la fonction rénale, de prévenir des
infections urinaires ainsi que d’assurer une continence satisfaisante et
une bonne vidange vésicale. Dans
tous les cas, la prévention et le traitement des troubles vésicosphinctériens nécessitent une prise en charge
optimale du diabète.
En cas d’hyperactivité vésicale, le
traitement repose sur la prise d’anticholinergiques tels que l’oxybutynine ou le chlorure de trospium.
Ces traitements sont très efficaces
mais peuvent parfois être mal tolérés
(bouche sèche, constipation, troubles de la vision, altération des fonctions supérieures chez le sujet âgé
pour l’oxybutynine). En cas d’échec
ou d’intolérance à ce type de traitement, une neuromodulation des
racines sacrées postérieures pourra
être proposée par l’urologue.
En cas d’infections urinaires récidivantes, la stratégie repose sur la prise
en charge adaptée des troubles vésicosphinctériens (vidange vésicale
complète, absence d’hyperpression
intravésicale). L’intérêt du dépistage
et du traitement systématiques de la
bactériurie asymptomatique n’a pas
été démontré. Ainsi, cette attitude ne
semble pas avoir d’impact positif sur
la survenue des infections urinaires
et sur la fréquence des hospitalisations (14). En revanche, en cas d’infections urinaires récidivantes, un
traitement antibiotique prophylactique peut être mis en place (15).
En cas d’altération de la sensibilité
vésicale, le traitement repose sur
une rééducation comportementale.
Le patient doit apprendre à uriner
à heure fixe. Afin de déterminer les
heures de mictions, il s’aidera de son
catalogue mictionnel. Enfin, en cas
de troubles de la vidange vésicale,
aucun traitement médicamenteux
n’a fait preuve d’efficacité à ce jour.
Par conséquent, seule la réalisation
de cathétérismes intermittents pourra
être proposée au patient.
Conséquences génitales
de la neuropathie
végétative
La survenue d’une dysérection est
un phénomène fréquent au cours de
l’évolution du diabète, touchant au
final près de 50 % des patients. La
prévalence des troubles de l’érection varie en réalité beaucoup d’une
étude à l’autre (28 à 85 % des sujets)
en fonction des caractéristiques des
populations étudiées (âge, ancienneté du diabète, type de questionnaire utilisé, etc.). En dépit de la
fréquence élevée de ces troubles, il
existe de façon indéniable un déficit
important concernant le dépistage, et
donc la prise en charge des patients
concernés, la dysérection restant le
plus souvent méconnue et négligée
(16, 17). Le retentissement de la
dysérection est pourtant significatif,
d’abord sur le plan psychique, puis
d’un point de vue organique, s’associant fréquemment à une dégradation de l’équilibre glycémique et
à un risque majoré de complications
(18, 19).
Chez l’homme diabétique, la neuropathie urogénitale peut également
être responsable d’un syndrome
d’éjaculation rétrograde. Il s’agit
d’un reflux du sperme vers la vessie
au moment de l’éjaculation. La
conséquence directe est la survenue
d’une infertilité masculine. Le
spermogramme montre alors une
oligospermie et un volume abaissé
de l’éjaculat. Les marqueurs séminaux prostatiques sont diminués. Le
diagnostic est établi après recherche
de spermatozoïdes dans les urines.
Les spermatozoïdes contenus dans la
vessie peuvent être récupérés après
alcalinisation pour être éventuellement utilisés en insémination intrautérine. Un traitement médical par
midodrine peut parfois être proposé
pour renforcer le sphincter vésical
et éviter le reflux, mais les résultats
restent souvent décevants.
Longtemps négligées, les conséquences complexes de la neuropathie autonome sur la fonction
sexuelle féminine sont actuellement
reconnues, bien qu’elles restent mal
définies. Ont ainsi été rapportés un
risque supérieur de troubles de la
lubrification, des perturbations de
l’excitation et des difficultés plus
importantes d’obtention de l’orgasme chez des patientes diabétiques présentant une neuropathie
végétative. Bien que les traitements
proposés jusqu’à présent se soient
montrés peu convaincants, plusieurs
études sont en cours, visant à mieux
comprendre les anomalies en cause,
et à élaborer secondairement des
propositions thérapeutiques (20-22).
Dans l’attente de ces données, nous
focaliserons ici notre propos sur
les conséquences de la neuropathie
végétative sur la fonction érectile
chez l’homme diabétique.
thématique
Dossier
Rappels physiopathologiques
L’érection correspond à un phénomène vasculaire responsable du
passage des organes érectiles de
l’état de flaccidité à l’état de turgescence. Influencé par l’environnement
hormonal, qui peut être facilitant ou
à l’inverse limitant, ce phénomène
est sous la dépendance d’un double
contrôle neurologique :
✓ périphérique, par le système nerveux autonome (parasympathique
au niveau de la moelle sacrée, orthosympathique au niveau de la moelle
dorso-lombaire) ;
✓ central, par l’influence des centres supérieurs corticaux.
Le déclenchement de l’érection
passe impérativement par une stimu-
Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (XI), n° 5, septembre-octobre 2007
219
Dossier
thématique
lation sensorielle initiale, suivie par
une cascade d’activation de neuromédiateurs responsable d’une libération de GMPc et d’une ouverture
des canaux calciques des muscles
lisses caverneux. Le flux sanguin
se fait ensuite vers les corps caverneux, aboutissant à la turgescence
puis, secondairement, à un blocage
du retour veineux conduisant à
l’érection.
Orientation étiologique
L’identification des mécanismes
physiopathologiques responsables
des troubles érectiles est une étape
fondamentale qui guidera secondairement la stratégie thérapeutique.
La neuropathie contribue de façon
claire à la physiopathologie de la
dysérection chez le sujet diabétique.
Le mécanisme implique la dégradation des nerfs pelviens et génitaux périphériques et autonomes
impliqués dans la transmission de
l’information nerveuse faisant suite
à la stimulation sensorielle. La
concentration des neuromédiateurs
et leurs effets sur les récepteurs
caverneux sont diminués, avec pour
conséquence un mauvais contrôle de
l’ouverture des canaux calciques et
donc de l’érection.
Il est cependant primordial de
rappeler que la dysérection est le
plus souvent, sinon toujours, d’origine multifactorielle, ce qui justifie
de rechercher systématiquement
l’existence de facteurs étiologiques
associés à la neuropathie :
✓ L’artériopathie peut engendrer
ou aggraver la dysérection par différents niveaux d’atteinte.
Les lésions des artères de moyen et
gros calibres, par leur localisation
(carrefour aortobifémoral, artères
iliaques, artères honteuses internes),
peuvent entraîner des sténoses limitant le remplissage complet des corps
caverneux et le blocage veineux qui
s’ensuit. La dysérection est dans ce
contexte souvent sévère, et le traitement passe impérativement par un
geste de revascularisation lorsque
220
celui-ci est réalisable. La microcirculation pénienne peut également
être affectée. Cette atteinte des
petites artères génère habituellement
une dysérection plus partielle mais
échappe à toute possibilité de revascularisation. Le traitement passe par
un contrôle le plus strict possible de
l’équilibre glycémique et des facteurs
de risque cardiovasculaire, associé
aux injections intracaverneuses tant
que celles-ci restent efficaces ;
✓ Facteurs iatrogènes : plusieurs
médicaments peuvent influencer la
fonction érectile, soit d’une façon
directe, soit d’une façon générale.
Les plus fréquemment rencontrés
sont les bêtabloquants, les psychotropes (antidépresseurs, anxiolytiques, sédatifs), certaines chimiothérapies, les agonistes de la LH-RH et
les antiandrogènes ;
✓ Facteurs psychogènes : le bilan
d’une dysérection passe systématiquement par une évaluation psychologique et sexologique. Ce facteur
aggravant est très fréquemment présent et doit être pris en compte. Les
symptômes principaux sont la perte
de confiance en soi et l’anxiété de
performance. Ces troubles peuvent
facilement conduire à la dépression
et sont souvent responsables d’une
plus grande instabilité glycémique.
Les difficultés conjugales doivent
également être mises en évidence
lors de l’évaluation initiale ;
✓ Facteurs hormonaux : toutes les
causes d’hypogonadisme peuvent
affecter la fonction érectile ;
✓ Autres facteurs : la fibrose des
corps caverneux (maladie de Lapeyronie), l’alcoolisme, les chirurgies
prostatiques.
Comment explorer les
troubles de l’érection du sujet
diabétique ?
L’interrogatoire est la première étape
de l’évaluation. Il apprécie l’importance de la dysérection (déclenchement, rigidité, durée), la persistance
ou non d’érections spontanées
nocturnes (et au réveil), le contexte
Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (XI), n° 5, septembre-octobre 2007
psychologique général. L’examen
clinique doit comporter : un examen
neurologique des membres inférieurs et éventuellement du périné,
une palpation et une auscultation
des artères périphériques, un examen
des organes génitaux externes, la
recherche d’autre signes d’hypogonadisme (gynécomastie, pilosité,
morphotype). Sur le plan hormonal,
un dosage de la testostérone totale et
éventuellement, dans un deuxième
temps, de la testostérone biodisponible, des gonadotrophines et de
la prolactine fait partie du bilan de
première intention. Une évaluation
sexologique doit compléter le bilan
clinique, ainsi qu’un avis urologique, en particulier en cas d’aspect
de fibrose caverneuse.
En fonction du contexte et de l’orientation clinique initiale, différents
examens complémentaires peuvent
être demandés : électromyographie
(EMG) périnéale, écho-doppler des
artères péniennes avec test par injection intracaverneuse de prostaglandine. Évoquant une participation
neurologique, l’examen clinique
retrouve fréquemment des signes de
neuropathie périphérique (réflexe
ostéo-tendineux abolis, hypoesthésie distale). Les réflexes génitaux
(bulbocaverneux et anobulbaire) et
la sensibilité périnéoscrotale peuvent
également être altérés. L’EMG périnéale n’est pas systématique et n’est
réservée qu’à des situations de doute
clinique persistant en l’absence de
cause évidente retrouvée lors de
l’évaluation initiale. En fonction des
données cliniques, un test pharmacologique utilisant les inhibiteurs de
la phosphodiestérase 5 (IPDE5) est
souvent utilisé pour évaluer la réactivité de la cascade proérectile.
Prise en charge thérapeutique
de la dysérection
Avant d’aborder le recours aux traitements spécifiques, il est impératif
de rappeler que la qualité du contrôle
glycémique et de la maîtrise des
facteurs de risque associés représente
un facteur déterminant pour contribuer à l’amélioration des symptômes génitaux. De même, nous ne
reviendrons pas ici sur la nécessité
d’une prise en charge psychologique ou d’un geste de revascularisation pelvienne lorsque la situation
clinique l’impose.
✓ Les inhibiteurs de la phosphodiestérase 5 (IPDE5) inhibent la
dégradation du GMPc et potentialisent donc les capacités de vasodilatation. Ces traitements présentent certaines limites d’utilisation. Ils sont en
particulier contre-indiqués en association aux érivés nitrés et aux antiprotéases. Ils sont également déconseillés dans les situations cliniques
suivantes : insuffisance cardiaque,
coronaropathie mal équilibrée, insuffisance rénale chronique, drépanocytose, maladie de Lapeyronie…
Leurs principaux effets indésirables
sont la survenue de céphalées, de
flushs, d’une dyspepsie, etc.
Trois molécules sont actuellement
sur le marché. Le sildénafil (Viagra®,
comprimés à 25, 50 et 100 mg,
commercialisé depuis novembre
1998) a fait preuve de son efficacité dans la population générale
(amélioration de la dysérection chez
82 % des sujets à la posologie de
100 mg) et chez le patient diabétique
(amélioration de la dysérection chez
65 % des sujets à la posologie de
100 mg) [23]. Le tadalafil (Cialis®,
comprimés à 10 et 20 mg, commercialisé depuis 2003) permet d’améliorer les troubles érectiles chez 81 %
des sujets dans la population générale
et chez 64 % des sujets diabétiques à
la posologie de 20 mg (24). Enfin,
le vardénafil (Levitra®, comprimés
à 10 et 20 mg, également mis sur le
marché en 2003) a un impact favorable chez 85 % des sujets non diabétiques et 72 % des sujets diabétiques
à la dose de 20 mg (25).
✓ Injections intracaverneuses (26).
Il s’agit de l’administration directe
dans le corps caverneux d’une prostaglandine (PGE1) responsable d’une
vasodilatation permettant l’afflux
sanguin (figure 2A). L’efficacité de
cette stratégie est supérieure à celles
utilisant les IPDE5 dans tous les types
de dysérection sauf en cas d’atteinte
vasculaire sévère. Cette technique
nécessite une éducation spécialisée
pour l’autoapprentissage des injections, qui peuvent faire l’objet d’un
rejet de la part du patient. Ces injections sont cependant le plus souvent
indolores et les risques restent limités
avec les molécules et les posologies
actuellement utilisées (fibroses aux
points d’injection, priapisme).
✓ Prothèses péniennes (27). La
chirurgie d’implantation d’une prothèse pénienne est réservée à des
situations d’échec des autres traitements aux doses maximales, car
il s’agit d’un traitement définitif
et irréversible (figure 2B). Il est
donc impératif d’optimiser la prise
en charge préalable, de fournir des
informations complètes au patient
quant aux bénéfices, contraintes et
risques du dispositif, et de laisser un
temps de réflexion suffisant avant la
prise de décision. Cet appareillage
permet le déclenchement mécanique de l’érection par le patient. Les
résultats sont variables en termes de
satisfaction des patients. En effet, si
les rapports sexuels sont de nouveau
possibles, les sensations s’avèrent
différentes de celles induites par le
mécanisme naturel de l’érection.
✓ Autres moyens thérapeutiques. Plusieurs alternatives ont été
proposées au cours des dernières
décennies pour améliorer la fonction
érectile des sujets diabétiques : admi-
nistration orale (yohimbine, apomorphine), application intra-urétrale de
prostaglandine (Muse®), utilisation
de vaccum générant un appel de sang
dans les corps caverneux par une
action mécanique de pression négative, etc. Cependant, aucune de ces
stratégies n’a pu clairement démontrer son efficacité dans le cadre de la
dysérection du patient diabétique, ce
qui justifie le choix préférentiel des
IPDE5 et des injections intracaverneuses dans cette indication.
thématique
Dossier
Conclusion
Les troubles vésicosphinctériens et
sexuels sont fréquents au cours de
l’évolution du diabète. Une recherche
systématique de ces troubles doit
être régulièrement effectuée, fondée
sur l’interrogatoire et la réalisation d’examens complémentaires
simples. La mise en évidence d’un
trouble de la fonction vésicale ou
génitale doit impérativement déboucher sur la mise en place immédiate
d’une prise en charge thérapeutique
spécifique afin d’éviter l’aggravation de ces troubles et la survenue
de complications. En particulier, le
traitement de la neuropathie vésicale a pour objectif de traiter les
symptômes, de préserver la fonction
rénale, de prévenir des infections
urinaires ainsi que d’assurer une
continence satisfaisante et une bonne
■
vidange vésicale.
Réservoir
Cylindre
A
B
Pompe
Figure 2. Représentation schématique de la réalisation des injections intracaverneuses (A) et
du dispositif de prothèse pénienne (B).
Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (XI), n° 5, septembre-octobre 2007
221
Dossier
thématique
Références bibliographiques
1. Chartier-Kastler E, Robain G, Mozer P, Ruffion A. Troubles vésicosphinctériens et diabète
sucré. Prog Urol 2007;17:371-8.
2. Ueda T, Yoshimura N, Yoshida O. Diabetic
cystopathy: relationship to autonomic neuropathy detected by sympathetic skin response. J Urol
1997;157:580-4.
3. Boyko EJ, Fihn SD, Scholes D, Chen CL, Normand EH, Yarbro P. Diabetes and the risk of acute
urinary tract infection among postmenopausal
women. Diabetes Care 2002;25:1778-83.
4. Sasaki K, Yoshimura N, Chancellor MB. Implications of diabetes mellitus in urology. Urol Clin
North Am 2003;30:1-12.
5. Parratte B, Bonniaud V, Tatu L, Lepage D,
Vuillier F. Bases anatomo-fonctionnelles du bas
appareil urinaire. Prog Urol 2007;17:331-5.
6. Vinik AI, Mehrabyan A. Diagnosis and management of diabetic autonomic neuropathy. Compr
Ther 2003;29:130-45.
7. Sundin T, Dahlstrom A. The sympathetic innervation of the urinary bladder and urethra in the
normal state and after parasympathetic denervation at the spinal root level. An experimental study
in cats. Scand J Urol Nephrol 1973;7:131-49.
8. Vinik AI, Freeman R, Erbas T. Diabetic autonomic neuropathy. Semin Neurol 2003;23:365-72.
9. Rapidi CA, Karandreas N, Katsifotis C, Benroubi M, Petropoulou K, Theodorou C. A combined
urodynamic and electrophysiological study of diabetic cystopathy. Neurourol Urodyn 2006;25:32-8.
10. Frimodt-Moller C. Diabetic cystopathy: epidemiology and related disorders. Ann Intern Med
1980;92:318-21.
11. Brown JS, Wessells H, Chancellor MB et al.
Urologic complications of diabetes. Diabetes Care
2005;28:177-85.
12. Geerlings SE, Stolk RP, Camps MJ, Netten PM,
Collet TJ, Hoepelman AI. Risk factors for symptomatic urinary tract infection in women with diabetes. Diabetes Care 2000;23:1737-41.
13. Geerlings SE, Stolk RP, Camps MJ et al.
Consequences of asymptomatic bacteriuria in
women with diabetes mellitus. Arch Intern Med
2001;161:1421-7.
14. Harding GK, Zhanel GG, Nicolle LE,
Cheang M. Antimicrobial treatment in diabetic
women with asymptomatic bacteriuria. N Engl J
Med 2002;347:1576-83.
15. Goldman HB, Appell RA. Voiding dysfunction
in women with diabetes mellitus. Int Urogynecol J
Pelvic Floor Dysfunct 1999;10:130-3.
16. Feldman HA, Goldstein I, Hatzichristou DG,
Krane RJ, McKinlay JB. Impotence and its medical
and psychosocial correlates: results of the Massachusetts Male Aging Study. J Urol 1994;151:54-61.
17. Klein R, Klein BE, Lee KE, Moss SE, Cruickshanks KJ. Prevalence of self-reported erectile dysfunction in people with long-term IDDM. Diabetes
Care 1996;19:135-41.
18. De Berardis G, Franciosi M, Belfiglio M et al.
Erectile dysfunction and quality of life in type 2
diabetic patients: a serious problem too often overlooked. Diabetes Care 2002;25:284-91.
19. McCulloch DK, Young RJ, Prescott RJ, Campbell IW, Clarke BF. The natural history of impotence
in diabetic men. Diabetologia 1984;26:437-40.
20. Basson R, Berman J, Burnett A et al. Report
of the international consensus development conference on female sexual dysfunction: definitions and
classifications. J Urol 2000;163:888-93.
21. Bhasin S, Enzlin P, Coviello A, Basson R.
Sexual dysfunction in men and women with endocrine disorders. Lancet 2007;369:597-611.
22. Caruso S, Rugolo S, Agnello C, Intelisano G,
Di Mari L, Cianci A. Sildenafil improves sexual
functioning in premenopausal women with type 1
diabetes who are affected by sexual arousal disorder: a double-blind, crossover, placebo-controlled
pilot study. Fertil Steril 2006;85:1496-501.
23. Stuckey BG, Jadzinsky MN, Murphy LJ et al.
Sildenafil citrate for treatment of erectile dysfunction in men with type 1 diabetes: results of
a randomized controlled trial. Diabetes Care
2003;26:279-84.
24. Saenz de Tejada I, Anglin G, Knight JR,
Emmick JT. Effects of tadalafil on erectile dysfunction in men with diabetes. Diabetes Care
2002;25:2159-64.
25. Goldstein I, Young JM, Fischer J, Bangerter K,
Segerson T, Taylor T. Vardenafil, a new phosphodiesterase type 5 inhibitor, in the treatment of erectile dysfunction in men with diabetes: a multicenter
double-blind placebo-controlled fixed-dose study.
Diabetes Care 2003;26:777-83.
26. Heaton JP, Lording D, Liu SN et al. Intracavernosal alprostadil is effective for the treatment
of erectile dysfunction in diabetic men. Int J Impot
Res 2001;13:317-21.
27. Montague DK, Angermeier KW. Penile
prosthesis implantation. Urol Clin North Am
2001;28:355-61.
Auto-test
1. Les troubles vésicosphinctériens peuvent survenir dès les premières années d’évolution du diabète.
a. Vrai
b. Faux
2. Les troubles vésicosphinctériens présentés par les patients diabétiques se manifestent uniquement sous la forme
d’une diminution de la sensibilité vésicale et/ou d’une rétention chronique d’urine plus ou moins associée à des
infections urinaires récidivantes.
a. Vrai
b. Faux
3. L’artériopathie est la cause la plus fréquente de dysérection chez le patient diabétique.
a. Vrai
b. Faux
Réponses :
1a. Même si les troubles vésicosphinctériens surviennent classiquement après 10 ans d’évolution du diabète, ils
peuvent parfois apparaître très précocement.
2b. Les troubles vésicosphinctériens peuvent se manifester certes par des troubles de la sensibilité et de la vidange
vésicale ou par des infections urinaires récidivantes, mais aussi par une hyperactivité vésicale (pollakiurie, nycturie
et urgenturie).
3b. La dysérection est le plus souvent, sinon toujours, d’origine multifactorielle : neuropathie, artériopathie et troubles
psychiques peuvent contribuer à ces troubles fonctionnels, éventuellement associés à des anomalies hormonales
dont l’existence doit systématiquement être dédouanée.
222
Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (XI), n° 5, septembre-octobre 2007
Téléchargement