Dossier thématique >>> La neuropathie urogénitale du sujet diabétique Diabetic urogenital neuropathy Xavier Gamé*, Sébastien Fontaine** points FORTS ▲ Les troubles vésicosphinctériens sont fréquents au cours de l’évolution du diabète. Ils apparaissent habituellement après au moins 10 ans d’évolution. ▲ Ils se manifestent soit par la perte ou la diminution de la sensation de besoin, des mictions qui sont moins fréquentes, une dysurie (gêne à la miction, sensation de vidange vésicale incomplète), soit par une hyperactivité vésicale (pollakiurie, nycturie et urgenturie), soit par des infections urinaires récidivantes. ▲ La stratégie thérapeutique dépend du type de dysfonctionnement mis en évidence. Elle a pour objectifs de traiter les symptômes, de préserver la fonction rénale, de prévenir des infections urinaires, et d’assurer une continence satisfaisante ainsi qu’une bonne vidange vésicale. ▲ La dysérection est une pathologie fréquente chez les patients diabétiques. Elle est très souvent négligée et sous-évaluée. D’origine fréquemment multifactorielle, elle s’accompagne toujours d’un retentissement psychique. ▲ L’existence d’une dysérection non traitée retentit significativement sur la qualité de vie et s’associe fréquemment à une dégradation de l’équilibre glycémique ainsi qu’à un risque majoré de complications. ▲ Des moyens thérapeutiques efficaces et de plus en plus simples d’utilisation (inhibiteurs de la phosphodiestérase 5, injections intracaverneuses) sont disponibles pour la prise en charge des troubles érectiles chez le sujet diabétique. Mots-clés : Vessie neurologique – Dysfonction érectile – Diabète – Neuropathie. Keywords: Neurogenic bladder – Erectile dysfunction – Diabetes mellitus – Neuropathy. L’ * Service d’urologie, transplantation rénale et andrologie, CHU Rangueil, Toulouse. ** Service de diabétologie, maladies métaboliques et nutrition, CHU Rangueil, Toulouse. 216 atteinte du système nerveux autonome est une complication fréquente au cours de l’évolution du diabète. Elle peut être responsable de multiples dysfonctionnements dans l’organisme. Au niveau de l’appareil génito-urinaire, elle se manifeste par des troubles Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (XI), n° 5, septembre-octobre 2007 vésicosphinctériens et des troubles de la sexualité. Ces troubles ont deux types de conséquences : la survenue de complications graves telles qu’une détérioration du haut appareil urinaire, et une altération de la qualité de vie secondaire à l’incontinence urinaire ou aux troubles de la sexualité. Ces complications du diabète ne sont donc pas à méconnaître et doivent être systématiquement recherchées. L’objectif de cet article est de décrire les particularités cliniques, les modes de présentation ainsi que les moyens d’évaluation et de prise en charge de la neuropathie autonome génito-urinaire. La neuropathie autonome vésicale Les troubles vésicosphinctériens sont fréquents au cours de l’évolution du diabète. Leur prévalence reste encore assez imprécise, puisque les taux rapportés varient de 27 à 85 % (1). Classiquement, ils apparaissent après au moins 10 ans d’évolution du diabète. Ont cependant été rapportés des cas de survenue précoce de ces troubles (2). Le sexe, le type de diabète et l’âge ne sont pas des facteurs influant la survenue de l’atteinte vésicosphinctérienne. En revanche, l’ancienneté et la sévérité de l’hyperglycémie chronique la favorisent. Ainsi, les patients traités par hypoglycémiants oraux ou par insuline ont trois à quatre fois plus de risques de survenue d’infections urinaires récidivantes que les sujets non diabétiques (3). Les troubles vésicosphinctériens du diabète ne sont pas univoques en termes d’expression clinique et d’évolution, ce qui rend leur diagnostic et les décisions thérapeutiques parfois difficiles (4). Cet éclectisme a comme support une grande hétérogénéité dans l’atteinte de l’innervation vésicosphinctérienne. Peuvent de plus se surajouter, dans la genèse de ces troubles, l’effet du vieillissement et celui d’autres pathologies plus communes telles que les séquelles de lésions gynéco-obstétricales chez la femme ou une hypertrophie de la prostate bénigne chez l’homme. Ces troubles vésicosphinctériens ne doivent pas être méconnus, car ils ont un impact sur la survie des patients et sont responsables d’une altération de la qualité de vie. ✓ Le deuxième type de neuropathie est la mononeuropathie ou multineuropathie (12 % des cas). Le tableau clinique est marqué par un début le plus souvent brutal, avec un déficit moteur prédominant, volontiers asymétrique ; ✓ Bien entendu, la neuropathie végétative viscérale du sujet diabétique contribue également largement aux troubles vésicosphinctériens (7, 8). D’autres contingents du système nerveux autonome peuvent être simultanément affectés. La recherche d’anomalies de la commande cardiovasculaire et de troubles digestifs L’atteinte du système nerveux responsable des troubles vésicosphinctériens du patient diabétique peut siéger à différents niveaux de la commande neurologique. Ainsi, quatre types de neuropathies associées au diabète peuvent contribuer aux troubles urinaires (1, 6) : ✓ L’atteinte la plus fréquente (60 % des cas) est la polyneuropathie distale et symétrique. Aux troubles vésicosphinctériens vont s’associer les signes distaux classiques (signes fonctionnels, aréflexie et déficits principalement sensitifs), bilatéraux et généralement symétriques ; Centre détrusien thématique Dossier Centre sphinctérien Centre limbique Rappels physiopathologiques Le bon fonctionnement de l’appareil vésicosphinctérien impose l’intégrité du système nerveux central et périphérique, somatique et neurovégétatif, qui assure l’innervation des structures anatomiques, mais aussi la régulation et le contrôle du fonctionnement du bas appareil urinaire. C’est à cette seule condition que la motricité vésicosphinctérienne peut assurer l’alternance des phases de remplissage (continence) et de vidange (miction) par des phénomènes d’activation et de désactivation de fibres musculaires lisses ou striées, présentes dans les différentes structures anatomiques. Si la miction est sous le contrôle de la volonté, elle est préparée de façon automatique lors de la continence par une veille sensitive progressive qui ne s’impose que lorsque la capacité vésicale atteint sa réplétion ou lorsque des conditions sociales le nécessitent (5). Ce contrôle, assuré uniquement par le système nerveux, repose sur le système nerveux périphérique reliant la vessie et les sphincters urétraux aux structures nerveuses hiérarchisées, plus ou moins individualisées et situées à différents étages du névraxe (figure 1). PONT M L TH 10 L2 Noyau d’Onuf S2 S3 S4 Centre orthosympathique Centre parasympathique Nerf pelvien Noyau présacral Plexus hypogastrique Nerf pudendal Figure 1. Contrôle neurologique de l’appareil vésicosphinctérien. Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (XI), n° 5, septembre-octobre 2007 217 Dossier thématique revêt donc un intérêt indéniable lors de l’enquête étiologique ; ✓ Les troubles vésicosphinctériens du sujet diabétique peuvent aussi être secondaires à une atteinte du système nerveux central (2, 9). Cette dernière peut siéger au niveau de l’encéphale ou au niveau médullaire et être responsable d’une altération des voies de la sensibilité ou de la motricité. Enfin, ces différents types d’atteinte du système nerveux peuvent également être associés. Les manifestations cliniques Les troubles vésicosphinctériens d’origine diabétique ont habituellement un début insidieux et passent le plus souvent inaperçus jusqu’à un stade avancé. Les premiers signes se rapportent classiquement à la diminution de la sensibilité vésicale. Ils se manifestent par la perte ou la diminution de la sensation de besoin, des mictions qui sont moins fréquentes, une diminution du jet urinaire, des difficultés à initier la miction, une incontinence par regorgement et une sensation de vidange vésicale incomplète. L’ensemble de ces symptômes était auparavant regroupé sous le terme de cystopathie diabétique (10). Il apparaît cependant que, dans un nombre significatif de cas, les patients présentent une pollakiurie, une nycturie et une urgenturie. L’ensemble de ces symptômes constitue l’hyperactivité vésicale. La pollakiurie est définie par un nombre de mictions supérieur à 8 par 24 heures. L’urgenturie est définie comme la survenue d’un désir soudain, impérieux et fréquemment irrépressible d’uriner. Ces symptômes peuvent être associés à une incontinence urinaire par hyperactivité vésicale. Les fuites sont alors secondaires à un besoin irrépressible. Le délai de sécurité est diminué, inférieur à deux minutes. D’autres manifestations cliniques de l’atteinte neurologique de l’appareil vésicosphinctérien sont les infections 218 urinaires récidivantes. Le nombre d’infections urinaires doit être supérieur à quatre par an pour que celles-ci soient considérées comme récidivantes. De plus, les patients diabétiques ont une prévalence élevée de bactériurie asymptomatique. Ainsi, chez la femme diabétique, la prévalence de la bactériurie asymptomatique est deux à trois supérieure à celle observée dans la population générale et représente un marqueur de risque de complications (11). Pour les patients présentant un diabète de type 2, la bactériurie asymptomatique constitue un facteur de risque de survenue d’une infection urinaire symptomatique (12). Pour les patients ayant un diabète de type 1, elle constitue un facteur de risque de survenue d’une pyélonéphrite et d’une altération de la fonction rénale (13). Quand et comment rechercher une neuropathie autonome vésicale ? Lorsque les troubles mictionnels sont au premier plan, leur diagnostic est facile à établir. Cependant, les signes cliniques peuvent être discrets et ne pas attirer l’attention. Dans la série de Ueda et al., sur 53 patients diabétiques n’ayant pas de plainte fonctionnelle, des signes cliniques ont été révélés par l’interrogatoire dans 40 % des cas. Tous ces patients symptomatiques avaient des altérations urodynamiques. De plus, parmi les patients qui n’avaient pas de trouble clinique, tous présentaient des altérations urodynamiques, par comparaison aux sujets témoins (2). Il apparaît donc que les troubles urinaires doivent être systématiquement recherchés par l’interrogatoire à chaque consultation, en particulier après 10 ans d’évolution et chez les patients présentant des complications autres de leur diabète, en particulier en cas d’atteinte du système nerveux. Une évaluation de la fonction urinaire doit être réalisée devant toute suspicion de trouble vésicosphinctérien, en cas d’infections urinaires récidivantes, de pyélonéphrite, d’incontinence urinaire et de vessie palpable à l’examen clinique. Lorsque le diagnostic est évoqué, différents examens complémentaires devront être proposés (tableau). Cette évaluation doit comprendre une étude de la fonction rénale (créatininémie, mesure de la clairance de la créatinine sur 24 heures), un examen cytobactériologique des urines, une échographie rénovésicale avec mesure du résidu postmictionnel. En cas d’anomalie de ce premier bilan ou en cas d’infections urinaires récidivantes, de pyélonéphrite ou d’incontinence urinaire, le patient doit être adressé à un urologue. Un bilan urodynamique sera réalisé. Il permettra de déterminer avec précision le fonctionnement de l’appareil vésicosphinctérien. De plus, un catalogue mictionnel sera demandé afin de déterminer le nombre de mictions sur 24 heures, la diurèse, le volume uriné maximal, la survenue de fuites, leur nombre. Un examen neurologique périnéal évaluant la sensibilité périnéale, le tonus sphinctérien et les réflexes bulbocaverneux sera pratiqué. Enfin, l’urologue pourra distinguer les troubles mictionnels Tableau. Bilan à réaliser devant des troubles vésicosphinctériens chez un sujet diabétique ou en cas de suspicion de tels troubles. Examens systématiques Bilan urologique Étude de la fonction rénale Examen cytobactériologique des urines Échographie rénovésicale avec mesure du résidu postmictionnel Examen neurologique périnéal Catalogue mictionnel Bilan urodynamique ± examen gynécologique, examen prostatique, dosage PSA total sérique Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (XI), n° 5, septembre-octobre 2007 liés au diabète de ceux liés à d’autres pathologies telles que l’hypertrophie bénigne de la prostate, l’incontinence urinaire d’effort, les troubles de la statique pelvienne, etc. Quelle prise en charge thérapeutique ? La stratégie thérapeutique dépendra du type de dysfonctionnement mis en évidence. Elle aura pour objectifs de traiter les symptômes, de préserver la fonction rénale, de prévenir des infections urinaires ainsi que d’assurer une continence satisfaisante et une bonne vidange vésicale. Dans tous les cas, la prévention et le traitement des troubles vésicosphinctériens nécessitent une prise en charge optimale du diabète. En cas d’hyperactivité vésicale, le traitement repose sur la prise d’anticholinergiques tels que l’oxybutynine ou le chlorure de trospium. Ces traitements sont très efficaces mais peuvent parfois être mal tolérés (bouche sèche, constipation, troubles de la vision, altération des fonctions supérieures chez le sujet âgé pour l’oxybutynine). En cas d’échec ou d’intolérance à ce type de traitement, une neuromodulation des racines sacrées postérieures pourra être proposée par l’urologue. En cas d’infections urinaires récidivantes, la stratégie repose sur la prise en charge adaptée des troubles vésicosphinctériens (vidange vésicale complète, absence d’hyperpression intravésicale). L’intérêt du dépistage et du traitement systématiques de la bactériurie asymptomatique n’a pas été démontré. Ainsi, cette attitude ne semble pas avoir d’impact positif sur la survenue des infections urinaires et sur la fréquence des hospitalisations (14). En revanche, en cas d’infections urinaires récidivantes, un traitement antibiotique prophylactique peut être mis en place (15). En cas d’altération de la sensibilité vésicale, le traitement repose sur une rééducation comportementale. Le patient doit apprendre à uriner à heure fixe. Afin de déterminer les heures de mictions, il s’aidera de son catalogue mictionnel. Enfin, en cas de troubles de la vidange vésicale, aucun traitement médicamenteux n’a fait preuve d’efficacité à ce jour. Par conséquent, seule la réalisation de cathétérismes intermittents pourra être proposée au patient. Conséquences génitales de la neuropathie végétative La survenue d’une dysérection est un phénomène fréquent au cours de l’évolution du diabète, touchant au final près de 50 % des patients. La prévalence des troubles de l’érection varie en réalité beaucoup d’une étude à l’autre (28 à 85 % des sujets) en fonction des caractéristiques des populations étudiées (âge, ancienneté du diabète, type de questionnaire utilisé, etc.). En dépit de la fréquence élevée de ces troubles, il existe de façon indéniable un déficit important concernant le dépistage, et donc la prise en charge des patients concernés, la dysérection restant le plus souvent méconnue et négligée (16, 17). Le retentissement de la dysérection est pourtant significatif, d’abord sur le plan psychique, puis d’un point de vue organique, s’associant fréquemment à une dégradation de l’équilibre glycémique et à un risque majoré de complications (18, 19). Chez l’homme diabétique, la neuropathie urogénitale peut également être responsable d’un syndrome d’éjaculation rétrograde. Il s’agit d’un reflux du sperme vers la vessie au moment de l’éjaculation. La conséquence directe est la survenue d’une infertilité masculine. Le spermogramme montre alors une oligospermie et un volume abaissé de l’éjaculat. Les marqueurs séminaux prostatiques sont diminués. Le diagnostic est établi après recherche de spermatozoïdes dans les urines. Les spermatozoïdes contenus dans la vessie peuvent être récupérés après alcalinisation pour être éventuellement utilisés en insémination intrautérine. Un traitement médical par midodrine peut parfois être proposé pour renforcer le sphincter vésical et éviter le reflux, mais les résultats restent souvent décevants. Longtemps négligées, les conséquences complexes de la neuropathie autonome sur la fonction sexuelle féminine sont actuellement reconnues, bien qu’elles restent mal définies. Ont ainsi été rapportés un risque supérieur de troubles de la lubrification, des perturbations de l’excitation et des difficultés plus importantes d’obtention de l’orgasme chez des patientes diabétiques présentant une neuropathie végétative. Bien que les traitements proposés jusqu’à présent se soient montrés peu convaincants, plusieurs études sont en cours, visant à mieux comprendre les anomalies en cause, et à élaborer secondairement des propositions thérapeutiques (20-22). Dans l’attente de ces données, nous focaliserons ici notre propos sur les conséquences de la neuropathie végétative sur la fonction érectile chez l’homme diabétique. thématique Dossier Rappels physiopathologiques L’érection correspond à un phénomène vasculaire responsable du passage des organes érectiles de l’état de flaccidité à l’état de turgescence. Influencé par l’environnement hormonal, qui peut être facilitant ou à l’inverse limitant, ce phénomène est sous la dépendance d’un double contrôle neurologique : ✓ périphérique, par le système nerveux autonome (parasympathique au niveau de la moelle sacrée, orthosympathique au niveau de la moelle dorso-lombaire) ; ✓ central, par l’influence des centres supérieurs corticaux. Le déclenchement de l’érection passe impérativement par une stimu- Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (XI), n° 5, septembre-octobre 2007 219 Dossier thématique lation sensorielle initiale, suivie par une cascade d’activation de neuromédiateurs responsable d’une libération de GMPc et d’une ouverture des canaux calciques des muscles lisses caverneux. Le flux sanguin se fait ensuite vers les corps caverneux, aboutissant à la turgescence puis, secondairement, à un blocage du retour veineux conduisant à l’érection. Orientation étiologique L’identification des mécanismes physiopathologiques responsables des troubles érectiles est une étape fondamentale qui guidera secondairement la stratégie thérapeutique. La neuropathie contribue de façon claire à la physiopathologie de la dysérection chez le sujet diabétique. Le mécanisme implique la dégradation des nerfs pelviens et génitaux périphériques et autonomes impliqués dans la transmission de l’information nerveuse faisant suite à la stimulation sensorielle. La concentration des neuromédiateurs et leurs effets sur les récepteurs caverneux sont diminués, avec pour conséquence un mauvais contrôle de l’ouverture des canaux calciques et donc de l’érection. Il est cependant primordial de rappeler que la dysérection est le plus souvent, sinon toujours, d’origine multifactorielle, ce qui justifie de rechercher systématiquement l’existence de facteurs étiologiques associés à la neuropathie : ✓ L’artériopathie peut engendrer ou aggraver la dysérection par différents niveaux d’atteinte. Les lésions des artères de moyen et gros calibres, par leur localisation (carrefour aortobifémoral, artères iliaques, artères honteuses internes), peuvent entraîner des sténoses limitant le remplissage complet des corps caverneux et le blocage veineux qui s’ensuit. La dysérection est dans ce contexte souvent sévère, et le traitement passe impérativement par un geste de revascularisation lorsque 220 celui-ci est réalisable. La microcirculation pénienne peut également être affectée. Cette atteinte des petites artères génère habituellement une dysérection plus partielle mais échappe à toute possibilité de revascularisation. Le traitement passe par un contrôle le plus strict possible de l’équilibre glycémique et des facteurs de risque cardiovasculaire, associé aux injections intracaverneuses tant que celles-ci restent efficaces ; ✓ Facteurs iatrogènes : plusieurs médicaments peuvent influencer la fonction érectile, soit d’une façon directe, soit d’une façon générale. Les plus fréquemment rencontrés sont les bêtabloquants, les psychotropes (antidépresseurs, anxiolytiques, sédatifs), certaines chimiothérapies, les agonistes de la LH-RH et les antiandrogènes ; ✓ Facteurs psychogènes : le bilan d’une dysérection passe systématiquement par une évaluation psychologique et sexologique. Ce facteur aggravant est très fréquemment présent et doit être pris en compte. Les symptômes principaux sont la perte de confiance en soi et l’anxiété de performance. Ces troubles peuvent facilement conduire à la dépression et sont souvent responsables d’une plus grande instabilité glycémique. Les difficultés conjugales doivent également être mises en évidence lors de l’évaluation initiale ; ✓ Facteurs hormonaux : toutes les causes d’hypogonadisme peuvent affecter la fonction érectile ; ✓ Autres facteurs : la fibrose des corps caverneux (maladie de Lapeyronie), l’alcoolisme, les chirurgies prostatiques. Comment explorer les troubles de l’érection du sujet diabétique ? L’interrogatoire est la première étape de l’évaluation. Il apprécie l’importance de la dysérection (déclenchement, rigidité, durée), la persistance ou non d’érections spontanées nocturnes (et au réveil), le contexte Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (XI), n° 5, septembre-octobre 2007 psychologique général. L’examen clinique doit comporter : un examen neurologique des membres inférieurs et éventuellement du périné, une palpation et une auscultation des artères périphériques, un examen des organes génitaux externes, la recherche d’autre signes d’hypogonadisme (gynécomastie, pilosité, morphotype). Sur le plan hormonal, un dosage de la testostérone totale et éventuellement, dans un deuxième temps, de la testostérone biodisponible, des gonadotrophines et de la prolactine fait partie du bilan de première intention. Une évaluation sexologique doit compléter le bilan clinique, ainsi qu’un avis urologique, en particulier en cas d’aspect de fibrose caverneuse. En fonction du contexte et de l’orientation clinique initiale, différents examens complémentaires peuvent être demandés : électromyographie (EMG) périnéale, écho-doppler des artères péniennes avec test par injection intracaverneuse de prostaglandine. Évoquant une participation neurologique, l’examen clinique retrouve fréquemment des signes de neuropathie périphérique (réflexe ostéo-tendineux abolis, hypoesthésie distale). Les réflexes génitaux (bulbocaverneux et anobulbaire) et la sensibilité périnéoscrotale peuvent également être altérés. L’EMG périnéale n’est pas systématique et n’est réservée qu’à des situations de doute clinique persistant en l’absence de cause évidente retrouvée lors de l’évaluation initiale. En fonction des données cliniques, un test pharmacologique utilisant les inhibiteurs de la phosphodiestérase 5 (IPDE5) est souvent utilisé pour évaluer la réactivité de la cascade proérectile. Prise en charge thérapeutique de la dysérection Avant d’aborder le recours aux traitements spécifiques, il est impératif de rappeler que la qualité du contrôle glycémique et de la maîtrise des facteurs de risque associés représente un facteur déterminant pour contribuer à l’amélioration des symptômes génitaux. De même, nous ne reviendrons pas ici sur la nécessité d’une prise en charge psychologique ou d’un geste de revascularisation pelvienne lorsque la situation clinique l’impose. ✓ Les inhibiteurs de la phosphodiestérase 5 (IPDE5) inhibent la dégradation du GMPc et potentialisent donc les capacités de vasodilatation. Ces traitements présentent certaines limites d’utilisation. Ils sont en particulier contre-indiqués en association aux érivés nitrés et aux antiprotéases. Ils sont également déconseillés dans les situations cliniques suivantes : insuffisance cardiaque, coronaropathie mal équilibrée, insuffisance rénale chronique, drépanocytose, maladie de Lapeyronie… Leurs principaux effets indésirables sont la survenue de céphalées, de flushs, d’une dyspepsie, etc. Trois molécules sont actuellement sur le marché. Le sildénafil (Viagra®, comprimés à 25, 50 et 100 mg, commercialisé depuis novembre 1998) a fait preuve de son efficacité dans la population générale (amélioration de la dysérection chez 82 % des sujets à la posologie de 100 mg) et chez le patient diabétique (amélioration de la dysérection chez 65 % des sujets à la posologie de 100 mg) [23]. Le tadalafil (Cialis®, comprimés à 10 et 20 mg, commercialisé depuis 2003) permet d’améliorer les troubles érectiles chez 81 % des sujets dans la population générale et chez 64 % des sujets diabétiques à la posologie de 20 mg (24). Enfin, le vardénafil (Levitra®, comprimés à 10 et 20 mg, également mis sur le marché en 2003) a un impact favorable chez 85 % des sujets non diabétiques et 72 % des sujets diabétiques à la dose de 20 mg (25). ✓ Injections intracaverneuses (26). Il s’agit de l’administration directe dans le corps caverneux d’une prostaglandine (PGE1) responsable d’une vasodilatation permettant l’afflux sanguin (figure 2A). L’efficacité de cette stratégie est supérieure à celles utilisant les IPDE5 dans tous les types de dysérection sauf en cas d’atteinte vasculaire sévère. Cette technique nécessite une éducation spécialisée pour l’autoapprentissage des injections, qui peuvent faire l’objet d’un rejet de la part du patient. Ces injections sont cependant le plus souvent indolores et les risques restent limités avec les molécules et les posologies actuellement utilisées (fibroses aux points d’injection, priapisme). ✓ Prothèses péniennes (27). La chirurgie d’implantation d’une prothèse pénienne est réservée à des situations d’échec des autres traitements aux doses maximales, car il s’agit d’un traitement définitif et irréversible (figure 2B). Il est donc impératif d’optimiser la prise en charge préalable, de fournir des informations complètes au patient quant aux bénéfices, contraintes et risques du dispositif, et de laisser un temps de réflexion suffisant avant la prise de décision. Cet appareillage permet le déclenchement mécanique de l’érection par le patient. Les résultats sont variables en termes de satisfaction des patients. En effet, si les rapports sexuels sont de nouveau possibles, les sensations s’avèrent différentes de celles induites par le mécanisme naturel de l’érection. ✓ Autres moyens thérapeutiques. Plusieurs alternatives ont été proposées au cours des dernières décennies pour améliorer la fonction érectile des sujets diabétiques : admi- nistration orale (yohimbine, apomorphine), application intra-urétrale de prostaglandine (Muse®), utilisation de vaccum générant un appel de sang dans les corps caverneux par une action mécanique de pression négative, etc. Cependant, aucune de ces stratégies n’a pu clairement démontrer son efficacité dans le cadre de la dysérection du patient diabétique, ce qui justifie le choix préférentiel des IPDE5 et des injections intracaverneuses dans cette indication. thématique Dossier Conclusion Les troubles vésicosphinctériens et sexuels sont fréquents au cours de l’évolution du diabète. Une recherche systématique de ces troubles doit être régulièrement effectuée, fondée sur l’interrogatoire et la réalisation d’examens complémentaires simples. La mise en évidence d’un trouble de la fonction vésicale ou génitale doit impérativement déboucher sur la mise en place immédiate d’une prise en charge thérapeutique spécifique afin d’éviter l’aggravation de ces troubles et la survenue de complications. En particulier, le traitement de la neuropathie vésicale a pour objectif de traiter les symptômes, de préserver la fonction rénale, de prévenir des infections urinaires ainsi que d’assurer une continence satisfaisante et une bonne ■ vidange vésicale. Réservoir Cylindre A B Pompe Figure 2. Représentation schématique de la réalisation des injections intracaverneuses (A) et du dispositif de prothèse pénienne (B). Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (XI), n° 5, septembre-octobre 2007 221 Dossier thématique Références bibliographiques 1. Chartier-Kastler E, Robain G, Mozer P, Ruffion A. Troubles vésicosphinctériens et diabète sucré. Prog Urol 2007;17:371-8. 2. Ueda T, Yoshimura N, Yoshida O. 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Faux Réponses : 1a. Même si les troubles vésicosphinctériens surviennent classiquement après 10 ans d’évolution du diabète, ils peuvent parfois apparaître très précocement. 2b. Les troubles vésicosphinctériens peuvent se manifester certes par des troubles de la sensibilité et de la vidange vésicale ou par des infections urinaires récidivantes, mais aussi par une hyperactivité vésicale (pollakiurie, nycturie et urgenturie). 3b. La dysérection est le plus souvent, sinon toujours, d’origine multifactorielle : neuropathie, artériopathie et troubles psychiques peuvent contribuer à ces troubles fonctionnels, éventuellement associés à des anomalies hormonales dont l’existence doit systématiquement être dédouanée. 222 Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (XI), n° 5, septembre-octobre 2007