d o s s i e r La neuropathie génitale du diabétique Sexual dysfunction in diabetes mellitus ■ G. Amarenco*, P. Lacroix*, S. Lopez** RÉSUMÉ. Les dysfonctions sexuelles sont parmi les symptômes les plus fréquents observés au cours du diabète. Les causes en sont nombreuses, avec les lésions neurologiques somatiques périphériques, l’atteinte du système nerveux végétatif, les causes vasculaires et psychologiques. Les tests électrophysiologiques peuvent constituer un apport dans le diagnostic. Le traitement, outre les médications orales et les injections intracaverneuses, devra toujours considérer l’aspect psychologique et l’équilibre du diabète. MOTS-CLÉS : Diabète – Impuissance – Tests électrophysiologiques. ABSTRACT. Sexual dysfunction is a very common symptom in diabetes mellitus. Aetiologies are various, including peripheral somatic neuropathy, dysautonomic involvement, vascular lesions and psychogenic troubles. Electrophysiologic testing may help the diagnosis. Therapeutic propositions (oral medications, intracavernous injections) may always concern psychogenic aspects and glycemia control. KEYWORDS : Diabetes mellitus – Erection disorder – Electrophysiologic testing. L Figure 1. * Service de rééducation Neurologique et d’explorations périnéales, hôpital Rothschild, Paris. E-mail : [email protected] ** Département de médecine physique et de réadaptation, centre hospitalier universitaire Caremeau, Nîmes. E-mail : [email protected] 16 a prévalence des troubles génitaux au cours du diabète est importante. Ils concerneraient 50 % des hommes diabétiques et 30 % des femmes. D’origine multifactorielle, ils aggravent toujours le handicap psychologique et parfois social de cette maladie. Parmi les facteurs incriminés (vasculaires, psychologiques), l’origine neurologique prend une place particulière en raison de la double atteinte possible, somatique et végétative. Parfois révélateurs de la maladie, ils nécessitent le plus souvent une prise en charge générale (contrôle de l’équilibre glycémique) complétée par un traitement spécifique dans lequel la thérapeutique ne se résume pas à la prescription médicamenteuse (drogues vasoactives, injections intracaverneuses) en raison de l’importance du facteur psychogène. PHYSIOPATHOLOGIE DES TROUBLES GÉNITOSEXUELS DU DIABÉTIQUE Sur le plan physiopathologique, de nombreux facteurs peuvent être incriminés dans l’impuissance du diabétique. Les facteurs psychogènes sont très souvent présents, mais rarement seuls en cause dans le déterminisme des troubles (figure 1). Ils sont un cofacteur, parfois déclenchant ou pérennisant, une cause purement organique. Cependant, d’authentiques dysfonctions sexuelles d’origine psychogène peuvent s’observer. Les étiologies endocriniennes (hypogonadisme ou hyperprolactinémie) sont exceptionnelles. En revanche, des facteurs vasculaires, artériels notamment, sont souvent tenus pour responsables de certaines dysfonctions sexuelles, au premier rang desquelles figurent les troubles érectiles chez l’homme. Les fuites veineuses sont plus rares que les facteurs iatrogènes, notamment les drogues à tropisme cardiaque ou métabolique (dyslipidémie), fréquemment utilisées dans cette pathologie. L’alcoolisme chronique est un cofacteur possible, mais pas plus fréquent que dans les autres maladies. Un déséquilibre glycémique peut entraîner une impuissance “fonctionnelle”, passagère et réversible avec le retour à un équilibre glycémique correct. Enfin, les causes neurologiques sont sans conteste l’un des facteurs principaux des dysfonctions sexuelles. Correspondances en pelvi-périnéologie - n° 3, vol. IV - juillet/août/septembre 2004 Complications périnéales du diabète RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES 1. Ziegler D. Diabetic cardiovascular autonomic neuropathy. Prognosis, Diagnosis and Treatment. Diab Metab Rev 1994;10:339-83. 2. Duchen LW, Anjorin A, Watkins PJ, Mackay JD. Pathology of autonomic neuropathy in diabetes mellitus. Ann Intern Med 1980;92(part 2):301-3. 3. The DCCT Research Group. Factors in development of diabetic neuropathy: baseline analysis of neuropathy in the feasibility phase of diabetes control and complications trial (DCCT). Diabetes 1988;37:476-81. 4. Fedele D, Bellavere F, Cardone C, Ferri M, Crepaldi G. Short and long term continuous insulin infusion system treatment in patients with autonomic diabetic neuropathy. Horm Metab Res 1985;17:410-3. 5. Brown FM, Brink SJ, Freeman R, Rabinowe SL. Antisympathetic nervous system autoantibodies. Diminished catecholamines with orthostasis. Diabetes 1989;38:938-41. 6. Bemelmans BLH, Meuleman EJH, Doesburg WH, Notermans SLH, Debruyne FMJ. Erectile dysfunction in diabetic men: the neurological factor revisited. J Urol 1994;151:884-9. 7. Amarenco G, Kerdraon J. Apport des investigations électrophysiologiques périnéales dans les dysfonctions érectiles. Ann Med Int 1993;144: 383-8. L’atteinte est souvent mixte, somatique et végétative, mais c’est vraisemblablement ce dernier aspect qui est prédominant dans le déterminisme des troubles. Il faut bien noter que cette dysautonomie est associée à une mortalité accrue. La neuropathie autonome cardiaque (NAC) mise en évidence sur des anomalies des variations de fréquence cardiaque s’associe à un taux de mortalité à 10 ans de 29 %, alors que ce taux n’est que de 6 % chez les patients indemnes de NAC (1). La neuropathie autonome touche les petites fibres amyéliniques des systèmes sympathique et parasympathique. Quelques études nécropsiques effectuées chez des diabétiques insulinodépendants atteints d’une dysautonomie sévère ont mis en évidence des lésions au sein des ganglions sympathiques, du pneumogastrique et des troncs nerveux sympathiques (2), ce qui confirme les résultats des nombreuses études ultrastructurales faites chez l’animal (rats rendus diabétiques par la streptozotocine). La physiopathologie de la neuropathie autonome diabétique est complexe. L’influence de l’équilibre métabolique est suggérée par l’apparition d’un neuropathie précoce, le plus souvent avant celle des autres complications du diabète (3), et par l’effet favorable de l’équilibre optimisé du diabète de type 1 (4). Des facteurs immunologiques sont également incriminés dans le diabète de type 1 (5). Les perturbations des épreuves autonomes cardiaques dans l’histoire du diabète de type 2 sont aussi compatibles avec le rôle joué par l’obésité chez ces patients, puisque de telles perturbations sont également rencontrées avec une grande fréquence chez l’obèse non diabétique. LES SIGNES CLINIQUES DES DYSFONCTIONS SEXUELLES DU DIABÉTIQUE Chez la femme, l’interrogatoire peut retrouver la notion d’une baisse des sécrétions vaginales et/ou d’une hypo-, voire d’une anorgasmie. Chez l’homme, il peut s’agir d’une éjaculation rétrograde perçue par le patient ou décelée par la mise en évidence de spermatozoïdes à l’examen des premières urines émises après un rapport sexuel, et dont l’inconvénient essentiel réside dans l’infécondité. Il s’agit en fait surtout d’une baisse des capacités sexuelles avec troubles de l’érection, qu’il s’agisse d’une altération en termes de durée et/ou de rigidité. Correspondances en pelvi-périnéologie - n° 3, vol. IV - juillet/août/septembre 2004 L’évaluation doit toujours comporter un interrogatoire minutieux concernant l’équilibre général du diabète, les autres complications possibles (rétiniennes, cardiovasculaires) et les autres complications végétatives (élément de neuropathie autonome cardiaque, hypotension, anomalie pupillaire, gastroparésie, troubles urinaires, anorectaux, sudoraux). L’examen neurologique recherche une neuropathie somatique (polynévrite, multinévrite, atteinte plexique lombosacrée). Une analyse soigneuse des vaisseaux (pouls périphériques, auscultation des trajets vasculaires) est indispensable. La recherche de médications iatrogènes et de facteurs psychologiques intercurrents est fondamentale. Des signes en faveur d’une insuffisance gonadique primitive ou secondaire ou d’une hyperprolactinémie doivent être éliminés. LE BILAN PARACLINIQUE Le bilan d’une impuissance ne doit être entrepris que s’il s’agit d’une véritable impuissance depuis au moins trois mois, si le patient est demandeur et motivé, si l’équilibre du diabète est satisfaisant (HbA1c ne dépassant pas 8 %) et après avoir écarté un facteur iatrogène ou alcoolique. L’origine artérielle évoquée devant des signes cliniques d’artériopathie sera confirmée par la pratique d’un doppler ou d’un échodoppler. L’origine dysautonomique soupçonnée lorsque les troubles de l’érection s’associent à une neurovessie de type vessie hypoactive (au bilan urodynamique) peut être confirmée par la réalisation de tests cardiovasculaires spécifiques (étude de la variabilité de l’espace RR, manœuvre de Valsalva, cold pressor test, tilt test, respiration ample dirigée, etc.), mais cette association n’est pas constante. En réalité, la première étape devant une véritable impuissance consiste à réaliser une fenêtre thérapeutique vis-à-vis des médicaments suspects, en particulier des antihypertenseurs, des psychotropes, des fibrates, des anti-H2 et, évidemment, des antiandrogènes et des estrogènes. L’arrêt de l’alcool en cas de surconsommation est bien évidemment indispensable. Une anomalie hormonale peut être éliminée par les dosages plasmatiques de la testostérone, de l’estradiol, de la FSH, de la LH et de la prolactine. 17 d o s s i e r Figure 2. plancher périnéal (figure 2) ainsi que d’une altération des latences sacrées (figure 3), de la vitesse de conduction sensitive du nerf dorsal de la verge, voire des potentiels évoqués corticaux sont autant d’arguments pour une atteinte somatique. Mais, bien souvent, l’atteinte est végétative et la sensibilité des explorations électrophysiologiques est bien faible (potentiels évoqués cutanés sympathiques) (figure 4). Le bilan artériel par écho-doppler, qui explore la circulation aorto-iliaque et hypogastrique et mesure les vitesses circulatoires des artères caverneuses, est un complément utile. Parfois une étude plétysmographique est pratiquée (figures 5 et 6). Figure 3. LA PRISE EN CHARGE Figure 4. Figure 6. Figure 7. 18 Figure 5. Une prise en charge multidisciplinaire est souvent nécessaire, incluant le concours de diabétologues, de psychologues, de sexologues et d’un laboratoire d’explorations fonctionnelles. Certains tests sont discutés. La pléthysmographie pénienne nocturne est réalisée au minimum deux nuits consécutives, parfois sous stimulation sexuelle visuelle. La présence d’érections normales en nombre, durée et qualité permet d’éliminer toute organicité. La moindre anomalie orienterait fortement vers un mécanisme au moins partiellement organique. La recherche d’une origine dysautonomique peut conduire à des explorations plus ou moins invasives. L’exploration urodynamique permet de mettre en évidence des anomalies en faveur d’une neurovessie périphérique (altération de la débitmétrie, hypoactivité détrusorienne en cystomanométrie). Les explorations neurophysiologiques périnéales peuvent compléter le bilan. L’électromyogramme des corps caverneux et la détermination des seuils de sensibilité thermique et vibratoire sur le dos de la verge (6, 7) sont quasiment abandonnés. La mise en évidence d’une dénervation dans les muscles du L’amélioration de l’équilibre glycémique est indispensable. Cette démarche permet parfois une régression des troubles. Après cette étape, un traitement oral par drogues vasoactives peut être proposé. Les inhibiteurs de phosphodiestérase (sildénafil, tadalafil, vardénafil), par leur efficacité, leur facilité d’emploi et leur bonne tolérance, ont révolutionné le traitement symptomatique des dysfonctions érectiles (figure 7). Leur action va empêcher la dégradation du GMPc et, partant, maintenir la mobilisation du calcium intracellulaire et la relaxation des fibres musculaires lisses. Ils doivent être pris, selon les molécules, entre 15 minutes et une heure avant l’acte sexuel. Leur durée d’action varie entre 3 et 15 heures et leur efficacité est soumise à l’existence d’une stimulation sexuelle. Leur emploi impose le strict respect des contreindications cardiaques (angor instable ou insuffisance cardiaque grave), ce qui peut poser quelques problèmes avec le diabétique, chez lequel on connaît la fréquence de ce type d’altération et les facteurs de risque. L’apomorphine est un agoniste dopaminergique qui stimule des noyaux de l’hypothalamus antérieur (aire médiane préoptique et noyau paraventriculaire). Partant, elle inhibe le centre orthosympathique (D10-L1) et stimule les centres sacrés responsables de l’érection réflexe. Deux produits sont disponibles : Ixense® et Uprima® avec, pour chacun, des formes à 2 et 3 mg. L’angor instable et l’insuffisance cardiaque restent des contreindications. Un traitement alphabloquant per os apporte souvent une aide. Les injections intracaverneuses sont souvent utilisées en cas Correspondances en pelvi-périnéologie - n° 3, vol. IV - juillet/août/septembre 2004 Complications périnéales du diabète Figure 8. Figure 9. d’échec du traitement par voie orale. C’est l’injection de prostaglandine E1 (alprostadil, Edex®, 10 et 20 µg/ml) qui est la plus utilisée (figure 8). Elle exerce un effet de relaxation de la fibre musculaire lisse qui entoure les corps caverneux et permet un afflux de sang à leur niveau. Son efficacité dans les atteintes neurologiques varie de 70 % à 80 %. Compte tenu du risque de priapisme, la posologie doit être prudente et progressivement croissante. Ce traitement vasoactif intracaverneux peut être proposé à titre de “starter” pour lever une angoisse d’échec, mais aussi être utilisé sur le moyen et le long terme. Il est remboursé au titre de médicament d’exception chez le patient neurologique, et donc chez le diabétique, chez qui l’on soupçonne une dysérection par neuropathie. Son action est indépendante de l’excitation sexuelle. Très utilisé dans les pays anglo-saxons, le vacuum demande cependant des manipulations contraignantes et n’est pas toujours bien accepté par le patient diabétique. La rééducation par un kinésithérapeute qualifié est parfois utilisée en cas d’hypotonie périnéale. Elle permet de retrouver un fonctionnement périnéal correct, notamment des bulbocaverneux. Elle utilise l’électrostimulation et le biofeedback. La pose d’une prothèse pénienne (semi-rigide ou gonflable) reste exceptionnelle (figure 9). Elle ne se conçoit qu’après l’échec de toutes les autres formes de traitement, ce qui est rare, et lorsque la motivation du patient et de sa partenaire est suffisante. En ce qui concerne l’anéjaculation ou l’éjaculation rétrograde, on peut essayer les α-sympathicomimétiques, notamment le chlorhydrate de minodrine (à dose croissante, de 5 à 15 mg) 2 heures avant un rapport sexuel, mais les résultats sont très aléatoires. Dans tous les cas, l’aide d’un psychologue sensibilisé aux troubles sexuels est essentielle, afin de repérer un facteur psychogène et d’en préciser le mécanisme, sans omettre la pathologie du couple. Chez la femme se plaignant de sécheresse vaginale et d’anorgasmie, l’application locale d’une crème estrogénique peut être proposée. La rééducation périnéale peut également être indiquée, ainsi qu’une prise en charge sexologique. CONCLUSION La prise en charge des troubles sexuels chez les diabétiques reste très délicate, sur les plans diagnostique et thérapeutique. Il faut insister sur la nécessité d’obtenir la motivation des patients pour un meilleur équilibre glycémique et s’appuyer sur la prise en charge du couple. ■