La protection de l’environnement dans un contexte de post-révolution : contrainte ou opportunité de développement ? Vivre dans un environnement sain est un droit qui assure à l’être humain sa dignité. La recherche de cette dignité (dans ses multiples facettes) a constitué le principal moteur des révolutions qui ont secoué le monde arabe depuis 3 ans, notamment la révolution du Jasmin en Tunisie, aussi appelée localement « Révolution de la liberté et de la dignité ». Le lien entre ces révolutions et l’environnement, du moins pour le cas tunisien, semble être à double sens, puisque les conditions socio-économiques qui ont conduit à la révolte de la population ont souvent pour racines des problématiques liées à l’environnement (sécheresse, hausse des prix des denrées alimentaires, qualité d’hygiène de vie insuffisante…). Dans un autre sens, la révolution en Tunisie a conduit, pour diverses raisons, à une détérioration de la situation environnementale du pays, notamment à cause de la difficulté pour l’Etat de faire respecter les lois environnementales dans un contexte d’explosion de revendications socio-économiques et d’une sorte de rébellion de la population face à l’autorité étatique. Ce constat nous amène à se poser les questions suivantes : - La protection de l’environnement est elle un fardeau qui grève les efforts de développement dans un contexte post révolutionnaire ? - Dans quel sens peut-on au contraire y déceler des opportunités de redressement de la situation socio-économique d’un pays dans un tel contexte ? C’est difficile d’inscrire les questions environnementales dans les priorités gouvernementales d’un pays, la plupart des ministères chargés de l’environnement pourront en témoigner. Ce constat est souvent valable que ce soit pour les pays développés que pour les pays en développement. Ça l’est encore plus dans le cas d’un pays qui vit une transition démocratique post révolutionnaire. En effet, la liberté d’expression, souvent unique dividende immédiat d’une révolution, s’accompagne toujours d’une explosion de revendications socio-économiques exigeant la rectification des limites du passé et l’amélioration des conditions de vie au futur. Ces revendications se traduisent naturellement par des pressions sur le budget de l’Etat. Le décideur politique se retrouve devant des dilemmes et doit faire des concessions douloureuses. Entre d’un coté l’absorption du chômage latent d’une jeunesse désespérée via le recrutement dans la fonction publique , l’augmentation des salaires pour faire face aux grèves à répétition et de l’autre l’augmentation du budget du ministère chargé de l’environnement pour renforcer ses actions de protection de l’environnement (souvent perçues comme des actions de luxe), le choix (parfois populiste) est vite fait. Ainsi, la protection de l’environnement se retrouve facilement dans la queue du peloton des priorités gouvernementales dans un contexte de transition démocratique. 1 Outre les difficultés budgétaires qui minent l’action environnementale dans une phase de transition démocratique, la politique de l’emploi, un des piliers de l’action gouvernementale dans un tel contexte, se retrouve dans une certaine mesure affectée par les actions nécessaires pour la protection de l’environnement. Ainsi, certaines entreprises, qui font déjà face à des difficultés sous la pression des revendications salariales des employés, risqueraient de cesser leurs activités si elles devaient en plus investir dans de nouvelles technologies plus propres et permettant de respecter des législations plus strictes en matière de protection de l’environnement. Là encore, dans un contexte économique post révolutionnaire fragile, le décideur politique sera plus enclin à ménager les entreprises économiques en ajournant les exigences de mise à niveau environnementale aux dépens de la qualité de leurs rejets dans la nature. A la lumière de ces constats, on est tenté de voir le verre à moitié vide et de prédire un avenir sombre pour l’état de l’environnement dans les pays en phase de transition démocratique post révolutionnaire. Cependant, le verre n’est pas aussi vide que l’on pourrait croire. En effet, un pays qui vit une révolution, connait généralement des conditions de vie et des infrastructures plus dégradées que ce qui était déclaré auparavant dans les statistiques officielles, notamment en ce qui concerne l’état de l’environnement. Ceci est certes un lourd inconvénient, mais on peut y déceler une opportunité. En effet, une politique de grands travaux à la keynésienne peut constituer une solution de relance économique pour la création de l’emploi et le développement des régions, notamment à travers la construction de réseaux d’assainissements, la généralisation des centres de collecte, de transfert des déchets et l’augmentation du nombre de décharges contrôlées. Ainsi, en Tunisie, après la révolution, la gestion des déchets s’est avérée être une problématique récurrente qui touche aussi bien les conditions de vie de la population que le tissu économique dans le sens où le secteur touristique a été affecté par l’accumulation des déchets dans les rues des villes touristiques du pays. Les autorités, qui ont qualifié la situation de « crise nationale », ont dû ordonner en mars 2014 une campagne exceptionnelle pour nettoyer 40 municipalités touristiques du pays1 en prévision de la saison touristique. Ainsi, la mise à niveau de l’infrastructure environnementale du pays s’inscrit comme un enjeu économique majeur pour la Tunisie. D’autre part, un modèle de croissance verte peut constituer une locomotive pour l’absorption du chômage des jeunes diplômés à travers la création de nouveaux emplois dans des secteurs novateurs. Ainsi, les emplois verts peuvent mobiliser une jeunesse diplômée qui souffre de la saturation des secteurs traditionnellement recruteurs. Dans ce même sens, la transition verte que les entreprises seront amenées à entamer dans le cadre d’un modèle de croissance verte, pourrait constituer un atout à leur profit. En effet, la mise à niveau environnementale des entreprises et éventuellement le recours à la labellisation de leurs produits leur permettraient de conquérir de nouveaux marchés, inaccessibles pour les 1 http://www.lapresse.tn/07042014/81049/quarante-destinations-touristiques-ciblees.html 2 entreprises qui ne respectent pas certains standards environnementaux. Ces nouvelles perspectives permettraient aux entreprises, ayant des difficultés pour se développer sur un marché local restreint et de plus en plus miné par les difficultés économiques caractérisant un contexte de transition démocratique, d’étendre leurs activités à des marchés d’un autre ordre de grandeur (notamment le marché de l’Union Européenne pour le cas de la Tunisie) et ainsi créer de nouveaux postes d’emploi. Finalement, on peut dire qu’il est aisé pour les décideurs politiques d’avoir le reflexe de reléguer les questions environnementales à un second plan dans une phase de transition démocratique. Mais en y voyant de plus près, la protection de l’environnement peut constituer un levier pour le développement local, régional et national. La question qui se pose alors est la suivante : quel rôle peut jouer la société civile pour sensibiliser les décideurs politiques sur les opportunités dont peut profiter un pays de la protection de son environnement ? 3