REVUE DE PRESSE spectacles Les LoriaLeTs Notre Commune L es Lorialets, ces exilés lunaires, sont venus compléter, en bonne intelligence, l’esprit citoyen du Théâtre du Soleil. La jeune compagnie, réunie autour de sa metteure en scène Caroline Panzera, ne renie rien de l’engagement politique et théâtral d’Ariane Mnouchkine, qui la soutient. C’est entre les arbres de la Cartoucherie qu’ils ont peaufiné « Notre Commune », leur première création pour la rue. L’épopée des Fédérés. Ces Lorialets-là se donnent comme raison d’être de suivre les traces des luttes pour la liberté dans l’histoire. Pour ne pas oublier. La Commune de Paris, par exemple. Leur « Histoire méconnue racontée sur un char » (sous-titre du spectacle) représente cette volonté de durer, de dire, d’exister, contre vents et marées. Et ce n’est pas une mince affaire que de raconter les tribulations de cette aventure collective, les raisons de la révolte, sa fin tragique et même le contexte historique dans lequel les Fédérés ont lancé leur république. Qui plus est, Mathieu Coblentz est seul à narrer l’épopée, son partenaire Vincent Lefevre incarnant un fantôme muet. Est-ce face aux horreurs de la boucherie de Thiers qu’il a perdu la parole ? L’idée d’une dualité de la mémoire, entre révolte et souffrance, entre narrateur et mime, s’avère ingénieuse. La rencontre entre l’énergie expansive et l’autre, silencieuse mais au geste tranchant, ne cesse de relancer la dynamique spectaculaire. Sur leur char fantasque qui relie ciel et terre, dans un décor à tiroirs aussi présent qu’un, voire deux personnages de plus, ces porteurs de mémoire disposent de tous les atouts pour faire revivre la Commune. l thomas hahn Création le 5 avril 2012, La Cartoucherie, Paris. Vu le 13 avril 2012, La Cartoucherie, Paris. Diffusion le 14 juillet, festival Les Virevoltés, Vire (14) ; du 18 au 22 juillet, Chalon dans la rue, Chalon-sur-saône (71) ; le 21 septembre, festival roulez Carros, Carros (06). Contact http://leslorialets.free.fr © jean-miCheL CouBart stradda / n° 25 / juillet 2012 35 Thierry Voisin Septième > Secousse Karim Haouadeg Notre Commune par la Compagnie Les Lorialets La jeune compagnie Les Lorialets a conçu un premier spectacle qui mérite d’être signalé pour l’étonnante maturité qu’il révèle. C’est l’histoire de la Commune de Paris qu’ils ont choisi de raconter. Il est toujours risqué de porter à la scène des épisodes tragiques de l’Histoire, surtout quand ils sont mal connus, comme c’est le cas de la Commune de 1871. On doit éviter les écueils opposés de la grandiloquence et de l’anecdotique. Pour ne rien dire du didactisme maladroit. Les Lorialets ont choisi le théâtre de rue pour dire cette histoire. Choix tout à fait pertinent et cohérent avec le sujet de la pièce. Accueillis au printemps dernier par le Théâtre du Soleil, c’est donc sous les marronniers de la Cartoucherie de Vincennes qu’on a pu découvrir et apprécier la rigueur souriante de leur spectacle. Et c’est au même endroit qu’on pourra les retrouver du 5 au 8 juillet prochain. Tout d’abord, les spectateurs sont invités à suivre dans ses déambulations un étonnant char qui les mène jusqu’au lieu de la représentation. Étonnant, c’est le moins qu’on en puisse dire. Cette construction étrange, sur laquelle sont juchés deux comédiens, tient à la fois de la tribune et de la scène. Le jeu se déploie durant toute la représentation sur cette machine fantastique ou devant elle. Des deux comédiens, l’un (Vincent Lefevre) reste muet durant tout le spectacle, comme suffoqué par les horreurs dont il a été témoin. L’autre (Mathieu Coblentz) est le narrateur, qui raconte l’épopée de la Commune dans une langue remarquablement travaillée, évoquant de manière très convaincante la langue populaire de la seconde moitié du XIXe siècle. Deux personnages anonymes, pleins de conviction et de ferveur. D’effroi aussi devant la répression sauvage qui s’abattit lors de la Semaine sanglante sur le peuple de Paris. Et qui n’ont pourtant pas renoncé à un humour insolent et dévastateur. Car le récit est ponctué de chansons et de sketches faisant intervenir tout un attirail fantasque, fait de marionnettes et de masques, de chaînes et de haut-parleurs, de marmites et d’affiches. Et d’une gigantesque patte d’éléphant, qui évoque irrésistiblement cet éléphant de plâtre de la place de la Bastille dans laquelle Gavroche avait trouvé refuge. Ce spectacle est l’aboutissement d’un véritable travail collectif, qui a réuni les compétences d’une vingtaine d’artisans de la scène et révèle une inventivité exceptionnelle à tous points de vue. Le jeu des comédiens, qui s’inspire aussi bien du travail du clown ou du mime que du théâtre proprement dit, est proprement enthousiasmant. Cela fait de Notre Commune un spectacle rare : pertinent, impertinent et drôle. Juin 2012 « Au théâtre, il n’y a rien à comprendre, mais tout à sentir. » Louis Jouvet Le fond de l’art est rouge ! « Notre Commune » | © David Buizard C’est un théâtre de rue qui s’installe sur les places, en plein air, et ici sous les beaux marronniers de la Cartoucherie. C’est une pièce qui vous happe, si bien que vous la suivez comme l’enfant suit le joueur de flûte dans le conte de Grimm. Une création inventive, surprenante, courageuse et engagée. C’est une mesure de salut public que « Notre Commune », et un plaisir pour tous. L’histoire est criblée par les balles des vainqueurs, et les morts s’abîment dans l’oubli. On les cherche en vain dans nos manuels scolaires. Il en est bien ainsi de ceux que fit la dernière des révolutions françaises : la Commune. Or, parce que justement l’Histoire avec un grand H n’est pas notre histoire, le spectacle des Lorialets Notre Commune prend tout son sens. Deux morts de cette révolution s’y adressent à nous. L’un est privé de parole, et quand sa bouche s’ouvre, c’est sur un silence ensanglanté ; l’autre, au contraire, nous hèle, nous raconte sans jamais s’arrêter ce qui s’est passé. Il y a du bateleur chez lui, mais du Victor Hugo aussi. Pathétique silence, verbe épique et polémique, le duo est incroyablement efficace. L’un et l’autre, toujours en activité, souvent en mouvement, donnent de leurs personnes : Notre Commune est menée tambour battant. Gueuler et non pas parler, courir, escalader la machine qui sert de décor : tout est fait en grand. Il faut dire que le théâtre de rue est un maître exigeant. Le public à chaque instant peut se carapater, le temps est rarement idéal, et le vent vole les voix. Que reste-t-il ? La voix nue, la lumière sans fard du jour… et l’art de s’arc‑bouter sur ces obstacles pour créer des merveilles inédites. C’est ce qui se passe ici. Les deux interprètes peuvent compter sur une géniale et monstrueuse machine. Elle est à la fois un char de combat idéologique, le chariot du bateleur de foire ou l’éléphant de la Bastille si hugolien… Ce véhicule de bric, de broc et de surprises nous entraîne dans son sillage sans cesser de se métamorphoser. Couleurs de théâtre : couleur d’insurrection Pensez à ces maisons incroyables que vous aviez enfants, pensez aux réalisations du Royal de luxe, et vous en aurez l’esprit. Ouvertures et transformations créent l’émerveillement des petits et des grands. Impossible donc de s’ennuyer. Notre Commune est ainsi le livre d’histoire rêvé. S’y succèdent des images incroyables mais vraies, comme l’envol de Gambetta en ballon. Et ces images sont en couleurs. Bleu, blanc, rouge, surtout rouge et noir. Car les couleurs du théâtre sont aussi celles de la révolution. Vous voilà donc pris à témoins, interrogés, vous voilà avec une gravure dans les mains. Dans les mains et en grandeur nature ! De fait, costumes et objets stylisés font penser à des caricatures de Daumier. Parfois d’ailleurs, une caricature apparaît sur une figure de carton biface, ou même sur les fesses d’un des personnages : risible faces de cul du pouvoir établi. On saluera le travail des facteurs d’objets, comme ceux des créateurs de la machine et des costumiers. Notre Commune est justement un beau travail commun. « Mais notre cri d’espoir qui va jaillir de l’ombre / Le monde va l’entendre / Et ne pas l’oublier. » C’est comme si le spectacle réalisait cette volonté que l’on entend dans la si belle chanson de Caussimon et Sarde, La Commune est en lutte. Ces cris résonnent à nos oreilles de vérité et d’actualité. On vous en livre deux seulement pour vous laisser le plaisir de la découverte : « Quand t’as rien, tu rêves et t’en crèves », et « Vivre libre en travaillant ou mourir en combattant ». Le fond de l’art est rouge à la Cartoucherie… 8 avril 2012 « Notre Commune » | © David Buizard On ne compte plus le nombre de squelettes dans le placard de l’Histoire de France. Entre mémoire et oubli, le pouvoir politique a souvent manipulé ce bien commun, se plaçant sous l’égide d’hommes célèbres et respectés (Guy Môquet récemment) ou simulant une durable crise d’amnésie. La Commune, épisode des plus symboliques pour une large part de la gauche française, est de ces événements qui ne figurent pas dans les manuels scolaires. En fait, peu de Français (et donc de Parisiens) semblent connaître au moins quelques aspects de « la dernière des Révolutions » et de la répression féroce qui y mit un terme. La compagnie des Lorialets s’est donnée pour mission de réveiller un peu la conscience populaire avec ‘Notre Commune, histoire méconnue racontée sur un char’. Comme l’annonce le titre, les machines sont de la partie ; le spectacle débute par une déambulation en plein air dans les jardins de la Cartoucherie, quand un type au regard hanté harangue les spectateurs depuis un char, l’invitant à le suivre. Derrière le volant du véhicule, un autre fantôme de communard, participant à sa manière à la pièce. Inutile d’en dévoiler trop ici, tant le spectacle se v(o)it plus qu’il ne se raconte. Simplement, on ne peut que saluer l’excellence de Mathieu Coblentz, récitant, scandant, chantant des textes et témoignages d’époque (notamment de Louise Michel et Eugène Pottier) accompagnés d’une création musicale de belle facture. A ces mots répondent les gestes, mimes et manipulations d’objets divers orchestrées par Vincent Lefevre dans un rôle muet et hyperactif. La mise en scène signée Caroline Panzera dévoile des merveilles d’inventivité, entre théâtre de rue, conte et satire, usant sans jamais en abuser de marionnettes, masques et pyrotechnie. Un régal pour les yeux et l’intellect, aussi bien destiné aux enfants qu’aux adultes, mais qui ne tait pas pour autant ce qu’il peut y avoir de subversif dans ce soulèvement du peuple parisien contre l’Etat ; il est d’ailleurs assez cocasse d’entendre l’armée conspuée dans une ancienne réserve militaire. On redécouvre la Ville Lumière sous ses aspects les plus sombres, un Paris en lutte de Montmartre à Belleville, des buttes Chaumont à la Bastille, où le canon gronde, le sang coule, et dont les habitants sont bien décidés à défendre une certaine idée de la République. Et comme il est toujours bon de se rafraîchir la mémoire (et de se forger une conscience politique), on vous recommande chaudement d’aller réviser l’Histoire avec les Lorialets. Auteur : Nicolas Hecht Mai 2013 Notre Commune, Histoire méconnue racontée sur un char, création collective des Lorialets, écriture et réécriture sur la base d’archives de Caroline Panzera et Mathieu Coblentz, mise en scène de Caroline Panzera Notre Commune, c’est un feu d’artifice de couleurs et de lumières, un brasier furibond, une « île enchantée », non plus versaillaise, mais foncièrement révolutionnaire, du nom du gouvernement révolutionnaire de Paris en 1871. Une Commune mise à mal par M. Thiers et falsifiée par l’histoire telle que l’ont enseignée, les pouvoirs successifs, bourgeois conservateurs et réactionnaires. Mais, auparavant, elle aura admirablement vécu, cette Commune, dans la lutte et l’opposition, le combat, la mise à sang et à sac de la bêtise et du mépris, pour le surgissement de la vie et de la liberté, la reconnaissance du peuple et de son destin. La proposition des Lorialets : se réapproprier, 140 ans après, ( 1870: la France est envahie par les Prussiens, l’empire de napoléon III s’effondre , une paix honteuse qui cède à l’Allemagne l’Alsace et la Moselle, le peuple de paris, scandalisé qui fonde une Commune indépendante, qui promulgue, entre autres, la séparation de l’Eglise et de l’Etat, l’école laïque et obligatoire…) Insurrection qui sera vite réprimée dans le sang. Mais cette page de notre Histoire, les programmes scolaires de la Troisième République n’autorisaient que quelques lignes sur cette insurrection urbaine prétendument terroriste et diabolisée. Avec Mathieu Coblentz et Vincent Lefevre, comédiens et bateleurs absolus – l’un loquace, et l’autre muet mais efficace accessoiriste, le spectateur ne s’ennuie pas, dans l’air frais, à la Cartoucherie de Vincennes, après avoir suivi le char tonitruant et pétaradant de ferraille noire de la troupe luciférienne. Il suffit de se laisser aller à l’écoute chronologique et circonstanciée des faits :une vraie leçon d’histoire vivante… Mathieu Coblentz, avec sa belle moustache, est un communard qui n’en finit pas de raconter sa haine de ceux qui regardent le peuple de haut. Un bonimenteur, un faiseur de tours, de farces et d’escamotages, causeur et chanteur, la lippe pendante, la haine dans les yeux et la grâce méchante et virile dans l’allure, la volonté de se défendre en défendant les siens, son peuple méconnu et sa famille mal-aimée. Un feu foudroyant le public , certainement coupable, à ses yeux, d’ignorance et de négligence, de laisser-aller dans la perte des valeurs républicaines. Suivez son regard… Mais les vraies vedettes du plateau sont Louise, un char et Michel, un tracteur-tiens, une sonorité familière ! Sur Louise, se tient la patte d’éléphant énorme de la Bastille, une vraie maison du peuple. Apparaissent en désordre, des marionnettes , des affiches, des dessins, des aplats pour Favre et Bismarck, et des marionnettes encore de l’armée citoyenne, du prélat, du peuple, mais aussi des confettis, et des chansons. Écoutez et suivez le bonimenteur qui vous ragaillardit, quand il chante La Canaille de Joseph Darcier et JeanBaptiste Clément : « Dans la vieille cité française existe une race de fer/Dont l’âme comme une fournaise a de son feu bronzé la chair./Tous ses fils naissent sur la paille, pour palais ils n’ont qu’un/ taudis. C’est la canaille! Eh! bien! J’en suis. » Quel plaisir d’être du public et de partager la verve et l’énergie constructive de cette canaille-là. Une mise en scène inventive de Caroline Panzera pour cette Commune qui fera mémoire enfin... Véronique Hotte 14 avril 2012 Contact artistique : Caroline Panzera 06 22 04 49 56 [email protected]