Les guérilleros de la culture

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ARIANE Mr rouctuaNE
Elle a su comprendre la belle leçon...
,
Bilan
Les guérilleros
de la culture
* Les meilleurs spectacles de l'année
nous ont donné la preuve que le théâtre ne peut plus passer
par les circuits officiels
•
Le syndicat de la Cri-
tique dramatique, auquel
j'appartiens, a donné son
prix « du meilleur spectacle de l'année » au « Songe », de
Strindberg, à la Comédie-Française,
dans la mise en scène de Raymond
Rouleau. Ce n'était pas mon choix.
J'avais dit ici combien je trouvais ce spectacle --: parfait dans
son genre, avec sa machinerie bien
huilée et ses reconstitutions d'époque à la Visconti — éloigné de l'esprit de Strindberg et de sa descente
dans le gonffre de la mémoire et
des vies déçues. Raymond Rouleau
et les comédiens français sont gens
trop bien élevés, trop mondains pour
comprendre ces personnages du dedans et, sur un tout autre plan, pour
avoir fréquenté les petits théâtres où,
ces dernières années, on a bien mieux
joué Strindberg que salle Richelieu.
-
tout de suite après, à la Cartoucherie de Vincennes, où Ariane MnouchIdne venait de créer son 1789 »
dans le froid et l'inconfort le plus
extrême. Geste symbolique de la part
du ministre, coup de chapeau à l'un
des Plus grands succès de l'année,
auquel succédera, la saison prochaine, un « 1793 » qui, forcément, ira
plus loin et mettrait dans l'embarras
le ministre, s'il lui plaisait de retourner à Vincennes où la Cartoucherie,
avec la présence de Jean-Louis Barrault et de Jean-Marie Serreau, remplacera peut-être les pavillons de
Baltard. Mais ce ne sera pas pareil...
Quoi qu'il en soit, et pour en revenir à ce c prix du meilleur spectacle de l'année », c'est à Ariane
Mnouchkine et au Théâtre du Soleil
Page 38 Lundi 12 juillet 1971
Pléthore de talents ?
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Barrières supprimées
Pourvu que Pierre Dux, à qui l'on
vient de donner la direction de
l'Odéon-Théâtre de France, ne fasse
pas de ce théâtre une seconde Comédie-Française, où de jeunes sociétaires imiteraient Planchon, Chéreau., Bref qu'avec cette affaire de
l'Odéon, le gouvernement a une fois
de plus raté l'occasion de nous donner la salle d'essai qui fait cruellement défaut anx jeunes animateurs.
' A propos de gouvernement, on se
rappelle que Jacques Duhamel avait
voulu marquer son intronisation aux
Affaires culturelles en se rendant
d'abord à la Comédie-Française,- et,
qu'il aurait dû aller : « 1789 » était
le spectacle le plus neuf, le plus imaginatif et, à coup sûr, le seul qui
nous ait raccordé à notre histoire
dans une perspective d'actualité.
De ce théâtre engagé, supprimant
les barrières entre les interprètes, les
auteurs et le public, Jean Vilar avait
été le pionnier. Avec cette différence que, dans les années 50, il travaillait pour « un théâtre qui rassemble » et qu'aujourd'hui, notre société est trop divisée pour se récon> ciller à l'ombre de la culture.
Les manifestations d'août 1968, à
Avignon, avaient durement frappé
Jean Vilar. Ce grand homme de
théâtre a été la victime d'une his2 taire dont il avait contribué à accélérer le cours. Le T.N.P. a eu beau
survivre, — mais la saison 1970-1971
a été bien décevante, à l'exception
des "« Prodiges » de Jean Vauthier
— c'est chez Ariane Mnouchkine,
c'est chez Patrice Chéreau qu'il faut
chercher la pOstérité de Vilar. Signe
des temps : cela ne se passe plus
dans un théâtre d'Etat.
Les succès de public du Théâtre
de la Ville, son excellente organisation et rheureux hasard qui faisait
alterner, euphoniquement, Billetdoux
et Giraudoux, ne peuvent prétendre
prolonger jusqu'à nous ce mouvement de théâtre populaire, splendidement lancé par Vilar, il y a quelque vingt ans, et qu'on retrouvé un
pew figé dans les théâtres périphériques. On se contente d'y faire du
plus ou moins bon théâtre, sans trop
paraître se soucier des goûts du public et surtout de ses aspirations...
Mais les municipalités (communistes
pour la plupart) dont ces théâtres
dépendent en grande partie le leur
permettraient-elles ? Il faut, aujourd'hui, être un franc-tireur pour faire
de I' e agitprop » ni les communistes, ni le parti de là majorité (silencieuse) n'aiment qu'on mette les
pieds dans le plat.
RÉPÉTITION A
LA CARTOUCHERIE
... des amateurs
étrangers
Cela n'empêche pas, certes, que
nous fassions encore confiance à des
animateurs comme Gabriel Garran,
José Valverde, Pierre Debauche, Antoine Vitez, Guy Rétoré ou, parmi
les récents, à Jean-Pierre Vincent, qui
a remarquablement monté cet hiver,
à Strasbourg, un Labiche (« la Cagnotte ») et, à Toulouse, un Goldoni
(« le Marquis de Montefosco »).
Le talent, il ne manque pas. Quel
pays, quelle époque réunirait la
même saison, en plus des metteurs
en scène que je viens de citer, des
comédiens tels que : Claude Rich,
Jacques Fabbri, Robert Hirsch, Judith Magre, Laurent Terzieff, Michel
Bouquet, Anna Karina, Daniel Ivernel, Annie Duperrey — et ces deux
grands prix des concours du Conservatoire, Jacques Weber et Francis
Huster ?
Mais nous faudra-t-il encore de
e grands acteurs » ? Ce n'est pas
sûr. Professeur au Conservatoire, Antoine Vitez reconnaissait fort justement que ces concours ne signifient
rien, que la notion de bon comédien est inséparable d'un ensemble,
d'une mise en scène, d'une conception générale du spectacle, et l'on
voit chaque soir des comédiens anonymes, qui ne sont étonnants que
parce que_ le spectacle est beau. En
revanche, à quoi sert de voir un
grand comédien dans une mauvaise'•
pièce ?
C'est comme pour, les auteurs. Ils
sont de moins en moins nombreux;
c'est vrai. Ionesco ne s'est pas renouvelé avec son « Jeux de massacre ».
Billetdoux, Dubillard, Vauthier, qui
nous ont donné de fort beaux textes,
ne sont pas des révélations. Qui
prendra leur relève ? Les tentatives
de théâtre littéraire, auxquelles nous
avons assisté ces derniers mois,
étaient bien pâteuses. Et que Jean
Anouilh, bon an, mal an, occupe
pendant des mois et des mois la Comédie des Champs-Elysées, ne nous
console pas de voir qui sont les candidats à sa succession sur le boulevard : Jean Cau ou Françoise Dorin,
c'est vraiment moins bien que ce
vieux réactionnaire d'Anouilh...
Il faut s'y faire. Le théâtre le plus
vivant, le plus actuel ne se trouve
plus chez- les écrivains. Un spectacle
comme le « Joachim Murieta » de
Chéreau, à Milan, était infiniment
supérieur au texte qui l'a inspiré.
C'est avec ses compagnons qu'Ariane
Mnouchkine a fabriqué son « 1789 ».
Victor Garcia ou Jean-Marie Patte
ont, chacun de son côté, monté e les
Bonnes » de Genet comme si le texte
leur appartenait. Jérome Savary a inventé de toutes pièces son « Magie
circus » comme les Argentins de
l'Epée de Bois, leur , très amusante
e Histoire du théâtre ». Et jusque
dans les cafés-théâtres -- allez voir
.
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